BIBLE (les traductions françaises de la)

La France est un pays qui a manifesté de tout temps un grand intérêt
pour la Bible, et où l'on s'est constamment efforcé de la rendre
accessible au peuple en la lui présentant dans sa langue. Dès le III
e siècle, il y eut des versions gauloises de la Bible. On la
traduisit plus tard dans les divers dialectes nationaux, à mesure
qu'ils se formèrent: français, provençal, lorrain, etc. On possède un
assez grand nombre de traductions, du XII e au xv e siècle. Aucune
n'est la reproduction intégrale et exclusive du texte original. Ce
sont des Bibles 1 historiées» et «glosées»; elles donnent (d'après la
Vulgate) les récits historiques des livres saints, en laissant de
côté les parties didactiques ou poétiques (dont quelques-unes,
notamment les Psaumes, sont souvent éditées à part), et elles y
ajoutent toutes sortes d'explications, de commentaires ou de
compléments divers. Elles les incorporent purement et simplement dans
le texte, ou bien elles les en distinguent en les faisant précéder du
mot «glose». Le chef-d'oeuvre du genre est l' Historia
scholastica
de Pierre Comestor (vers 1180): l'auteur introduit dans
les saints livres tout le savoir du temps. Citons encore la «Bible de
l'Université de Paris» (1226 à 1250), la Bible de Guiart des Moulins
(1289), la Bible (complète) de Jean de Rely, confesseur de Charles
VIII, publiée sur l'ordre du roi, vers 1496. Le N.T. des moines
Julien Macho et Pierre Farget, édité à Lyon par Barthélémy Buyer,
vers 1477, est, de toutes ces oeuvres bibliques, celle qui se
rapproche le plus d'une traduction proprement dite, bien qu'il
renferme encore de courtes gloses.

La première traduction véritable de la Bible en français, rendant
exactement le texte tout entier et le donnant lui seul, fut celle du
savant humaniste Lefèvre d'Étaples. Ce fut sur le désir de Louise de
Savoie, mère de François I er, et de Marguerite de Navarre, soeur du
roi, qu'il entreprit son oeuvre. Comme tous ses prédécesseurs, il
travailla sur le texte latin de la Vulgate. Le N.T. parut à Paris, en
1523, et fut accueilli avec une grande faveur. Mais il se heurta à
l'opposition de la Sorbonne. Depuis le XIII e siècle, l'Église voyait
avec une défiance croissante les versions françaises des saints
livres, à cause du grand usage qu'avaient fait les hérétiques de la
Bible en langue vulgaire (les Albigeois ou Cathares, notamment,
avaient largement répandu la Bible provençale, et de même les
Vaudois). Ce ne fut qu'à grand'peine et grâce à la protection du roi,
que Lefèvre put échapper aux sanctions judiciaires. Encore jugea-t-il
prudent de s'enfuir à Metz. Son N.T. fut sévèrement condamné, et, à
partir de 1524, nul, en France, n'osa plus l'imprimer. Il fut édité à
l'étranger, principalement à Anvers. C'est là aussi que parut sa
Bible complète, en 1528. Elle fut rééditée plusieurs fois (1530,
1534, 1541).

Entre temps la première traduction de la Bible en français,
d'après les textes originaux, avait été publiée à Neuchâtel par
Robert Olivetan (en 1535).L'initiative de cette oeuvre revient au
Synode des Églises vaudoises. Dans sa session du 12 septembre 1532, à
Chanforans, il avait résolu de faire les frais d'une Bible en
français. Restait à trouver le traducteur. Après de vives instances,
Farel et Viret réussirent à décider un disciple de Lefèvre d'Étaples,
Louis Olivier, dit Pierre-Robert Olivetan, cousin de Calvin, à
entreprendre cette tâche. Il ne mit guère qu'une année à s'en
acquitter (de la fin de 1533 ou du début de 1534 au commencement de
1535). Quoiqu'on travaillât alors, dans tous les domaines, avec plus
d'intensité que de nos jours (l'impression ne prit que quatre mois),
ce délai paraît bien court pour une telle oeuvre, d'autant plus que
la traduction est accompagnée de nombreuses notes, en particulier de
variantes tirées des LXX, et de parallèles. On a supposé, ce qui est
très vraisemblable, que l'auteur s'était occupé depuis longtemps de
la traduction de l'A.T. C'est pour cela que ses amis l'avaient si
fort pressé d'accepter une tâche déjà préparée et qu'il ne lui
restait guère qu'à mettre au point.

Au jugement d'un homme aussi autorisé qu'Edouard Reuss, la
version de l'A.T. constituait un chef-d'oeuvre pour l'époque. Le N.T.
ne paraît être qu'une révision assez légère de celui de Lefèvre, dont
il reproduit littéralement des paragraphes entiers.

La Bible d'Olivetan devait régner pendant plus de trois siècles
sur les Églises protestantes de langue française. Non sans subir, il
est vrai, de nombreuses révisions. Elle fut corrigée partiellement
par l'auteur lui-même, avant sa mort (survenue en 1538). Peu après se
succédèrent des éditions plus ou moins retouchées (1540, 1545, 1551).
Mentionnons en particulier celles de 1554 et de 1560, auxquelles
travailla Calvin. Plus importante encore fut la révision de 1588, la
première de celles qui devaient se présenter sous l'égide des
«pasteurs et professeurs de l'Église de Genève».

Aussi considérable qu'ait été tout ce travail, il ne constituait
pas une véritable refonte de l'oeuvre d'Olivetan. Les corrections
étaient inégales, peu systématiques et pas toujours heureuses, même
au point de vue du style. Par exemple, Ge 1:6-8: étendue
substitué à «firmament»; Ge 1:11: que la terre pousse son jet,
à savoir herbe...,
au lieu de: «que la terre produise verdure,
herbe...»; Ge 2:6: ni aucune vapeur ne montait de la terre,
qui arrosât
(on ajoutait gratuitement au texte une négation), au
lieu de: «mais une vapeur montait de la terre et arrosait»; Mt
5:7: bienheureux sont les miséricordieux, car miséricorde leur
sera faite,
au lieu de «car ils obtiendront - miséricorde». (Nous
croyons inutile, ici et dans la suite, de garder l'orthographe de
l'époque). Défaut plus grave, beaucoup de corrections révèlent
l'influence de la polémique contre le catholicisme; elles forcent le
texte et parfois même en altèrent le sens, Elles soulevèrent dans le
camp adverse de véhémentes protestations. Citons seulement celles de
Véron, dans l'appendice de son N.T. de 1647 (p. 60ss). Le fougueux
curé de Charenton aurait bien dû plutôt méditer la parabole de la
paille et de la poutre, car nul traducteur, on le verra plus loin, ne
s'est montré moins impartial que lui. Mais il faut reconnaître qu'il
y a du vrai--à côté de maintes erreurs--dans ses observations. Ainsi
Ne 8:8, Olivetan traduit (d'ailleurs fort mal) «lurent...au
livre de la Loi...et donnaient l'intelligence: et entendirent à la
lecture»; 1588: «...l'intelligence, la faisant entendre par
l'Écriture même»
(Écriture est introduit dans le texte pour
favoriser le dogme de l'autorité de la Bible); Ga 2:16,
Olivetan: «sinon par la foi en J.-C»; 1588: «mais seulement par
la foi» (on a voulu affirmer la justification par la foi seule);
Heb 10:10, Olivetan: «nous sommes sauvés par l'oblation une fois
faite du corps de J.-C.»; 1588: «par l'oblation une seule fois
faite» (pour exclure le sacrifice de la messe); 1Ti 4:10,
Olivetan: «Dieu, qui est le Sauveur de tous les hommes»; 1588: «qui
est le conservateur» (la théorie de la prédestination n'admettait
pas le salut de tous les hommes), etc. Voir aussi Lortsch, la Bible
en France,
p. 482SS.

On ne saurait mettre en doute la bonne foi des réviseurs, pas
plus du reste que celle des traducteurs catholiques, qui altéraient
le texte en sens contraire. Les uns et les autres étaient les
victimes involontaires des passions théologiques du temps. Cela met
d'autant plus en valeur la remarquable impartialité de la version
d'Olivetan. A tout prendre, on peut se demander si la révision de
1588 améliorait vraiment son oeuvre. Et cependant le texte de 1588,
si défectueux dès l'origine, devait être réimprimé presque sans
modifications pendant plus d'un siècle, jusqu'en 1724!

Pendant ce temps, les traductions catholiques réalisaient pour le
style de grands progrès. La première fut faite par les soins de
l'Université de Louvain. Ce n'est à vrai dire qu'une révision assez
légère de la Bible de Lefèvre d'Étaples. Elle parut en 1550 et eut de
très nombreuses éditions. Elle fut aussi plusieurs fois révisée, par
de Bay (1572), Besse (1608), Deville (1613), Frizon (1621). En 1566,
René Benoist, curé de Saint-Eustache, publia une traduction nouvelle,
à laquelle on reprocha d'avoir trop emprunté à la Bible protestante,
et qui fut condamnée. En 1643, parut la Bible de Corbin, la première
qui ait introduit la mention de la messe dans le texte du N.T.: «Or
eux, célébrant au Seigneur le saint sacrifice de la messe» (Ac
13:2). Il avait emprunté cette traduction au jésuite Cotton (d'après
une note du N.T. de Beausobre et Lenfant, p. CCXXII). En 1647, c'est
le N.T. de Véron, qui se vante d'avoir «repurgé» la version de
Louvain de toutes les erreurs et falsifications héritées de la Bible
genevoise. Mais ce redresseur de torts se laisse aller à. des fautes
encore plus graves, et dont il se vante. Lui aussi introduit la messe
dans Ac 13:2, et il en est si fier qu'il voudrait bien passer
pour l'auteur de la trouvaille: il s'efforce de la justifier par une
longue dissertation, mais il néglige de citer le précédent de Corbin,
quoiqu'il connaisse sa Bible et en fasse un grand éloge. Il traduit
presbuteros (ancien) par «prêtre» (en grec hiereus), toutes
les fois qu'il s'agit d'une fonction ecclésiastique. Un autre
réviseur du N.T. de Louvain, Girodon (1661), dont le travail fut
plusieurs fois réimprimé, alla plus loin encore, insérant dans le
texte sacré la pénitence, la messe, l'hostie, le culte de latrie, le
purgatoire, les péchés véniels, le sacrement du mariage, les
pèlerinages, les processions, etc. (O. Douen).

Le N.T. de l'abbé Michel de Marolles (1649) était une oeuvre de
plus de valeur; celui du Père Amelote (1666) était meilleur encore;
et voici le N.T. de Mons (1667), qui marque une date importante dans
l'histoire des traductions françaises de la Bible. Cette version,
entièrement nouvelle, qu'on dut imprimer en Belgique, sans nom
d'auteur, était l'oeuvre collective des solitaires de Port-Royal.
Isaac Lemaistre, dit Lemaistre de Sacy (Sacy était un anagramme
d'Isaac), y avait eu la plus grande part, avec des collaborateurs
tels que son frère Antoine, Arnauld, Nicole, le duc de Luynes et
d'autres encore, parmi lesquels Pascal. Ils y avaient consacré près
de dix ans. Avec des savants et des écrivains de cette valeur, le
résultat ne pouvait être que remarquable, tant pour le fond que pour
la forme. C'était la première fois que la Bible parlait vraiment
français. Le succès fut immense, malgré l'opposition de la Sorbonne.
Le travail était achevé, mais l'ouvrage n'avait pas encore paru,
quand Sacy fut arrêté et mis à la Bastille, où il passa deux ans et
demi (1666-1668). Il employa ses loisirs forcés à traduire l'A.T.,
avec non moins de bonheur que le N.T. Mais il n'obtint l'autorisation
de le publier qu'à la condition d'y joindre de longs commentaires, ce
qui en retarda beaucoup l'apparition. L'édition, commencée en 1672,
ne fut terminée qu'en 1702 (dix-huit ans après la mort de l'auteur,
survenue en 1684); elle comprend trente-deux volumes.

Deux graves défauts déparent malheureusement la Bible de Sacy.
D'abord elle est faite d'après la Vulgate. Ensuite, dans le louable
dessein de rendre toujours le texte d'une façon bien claire, même là
où il est le plus obscur, elle verse dans la paraphrase et aboutit
parfois au contresens. Par exemple: «il a condamné le péché dans la
chaude J.-C, à cause du péché commis contre lui » (Ro 8:3).
«Si donc vous êtes morts avec J.-C, à ces premières et plus
grossières instructions du monde, comment vous laissez-vous imposer
des lois, comme si vous viviez dans ce premier état du monde? Ne
mangez pas, vous dit-on, d'une telle chose, ne goûtez pas de
ceci,
ne touchez pas à cela» (Col 2:20 et suivant). Les
mots ajoutés par le traducteur sont en général soulignés, mais ceci
ne justifie pas l'addition, quand elle fausse la pensée biblique;
c'est le cas Ro 8:3 et aussi, quoique à un degré; moindre,
Col 2:20.

La Bible de Sacy, souvent réimprimée, fréquemment revue ou
imitée, a exercé depuis son apparition une influence considérable sur
toutes les éditions catholiques des livres saints. Il s'en est fallu
de peu qu'elle ait aussi marqué de. son empreinte les versions
protestantes. Nous avons vu combien la révision de 1588 était
défectueuse pour le style. Les traductions originales parues en:
dehors d'elle, celle de Chateillon--Castalion--(1555) et celle de
Diodati (1644), n'avaient apporté aucun progrès. C'est au début du
XVIII e siècle seulement qu'on se préoccupa, dans les milieux de la
Réforme, de publier les livres saints en bon français, à l'image des
N.T. du Père Amelote et de Port-Royal. Ce fut l'un des buts visés par
deux traductions du N.T., celle de Jean Le Clerc (1703) et celle de
Beausobre et Lenfant (1718), qui furent des oeuvres estimables. Un
essai plus sérieux encore et mieux réussi dans le même sens fut celui
des pasteurs et professeurs de l'Église de Genève, dans leur révision
du N.T. parue en 1726. C'était une version entièrement renouvelée,
qui pouvait rivaliser, pour le style, avec la Bible de Sacy.
Malheureusement, si elle lui avait emprunté ses qualités, elle lui
avait pris aussi ses défauts: sa tendance à la paraphrase et son
souci de la clarté poussé parfois jusqu'au contresens, par exemple
1Pi 3:20: «huit personnes...qui furent sauvées de l'eau», au
lieu de «par l'eau» (dïhudatôri). Elle avait aussi remplacé
systématiquement le «tu» antique par le «vous» moderne, sauf pourtant
dans les paroles adressées à Dieu. Il eût été facile à des réviseurs
prudents de tirer de cette oeuvre, à bien des égards remarquable, un
N.T. excellent. Mais au moment où la Bible de Genève se mettait à
parler français, elle fut supplantée par d'autres révisions, celles
de Martin et d'Ostervald.

David Martin, pasteur à Utrecht, fit paraître en 1696 un N.T.
expliqué et, en 1707, une Bible complète, dont les notes
abondantes formaient un copieux commentaire, avec un texte qui était
celui de Genève «revu sur les originaux et retouché dans le langage».
Les corrections, qui portaient surtout sur la forme, étaient
généralement heureuses, mais combien insuffisantes! Malgré les
retouches de Pierre Roques (1736) et de Samuel Scholl (1746), la
Bible de Martin conserva un style assez archaïque.

Ostervald, pasteur à Neuchâtel, était l'auteur
d'Arguments et réflexions sur l'Écriture sainte,
qui avaient obtenu un très grand succès.
Cet ouvrage fut incorporé dans une Bible publiée à Amsterdam,
en 1724, d'après la version genevoise. Quand l'édition fut épuisée,
on résolut de la réimprimer à Neuchâtel, et, à cette occasion,
Ostervald révisa son travail, ainsi que la traduction elle-même. Le
volume parut en 1744. Il se présente comme «la Sainte Bible»...revue
et corrigée...par les pasteurs et professeurs de l'Église de Genève,
avec les Arguments et Réflexions...par J.-F. Ostervald. Nouvelle
édition revue, corrigée et augmentée». L'Avertissement qui suit le
titre (il occupe une page grand in-folio) insiste sur les changements
apportés aux «Arguments et Réflexions» et consacre trois lignes
seulement aux modifications du texte biblique: «En conservant la
version qui est reçue dans nos Églises, il (Ostervald) y a fait des
corrections qui paraissaient nécessaires et changé des expressions et
des manières de parler qui ne sont plus en usage et qui pourraient
causer de l'obscurité.» Cette indication, avec ses termes si
modestes, caractérise bien exactement l'oeuvre d'Ostervald. Il n'a
fait qu'une révision très discrète et qui se limite généralement au
style. Dans les livres historiques de l'A.T., les retouches sont
rares et insignifiantes. Par exemple, dans le ch. 4 de l'Exode, sept
mots seulement ont été remplacés par des synonymes. Dans les livres
poétiques et prophétiques, les changements sont plus nombreux, mais
insignifiants pour la plupart: dans, au lieu de «en»; lorsque,
au lieu de «quand»; pour ce qui est de, au lieu de
«quant à»; maître, au lieu de «seigneur»; etc.

Voici les deux corrections les plus importantes faites dans Job 3:

1. v. 5, «qu'il (ce jour) soit rendu terrible comme le jour de ceux
à qui la vie est amère»; Ostervald: qu'on l'ait en horreur comme un
jour d'amertume
(ceci est fort inexact);

2. v. 23, «pourquoi donne-t-il la lumière à l'homme auquel on a caché
le chemin qu'il doit suivre et que Dieu a enfermé de tous côtés?»
Ost.: pourquoi la lumière est-elle donnée à l'homme auquel le
chemin est caché, et que Dieu a couvert de tous côtés de ténèbres?

(dans l'hébreu il n'est nullement question de «ténèbres»).

On le voit, quand les changements touchent au sens lui-même, ils sont
assez souvent malheureux. En somme, l'A.T. n'a été que fort peu
modifié. Seul, le N.T. a été sérieusement revu et amélioré. Mais
c'est le style surtout qui gagne au travail d'Ostervald; la
traduction y perd assez souvent de son exactitude et de sa force. Par
exemple, Mt 13:16: «Or, vos yeux sont bienheureux car ils
voient, et vos oreilles, car elles entendent»; Ost.: Mais pour
vous, vous êtes heureux d'avoir des yeux qui voient et des oreilles
qui entendent.
En résumé, la Bible d'Ostervald représente la
révision de 1588, à peine retouchée pour l'A.T., et rajeunie dans la
forme pour le N.T. Elle est inférieure comme langue au N.T. de
1726. On lui sut gré sans doute de sa réserve, et on la préféra, non
sans quelque raison, à des traductions plus coulantes mais trop
libres. Elle régna pendant plus d'un siècle dans les Églises
protestantes.

En 1741 avait paru la Bible de Lecène, oeuvre assez fantaisiste,
qui tomba promptement dans l'oubli: elle le méritait. Les pasteurs et
professeurs de l'Église de Genève continuaient leur travail de
révision. Ils publièrent en 1802 un N.T. qui reproduisait avec
quelques changements celui de 1726, et en 1805 un A.T. qui offrait de
réelles qualités de style. Mais quelle traduction! Les auteurs
semblent avoir complètement méconnu l'antique pensée hébraïque et,
pour obtenir toujours une idée claire et à leurs yeux satisfaisante,
ils n'hésitèrent pas à violenter le texte. Ge 1:2: «La terre
était informe et nue; c'était un abîme couvert de ténèbres, et Dieu
fit souffler un vent qui agita la face des eaux.» Ge 4:7:
«...pour ton frère, il continuera à t'être soumis, et tu seras son
supérieur.» Job 3:8: «Qu'elle soit chargée d'exécration comme
une nuit funeste où s'agitent les monstres de la mort!» Il n'est pas
étonnant que cette version ait obtenu un médiocre succès.

On aima mieux garder Ostervald en le révisant. On y procéda à
Lausanne (1822), en s'inspirant, semble-t-il, de la version de
1802-1805, à laquelle on emprunta notamment l'erreur de 1Pi
3:20. L'édition de la Société biblique de Paris (1824) fut une
révision tacite: on prit des leçons aux Bibles de 1724 et de 1822, et
on y ajouta quelques corrections nouvelles. En 1836, seconde révision
par la Société biblique de Lausanne. En 1846-55 Bonnet et Baup
révisent le N.T. (édition refondue par Bonnet, 1875-85, et plus tard
revue par Schroeder, 1892-1905). Puis c'est la révision de Matter
(Londres 1849; le N.T. avait paru dès 1842), celle de Frossard (1869;
N.T. seul), celle de la Société biblique de France (1881) et enfin la
révision synodale du N.T. (1894).

A partir du second tiers du XIX e siècle, un certain nombre de
savants protestants entreprirent de traduire à nouveau soit la Bible
entière, soit l'A.T. ou le N.T. seuls. Citons la version de Lausanne
(N.T. en 1839, A.T. de 1861 à 1872), qui vise à calquer le texte
original, sans grand souci des exigences de la langue française;
l'A.T. de Perret-Gentil (1847-1861); le N.T. de Rilliet (1858),
oeuvre de grande valeur comme interprétation du grec; le N.T.
d'Arnaud (1858); le N.T. de Darby (1859) et la Bible du même (1885);
la Bible de Paris, inachevée (neuf livraisons, de 1864 à 1874); la
Bible d'Edouard Reuss (1874-79), oeuvre magistrale en treize volumes,
encore le meilleur ouvrage du genre que nous ayons en français; la
Bible annotée de Neuchâtel (1878-98; ne comprend que l'A.T.).

Cependant, la Compagnie des pasteurs et professeurs de l'Église
de Genève persévérait dans son travail de révision: en 1835, elle
publia un N.T., qui devait alimenter, de 1861 à 1863, la polémique
des partis théologiques en France, et amener le schisme de la Société
biblique. Mais la Compagnie finit par se rendre compte que les
révisions de révisions ne pouvaient produire une version homogène et
vivante, et elle chargea deux professeurs qualifiés, Segond et
Oltramare, de traduire, l'un l'A.T. et l'autre le N.T. Le N.T. parut
en 1872 et l'A.T. en 1874. Ces deux oeuvres, qui furent adoptées par
la Société biblique de Paris, marquaient un progrès notable des
traductions françaises de la Bible. Une révision attentive (1900) a
émondé le N.T. Oltramare de quelques défauts qui tenaient surtout à
la forme. L'A.T. Segond, auquel on reproche d'avoir parfois aplati le
texte, a été également revu sous les auspices de la Société biblique
britannique et étrangère (1900), mais ces corrections, trop rares et
pas toujours heureuses, quelquefois même tendancieuses, ne l'ont pas
amélioré. Segond lui-même avait fait paraître (1881) une traduction
du N.T. En 1889, Edmond Stapfer publiait sa version du N.T.,
remarquable pour la clarté et l'aisance du style; la quatrième et
dernière révision de l'auteur fut imprimée par la Société biblique de
Paris en 1904 et en 1911. La Société biblique de France, au terme de
sa révision d'Ostervald, fut amenée à préparer une traduction
nouvelle, parue en 1910 sous le titre de «Version Synodale». Le N.T.,
retouché plusieurs fois--on y travaille encore--est excellent; l'A.T.
réalise, par rapport à Segond, un progrès certain pour le style, mais
contestable pour l'interprétation.

Les dernières traductions protestantes du N.T., en particulier
Oltramare, Stapfer et la Vers. Syn., sont faites sur un texte
critique, c'est-à-dire établi par la comparaison de tous les témoins
(manuscrits, citations des Pères de l'Église, versions anciennes). Il
n'en est pas de même des traductions françaises de l'A.T., qui,
toutes, sans aucune exception, reposent uniquement sur le texte
hébreu, dont nous n'avons qu'un seul type, établi par les savants
juifs, dits massorètes, après le II e siècle de notre ère (la date
exacte n'en peut être fixée, même approximativement). Elles n'ont
utilisé, sauf dans des cas exceptionnels et sans le dire, ni les
Targums, ni les versions antiques (LXX, syriaques, Vulgate, etc.),
dont plusieurs remontent à un texte hébreu antérieur à celui des
massorètes (voir Textes et versions de l'A.T.). De plus, elles se
sont imposé l'obligation de donner aux passages altérés--assez
nombreux dans certains livres poétiques--un sens clair et
satisfaisant, ce qui les a conduites à des interprétations fort
hypothétiques et parfois purement arbitraires. C'est en grande partie
pour corriger ce double défaut que la Société biblique de Paris a
entrepris, à l'occasion de son centième anniversaire, une nouvelle
version, appelée, pour ce motif, «Bible du Centenaire». Le N.T.,
terminé en 1928, représente, surtout pour les Épîtres, une
amélioration notable d'Oltramare et de Stapfer. L'A.T. (premier
fascicule en 1916) est en cours de publication. La «Bible de la
Famille et de la Jeunesse» (1925) a vulgarisé une portion de ce
travail.

Après la Bible de Sacy, il a continué de paraître, dans les
milieux catholiques français, d'assez nombreuses traductions des
saintes Écritures. Quelques-unes ne sont que des révisions de Sacy,
telles: le N.T. du P. Quesnel (1692); la Bible du P. de Carrières
(1701-16), reprise et retouchée par l'abbé de Vence (1738-43); la
Bible de dom Calmet (1707-16); la Bible de Mme Guyon (1713-25); la
Bible de Nicolas Legros (1739); la Bible de Jager (1846) et la Bible
de l'abbé Fillion (1888).

Versions catholiques nouvelles: le N.T. de Godeau (1668); le N.T.
du P. Bouhours (1697), revu par le P. Lallemant (1713-25) et bien
plus tard encore par Herbet (1866); le N.T. de Huré (1700); le N.T.
de Richard Simon, paru sans nom d'auteur (1702); le N.T. de l'abbé de
Barneville (1719), qui fonda une association pour le répandre (ce fut
en fait la première Société biblique française); le N.T. de Mésenguj'
(1729), la deuxième Bible de Nicolas Legros, traduction sur les
textes originaux, achevée et publiée après la mort de l'auteur
(1753); le N.T. de l'abbé Valart (1760); la Bible de Genoude
(1820-24); la Bible de l'abbé Glaire (1834), qui vise à l'exactitude
littérale (rééditée par l'abbé Vigouroux en 1889-93); le N.T. de
Lamennais (1851), trop littéral («Si Dieu pour nous, qui contre
nous»; «la foi qui est dans le prépuce de notre père Abraham»; Ro
8:31 et 4:12); le N.T. de l'abbé Gaume (1864); la Bible de Bourassé
et Janvier, illustrée par Gustave Doré (1866); celle de l'abbé
Giguet, d'après les LXX (1866); la Bible des abbés Trochon, Bayle,
Clair, Lesêtre, Fillion, etc., en 28 volumes (1871-90); la Bible de
l'abbé Arnaud (1881).

Une mention spéciale est due à la Bible de l'abbé Crampon, revue
par des Pères de la Compagnie de Jésus et des professeurs de
Saint-Sulpice (1894-1904). Il en a été donné (1904) une édition en un
seul volume portatif. Cette traduction, faite sur les textes
originaux, est remarquablement impartiale. L'interprétation est
judicieuse et le style excellent. On peut dire que c'est la meilleure
version due à des auteurs catholiques.

Les Israélites ont apporté aussi leur contribution à l'oeuvre des
traductions bibliques. Ils ne se sont occupés, cela va sans dire, que
de l'A.T., avec une prédilection marquée pour le Pentateuque, qu'ont
édité à part Lévy (1855), Wogue (1869), Weil (1890). Comme Bibles
complètes, signalons celle de Cahen, en treize volumes (1832-52), et
l'excellente Bible du Rabbinat français (1899-1906), en deux tomes
portatifs, qui peuvent se relier en un seul volume. C'est une des
versions qui ont le mieux conservé la saveur de l'hébreu et témoigné
le plus de respect pour le texte. Elle en reconnaît, assez souvent,
les obscurités et les altérations; il lui arrive même parfois
d'adopter des corrections (en le disant). Au lieu de broder à
l'aventure, comme tant d'autres, sur les passages corrompus, elle les
rend tels quels, en avouant, dans une note, qu'ils ne sont pas
intelligibles. Elle a le mérite d'inaugurer--quoique avec trop de
réserve et de timidité--la critique du texte.

Quelques traductions ont été faites par des savants étrangers (ou
plus exactement devenus étrangers) à toute confession religieuse.
Ainsi la Bible de Ledrain (1896-99), qui s'efforce de conserver toute
la couleur de l'original (elle a du moins gardé le plus possible de
termes hébraïques); le N.T. d'Alfred Loisy (1922), oeuvre
scientifique de valeur, mais traduction d'un littéralisme assez
barbare.

Nous n'avons pas cité les traductions de livres isolés; il y en a
trop. Mentionnons pourtant celles de Renan: Job (1859), le Cantique
des Cantiques (1860) et l'Ecclésiaste (1882); celles de Ch. Brus-ton:
les Psaumes (1865) et la Sulamite (le Cantique des Cantiques), en
1894; enfin les Évangiles, d'Henri Lasserre (1887), version un peu
libre mais riche en trouvailles.

On trouvera les renseignements les plus complets sur le sujet
(avec une abondante bibliographie) dans le livre «de D. Lortsch: la
Bible en France,
Paris et Genève 1910. L. R.