SAGESSE

Les «sages» de l'ancien Israël donnaient des «conseils»; ils semblent
avoir été mis sur le même rang que les prêtres et les
prophètes (Jer 18:18). Hommes ou femmes (2Sa 14,20:16 et
suivant
), ils sont consultés dans les cas les plus variés. Salomon
jouit de bonne heure de la réputation du sage par excellence.
Peut-être commença-t-on également à une date assez reculée à
recueillir les sentences les plus frappantes des «sages». On sait
qu'il en existe des recueils égyptiens, babyloniens, grecs et autres,
qui ne sont pas sans analogie avec la littérature hébraïque de la
«sagesse», qu'on appelait jadis les livres sapientiaux.

Elle se répartit en deux catégories:

La plus ancienne attribuée à Salomon ressortit à
la poésie descriptive, cherchant dans la nature matière à énigmes
moralisantes.

Les recueils plus récents et systématisés sont
les livres des Proverbes, de Job, de l'Ecclésiaste, la Sagesse du
Siracide (Ecclésiastique), la Sagesse de Salomon.

Toute cette littérature vise à la morale pratique, à fournir les
règles d'une vie sage. Elle prend son point de départ dans la
tradition orale: on pouvait en entendre les sentences dans
«l'assemblée des anciens» (Sir 6:34 et suivants); les
sages évoquent entre eux les dires avisés qu'ils ont recueillis de
leurs pères (Job 8:8 15:18 et suivants, Sir 8:9). La
jeunesse est exhortée à apprendre d'eux la sagesse (Pr
15:31, Sir 6:34). On la lui enseignait aussi en
particulier (Sir 6:36). Un père en transmet les aphorismes
à son fils comme le plus précieux des héritages (Tob 4).
Une mère l'inculque de même à ses enfants (Pr 31:1 et suivants).
Ainsi s'explique le ton de beaucoup de sentences: Mon fils, mes
fils (Pro 1:8,10 3 1,11,21, Sir 2:1 3:12,17 etc.). La
littérature de la sagesse est donc pédagogique autant que morale.
Pour devenir «sage», il importe d'apprendre par coeur de très bonne
heure une série de sentences et de les graver à jamais dans sa
mémoire, en les méditant constamment (Sir 8:8). Voir
Education.

On ne saurait confondre les sages avec les scribes (voir ce mot)
ou docteurs de la loi. La sagesse ne repose pas sur l'étude d'une
«écriture sainte»; elle plonge ses racines dans l'observation directe
de la vie.

Si l'on cherche à reconstituer la forme primitive de la sentence
orale, on constatera qu'elle a, d'emblée, été rythmée. Chaque
sentence se suffit à elle-même; il en est encore ainsi dans un très
grand nombre de cas, au sein des livres des Proverbes et du Siracide.
Plus tard, on réunit des ensembles de deux vers, ou davantage. Enfin,
de vastes développements, comme ceux que groupent les chap. 1-9 du
livre des Proverbes, marquent le terme de l'évolution.

Les sentences isolées elles-mêmes sont de genres divers.

Parfois les deux hémistiches s'opposent l'un à l'autre. Exemple:



L'enfant sage réjouit son père,

Mais l'enfant insensé fait le chagrin de sa mère (Pr 10:1).



Les auteurs des Proverbes (voir spécialement Pr 10-15)
affectionnent ces antithèses entre le sage et l'insensé, le fidèle et
l'impie, le paresseux et l'assidu travailleur, etc. Ailleurs, il y a
strict parallélisme et synonymie:


La langue trompeuse hait ceux qu'elle a abattus,
Et la bouche flatteuse fait tomber (Pr 26:28).


Ou bien, le second hémistiche fait logiquement suite au premier:



Le moqueur n'aime pas qu'on le reprenne;

Il ne va point chercher les sages (Pr 15:12).


Ou encore, l'un des deux hémistiches sert d'illustration à l'autre:


Une belle femme qui se détourne de la raison

Est comme un anneau d'or au groin d'un pourceau (Pr 11:22).



Ceci procède peut-être de l'énigme, l'une des formes les plus
anciennes de la sentence de sagesse. Dans tous ces exemples,
l'intention exprimée reste la même: faire connaître le droit chemin,
conforme à l'ordre des choses dans l'univers. Mais il s'agit tantôt
d'un simple enseignement (Pr 27:3,9), tantôt
d'exhortations (Pr 27:1-10 et suivant).

Autres formes encore: l'emploi de la béatitude (voir ce mot):
«Heureux l'homme...», est aussi fréquent dans les Proverbes que dans
les Psaumes (Pr 3:13 8:34 28:14,Job 5:17 etc.). Ailleurs, le
poète donne la parole a «la sagesse» elle-même, personnifiée sinon
hypos-tasiée (Pr 8, Sir 24:1 4:11-19).

On remarque tout naturellement le caractère évolué qui s'applique
à toutes ces sentences composées suivant les règles d'un véritable
art poétique, lorsqu'on les compare aux brefs aphorismes et proverbes
nettement populaires, dont l'A.T, a gardé çà et là quelques spécimens
(Jug 8:21,1Sa 10:24:14,1Ro 20:11,Os 4:11,Eze 16:44,Job 2:4, cf.
Lu 4:23,Jn 4:37). Voir Poésie hébraïque, Proverbe.

Il en est du contenu comme de la forme. A cet égard aussi, il
faut distinguer plusieurs genres et plusieurs âges dans la
littérature de la «sagesse». Les sentences sont parfois purement
profanes, spécialement dans les collections les plus anciennes
qu'a recueillies le livre des Proverbes (Pro 25-29). Cette catégorie
se trouve assez naturellement la plus riche en parallèles étrangers
au judaïsme. Après elle, dans l'évolution, apparaissent celles qui
unissent aux simples règles de prudence l'exhortation morale ou
religieuse, toujours renforcée par l'allusion aux rétributions
divines. Sagesse et piété donnent les mêmes conseils; de leur
combinaison résulte la maxime de portée générale. Voir Folie, Sottise.

Signalons, en outre, combien fréquemment la poésie gnomique et le
lyrisme des Psaumes (voir ce mot) entrent à leur tour en étroite
association. Il suffit de se reporter au livre de Job pour voir se
greffer d'imposants développements lyriques sur les considérations de
morale pratique qui se placent à la base de la philosophie religieuse
de l'auteur. Réciproquement, le psautier contient divers éléments qui
introduisent la note de la «sagesse» au sein des pieuses effusions de
ses poètes. Par contre, le livre des Proverbes (voir art.) reste d'un
bout à l'autre exempt de lyrisme.

Ce qui demeure le plus étranger à la littérature de la «sagesse»,
c'est la pensée, l'esprit, le souffle du prophétisme. Nos auteurs
moralistes pondérés, sinon terre à terre, ne trahissent plus
l'enthousiasme héroïque des prophètes. L'individu à guider sur le
droit chemin les intéresse à l'exclusion presque totale des destinées
du peuple. Par-dessus tout, ils ignorent les spéculations
eschatologiques. On s'explique dès lors que les prophètes ne citent
presque jamais les «sages» et que ceux-ci, de leur côté, n'invitent
pas leurs lecteurs à écouter la voix des prophètes.

L'oracle (thora) des prêtres ne présente pas davantage de
points de contact avec la littérature gnomique, au moins
anciennement. Si le Siracide se réfère expressément aux autorités
désormais traditionnelles: la loi de Moïse, la thora des prêtres et
les prédictions des prophètes, le tout considéré comme histoire
sainte, c'est que le travail de la canonisation est alors (II e
siècle av. J.-C.) en voie d'achèvement. Ceci marque la transition
entre la littérature de la sagesse et l'oeuvre des scribes; l'étude
minutieuse des Écritures saintes va absorber tous les courants de la
pensée juive. Jg. M.