SANCTUAIRE

Dans le langage courant, nous attachons au mot sanctuaire la notion
d'un édifice dans lequel se trouve un local spécialement consacré à
la divinité. Quand on parle des sanctuaires d'Israël, il faut prendre
le mot dans un sens plus étendu: tout lieu sacré, couvert ou non
couvert, fermé ou non fermé, où Dieu (un dieu) était censé
particulièrement être présent et où on lui apportait sacrifices et
offrandes.

1.

En Israël, les sanctuaires étaient nombreux et consacrés à l'Éternel;
ils étaient tous envisagés comme légitimes avant la réforme de Josias
(621), inspirée par le Deutéronome. La multiplicité des sanctuaires
est expressément autorisée par la loi ancienne (Ex 20:24,26,
qui donne des instructions sur la manière de construire un autel et
dit à ce propos: «Partout où je rappellerai mon nom», c-à-d, partout
où j'aurai donné un signe évident de ma présence, je «viendrai à toi
et je te bénirai», c-à-d, j'accepterai tes offrandes et j'exaucerai
tes prières).

Aussi, sans parler du temps des patriarches et de
l'époque mosaïque, l'histoire mentionne-t-elle des actes de culte
accomplis dans les lieux les plus divers.

Voir par exemple:

Josué sur le mont Ébal (Jos 8:30-32),
Gédéon à Ophra (Jug 6:11,24),
Manoah à Tsoréa (Jug 13:15,20),
Mica sur la montagne d'Éphraïm (Jug 17:5),
Samuel à Mitspa (1Sa 7:9 et suivant)
Samuel à Rama (1Sa 9:12-18 7:17),
les Israélites à Guilgal (1Sa 11:15),
Samuel à Bethléhem (1Sa 16:5),
David sur l'aire d'Arauna (2Sa 24:25),
Salomon à Gabaon (1Ro 3:4),
Élie sur le Carmel (1Ro 18:30 et suivants).

Les prophètes de la grande époque, qui condamnent très vivement
le culte offert à l'Éternel dans les nombreux sanctuaires du pays, ne
polémisent contre les sanctuaires eux-mêmes que dans la mesure où
leur multiplicité est pour le peuple une occasion de pécher
davantage, en offrant à Dieu des sacrifices qui ne lui sont point
agréables. Les meilleurs souverains de Juda ne songèrent pas à abolir
les «hauts-lieux» jusque dans le dernier siècle de l'existence du
royaume.

Les passages du livre des Rois qui leur en font un reproche:

1Ro 14:15 (Asa),
1Ro 22:44 (Josaphat),
2Ro 12:4 (Joas),
2Ro 14:4 (Amatsia),
2Ro 15:4 (Azaria),
2Ro 15:35 (Jotham)

représentent le point de vue postérieur, qui prévalut à l'époque de
Josias (voir plus loin).

Le terme le plus généralement employé pour désigner un sanctuaire
est celui de bâmâ (pl. bâmoth), que nous traduisons par
«haut-lieu». Son origine n'est pas encore établie; mais comme il a,
dans quelques passages, le sens général de hauteur: No 21:28,De
32:13,Esa 14:14 (sommet des nues), Job 9:8 (hauteurs de la
mer), nous pouvons admettre qu'appliqué à un sanctuaire il a bien le
sens de haut-lieu et que les sanctuaires sont ainsi appelés parce
qu'ils étaient établis sur des hauteurs. Les collines et les
montagnes étaient considérées en Israël, et probablement, avant les
Israélites, dans le pays de Canaan et les pays circonvoisins, comme
des endroits où l'on était plus près de Dieu et où Dieu était plus
près des hommes.

Certaines montagnes semblent avoir été particulièrement sacrées:

le Carmel (1Ro 18),
l'Hermon (lieu interdit),
le Thabor (Os 5:1),
l'Ebal et le Garizim (De 11:29 27:11 et suivants),
la montagne de Hor (No 20:22 et suivants, tombeau d'Aaron),
le Nébo (De 34),
sans parler du Sinaï
et plus tard de la colline de Sion.

Sur chaque colline un peu élevée il y avait sans doute un autel:
cf. 2Sa 15:32 (David, arrivé au sommet de la montagne des
Oliviers, se prosterne devant Dieu) et les nombreux passages où il
est dit qu'à l'exemple des Cananéens (De 12:2), les Israélites
adorèrent leur Dieu sur toute colline élevée et sous tout arbre
vert (1Ro 14:23,2Ro 16:4 17:10,Esa 65:7,Jer 2:20 3:6 17:2,Eze
6:13).

Dans bien des cas, le culte avait pris là une forme idolâtre;
nous y reviendrons; nous ne retenons pour le moment que la mention
des collines comme lieux sacrés. L'habitude de placer les sanctuaires
sur les hauteurs explique la parole qui avait cours chez les voisins
d'Israël: «Son Dieu est un dieu de montagnes» (1Ro 20:23,28). De
là résulte aussi que le terme de bâmâ (haut-lieu) avait si bien
pris le sens spécial de sanctuaire (le mot propre était miqdâch)
qu'on l'employait pour désigner des sanctuaires dans les
vallées (Jer 7:31 19:6 32:35,Eze 6:3), dans les villes (2Ro
17:9 23:5) ou même à la porte des villes (2Ro 23:8).

2.

Toute agglomération quelque peu importante avait son sanctuaire
spécial, sa bâmâ. C'est là que les habitants allaient offrir
leurs sacrifices particuliers ou célébraient ensemble les grandes
fêtes annuelles, quand ils estimaient ne pas pouvoir se rendre dans
des lieux de plus grande renommée qui attiraient des visiteurs de
tout le pays d'alentour. L'emplacement de la bâmâ n'était pas
choisi arbitrairement. On pensait naturellement à l'endroit le plus
élevé de la ville ou du village, mais d'autres éléments pouvaient
entrer en ligne de compte.

Déjà chez les anciens habitants du pays, puis chez les Israélites
eux-mêmes, certaines manifestations de la nature animée ou inanimée
étaient envisagées comme ayant d'elles-mêmes un caractère sacré.
C'était tout d'abord le cas de pierres plus ou moins extraordinaires
qui pouvaient se trouver au sommet ou au flanc des collines, au fond
des vallées ou dans une plaine. Dans les temps préhistoriques, ces
pierres constituaient à elles seules le sanctuaire. Elles étaient la
demeure même de la divinité, ou quand il y avait en dessous une
caverne, comme c'était le cas en plusieurs endroits, elles
recouvraient la demeure d'esprits souterrains. A la face supérieure,
elles étaient munies de cupules, enfoncements plus ou moins grands ou
plus ou moins profonds, destinés à recevoir les offrandes liquides
qu'on présentait à l'esprit du lieu.

Les fouilles pratiquées en Palestine ont fait découvrir de grands
rochers plats avec cupules et caverne souterraine à Méguiddo, à
Guézer, à Thaanac, à Samarie, à Beth-Sémès (voir Haut-lieu, et fig.
112 à 114). De même nature est le rocher sacré, qui, quoiqu'il ne
soit pas expressément mentionné dans l'A.T., existait sur la colline
du Temple, recouvert probablement par l'autel des holocaustes, et qui
occupe actuellement le centre de la mosquée Es-Sakhrâ, bâtie au même
endroit. D'autres rochers analogues se rencontrent à ciel ouvert, tel
celui qu'on trouve près de Sara, dans l'ancien pays de Samson, et
qu'on a mis en rapport avec le sacrifice de Manoah (Jug 13). Des
pierres sacrées sont mentionnées à Beth-Sémès (1Sa 6:14), à
Ophra (Jug 6:11), à Gabaon, (cf. 2Sa 20:8) près
d'En-Roguel (1Ro 1:9), d'autres, élevées, dit-on, par la main
des hommes, à Béthel (Ge 28:18-22), à Sichem (Jos 24:26), à
Micmas (1Sa 14:33), etc.; mais ceci nous conduit aux massèbes,
dont il sera question plus loin.

Après les pierres, nous mentionnons les sources et les arbres
verts, qui frappaient l'attention dans un pays plutôt sec comme la
Palestine, et dans lesquels on croyait discerner d'une façon toute
spéciale la présence de la divinité.

Pour les sources, voir:

Béer-Séba (Ge 21:25-33 26:33-25),
En-Mispat ou Fontaine du Jugement, près de Kadès (Ge 14:7),
puits de Lachaï-Roï [v. ce mot] (Ge 16:13 et suivant),
En-Roguel (1Ro 1:9), source de Guihon (1Ro 1:33-38),

et les autres noms de localités commençant par En (=source), la
présence d'une source ayant déterminé le choix du lieu et du
sanctuaire.

Les arbres verts le plus souvent nommés sont le chêne, le
térébinthe et le tamaris. Abraham bâtit un autel sous le chêne de
Moré près de Sichem (Ge 12:6), un autre sous le chêne ou les
chênes de Mamré près d'Hébron (Ge 13:18), où il a continué à
séjourner (Ge 14:13 18:1); le chêne de Sichem est en outre
mentionné Jug 9:6-37; c'est sous un chêne que fut enterrée, près
de Béthel, Débora, la nourrice de Rachel (Ge 35:8); voir en
outre De 11:30,Os 4:13. Il y avait un térébinthe à Sichem (Ge
35:4,Jos 24:26), à Ophra (Jug 6:11-19); un tamaris à
Béer-Séba (Ge 21:33), à Guibéa de Saül (1Sa 22:6), à Jabès
de Galaad (1Sa 31:13; au lieu de tamaris 1Ch 10:12 dit
térébinthe); cf. Esa 1:29,Eze 6:13,Os 4:12 et suivant et les
autres passages cités plus haut, parlant de toute colline et de tout
arbre vert. Le récit 2Sa 5:24 (bruit des pas de Dieu dans les
branches des baumiers--plutôt que mûriers, admis par V S.) illustre
l'importance que l'on attachait aux arbres comme manifestation de la
présence divine.

Les sépulcres des grands personnages du passé augmentaient
d'autre part le caractère sacré du lieu où ils se trouvaient. A
Hébron, la caverne de Macpéla, où avaient été déposés les corps des
patriarches (Ge 23 25:9 49:31 50:13), donnait aussi bien que les
chênes de Mamré une importance spéciale au sanctuaire de cette ville;
de même le tombeau de Joseph au sanctuaire de Sichem, celui d'Aaron à
la montagne de Hor, le tombeau de Marie à Kadès-Barnéa; voir
également Ge 35:8-20, les sépulcres de Débora et de Rachel.

Les hauts-lieux qui se trouvaient près de chaque localité, à la
disposition des habitants, n'avaient certainement pas tous un grand
rocher, un arbre vert ou une source qui en auraient fixé
l'emplacement, et d'autre part ces témoins de la présence de la
divinité (ou d'une divinité) pouvaient exister loin de toute
agglomération humaine. Il faut donc admettre qu'il y avait une grande
diversité de lieux sacrés, les uns servant aux sacrifices ordinaires
d'une communauté, les autres, plus isolés, visités occasionnellement,
servant à des manifestations moins régulières de la piété populaire.

3.

Les hauts-lieux, dans lesquels Israël adorait l'Éternel, existaient
pour la plupart déjà à l'époque cananéenne, et quelques-uns remontent
même à des temps plus anciens. Mais quand les Israélites devinrent
complètement maîtres du pays, ils substituèrent aux anciens baals
leur propre Dieu qui, après l'alliance du Sinaï, les avait
accompagnés dans le désert et, depuis la conquête, demeurait au
milieu d'eux en Canaan, sans cesser pour cela d'être le Dieu qui
habite dans les cieux. La substitution ne fut pas toujours complète
(voir plus loin), mais les Israélites avaient le souvenir très net
que la plupart des lieux de culte étaient déjà avant eux des lieux
sacrés. Ainsi, dans Jug 6:25,32, il est raconté que Gédéon
renversa à Ophra l'autel de Baal et le remplaça par un autel de
l'Éternel. A Sichem, qui fut un important lieu de culte israélite,
Jug 9:27 relève que le sanctuaire de la ville était encore
consacré à Baal au temps d'Abimélec.

Du reste les rochers, les arbres, les sources, qui sont signalés
dans les hauts-lieux, existaient avant les Israélites et ils ont,
chez tous les peuples sémitiques, éveillé l'attention religieuse. Ils
avaient déterminé chez les Cananéens le choix des bâmoth: les
Israélites ne pouvaient que suivre leur exemple. Mais ces derniers
savaient en outre invoquer des raisons historiques pour justifier
l'importance qu'ils attachaient à tel lieu de culte plutôt qu'à tel
autre. Abraham avait bâti un autel à Sichem (Ge 12:6), un autre
à Hébron, près des chênes de Mamré (Ge 13:18), creusé un puits à
Béer-Séba (Ge 21:25) et suivants; Jacob avait également
passé à Sichem et y avait bâti lui aussi un autel (Ge 33:20), et
c'est dans le même endroit que Josué avait élevé une massèbe
(pierre dressée), lors de la confirmation de l'alliance (Jos
24:26); à Béthel, Jacob avait élevé une massèbe (Ge 28:18
35:14) et bâti un autel (Ge 35:1-7); Mitspa de Galaad avait
été témoin de l'alliance conclue entre Laban et Jacob pour fixer la
frontière de leurs pays respectifs, qu'ils marquèrent, d'après le
récit, par une massèbe ou un monceau de pierres appelé galed
(monceau du témoignage, d'où viendrait le nom de Galaad, Ge
31:45,54); un autre Mitspa, au Nord de Jérusalem, du reste déjà
mentionné Jug 20:1 21:1 et suivants, rappelait la victoire
de Samuel sur les Philistins (1Sa 7), signalée par la pierre
d'Ében-Ézer; près de Jérico, le sanctuaire de Guilgal (étymol.,
cercle) était mis en rapport avec l'histoire de Josué (des douze
pierres dressées après le passage du Jourdain, Jos 4:20 et
suivants
, et de la circoncision générale opérée à ce moment-là,
Jos 5:9).

Tous les sanctuaires, cependant, n'avaient pas été témoins
d'événements conservés dans le souvenir du peuple. C'était le cas
d'un autre Guilgal situé dans l'intérieur du pays (probablement au
Sud-O, de Silo, 1Sa 7:16,2Ro 2:1 4:38,De 11:30), et qui a été
un des sanctuaires les plus importants du royaume du N (Am 4:4
5:5,Os 4:15 9:15 12:12). C'était le cas aussi du haut-lieu de
Gabaon, qui était, d'après 1Ro 3:4, le principal haut-lieu au
commencement du règne de Salomon, et dont l'auteur des Chroniques ne
s'explique l'importance qu'en supposant que là se trouvaient les
restes du tabernacle du désert, sans l'arche de l'alliance, qui était
ailleurs (1Ch 16:39 21:29,2Ch 1:3 et suivant). C'était tout
particulièrement le cas du sanctuaire de Silo, qui a certainement
occupé le premier rang pendant la plus grande partie de l'époque des
Juges, grâce à la présence de l'arche et au fait que les prêtres qui
y fonctionnaient se rattachaient à la famille de Moïse (voir Prêtres
et lévites). Silo semble bien avoir été un sanctuaire d'origine
purement israélite. C'est le seul dont on ne connaisse ou dont on ne
puisse supposer aucune attache avec les hauts-lieux cananéens. Sur
Silo (voir ce mot), cf. Jos 18:1 et, pour son histoire, 1Sa
1-4,Jer 7:12 26:6,Ps 78:60. Au sanctuaire de Silo nous devons
ajouter celui de Nob, où les prêtres de la famille d'Héli se
transportèrent après la prise de l'arche et la destruction de Silo
par les Philistins (1Sa 21:1 22:9,23), et qui n'eut qu'une
existence éphémère.

4.

La multiplicité des lieux de culte avait un, danger. Dans un pays
comme la Palestine où les baals locaux représentaient autant de baals
différents les uns des autres, il aurait pu arriver que l'Éternel, le
seul Dieu d'Israël, perdît son unité première et se diversifiât en
dieux plus ou moins distincts les uns des autres suivant les lieux où
on l'adorait. C'est ainsi qu'en terre catholique la Vierge Marie
n'est pas exactement la même dans tous les lieux où l'on recourt à
son intercession.

Et le danger était rendu plus grand par le fait qu'on désignait
de noms différents le Dieu auquel les différents sanctuaires étaient
consacrés.

A Silo, il s'appelait, d'après 1Sa 1:3, l'Éternel des armées;
à Béer-Séba, El-Olam (Dieu d'éternité), cf. Ge 21:33;
à Rephidim, JHVH-Nissi (l'Éternel ma bannière), cf. Ex 17:15;
au puits de Lachaï-Roï, El-Roï (Dieu qui me voit), cf. Ge 16:13;
sur la montagne du sacrifice d'Isaac, JHVH-Jiré (l'Éternel y pourvoira), cf. Ge 22:14;
à Béthel, El-Béthel (Dieu de Béthel), cf. Ge 35:7;
à Sichem, El-Élohé-Israël (le Dieu fort, Dieu d'Israël), cf. Ge 33:20;
à Ophra, JHVH-Chalom (Éternel, Dieu de paix), cf. Jug 6:24.

Mais le sentiment de l'unité divine fut plus fort que la
tentation, favorisée par ces appellations diverses et par l'exemple
des Cananéens, de distinguer le Jéhovah d'un lieu du Jéhovah d'un
autre lieu, et le Dieu national d'Israël est demeuré dans l'ensemble
du peuple un seul et même Dieu. Cependant les renseignements du livre
des Rois et la polémique des prophètes nous montrent que dans bien
des cas le souvenir des anciens baals n'avait pas complètement
disparu et que, là même où l'on ne les adorait plus sous leur nom,
les pratiques païennes continuaient à subsister dans la manière dont
on adorait le nouveau maître du pays. C'est ce qui explique
l'opposition que les hauts-lieux finirent par provoquer chez les
représentants les plus fidèles de la religion et qui amena leur
suppression (voir plus loin la réforme de Josias).

5.

Étant donné l'extrême diversité des lieux sacrés, il est certain
qu'ils n'avaient pas partout la même apparence. Les plus simples
n'étaient sans doute marqués que par l'objet matériel, source, arbre
vert, pierre, qui avait déterminé d'avance le choix du. lieu et qu'on
entourait volontiers d'un cercle de pierres (guilgal). Dans les
sanctuaires plus importants (lieux de culte d'une communauté
ordinaire), les éléments constitutifs étaient un autel, une ou des
massèbes, souvent aussi une achère, avec les installations
nécessaires pour la préparation des sacrifices, et l'emplacement
sacré, aplani, était délimité d'une façon ou de l'autre, suivant
qu'il était plus élevé, plus bas ou de même hauteur que le terrain
avoisinant. Sur les autels,voir ce mot.

Les massèbes étaient des pierres dressées, plus ou moins
hautes, plus ou moins grosses, qui étaient le symbole de la présence
de la divinité. Nous notons ici, à propos de ce terme, qu'il est fort
regrettable que nos traductions françaises, même les plus récentes et
les plus exactes, n'aient pas conservé le mot hébreu massèbe ou ne
l'aient pas traduit partout de la même façon. La traduction la plus
exacte est «stèle». Les termes différents (monument, statue, stèle)
qu'emploient nos traductions ne permettent pas de se rendre compte
des occasions diverses où le mot hébreu est employé et du rôle que
les massèbes ont joué dans l'antiquité israélite. Elles existaient
déjà chez les Cananéens (voir les récits des fouilles pratiquées en
Palestine, à Guézer, Tell es-Safy et autres lieux). Primitivement
elles étaient conçues, à l'instar d'autres pierres sacrées, comme
demeure de la divinité, et on croit retrouver un reste de cette
conception primitive dans la scène de Béthel (Ge 28:16,22);
mais, sous sa forme actuelle, le récit représente un point de vue
plus élevé: Dieu demeure dans les cieux, et la pierre que Jacob élève
n'est qu'un monument de la révélation qui lui a été donnée, un
symbole de la présence de Dieu.

Les massèbes sont assez souvent mentionnées dans l'A.T, comme de
simples monuments destinés à rappeler le souvenir d'un fait
historique; c'est ainsi du moins que les interprétait la tradition
populaire. (cf. Jos 4:20,1Sa 7:12 etc.)

Mais il est évident qu'à côté de cela elles ont joué un rôle dans
le culte des Israélites.

C'est le cas:

de la pierre de Béthel, dont il vient d'être question (Ge 28:16-22 35:13,15),
de la pierre élevée sur le tombeau de Rachel (Ge 35:20),
des douze pierres élevées par Moïse près de l'autel de l'Éternel (Ex 24:4).

Les massèbes sont souvent mentionnées dans les lieux de culte du
royaume du Nord (2Ro 17:10,Os 3:4 10:13) et du royaume de Juda
(1Ro 14:23,2Ro 18:4, cf. Jer 43:13). Les deux colonnes
d'airain, Jakin et Boaz (voir art.), élevées à l'entrée du temple de
Salomon, étaient sans doute des massèbes plus magnifiques que les
massèbes ordinaires. Dans les temps historiques, les massèbes
n'étaient que des symboles de la présence de Dieu. Pendant longtemps
on les admit comme n'ayant rien de contraire à la religion israélite.
C'est ce que prouve l'absence de tout blâme dans les récits anciens
où elles sont mentionnées. Encore Esa 19:19 annonce qu'une
massèbe sera élevée en l'honneur de l'Éternel sur la frontière
d'Egypte.

Cependant les massèbes ont fini par devenir suspectes, grâce sans
doute au grand rôle qu'elles jouaient dans les cultes cananéens, puis
parce qu'à un moment donné on ne se contenta plus de pierres plus ou
moins brutes, mais qu'on se mit à les embellir et à les transformer
peu à peu en de véritables idoles (Os 10:1). Elles sont
condamnées par le Deutéronome (De 7:5 12:3 etc.) et les livres
qui ont d'une façon ou d'une autre subi son influence (Ex 23:24
34:13,Mic 5:2), mais la réaction a commencé à l'époque prophétique
(Os 10:1 et suivants, 2Ro 18:4).

Les achètes («aschère» dans Bible annotée et parfois dans
Cramp., «idole» dans Sg. et Ost.) sont mentionnées cinq fois à côté
des massèbes et figuraient sans doute assez souvent dans les lieux de
culte. Mais elles semblent avoir été dès l'abord envisagées de
mauvais oeil par les fidèles israélites. Elles ne sont nulle part
attribuées aux patriarches, nulle part mentionnées comme
indifférentes. C'étaient probablement des pieux ou des troncs
d'arbres, plantés près de l'autel; de là les expressions: le bois de
l'achère (Jug 6:26); planter, brûler, couper une achère (De
16:21 12:3 7:5,Ex 34:13,2Ro 23:14). D'après 1Ro 14:23,2Ro
13:6, elles ont figuré aussi dans les sanctuaires de l'Éternel,
mais cela ne put être le cas que là où le culte était profondément
paganisé, car elles sont mises dans l'A.T, en rapport spécial avec le
culte d'Astarté (voir ce mot), appelée Achéra dans un certain nombre
de passages (1Ro 18:19 15:13,2Ch 15:16,2Ro 23:4,7; comp,
spécialement Jug 2:13 avec Jug 3:7, où l'un des passages
dit Achéra, tandis que l'autre dit Astarté exactement dans le même
sens).

Le fait que l'achère était le symbole d'une divinité féminine a
dû la rendre peu propre à devenir un symbole de la présence de
l'Éternel. Manassé avait cependant introduit une achère même dans le
temple de Jérusalem, mais le livre des Rois présente cela comme une
abomination, et c'était sans nul doute le sentiment des cercles pieux
au moment même où le fait se produisit.

Les sanctuaires que nous venons de décrire étaient les plus
nombreux, mais d'autres avaient une plus grande apparence et une
installation plus compliquée. C'était le cas des lieux de culte les
plus fréquentés, où il y avait des prêtres de vocation, soit de ceux
dans lesquels il importait de protéger contre les intempéries ou
contre le vol des objets précieux servant au cuite. L'Ephraïmite Mica
avait une maison de Dieu où il plaça les idoles (ou un éphod et
des théraphim) qu'il s'était procurées avec l'argent de sa
mère (Jug 18:4 et suivant). A Silo, où était l'arche de
l'alliance (1Sa 1-3), on avait également construit une maison,
qui est appelée «temple» dans plusieurs passages (1Sa 1:9 3:3,
cf. Jer 7:14 26:6). A Nob, où émigrèrent les descendants d'Héli
après la destruction de Silo, la table des pains de proposition et
l'éphod devaient être protégés par une construction quelconque (tente
ou maison, 1Sa 21:1,9). A Rama (1Sa 9:22), à Ophra (Jug
8:27, éphod), à Sichem (Jug 9:27), et évidemment aussi à
Gabaon, le principal des hauts-lieux avant la construction du temple
de Jérusalem (1Ro 3:4), un édifice plus ou moins grand ne
manquait pas non plus. Mais nous ignorons tout à fait quelle était la
disposition de ces divers sanctuaires. Nous ne sommes guère mieux
informés sur les grands sanctuaires du royaume du Nord après la
rupture entre Juda et Israël (932 av. J.-C). Il y avait à Béthel et à
Dan des veaux d'or (jeunes taureaux de bois recouvert d'or), qui
étaient des symboles visibles de la présence de l'Éternel; ce
n'étaient pas des idoles au sens propre du mot. Ils étaient
évidemment à l'abri des intempéries dans un édifice couvert, mais
jamais on ne parle d'un temple proprement dit. Un autel et toutes les
dépendances nécessaires pour les sacrifices ne pouvaient pas manquer;
en outre un parvis était réservé pour les grandes assemblées. C'est
là sans doute qu'Amos «a prophétisé contre Israël» (Am 7:10,17),
malgré l'opposition du prêtre Amatsia qui finit par le chasser du
lieu qu'il appelle «un sanctuaire du roi, une maison royale». A
Samarie il y avait une maison de Baal avec un autel, une statue de
Baal et une achère (1Ro 16:32,2Ro 10:17,27), à côté d'une maison
consacrée à l'Éternel, qui n'est pas mentionnée, mais qui ne pouvait
faire défaut. La coexistence de deux lieux de culte n'étonne pas, car
à Jérusalem même il y a eu sous le règne d'Athalie un temple de Baal
à côté du temple de l'Éternel (2Ro 11:18), et les hauts-lieux,
où le culte était semi-païen ou franchement païen, ne manquaient pas
dans les environs de la ville, quand intervint la réforme de
Josias (2Ro 23:10,14).

Sur le sanctuaire cananéen de Guézer, voir Guézer. Sur les
temples d'origine égyptienne trouvés à Beth-Séan, voir Beth-Séan.

6.

Dans la plupart des hauts-lieux les anciennes coutumes cananéennes
avaient continué à subsister; on était censé y adorer l'Éternel,
mais, le plus souvent, avec les conceptions et les pratiques du
baalisme d'autrefois, et dans certains endroits les vieux baals
avaient conservé leurs adorateurs, sans parler de nouvelles divinités
étrangères qui trouvaient accès dans le pays grâce au contact avec
l'étranger. C'est ce qui explique la polémique des prophètes contre
les hauts-lieux; ils en voulaient, comme nous l'avons dit plus haut,
non pas tant à ces sanctuaires eux-mêmes qu'à la manière dont le
culte y était célébré, à l'importance qu'on y attachait, et aux
représentations matérielles de la divinité qui devenaient de
véritables idoles (voir Am 4:4 8:14,Os 2:4-15 4:12 8:5,13
10:1,8, etc., Mic 1:5-7,Esa 1:29 2:8,Jer 2:23-25). Mais la
multiplicité des lieux de culte finit par être elle-même ressentie
comme un mal: favorisant les coutumes idolâtres, elle était un
obstacle à la pure adoration de l'Éternel, et les cercles les plus
pieux réclamaient un vrai retour au seul Dieu d'Israël. On se
rappelait qu'au temps du désert il n'y avait eu qu'un sanctuaire
unique: le tabernacle avec l'arche de l'alliance. Une première
tentative de réforme eut lieu sous Ezéchias (2Ro 18:4), mais
nous n'en connaissons pas l'étendue et en tout cas elle n'eut pas de
conséquences durables. Sous le long règne de Manassé (692-640), la
situation fut plus grave qu'elle ne l'avait jamais été; non seulement
les anciens dieux cananéens reparurent avec tout le cortège des
superstitions populaires, mais, sous l'influence assyrienne, de
nouvelles divinités furent ajoutées aux anciennes et, jusque dans le
temple de Jérusalem, on éleva des autels en leur honneur (2Ro
21:2,9). Heureusement une énergique réaction se produisit sous le
règne de Josias (639-609).

A l'occasion des réparations du temple, on «découvrit» la loi de
l'Éternel, non pas les anciennes législations, mais une rédaction
postérieure de la loi qui n'était pas autre chose que le Deutéronome.
Le Deutéronome réclamait, avec le service intégral de l'Éternel, la
concentration du culte à Jérusalem. Le roi Josias, secondé par le
prêtre Hilkija et d'autres grands personnages du royaume, se mit à
l'oeuvre. Dans une grande assemblée à Jérusalem, une alliance
solennelle fut conclue entre l'Éternel et le peuple, avec engagement
d'observer fidèlement toutes les parties de la loi (622-621). En
conséquence les hauts-lieux furent abolis, les abominations païennes
supprimées, et le temple, purifié, devint le seul sanctuaire où l'on
pût offrir des sacrifices et célébrer les grandes fêtes annuelles. La
réforme de Josias s'étendit jusqu'en Samarie. Elle fut couronnée par
une grande fête de Pâque, pour laquelle tout le peuple fut convoqué à
Jérusalem.

C'était une réforme radicale, bouleversant toutes les habitudes
du peuple. Aussi, sous les successeurs de Josias, les anciens
errements ne tardèrent-ils pas à renaître, si ce n'est complètement,
du moins en bonne partie (2Ro 23:32,37 24:9-19, cf. Jer 7:17
11:12 et suivant 44:15, 23). Mais la ruine de Jérusalem en 586
devait amener en fin de compte le triomphe de la loi dont on avait
juré l'observance en 622-621, car, lorsque les Juifs rentrèrent dans
leur patrie en 538, le temple rebâti fut le seul sanctuaire de la
communauté nouvelle. Le passage Esa 57:3,13 ne s'applique pas à
celle-ci en tout cas: ou bien il a été composé avant 586, ou bien il
concerne la population semi-païenne qui était restée dans le pays et
qui entra si souvent en conflit avec les exilés revenus à Jérusalem.

7.

Nous n'avons donc plus à mentionner qu'un sanctuaire existant en
dehors de la Palestine: c'est celui d'Eléphantine, dans la Haute
Egypte. L'île d'Eléphantine, en face d'Assouan (autrefois Syène [v.
ce mot]), un peu au-dessous de la première cataracte, était pourvue
d'une forteresse destinée à défendre le pays contre les invasions
venant du S.; là stationnait une colonie militaire juive aux VI e et
V e siècle avant notre ère. Il est difficile d'en fixer l'origine
exacte; peut-être d'abord simple colonie de réfugiés juifs venus en
Egypte dans diverses circonstances, et spécialement après la
destruction de Jérusalem (Jer 44:1; Pathros =Haute Egypte);
peut-être avait-elle déjà un caractère militaire sous les rois de la
XXVI e dynastie; il s'agirait alors, dès le début, de soldats
mercenaires au service des Pharaons. Quoi qu'il en soit, elle
existait déjà en 525, quand l'Egypte fut conquise par les Perses sous
le roi Cambyse. Ces derniers amenèrent d'Asie de nouveaux éléments,
en partie juifs, pour assurer leur domination. On peut en tout cas
dès lors y voir une colonie militaire; mais les soldats avaient avec
eux femmes et enfants. La langue parlée était l'araméen, non pas
l'hébreu, comme le prouvent les documents découverts en 1904-1907,
qui ont révélé l'existence de la colonie inconnue auparavant. Les
Juifs formaient, à côté des autres éléments, une communauté
religieuse; ils avaient élevé de bonne heure à Éléphantine un
sanctuaire que Cambyse laissa subsister, tandis qu'il détruisit de
nombreux sanctuaires égyptiens. Le sanctuaire juif était-il un temple
proprement dit, ou un autel à ciel ouvert au milieu d'une cour
entourée d'une forte palissade de bois de cèdre, avec des poutres
également de cèdre avançant dans l'intérieur de la cour et protégeant
des locaux de diverse nature: on ne peut le dire avec certitude; quoi
qu'il en soit, le mot de temple n'est jamais employé. Près de l'autel
étaient deux colonnes de pierre (des massèbes?), et l'on entrait dans
le sanctuaire par cinq portes encadrées également de colonnes de
pierre. Le mobilier comprenait des coupes d'or et d'argent. On
offrait sur l'autel des sacrifices sanglants et des sacrifices non
sanglants.

Les Juifs d'Eléphantine adoraient évidemment le Dieu des pères,
dont ils prononçaient le nom Yahou et non pas Yahveh (Jéhovah) comme
en Palestine. Mais ce n'étaient pas des Juifs de la stricte
observance. L'existence même de leur sanctuaire montre qu'ils
n'avaient tenu aucun compte du Deutéronome et de la réforme de Josias
et, chose beaucoup plus grave, ils adoraient d'autres dieux que
Yahou, en particulier une divinité féminine nommée Anath-Béthel ou
Anath-Yahou et un dieu nommé Achim-Béthel. Anath était probablement
le nom que l'on donnait à la «reine des cieux», qu'affectionnaient si
fort les femmes dont parle Jer 44, et on envisageait sans doute
Anath comme la parèdre (épouse) de Yahou. Achim est le
correspondant masculin de la déesse Asima, mentionnée 2Ro
17:30 parmi les divinités étrangères introduites en Palestine par
les colons qui remplacèrent les Israélites transportés en captivité.
Aussi a-t-on supposé avec assez de raison que les Juifs d'Éléphantine
venaient en bonne partie de la Palestine centrale, quoiqu'ils soient
appelés Juifs, mais ce nom n'étonne pas après la destruction de
Samarie, qui avait donné une plus grande importance au pays de Juda.
Leur religion était une forme dégénérée de la religion populaire des
temps anciens.

En 410, le sanctuaire d'Éléphantine fut détruit, avec la
connivence du sous-gouverneur perse Waidrang, par les prêtres du dieu
Chnub (ou Chnum), qui avaient un sanctuaire voisin et supportaient
mal les sacrifices d'animaux, sacrés pour eux, que les Juifs
offraient à leur Dieu (leurs dieux). Les coupables furent punis de
mort, mais le sanctuaire resta en ruine. Les Juifs implorèrent une
première fois l'intervention de Bagoas, gouverneur perse de la
Palestine, et de Johanan, grand-prêtre de Jérusalem, mais ils ne
reçurent pas de réponse. A Jérusalem, on les trouvait sans doute trop
peu fidèles à la loi pour s'intéresser à eux. En 407, ils
s'adressèrent une seconde fois à Bagoas et, en même temps, non plus à
Johanan, mais aux ennemis de la communauté de Jérusalem, Délaja et
Sélémia, fils de Samballat, ancien adversaire de Néhémie quelque
trente ans auparavant. Cette fois-ci, la démarche ne fut pas inutile.
Bagoas accorda l'autorisation de reconstruire le sanctuaire, avec la
réserve que l'on n'y offrirait plus de sacrifices sanglants, mais
l'autorisation devait être ratifiée par le gouverneur général perse
de l'Egypte, Arsamès. Celui-ci se laissa-t-il fléchir et le
sanctuaire fut-il reconstruit? Nous ne le savons pas. En tout cas, ce
ne fut point pour longtemps, car en 405 les Égyptiens secouèrent le
joug des Perses, et la communauté d'Éléphantine passa par des jours
difficiles. Elle ne fut pas complètement anéantie, car elle existait
encore en 400, date du dernier document retrouvé, mais il n'est plus
question du sanctuaire et nous ignorons dès lors ce que devinrent les
Juifs d'Éléphantine.

La présence d'un sanctuaire juif dans la Haute Egypte permet de
supposer qu'il y en avait peut-être d'autres dans l'Egypte Moyenne et
dans le Delta, là où les Juifs étaient nombreux, mais jusqu'ici on
n'en a trouvé trace nulle part, si l'on excepte le temple de
Léontopolis, construit beaucoup plus tard, vers 160 av. J.-C, par le
grand-prêtre Onias IV, qui s'était enfui de Jérusalem.

Pour le tabernacle,voir ce mot; pour le temple de Jérusalem, voir
Temple.
BIBLIOGRAPHIE.-- Manuels de théologie ou d'archéologie
biblique.--Ad. Lods, Israël, des orig. au milieu du VIII e siècle, 1930.
--Sur Eléphantine: A. von Hoonacker, Une communauté judéo-araméenne
à Elephantine en Egypte,
1915. L. A.