ABRAHAM

Le plus célèbre des patriarches, appelé communément le Père des
Croyants
, (cf. Ro 4:12 etc.) ou encore, par Jas 2:23 et
par le Coran, l'Ami de Dieu. Son nom semble avoir été
primitivement Abram (cf. les noms hébreu Abiram et babyl. Abiramou).
Les récits de la Genèse concernant ce grand ancêtre du peuple hébreu
sont essentiellement des traditions populaires. Bien avant d'être
mises par écrit, ces traditions ont été transmises oralement d'une
génération à une autre; les vieux conteurs ont amalgamé en elles des
souvenirs de faits ou de personnages historiques, des notions sur les
origines des peuples, des épisodes épiques, de profondes expériences
religieuses; et tout cet ensemble a traversé les siècles, conservant
d'une part (grâce au sérieux des conteurs et aux exigences de leur
auditoire habitué à certains traits et à certains effets toujours
identiques), une remarquable fixité, et d'autre part s'enrichissant
progressivement de nouveaux traits et de nouveaux
effets en harmonie avec les dispositions, les goûts, les expériences
des auditeurs et des conteurs. Il suit de là que les récits
concernant Abraham ne doivent être considérés, ni comme des
procès-verbaux minutieusement établis, ni comme des histoires
inventées de toutes pièces. Il appartient aux chercheurs de mettre au
jour par une étude patiente et éclairée (que les découvertes
archéologiques en cours peuvent grandement faciliter) le fond
historique solide qui est à la base de ces traditions. Quant aux
croyants, les riches expériences religieuses contenues dans ces vieux
récits les leur rendront toujours précieux et bienfaisants, quelles
que puissent être à leur sujet les hypothèses changeantes des
historiens.

Il pourrait sembler au premier abord qu'il y a une tradition
concernant Abraham, cohérente et harmonieuse.

En réalité cette tradition est formée d'éléments de provenances
diverses dont la plupart paraissent avoir eu, au cours des âges, leur
existence propre, et qu'il y a avantage à considérer séparément et
successivement:

Voir Atlas 2

Le départ de Babylonie (Ge 12:1-9, J).
Sur l'ordre de Dieu, Abraham quitte sa patrie et se met en route
«vers le pays que l'Éternel lui montrera». Le point de départ de ce
voyage est, d'après Ge 12:5, Caran (N.-O, de la Mésopotamie)
et, d'après Ge 11:31, Our-Kasdim (Our des Caldéens; voir
Ur). Le point d'arrivée est la Palestine centrale (Sichem, Béthel),
d'où Abraham pousse ensuite vers le sud. Le narrateur a voulu avant
tout mettre en lumière la foi du patriarche. (cf. Heb 11:8)

Le séjour en Egypte (Ge 12:10-20, J).
Cette tradition, où ils montraient le grand ancêtre trompant
victorieusement le célèbre pharaon d'Egypte, en faisant passer Sara
pour sa soeur, était particulièrement chère aux conteurs hébreux.
Preuve en soit l'existence de deux doublets où réapparaît la même
aventure, mais en relation alors avec Abimélec (Ge 20, E;
26:7-11, J).

La séparation d'avec Lot (Ge 13, J).
Abraham, l'homme de foi, apparaît ici comme un homme de paix. Le
narrateur vante la générosité de l'Ancêtre (bientôt récompensée
d'ailleurs par une belle promesse), mais il se réserve malicieusement
de montrer plus tard qu'en croyant faire une bonne affaire, Lot a en
réalité choisi la mauvaise part.

Abraham et les rois (Ge 14). Ce
chapitre, qui ne se rattache à aucun des grands documents dont est
formée la plus grande partie de la Genèse, paraît contenir, à côté de
développements postérieurs, des renseignements historiques de grande
valeur. En particulier le souvenir de la rencontre d'Abraham avec
Melchisédec, roi de (Jéru) Salem, a dû se conserver vivant dans le
cercle des Jérusalémites, (cf. Ps 110:4) et l'antiquité
sémitique a connu plusieurs exemples d'individualités croyantes
semblables à celle de ce prêtre d'El-Élion que la tradition jugeait
digne de bénir Abraham.

Promesses à Abraham (Ge 15, JE).
L'Éternel fait à Abraham la promesse inattendue d'une descendance
(ici encore le narrateur exalte la foi de l'Ancêtre: Ge 15:6,
cf. Ro 4:3,Ga 3:6). Et, dans le cadre d'un rituel sacrificiel
très ancien, une véritable alliance est conclue entre Dieu et son
serviteur fidèle.

Agar et Ismaël (Ge 16:1-14, J et 21, E).
Ces deux récits, nettement parallèles, ont un caractère ethnique très
marqué. En faisant d'Ismaël un bâtard d'Abraham, ils expliquent à la
fois la parenté et l'hostilité entre Israélites et Ismaélites. Et, en
racontant comment Agar et son fils furent chassés au désert, ils
rendent compte du caractère nomade de leurs descendants.

La circoncision (Ge 17). Ce fragment
appartient à P; mais en faisant remonter la circoncision jusqu'à
Abraham, il semble plus près des faits que les récits de Ex 4 et
Jos 5. Ceux-ci en effet paraissent faire de la circoncision un
usage spécifiquement israélite, alors qu'en réalité les peuples
voisins d'Israël (les Abrahamides) la pratiquaient aussi.

Abraham reçoit une visite divine .
(Ge 18:1-15), (J) Récit coloré, vivant, très ancien, mais où se montre
clairement le travail de remaniement opéré sur la tradition par les
âges successifs. Dans Ge 18:2,4,5,8,16 il est en effet parlé de
«trois hommes» qui viennent visiter Abraham, et dans les
Ge 18:8,13,14,15 c'est Dieu lui-même qui est le visiteur, sans
que l'on puisse savoir si les «trois hommes» ont été introduits pour
éviter l'anthropomorphisme choquant d'un Dieu qui mange et boit, ou
si c'est le nom de l'Éternel qui a été substitué à la mention jugée
trop polythéiste d'une pluralité de visiteurs divins.

L'intercession d'Abraham (Ge 18:16-33,
J). Prévenu par l'Éternel de ses intentions à l'égard de Sodome,
Abraham prie pour la ville coupable au nom de quelques justes qu'elle
peut contenir. Deux grandes pensées inspirent ce récit: celle de la
puissance de l'intercession, et celle de la solidarité qui
permettrait à dix justes de sauver par leur justice toute une
population pécheresse. A de telles hauteurs d'intuition religieuse,
les questions de date n'ont plus qu'un très mince intérêt.

10° Sodome et Gomorrhe punies de leur péché ,
(Ge 19:1-29), (J) Dans cette tradition revivent peut-être
de vieux souvenirs relatifs à un cataclysme dont aurait eu à souffrir
la région au Sud de la mer Morte. Mais ce qui mérite surtout d'être
relevé, c'est le motif de la catastrophe: pour la conscience
israélite, bien avant les prophètes, la cause d'une calamité de cette
espèce ne peut être qu'un péché.

11° Les filles de Lot (Ge 19:30-38 J). De
nouveau une tradition ethnique, très ancienne. Pas plus que les
Ismaélites, les Moabites et les Ammonites ne sont de purs
Abrahamides: ils descendent de Lot, et de quelle manière!

12° Abraham et Abimêlec .
(Ge 20:1-17 21:22-32, E) Séjournant le plus souvent dans le S. de la Palestine
(Négeb), Abraham se trouve avoir affaire, à Guérar, au
roi (philistin? Ge 21:31) Abimélec avec lequel, à la suite de
divers démêlés, il fait finalement alliance. Cette histoire avait
pour les Israélites postérieurs un grand intérêt, parce qu'ils y
voyaient la consécration de leurs droits sur Béer-Séba, localité
frontière et lieu de culte réputé.

13° Le sacrifice d'Isaac (Ge 22, E).
D'autres peuples ont des traditions analogues (Phéniciens, Grecs),
mais ici le récit est particulièrement animé et émouvant. A travers
le texte actuel semblent transparaître, d'une part, certaines données
sur un très antique sanctuaire (l'étymologie de Morija: Ge 22
2,14 est obscure; Gunkel conclut d'une étude très ingénieuse qu'il
devait s'agir primitivement d'un lieu de culte appelé Ieruel), et
d'autre part un mouvement de protestation contre les sacrifices
d'enfants dont la pratique, extrêmement ancienne, s'est maintenue
très longtemps en Israël (la fille de Jephté, Jug 11:34-40, cf.
aussi Mic 6:7). Avec la simplicité des anciens âges, le conteur
met la demande du sacrifice dans la bouche même de Dieu. Mais c'est
afin de mieux montrer ensuite que Dieu lui-même refuse l'offrande
contre nature. Le verset 12 est le diamant spirituel auquel tout le
récit sert d'écrin: «Parce que tu n'as pas refusé ton fils, ton
unique, je reconnais que tu crains Dieu!»

14° La caverne de Macpela (Ge 23). P, dont
les données sur Abraham sont en général squelettiques, raconte ici
tout au long, et avec des notations psychologiques très exactes,
l'achat de cette caverne (située à Hébron) comme sépulture pour Sara.
Il a évidemment trouvé ce récit dans une tradition ancienne, laquelle
se plaisait à revendiquer pour Israël la légitime possession de ce
lieu saint: le tombeau des grands ancêtres.

15° Le mariage d'Isaac (Ge 24, J). L'une des
histoires les plus touchantes de l'A.T. On sent la joie du conteur à
décrire la fidélité et la piété du serviteur (qui n'est pas forcément
l'Éliézer de Ge 15:2), la bonté et la beauté de la jeune fille
qui sera, après Sara, la mère du peuple d'Israël, la réussite d'une
entreprise si visiblement conduite par Dieu, la réserve chaste de la
fiancée arrivant en vue de son futur époux, la consolation apportée
par un mariage si heureux à Isaac orphelin.

16° La mort d'Abraham (Ge 25:1-11). Après
que J a mentionné quelques données, très anciennes sans doute, sur
des points de détail (verset 1-6), c'est P qui donne la conclusion de
l'épopée d'Abraham; dans son langage hiératique, il montre le
patriarche vivant une heureuse vieillesse, puis mourant rassasié de
jours, et léguant à son fils Isaac cette bénédiction divine qui ne
l'a lui-même jamais abandonné (verset 7-11). A. Ae.

Sur la personnalité d'Abraham, voir encore Genèse, période
patriarcale.
--Comp. A. Westphal, Jéhovah, II e p. (les
Ancêtres)
et, dans la Préface, I, le postulat de la foi: comme
l'oeuvre des prophètes postule la personnalité de Moïse, l'oeuvre de
Moïse postule la personnalité d'Abraham.