TRADITION

(Du latin tradete =remettre, livrer, qui a donné traditio
=action de transmettre, et traditor =traître.) Par tradition on
doit entendre:

Transmission de faits historiques, de doctrines
religieuses, de légendes, d'âge en âge par voie orale et sans preuve
authentique écrite (Littré).

Transmission, siècle après siècle, d'une
interprétation aussi scrupuleuse que possible de textes rapportant
des faits ou des doctrines; ex.: tradition scripturaire (=se
rapportant à la sainte Écriture), christianisme traditionnel, etc.

La tradition joue un rôle capital dans toutes les branches de
l'histoire. On l'a appelée «la mémoire de l'humanité»; Lacordaire la
définit «le lien du présent avec le passé». Le mérite de toute
tradition est en effet d'établir entre les générations une continuité
intellectuelle et morale. Son danger est de défigurer au cours des
siècles la chose qu'elle avait mission de transmettre, et par là de
la trahir. Ce danger est particulièrement à redouter dans le domaine
des religions.--Toute religion part d'une inspiration ou d'une
révélation; elle jaillit comme une source vive ouverte à l'espoir
humain. Pour que l'eau de la source ne se perde pas, il lui faut un
lit qui la conduise vers les terres qu'elle doit féconder. Pour que
l'inspiration ou la révélation première qui a instauré la religion
puisse atteindre les générations qu'elle a pour mission d'édifier, il
lui faut le canal de la tradition. Mais ce canal est creusé par des
hommes. Les hommes clairvoyants et désintéressés sont rares.
L'autorité que leur confère la charge de transmettre à leurs
semblables la religion canalisée les incite à approprier, à
interpréter, à compléter, à codifier la religion, à emprisonner son
cours entre les parapets étroits d'un dogmatisme théologique ou d'un
légalisme disciplinaire. Ainsi se sont formés le prêtre et le
docteur, devenus peu à peu les dispensateurs de la vérité, les
maîtres des grâces, la personnification vivante de la tradition. Tout
cela ne s'est point fait sans que fût altérée peu à peu l'inspiration
première de la religion, ni sans que fût dénaturé par l'accommodation
à une politique humaine le sens des textes primitifs. On pourrait
citer ici l'exemple de bien des religions orientales d'origine
spiritualiste et que la tradition déformatrice a ramenées au
paganisme. Mais le danger de la tradition, si on ne la contrôle sans
cesse par sa source, se montre surtout à l'occasion de la religion
biblique, laquelle a été fondée par des révélations successives,
démontrée dans des personnes et recueillie dans des textes.

La Thora de l'A.T., loi de Moïse, continuée par la prédication
des prophètes, était proprement une révélation donnée par Dieu sous
forme de commandements. Les premières occasions dans lesquelles nous
voyons l'A.T, faire appel à la tradition sont pour renvoyer aux
commandements de Moïse, et De 6:6 et suivants nous montre bien
que la tradition biblique dans ses origines a eu pour mission
d'inculquer aux Israélites les textes où était inscrite la volonté
révélée de Jéhovah (cf. De 11:18 17:18 31:9 ss) Très vite un
clergé se forma pour garder cette loi, la protéger, l'expliquer au
peuple et constituer un culte autour d'elle; ainsi se formèrent la
tradition hébraïque et la tradition juive; loi orale, loi humaine qui
se détache peu à peu de l'esprit de la loi écrite, qui la relègue au
second plan et qui, souvent, la contredit. C'est contre cette
tradition déformante qu'Ésaïe s'élevait déjà au VIII° siècle av.
J.-C.: «Ce peuple m'honore des lèvres, mais son coeur est éloigné de
moi. La crainte qu'il a de moi n'est qu'un précepte de tradition
humaine» (Esa 29:13, Sg.). Les mille prescriptions par
lesquelles la tradition avait estompé, voire esquivé, les exigences
morales et spirituelles de la loi, Jérémie les combat à son tour: «Ne
vous livrez pas à des espérances trompeuses, en disant: C'est ici le
temple de l'Éternel, le temple de l'Éternel, le temple de l'Éternel!
En vain s'est mise à l'oeuvre la plume mensongère des scribes...»
(Jer 7 et Jer 8).

La tradition, à l'époque juive, avait si bien dénaturé le sens de
la révélation hébraïque que, lorsque Jésus parut, ses compatriotes
les plus attachés à la tradition furent ses principaux détracteurs.
Les pharisiens élevaient si haut la tradition qu'elle dominait pour
eux la loi et les prophètes. C'est parce que Jésus n'observait pas
tout le détail de cette tradition (ablutions, sabbat, etc.) que les
autorités de la religion juive se portèrent contre lui. Il les
dénonce: «Hypocrites, pourquoi transgressez-vous le commandement de
Dieu à cause de votre tradition? Vous avez annulé la loi de Dieu en
faveur de votre tradition. Ésaïe a bien prophétisé de vous: C'est en
vain qu'ils me rendent un culte, enseignant des doctrines qui ne sont
que des commandements d'hommes» (Mt 15:3 et suivants, cf.
Mr 7:8 et suivants). Etienne fut arrêté et finalement lapidé
parce qu'il était accusé d'avoir dit que Jésus détruirait le temple
et changerait les traditions (Ac 6:14; il s'agit ici des
traditions établies par les docteurs de la loi en vertu de l'autorité
qu'ils s'arrogeaient comme continuateurs de Moïse; cf. Mt 23:2).
Paul est persécuté et livré au pouvoir romain parce que, après avoir
été fervent observateur de la tradition, il l'avait abandonnée et
même condamnée pour se conformer à l'esprit de Jésus. (cf. Php
3:4 et suivants) Il recommande aux Colossiens de s'affranchir
de la séduction des traditions humaines d'où qu'elles viennent, pour
pouvoir rester fidèles aux enseignements du Christ (Col 2:8).
Pierre ne tient pas un autre langage et appelle la tradition où
s'enfermait la dévotion juive «la vaine manière de vivre que vos
pères vous avaient transmise» (1Pi 1:18).

Par contre les sectes judéo-chrétiennes, tels les Ébionites,
avaient gardé le principe des pharisiens et mettaient la tradition
orale au-dessus de la tradition écrite; par eux, cette doctrine
pénétra dans une partie de l'Église de Jésus-Christ.

L'ancienne alliance avait à son origine une personnalité dont le
relief saillit, bien qu'elle soit lointaine, et un texte, la Loi de
Dieu, constitution du jéhovisme. La nouvelle alliance a, à son
origine, une personnalité aussi, combien attachante et vivante, mais
qui n'a point laissé d'écrits. Elle n'a pas demandé non plus à ses
disciples d'écrire, elle leur a confié un témoignage, et c'est par ce
témoignage que les Églises, avant tout écrit, ont été fondées.

Jésus ne donne jamais à son enseignement le nom de «tradition».
Jésus est un recommencement. Il annonce la parole de Dieu (Jn
12:49 17:8) et s'exprime «avec autorité» (Mt 7:29,Lu 4:27).
Paul, qui a été transformé par l'intervention de Jésus et qui Le
prêche, appelle «traditions» son Évangile, c'est-à-dire l'ensemble du
témoignage chrétien qu'il a transmis aux Thessaloniciens: «Retenez
les traditions que nous vous avons données, soit par notre parole,
soit dans notre lettre» (2Th 2:15). En disant «notre parole et
notre lettre», il circonscrit: «les traditions», et les ramène, pour
ce qui le concerne, aux limites de son action personnelle d'apôtre.
Jamais il n'eût pensé qu'on oserait un jour donner le nom de
tradition apostolique à toute innovation dans l'Église (cf. 2Th
3:6,1Co 11:2; voir aussi les formules: «modèle des saines
paroles» (2Ti 1:13) et «type de doctrine» (Ro 6:17), qui
renvoient non pas à un enseignement spécial à Paul, mais à l'ensemble
du témoignage chrétien primitif dont les épîtres, les Actes et les
évangiles devaient plus tard fixer le texte).

Quand les premiers témoins mirent par écrit l'impression que leur
Maître leur avait faite, ce fut encore un témoignage qu'ils
rendirent, plutôt qu'une histoire qu'ils écrivirent. Ils n'avaient
aucune intention de travailler pour la postérité. Encore moins de
composer une dogmatique ou une morale. Ce qui faisait la valeur de
leurs livres, c'est qu'ils y racontaient ce qu'ils avaient entendu et
vu (Ac 10:41,1Jn 1:1). Mais ils ne pouvaient tout dire (Jn
20:30 21:25). L'Église se persuada que le Maître avait laissé à ses
apôtres bien des instructions qui n'étaient pas contenues dans le
N.T.; quelques-unes de ces instructions s'étaient transmises de
bouche en bouche...Ainsi naquit ce qu'on a appelé «le postulat de la
tradition apostolique». Cette tradition en réalité était peu de
chose, comme on le voit d'après les Aerapha (voir ce mot) et
d'après ce qu'Eusèbe de Césarée en rapporte. Et, d'autre part, les
fantaisies que lui attribuent dès le II e siècle des hommes tels que
Papias ou Irénée montrent combien il était imprudent de se laisser
aller à chercher ailleurs que dans le texte du témoignage écrit, des
renseignements sur les institutions primitives du christianisme,
voire sur les intentions, les actes et les paroles de Jésus.

--Vinrent alors les grandes hérésies. L'Église, pour sa défense,
s'engagea dans la voie de l'égarement. Comme les gnostiques par leurs
interprétations allégoriques du N.T. trouvaient réponse à tout sur le
terrain scripturaire, les docteurs de l'Église invoquèrent contre eux
la tradition orale, c'est-à-dire l'enseignement transmis par la
première génération chrétienne, enseignement qui était censé fixer,
d'autorité souveraine, le sens du témoignage écrit. Ainsi naquirent,
pour les besoins de l'apologétique, la prédominance de!a tradition
sur le texte dont elle fixait le sens, et le prestige des sedes
apostolicoe,
Églises mères, dont les évêques en se succédant se
transmettaient l'orthodoxie chrétienne. Ainsi se constitua la règle
de foi qui aboutit au texte actuel du Symbole des apôtres (cf. A.
Westphal, Le Symbole, 1928, pp. 13-44). Comme on le voit, la
première tradition fut avant tout une tradition scripturaire,
c'est-à-dire une tradition dont le but était de préciser et de
maintenir le sens primitif du témoignage évangélique contenu dans le
N.T.

Mais l'Église ne devait pas s'en tenir là. Quand, après sa
victoire temporelle par le règne de Constantin, elle s'organisa sur
le type de l'empire des Césars, l'Église céda à la tentation de
chercher dans la tradition orale une justification de toutes les
institutions qu'elle se donnait et dont on ne trouve rien dans les
Écritures. Ses docteurs, par la suite, s'efforcèrent de justifier par
l'Écriture même la liberté du procédé. Ils élaborèrent la doctrine
d'après laquelle le Seigneur avait confié à ses apôtres des
enseignements (Mt 28:19 et suivants) que l'Écriture n'a pas
conservés, mais qui constituent le «dépôt» dont parle Paul (1Ti
6:20,2Ti 1:4) et que son disciple Timothée doit «confier à des
hommes sûrs, capables d'en instruire les autres» (2Ti 2:2). Ces
hommes sûrs, ce sont les évêques, les autorités sacerdotales. Quant
aux laïques, ils représentent «les autres», c'est-à-dire ceux
qui ont l'obligation de recevoir docilement cet enseignement
traditionnel.

Le premier critère de la tradition orale fut l' antiquité
Mais bientôt, le fil reliant le présent au passé devenant trop mince,
on substitua à l'antiquité la coutume et l'accord unanime des
évêques. Double fiction, qui apparaît déjà dans le fait que Cyprien,
le très épiscopal évêque de Carthage (Mort en 258), lorsqu'il ne peut
s'entendre avec Etienne, l'évêque de Rome, en appelle sans hésiter de
la tradition à l'Écriture: consuetudo sine veritate vetustas
erroris est
(Ep. 71). On ne saurait mieux dire.

F. Chaponnière (Encycl. art. Tradition) cite cette belle
déclaration de Tertullien, reproduite par l'évêque Libosus:
In evançelio Dominus: Ego sum, inquit, veritas.
Non dixit
: Ego sum consuetudo . (De virg. vel., 1).

Mais ces réactions occasionnelles ne pouvaient arrêter l'Église sur
la pente où l'entraînaient l'ambition du sacerdoce et les besoins de
l'apologétique. Dans la controverse arienne, Athanase (Mort en 373)
veut que le texte de la Bible soit interprété d'après la tradition
des Pères. Parole risquée, car la tradition des Pères était multiple,
souvent dangereuse à cause de son allégorisme. On arrivait ainsi à
substituer en réalité les opinions ou les décrets de l'Église à
l'autorité de la tradition primitive qui reposait d'aplomb sur le
témoignage scripturaire. L'Église latine déclara avec Augustin (Mort
en 430) que la croyance à l'Écriture repose sur l'éducation donnée
par l'Église (Contra ép. un-dam., chap. 5), ce qui était mettre
non seulement les fidèles mais la Bible elle-même dans la dépendance
de l'autorité sacerdotale.

Vincent de Lérins (Mort en 450) crut retenir la tradition
ecclésiastique dans de sages limites en définissant: tradition
=auod ubique, quod semper, quod ab omnibus cre-dilutn est
(Commonit.,chap. 3). Mais en face de la diversité des opinions,
comme en face des innovations incessantes, cette position était
intenable. Il fallut en venir à décider que les conciles
oecuméniques, collèges inspirés qui présidaient aux destinées de
l'Église, étaient les organes de la tradition. C'était le triomphe,
en matière de tradition, du système épiscopal

Justinien et Grégoire le Grand mirent les quatre premiers conciles
sur le même pied que la Bible. Le septième concile lança l'anathème à
quiconque rejetterait la tradition de l'Église, «qu'elle soit orale
ou écrite».

Une fois que la parole sacerdotale était investie de la même autorité
que l'Écriture, il était à prévoir qu'elle rejetterait bientôt
celle-ci au second plan. On y recourut de moins en moins, et la
doctrine s'établit que: «La tradition est le canal le plus ordinaire
par lequel tout l'enseignement de la foi arrive aux hommes. Les
Écritures du N.T. sont d'un emploi postérieur, elles ne contiennent
pas tout le dépôt de la foi, et leur usage n'est pas essentiel,
puisque, pendant bien des années, il y a eu des disciples de
Jésus-Christ, sans qu'aucune partie de son enseignement eût encore
été mise par écrit» (H. Lesêtre, Dict. Vigouroux art. Tradition).
Ecclesia (1927) s'exprime encore plus hardiment: «La
tradition est plus nécessaire que l'Écriture à la foi chrétienne.
L'Écriture en effet ne peut se passer de la tradition...c'est par la
tradition que nous avons des Écritures une interprétation
infaillible...La tradition, par contre, pourrait se passer des
Écritures...Concluons que la tradition, pour le catholique, dépasse
de toute part l'Écriture» (p. 106). On peut deviner ce qu'eût pensé
de cette formule le brillant Abélard (Mort en 1142) qui, dans son
Sic et Non, montre si bien les contradictions de la tradition et
son infidélité par rapport à l'Écriture. Elles eussent étonné siècle
Thomas lui-même (Mort en 1274), lequel hasarde dans sa Somme (I,1, 8)
que la tradition n'a qu'une autorité «probable».

Cette remarque prudente n'empêcha pas l'Église qui se réclame de lui
de mettre la tradition au-dessus de l'Écriture, et le concile de
Trente de prononcer l'anathème contre «ceux qui refuseraient de
croire que la tradition a été dictée par le Christ même ou par le
Saint-Esprit, aussi bien que l'Écriture Sainte, et qu'elle a été
conservée sans altération par une succession continue dans l'Église
catholique».

--Mais ce que l'Église romaine enseigne sur la Vierge Marie, sur les
Saints, sur les Papes, sur les Reliques, sur les Indulgences, sur la
distinction entre les Prêtres et les Laïques, est-il compatible avec
les enseignements de l'Écriture? Il fallait, pour que la tradition
ecclésiastique fût pleinement justifiée, en venir à retirer la Bible
aux fidèles--la lecture de la Bible fut condamnée par le concile de
Toulouse en 1229, par l'Index du pape Clément VIII en 1592, par la
bulle Unigenitus de Clément XI en 1713 (P. Calvino)--, ou du
moins qu'elle ne fût permise qu'avec toutes sortes de précautions,
afin qu'en matière de foi et de morale «personne, se confiant en son
propre jugement, n'ait l'audace de tordre l'Écriture Sainte, selon
son sens particulier, ni de lui donner des interprétations contraires
à celles que lui donne et lui a données la Sainte Mère Église, à qui
il appartient de juger du véritable sens et de la véritable
interprétation des Saintes Écritures» (concile de Trente, 4 e
session). Pour que cette déclaration comminatoire pût avoir toute son
efficacité, Rome avait créé l'Inquisition en 1542 et l'Index en 1543.
Et voilà le mot de Brunetière justifié: «Si vous voulez savoir ce que
je crois, allez le demander à Rome.» La tradition romaine a supplanté
le témoignage de l'Écriture.

Comme les prophètes avaient accusé la tradition sacerdotale
israélite d'annuler la parole de Dieu dans l'Ancien Testament, les
réformateurs accusèrent la tradition sacerdotale chrétienne d'annuler
la parole de Dieu dans le Nouveau. Ils démontrèrent l'inanité des
preuves patristiques invoquées par les catholiques et mirent en
lumière les faux que la tradition romaine renfermait dans son
dossier; ce qui incita les Jésuites à faire faire un pas de plus à
l'autorité absolue de la tradition, en établissant qu'elle n'avait
nul besoin, pour se faire obéir, d'exciper de titres à l'antiquité.
«Le corps mystique de l'épiscopat» jouissant d'une inspiration
continue, c'était assez que le magistère de l'Église eût émis un
décret pour que les bulles du Pape fissent autorité à l'égal des
symboles et des canons. Le catholicisme gallican se regimba, il fut
écrasé, et l'Église romaine mit le faîte à son édifice épiscopal en
instaurant au concile du Vatican (1870) le magistère infaillible du
Pontife romain.

Ainsi, comme en fait de tradition le système scripturaire
avait été écarté au profit du système épiscopal (concile de
Constance), le système épis-copal est à son tour remplacé par le
système papal. Quand le Pape «définit», il incarne la parole de
Dieu; il prononce sans appel. Les mots «sans appel» sont trop
faibles. Malgré tout, un jugement dit sans appel peut être matière à
révision. La «définition» du Saint Père ne le peut absolument pas, ni
dans le temps, ni dans l'éternité. Elle est vraie, elle sera
éternellement vraie (Ecclesia, p. 99). Dès lors on ne peut
s'étonner de la parole bien connue de Pie IX: «La tradition c'est
moi.»--«Dans son apothéose de l'institution hiérarchique...l'Église
possède l'absoluité des choses divines. Elle n'est pas seulement la
garante de la présence perpétuée du Christ, elle est, selon Guardini,
le Christ lui-même, le Christ devenu communion» (A. Will, Rev.
Strasb.,
1932, p. 472), «un Christ dont la divinité n'est plus
humiliée et effacée, mais dont la souveraineté est directement
saisissable» (cf. K. Barth, Foi et Vie, 1932, p. 114). Peut-on
encore parler de tradition? Nous n'avons plus devant nous que
l'Église et, dominant l'Église, «la claire vue d'un grand Pape, cette
grâce de spéciale lumière où baigne habituellement la pensée de
l'Église pour l'intelligence du saint dépôt»...«Un concile n'ajoute
pas à l'autorité divine du pape» (Ecclesia, pp. 97, 100).

Pour justifier, au moins en quelque mesure, l'usage que le
catholicisme fait de la tradition, il faudrait démontrer que les
données bibliques sont impuissantes à elles seules à amener une âme
au salut par Jésus-Christ et à servir de fondement à une société
religieuse conforme aux préceptes de l'Évangile. Or, les expériences
de l'histoire à travers les siècles s'inscrivent en faux contre une
pareille assertion.

Nous avons vu comment la Bible a été supplantée par la tradition
romaine, indûment appelée apostolique. Il nous reste à montrer
comment une autre tradition s'est attaquée aux données de la
révélation biblique et s'est appliquée à la dissoudre.

L'Église romaine, dans le concile de Trente (1545-1563), avait
égalé son exécution à son intention. Mais en même temps qu'elle avait
intronisé sa tradition, elle avait déshonoré son génie. Ce n'est pas
en vain que pour bâtir son système aux proportions gigantesques, mais
au fondement fragile, elle avait abusé de la dialectique et, suivant
le mot de Vigny, «terrassé la raison sous le raisonnement». Le moulin
de la logique avait si bien tourné, qu'il croyait avoir écrasé sous
la meule du dogme toute velléité de pensée libre. Mais l'esprit
humain ne perd jamais ses droits. Et voici que déjà il avait rebondi
avec l'Humanisme et la Réforme: la Réforme, qui revenait à la
tradition scripturaire, et la Renaissance qui, avant découvert
l'hellénisme et tout éprise de la philosophie antique, s'établissait
dans la tradition naturelle, c'est-à-dire dans une conception
humaniste qui libérait l'âme humaine de la scolastique d'Église et de
la révélation biblique pour la ramener à la nature, estimée bonne et
capable de donner à la vie terrestre sa loi. Érasme tenta de
concilier l'humanisme avec le christianisme; la ligne rationnelle
qu'il traça fut suivie par Grotius, Castellion et d'autres.

Par contre, les réformateurs, Luther, Zwingle et Calvin, qui
furent à leur manière des gloires de l'humanisme, rejetèrent la
tradition naturelle au nom de la tradition scripturaire, laquelle,
bien loin de tenir la nature pour bonne, la déclare déchue et
l'appelle, par la révélation chrétienne, à une totale régénération.
Dans leur ligne ont marché, entre autres et par des voies diverses,
Pascal et Vinet; Pascal, qui dit: «Ce qui est nature aux animaux nous
l'appelons misère en l'homme, par où nous reconnaissons que sa nature
étant aujourd'hui pareille à celle des animaux, il est déchu d'une
meilleure nature qui lui était propre autrefois»; Vinet, qui dit:
«Cet être est-il bon? je dis qu'il est mauvais et qu'au lieu de le
ramener à la nature il faut l'en écarter, il faut l'élever au-dessus
de lui-même. C'est pour cela que l'Évangile parle de régénération, de
nouvelle naissance.» La tradition naturelle de la Renaissance, en
même temps qu'elle avait éveillé chez les uns la soif de revenir au
naturalisme antique, à une vie s'épanouissant dans l'orgueil de sa
force, sans contrainte morale ni religieuse, avait révélé à d'autres
qu'il existait une vie spirituelle en dehors du christianisme. Et la
science s'émancipa.

La grande révolution de la Renaissance fut qu'elle apprit le
grec, l'hébreu, le syriaque, qu'elle étudia les Saintes Écritures
aussi hardiment qu'elle étudiait Platon, et que sa philolog'ie se
signalait à l'indignation de la Sorbonne scolastique par ses
tendances hérétiques et sa hardiesse à défendre les droits de la
raison. Béda, qui ne peut souffrir ni la Renaissance ni la Réforme,
clame contre Érasme et fait brûler Berquin. Bientôt les deux
persécutées furent opposées l'une à l'autre: François I er protégea
la Renaissance et crucifia la Réforme. Les deux vécurent cependant.
Tantôt se chamaillant, tantôt s'empruntant ressources et méthodes,
elles déployèrent parallèlement leurs traditions jusqu'au XIX° siècle.

Du «système naturel», qui s'apparente à la philosophie de
Descartes, naquit une nouvelle science de la religion: l'historisme,
science qu'illustrent Spinoza (Mort en 1677) et Hobbes (Mort en
1670), et qui applique à l'Écriture sainte les méthodes de la
philologie, mais en prenant vis-à-vis de cette Écriture une attitude
sceptique, agressive. Elle met toujours en avant le caractère
scientifique de sa critique. Mais, observe avec raison Bouchitte:
«Combien de faits de la plus grande importance pour la foi ne peut-on
pas soumettre à la raison, sous prétexte de critique philologique?»
Ainsi naquit le mouvement «des lumières» (all. Aufkloerung), si
cher à Goethe, où l'homme s'abandonne à un intellectualisme sans
frein, qu'excite l'orgueil de la raison déclarée souveraine. Et ce
fut le rationalisme. Non point celui qui, légitimement, affirme comme
moyen de connaissance toutes les formes de la raison, mais celui qui
n'admet que la raison comme principe de connaissance et par là dénie
à la révélation toute réalité. Ce rationalisme, que l'humanisme de la
Renaissance portait dans son sein et qui n'est qu'une façon de
déifier l'homme naturel, s'empara peu à peu de la pensée européenne,
en Angleterre avec les disciples de François Bacon et d'Herbert de
Cherbury, en France avec Voltaire, Rousseau et l'Encyclopédie, en
Allemagne avec Leibniz, Kant et Lessing; dans les milieux où l'on
s'occupait plus spécialement de science biblique, le «naturalisme
habillé à la chrétienne» trouva avec l'herméneutique d'Ernesti (Mort
en 1781) et surtout avec la théorie de l'accommodation de Semler
(Mort en 1791) un moyen pratique de rejeter du christianisme tout ce
qui ne tombait pas sous le sens de la raison. Prophéties, miracles,
révélation spirituelle disparaissent de la Bible distillée à l'usage
du public «éclairé».

Grand tut l'émoi parmi les chrétiens pour qui la Bible,
différente de tous les autres livres par son contenu et par ses
effets, témoigne d'une initiative divine. Les uns revinrent plus ou
moins aux arguments théopneustiques renouvelés des rabbins juifs,
sans se douter qu'ils ne faisaient en cela que mettre la Bible sur le
pied des autres livres sacrés des religions humaines. Les sectateurs
de l'antique religion de l'Inde, de celles de Zoroastre, de
Confucius, de Mahomet réclament avec une égaie ferveur pour les
Védas, pour l'A\esta, pour les Kings ou pour le Coran
l'infaillibilité du texte d'origine divine.--Doctrine où le
spiritualisme et la magie s'unissent confusément, simpliste comme
toute théorie du bloc, qui peut se concilier avec une orthodoxie sans
vie et qui coupe les ponts entre la science historique et la foi. Les
autres, comprenant qu'un livre d'histoire comme la Bible ne peut être
légitimement soustrait à la critique historique et à l'épreuve de la
philologie, ont tait confiance à la science mais de la même façon que
Roger Bacon, le «doctor mirabilis» du XIII° siècle, précurseur de la
Renaissance et de la Réforme, qui paya de sa liberté la grandeur de
son génie et le spiritualisme de sa foi. Il combattit la tradition
ecclésiastique et l'infaillibilité des Pères: Quod si vixissent
usque nunc,
déclara-t-il, multa plura correxissent et
mutassent.
Il dénonça les moeurs dissolues des gens d'Église; enfin
il proclama--lait nouveau dans l'histoire de l'esprit humain--que
l'expérience est la maîtresse de toutes les sciences parce qu'
«atteignant seule les causes» elle conduit mieux à la vérité que la
déduction et la spéculation: Hoec est domina scientiarum omnium et
finis totius speculationis


Voilà donc posé--et les siècles ont donné raison au Docteur
admirable--le fait que l'expérience possède une autorité supérieure à
toute interprétation de texte et à tout raisonnement abstrait. En
matière religieuse, il tient la Bible pour le livre des révélations
de Dieu: Tota sapientia est ibi principaliter contenta et
fundamentaliter.
Il déclare que, pour connaître, il faut avoir fait
l'expérience des choses invisibles qui s'appelle «la foi». Dès lors,
n'est-on pas en droit, au nom de la science bien comprise, de
demander que quiconque veut expliquer la Bible se soit
d'abord--indépendamment de toute science historique et
philologique--offert lui-même à l'expérience que la Bible propose, et
cela pour qu'il puisse avoir part à l'Esprit qui anime la Bible
entière, et que possédaient de façon exceptionnelle et normative les
agents de la révélation? Que nous apprend l'histoire? Que l'élément
mystique--pénétration de l'objet par le sujet--féconda l'intuition
des plus grands génies théologiques, à commencer par saint Paul. Il
en est de la révélation biblique sur le fond obscur de l'histoire,
comme des verrières qui se détachent en clarté sur les sombres parois
de nos cathédrales. Pour en discerner les couleurs et en comprendre
les tableaux, il faut être dedans, non dehors. Jésus nous en a
avertis: «Si quelqu'un, disait-il, veut faire la volonté de Dieu, il
connaîtra...» (Jn 7:17); saint Paul ajoute: «L'homme naturel ne
saisit pas les choses qui sont de l'Esprit de Dieu;parce que c'est
spirituellement qu'on en juge» (1Co 2:14).

Sans aller jusqu'à prétendre avec les antiques voyants de l'Inde
que rien de ce qui est essentiel ne peut être démontré, on doit bien
reconnaître que le rationnel échoue dès qu'il veut appliquer la
logique humaine aux problèmes qui touchent à la question de la vie et
à celle des rapports de l'homme avec Dieu. Ici, chaque effort pour
encadrer la réalité dans la raison fait saillir un irrationnel
nouveau. Irrationnel qui n'est point déraisonnable, qui dépasse au
contraire les possibilités actuelles de la raison: «Nous ne
connaissons qu'imparfaitement», disait saint Paul aux
Corinthiens (1Co 13:9 et suivants); «nous voyons, mais comme
dans un miroir, confusément...» Admirable parole qui, tout en
impliquant la valeur de la raison humaine, la ramène à ses
prétentions légitimes en marquant sa relativité comme moyen de
connaître.

La tradition naturelle qui, par définition même, ne veut rien
savoir de la révélation et de la régénération, impose à ses savants
la tâche de saisir le problème chrétien avec les seuls facteurs
humains qui entrent dans ses données. Du coup, le problème devient
une énigme. L'élément spirituel qui faisait le lien de toutes ses
parties ayant disparu, le témoignage biblique se résout en une foule
de petits procès d'histoire; quelques-uns par leur nature peuvent
être tranchés à l'aide d'arguments que la science seule fournit, mais
pour les autres, les plus nombreux et les plus délicats, le verdict
dépendra de la philosophie du critique. On fera des rapprochements
avec l'histoire des autres religions, on glanera des ressemblances,
on hasardera des conjectures, on groupera le tout dans un ensemble
hypothétique, reconstruction profane de l'histoire biblique que l'on
donnera pour l'interprétation scientifique et objective des faits,
sans se méfier que cinquante demi-preuves ne font pas une preuve, et
que toute explication de la Bible qui ne peut rendre compte de
l'action de la Bible porte en elle les germes de sa propre
dissolution. A cet égard, l'histoire de la critique indépendante
relative à la christologie dans le demi-siècle qui vient de
s'écouler, est singulièrement instructive. On y voit--M. Guignebert
le résume fort bien au début de son livre Jésus (1933)--d'abord
la conviction que «le christianisme était, dans sa graine et dans ses
racines, une plante juive autochtone», et un effort pour restaurer
dans son relief le véritable Messie juif, génie hors de pair à qui
revient tout l'honneur de la foi nouvelle. Renan et Havet ont
consacré à ce Christ homme de véritables monuments. Plus tard, en
s'affranchissant toujours davantage de la tradition scripturaire, on
en vient, grâce aux lumières nouvelles acquises sur l'hellénisme, à
considérer saint Paul comme le grand agent, et jusqu'à un certain
point comme l'agent créateur du christianisme; Paul, dont
l'hellénisme opposé au judaïsme étroit avait fait de la nouvelle
religion palestinienne une religion universelle.

Il faut lire A. Schweitzer (Gesch. d. paulin. Forschung,
1911) pour être édifié sur cette étape où l'on ne sait plus, en
réalité, qui de Jésus ou de Paul a fondé le christianisme. Si Jésus
était ainsi en partie dépossédé, il demeurait tout de même entendu
que sa religion, dont Paul, par son génie, avait fait la fortune,
était bien une création originale, due au doux Rabbi de Galilée ou au
bouillant disciple de Gamaliel. Enfin, l'histoire des religions
étendant toujours ses conquêtes, on découvre de nos jours le
«syncrétisme», mot obscur dont on pense qu'il doit son origine à la
Crète aux cent villes, centre de la vieille civilisation minoenne, où
fermentaient comme en une cuve ardente les idées religieuses et les
mystères de l'Orient méditerranéen. On aurait dit «syncrétiser»,
comme on disait «helléniser». C'est dans ce syncrétisme que
s'accomplit le mélange des croyances et des rites dont vécut le monde
gréco-romain en attendant qu'il se donnât à la forme la plus évoluée
du syncrétisme, la religion dite du Christ. Cette fois on tient
l'explication du christianisme prêché par l'Église au monde:
«Considéré dans la réalité de la vie, le christianisme n'y fait
nullement figure, comme on l'a cru si longtemps, de rupture du
front religieux antique
; il prend, tout au contraire et tout
naturellement, sa place sur ce front; il reste tout dans la logique
de l'évolution religieuse de l'Orient grec.» Qu'est devenue la part
du Christ dans cette religion? Elle a achevé de se dissoudre dans les
creusets de la tradition naturelle. «L'authentique enseignement de
Jésus ne lui a point survécu; le prophète n'a ni prévu ni voulu ce
qui a remplacé le proche avenir qu'il croyait préparer; si le
christianisme est bien sorti de lui, puisque c'est par la spéculation
autour de sa personne et de sa levée que la religion nouvelle s'est
organisée, ce n'est pas lui qui l'a fondé. Il ne l'a même pas
soupçonné...La vérité reste que la religion chrétienne n'est pas la
religion qui emplissait tout l'être de Jésus, qu'il ne l'a ni devinée
ni voulue» (Guignebert, Jésus, pp. 13, 498, 665). Si, au lieu de
prendre notre exemple dans la christologie, nous avions appelé en
cause la critique de l'Ancien Testament, nous aurions assisté, de par
le «Système naturel», à la même dissolution.

A qui serait troublé par de semblables constatations, il faut
conseiller de relire les huit premiers chapitres de l'épître aux
Romains, où Paul, après avoir fait leur juste part aux droits de
l'humanisme en déclarant que l'homme naturel est à même de
reconnaître le Créateur dans ses oeuvres, dénie au Juif comme au
païen la faculté non seulement d'obéir à la Loi divine, mais de
comprendre le développement de la révélation, avant d'avoir eu leur
nature restaurée par la rédemption qui est en Jésus-Christ. Il faut à
l'homme déchu un redressement spirituel pour qu'il puisse comprendre
les choses de l'Esprit. Or, ce redressement ne peut s'accomplir sans
que la raison humaine soit humiliée. D'où il appert que le grand
coupable en tout ceci est l'orgueil de l'homme.

Qu'il s'agisse de la tradition naturelle, qui ne connaît d'autre
idéal que la puissance et la beauté, et qui déifie l'homme dans sa
chair et dans sa raison, ou qu'il s'agisse de la tradition
sacerdotale, qui ne connaît d'autre autorité que la hiérarchie
épiscopale, c'est toujours l'homme mis à la place de Dieu; l'homme
qui, tout en cherchant la vérité, s'est soustrait à la condition par
laquelle la vérité s'acquiert, la régénération spirituelle apportée
par Jésus-Christ au monde déchu: humiliation totale de l'homme, de
tout l'homme, et obéissance totale à Jésus-Christ, dont l'esprit
conduit «dans toute la vérité» (Jn 16:13). Tant que l'homme,
qu'il s'agisse du sanctuaire de la religion chrétienne ou du
sanctuaire de la science biblique, s'estime capable d'atteindre à son
but par ses oeuvres, il s'égare, et son chemin se perd à droite dans
la superstition, à gauche dans la négation. La vérité se dérobe à
l'homme, parce que l'homme s'est dérobé à Dieu. Le sens spirituel,
émoussé ou faussé, devient incapable de reconnaître que la Bible est
l'authentique dépôt des révélations divines, que la parole de Dieu
est l'unique instrument de salut, instrument opérant dans la mesure
même où on lui rend les organes dont la tradition naturelle le prive,
et où on le débarrasse des superfétations par lesquelles la tradition
romaine le dénature. Ainsi, nous arrivons à la conclusion que ceux-là
seuls atteignent à l'affranchissement dont parle Jésus qui
maintiennent au mot «tradition» le sens que lui donnait saint Paul.
La tradition pour lui, c'était le témoignage inspiré que renferment
«les saintes lettres» de la Bible hébraïque et le «type de doctrine»
formulée par la prédication des apôtres de Jésus-Christ (Jn
8:32,2Th 2:15,1Co 1:11,2Ti 3:15,Ro 6:17).

Parmi les dangers que présentent la tradition naturelle et la
tradition romaine, il en est un, assez imprévu, qu'il faut signaler
en terminant. C'est que ces deux irréconciliables adversaires, qui se
combattent sans trêve, s'engendrent mutuellement. Les abus du prêtre
provoquent l'émancipation du docteur. Les négations du docteur
ramènent les âmes dans les bras du prêtre. Au XVI° siècle, c'est
l'oppression de l'Église qui provoqua l'explosion de la Renaissance;
aujourd'hui, ce sont les excès de la critique rationaliste qui
remettent en faveur l'apologétique du catholicisme. Quoi qu'il en
soit, puisque pour celui-ci ce n'est pas Jésus, c'est-à-dire la
personnification de la révélation biblique, mais bien la tradition
romaine qui a fait le christianisme, et que d'autre part le
christianisme demeure, de par l'évidence de ses oeuvres, la grande
école de salut pour l'humanité, il ne reste plus à Rome qu'à modifier
le texte de Jn 3:16 et à lire: Dieu a tellement aimé le monde
qu'il a donné l'Église romaine au monde, afin que quiconque croit par
elle en Jésus ne périsse pas, mais qu'il ait la vie éternelle.

Il semble qu'il y ait là de quoi faire réfléchir les héritiers de
la Réforme; de quoi aussi les attacher plus fortement à la Parole de
Dieu, dont Olivétan disait dans son langage savoureux, en dédiant à
l'Église de France sa traduction de la Bible (1535): «Cette parole
contient tout ton patrimoine...Par la foi et l'assurance que tu as en
icelle, en pauvreté tu te réputes riche; en malheur, bienheureuse; en
solitude, bien accompagnée; en doute, acertainée; en péril, assurée;
en tourments, allégée; en reproches, honorée; en adversité, prospère;
en maladie, saine; en mort, vivifiée. Tu accepteras donc, ô pauvrette
petite Église, ce présent...Or, avant, va décrotter tes haillons tout
poudreux et terreux d'avoir couru, viré et tracassé, par le marché
fangeux de vaines traditions...» Alex. W.