SINAÏ

1.

La péninsule du Sinaï, région en forme de triangle, à la pointe
dirigée vers le S. dans l'extrémité septentrionale de la mer Rouge,
est limitée au Sud-O, par le golfe de Suez et au Sud-E, par le golfe
d'Akaba. Le Djebel et-Tih, plateau calcaire qui s'étend de Suez
vers le S.-E., marque approximativement la limite de la frontière
nord.

L'Egypte-Péninsule du Sinaï-Pays de Canaan
Voir Atlas 33

La péninsule du Sinaï est une des régions les plus sauvages et
accidentées de la géographie biblique. Son immense étendue n'est
guère habitée que par 5 ou 6.000 bédouins. Ceux de la côte O. sont de
moeurs assez paisibles, mais les tribus de l'Est sont connues pour
leur caractère belliqueux. Tout en se réclamant de l'islam, ils
ignorent la religion du prophète; ils honorent leurs saints
nationaux, Salih et Moïse, par des sacrifices d'animaux.

La géologie de la péninsule est des plus intéressantes. L'eau est
rare et le sol cultivable très limité. Le massif du mont Sinaï, qui
se dresse presque au centre de la péninsule, est formé de gneiss et
de granit et a conservé au cours des siècles l'aspect qu'il présente
encore aujourd'hui avec ses contours fantastiques et son
impressionnant coloris. Les époques calcaires, qui ont laissé tant de
vestiges remarquables au Nord du désert de Tih, n'ont jamais atteint
cette barrière rocheuse longue de près de 70 km. Les pics les plus
élevés de la péninsule appartiennent à cette chaîne de montagnes, le
plus haut étant le Djebel Katherin (2.630 m.).

Les ressources minérales ont joué un rôle important dans
l'histoire de la péninsule. Grâce aux inscriptions, il nous est
possible d'établir que l'exploitation des mines était pratiquée par
les Égyptiens dès la première dynastie, soit environ trois mille ans
av. J.-C. Trente-neuf pharaons sont mentionnés dans les inscriptions
gravées sur les murailles rocheuses. D'autres peuples (les
Babyloniens par exemple) vinrent y chercher des pierres et des métaux
précieux. Les diverses inscriptions, entre autres les plus récemment
découvertes, ont été le sujet d'interminables controverses.

Très difficilement accessible, la péninsule du Sinaï est demeurée
une des régions les plus fermées de la géographie biblique; fort
heureusement d'ailleurs, car c'est dans ses solitudes, au monastère
de Sainte-Catherine, sur le Djebel Mousa, que fut conservé
pendant des siècles le plus précieux des manuscrits de la Bible, le
Codex Sinaïticus. Par la découverte de Tischendorf en 1859, il
fut révélé à un monde capable d'apprécier son immense valeur. Un
autre document, peut-être plus précieux encore, est le Codex
Syriaco-Sinaïticus
(abrégé en Codex Syr. Sin.), manuscrit des
évangiles en syriaque, dont la transcription, avec une traduction
anglaise, fut publiée en 1894; le texte syriaque serait du IV e
siècle et reposerait sur un texte grec du II e siècle.

Mention spéciale doit être faite des inscriptions trouvées dans
les mines du mont Serabit el-Khadem en 1904/1905 par Sir W.M.
Flinders Pétrie, et par d'autres plus récemment. Ces inscriptions
sont, en raison de leur antiquité, du plus haut intérêt pour les
savants et sont probablement antérieures de plusieurs siècles à
l'inscription gravée sur le tombeau d'Ahiram trouvé à Byblos. Elles
ont suscité un intérêt particulier dans le public lorsqu'un savant,
H. Grimme, a prétendu y trouver des allusions à Moïse et à la
princesse égyptienne qui le sauva des eaux du Nil. Mais cette théorie
a été fortement combattue, et la seule conclusion possible est que
ces inscriptions datent d'une époque où les Égyptiens cherchaient des
minerais au Sinaï. Leurs caractères rappellent ceux du phénicien ou
du vieil hébreu, mais les essais de déchiffrement ont entièrement
échoué.

Les écrits suivants sur le sujet sont de quelque intérêt: Pétrie,
Researches in Sinaï, London 1906; Gardiner and Peet,
Inscriptions of Sinaï, London 1917; Sethe, Neuentdeckte
Sinaischrift,
1917; Ch. Bruston, Les plus vieilles inscriptions
cananéennes,
Rev. Archéol. 1921, pp. 49SS; H. Grimme,
Althebroeische Inschrijten vom Sinaï, 1923, et Die Loesung des
Sinaischrijtproblems,
1926; S. Butin, The Serabit Inscriptions,
Harvard Review, 1928, pp. 9-67.

2.

Le mont Sinaï, où Moïse eut la vision du buisson ardent (Ex
3) et la grande révélation de Ex 19, est appelé Horeb dans
les documents E (Ex 3:1 17:6 33:6) et D (De 1:6 4:10);
Sinaï est employé dans J (Ex 19:11 34:4) et dans P (Ex
16:1 24:16,Le 25:1).

Les savants admettent en général que le nom de Sinaï dérive de
celui du dieu babylonien de la lune, Sin. Pour Horeb il y a moins de
certitude. Winckler (EB, col. 4632) admet pour Horeb le sens de
«montagne de la chaleur incandescente» et conclut que Sinaï et Horeb
ont pour point de départ les mêmes conceptions cosmologiques. Il
n'est donc pas surprenant qu'on ait indifféremment employé l'une et
l'autre expression.

Le lieu exact du Sinaï pose de nombreux problèmes. La tradition
l'identifie avec la montagne connue aujourd'hui par les Arabes sous
le nom de Djebel Mousa (=montagne de Moïse); elle est située
près du centre de la péninsule triangulaire du Sinaï et a 2.314 m. de
hauteur. Au N.-O, de cette montagne, mais dans le même groupe, se
trouve un pic d'environ 2.000 m., connu par les Arabes sous le nom de
Râs Safsâfèh (=pic du Saule, où, d'après la légende, aurait été
coupée la verge de Moïse).

Une autre identification serait l'imposant Djebel
Serbal (environ 2.050 m.) à une grande distance au Nord-O, du
Djebel Mousa (cf. Pétrie, Researches in Sinai, 1906). A
l'appui de cette théorie, on fait valoir que le Serbal est proche du
site probable de Rephidim (Ex 19:2, la moderne oasis de Feirân
où Ptolémée plaçait la ville de Paran) et qu'il y eut un
groupement de chrétiens à l'époque primitive en ce point de la
péninsule du Sinaï, ainsi que de nombreux anachorètes (cf. Lepsius,
Tour front Thèbes to the Peninsula of Sinai, 1846,
et Ebers, Durch Gosen zutn Sinai, 2 e éd., 1881).

En faveur de l'hypothèse Djebel Mousa se présente pourtant le
document Peregrinatio Silvioe (édité par Gamurrini, Rome 1887).
C'est une narration partielle d'un pèlerinage fait en 385-388 par une
dame d'Aquitaine, qui paraît suivre et décrire la route de l'Egypte
au Sinaï généralement acceptée par la tradition. Ainsi tomberait la
théorie de Lepsius et d'Ebers, d'après laquelle la tradition sur le
Sinaï passa du Serbal au Djebel Mousa en 530, lorsque Justinien
construisit le fort de Djebel Mousa pour protéger certaines sectes
chrétiennes.

D'autres théories cherchent l'emplacement du mont Sinaï tout à
fait en dehors de la péninsule. C'est ainsi que Beke (Discoveries
of Sinai in Arabia and of Midian,
Londres, 1878), suivi par Sayce
(Higher Criticism and the Monuments, pp. 263SS) et par d'autres
critiques, le place en Madian. Cette identification a l'avantage
d'expliquer les passages bibliques qui mettent le Sinaï en rapport
avec le séjour de Moïse en Madian. (cf. Ex 3) Mais on ne peut
certifier que le pays de Madian ne s'étendait pas aussi à l'Ouest du
golfe d'Akaba. De plus cette identification créerait de nouvelles
difficultés en remettant en question celle d'autres étapes de la
route de l'exode et rendrait pratiquement impossible la
reconstitution du voyage à travers le désert.

L'identification du Sinaï avec le Djebel Mousa ou avec telle
autre montagne du voisinage immédiat, sans être tout à fait
satisfaisante, est celle, semblerait-il, qui soulève le moins de
difficultés; elle ne fait pas violence aux récits bibliques, et la
topographie qu'elle suppose rend très admissible l'établissement d'un
camp aux abords du Sinaï.

Winckler résout le problème en tranchant le noeud gordien: il
considère le récit de l'exode comme entièrement légendaire. A.R. S.

Pour la discussion des diverses hypothèses sur le Sinaï, voir L.
Cart, Au Sinaï et dans l'Arabie Pétrée, Paris-Neuchâtel 1915, p.
460; Ad. Lods, Israël, Paris 1930, pp. 201-205; R. Kittel,
Gesch. des Volkes Israël, I, pp. 504-510; Hugo Winckler, EB,
col. 4629-4643.