SACREMENT

Ce terme est devenu l'un des plus essentiels du langage religieux et
théologique par le fait que les réalités auxquelles il se rapporte
sont elles-mêmes essentielles et que leur interprétation a présenté
les divergences les plus grandes.

Il correspond au terme grec mustêrion (=mystère) que la
Vulgate traduit plusieurs fois par sacra-mentum, dans les ép. aux
Éphésiens, Colossiens, 1 Tim., et dans l'Apocalypse. Seulement, dans tous
ces passages, le mot désigne le mystère de Dieu, de l'Évangile ou de
la piété, et jamais un acte religieux ou ecclésiastique.

Mais, à l'époque où est apparu le christianisme, il existait dans
le monde antique un puissant mouvement dit précisément des religions
des «mystères» (voir ce mot), dont le succès tenait au fait que par
les pratiques qu'elles prescrivaient et par le déroulement de leurs
cérémonies elles pensaient rendre l'homme participant du mystère
divin et le sauver par cette «initiation» au travers du rite et de
ses solennités. Dès la fin du I er siècle, à n'en pas douter, ces
cultes ont influencé la pratique de l'Église. Dans son ép. aux
Éphésiens, Ignace d'Antioche nomme le pain de la Cène une «médecine
d'immortalité, un moyen de ne pas mourir mais de vivre toujours en
Jésus-Christ» (20:2). Justin Martyr tient le même langage dans son
Apologie (166). Ce réalisme alla s'accentuant encore.

1.

Le catholicisme.

De là est née la conception catholique du sacrement: «communication
mystérieuse de la grâce, infusion de la charité». Toutefois ce n'est
que tardivement, avec Augustin, que l'on voit la conception courante
du sacrement soumise à une critique approfondie. C'est Augustin qui a
caractérisé les sacrements comme «le signe visible d'une grâce
invisible». Il leur accorde une importance très grande: toute
pratique cultuelle de l'Église est pour lui sacrement, et tout
sacrement est par nature nécessaire, le baptême et la sainte Cène
tout particulièrement. Mais Augustin a nettement affirmé que si les
sacrements conduisent au salut, ils ne sont pourtant que des signes
et non des moyens de salut. Qui a la foi peut être sauvé sans les
sacrements. Conception très riche, mais imprécise et même
contradictoire.

C'est cette doctrine qui est à l'origine de toutes les théories
et de toutes les divisions subséquentes. Les partis les plus opposés
se sont également appuyés sur elle, les uns mettant l'accent sur la
valeur purement symbolique du «signe visible», les autres insistant
sur la présence de la «grâce invisible». Paschase Radbert et Ratramne
prennent ce dernier point de vue, Bérenger de Tours défend le
premier. De même on varie longtemps encore, pour les mêmes raisons,
sur le nombre des vrais sacrements: on en affirme deux, sept, douze,
davantage encore.

En tout cas, c'est au Moyen âge qu'est vraiment apparue la notion
du sacrement et que s'est formée la doctrine catholique à ce sujet,
sous l'influence d'hommes comme Hugues de Saint-Victor, Pierre
Lombard, Thomas d'Aquin surtout, dans son grand effort systématique
et sous l'influence aussi des conceptions populaires de cette époque.
C'est à la même époque que le nombre sept s'est peu à peu imposé
(baptême, cène, pénitence, confirmation, ordination, mariage,
extrême-onction), apparemment en raison du prestige dont il a joui
dès longtemps. Le concile de Trente l'acceptera définitivement.

L'opposition des grands ordres monastiques est apparue ici aussi,
les Dominicains avec saint Thomas voyant dans le sacrement un
«signe» qui sanctifie lui-même celui qui le reçoit, les Franciscains
voyant en lui, non pas une force divine qui y serait présente, mais
seulement une parabole de ce que Dieu réalise dans le même moment en
l'âme du fidèle. C'est d'ailleurs la conception de saint Thomas qui
a prévalu dans l'Église. Il considère le sacrement comme efficace en
lui-même (ex opere operato). Il réclame que celui qui
l'administre en respecte le caractère surnaturel et observe
strictement la prescription du Christ et de l'Église. De même celui
qui le reçoit doit croire à son contenu divin et ne point se trouver
en état de péché mortel. Alors, quand aucun obstacle ne vient
s'opposer à ces nécessaires dispositions, Dieu peut, par le
sacrement, agir dans les âmes.

Ces conceptions ont été élevées à la dignité de dogmes par la
bulle Exultate Deo du pape Eugène IV, au concile de Florence (22
nov. 143(5). Elles ont gardé jusqu'ici, d'une façon générale, leur
valeur dans l'Église romaine. Par elle, le sacrement est devenu la
voie nécessaire du salut, le chemin inévitable, et le prêtre seul
administrateur du sacrement. De toute façon le prestige de l'Église
en fut puissamment augmenté. Mais à la veille de la Réforme il sera
combattu par toutes sortes de raisons, et quand le renouveau des
études sur la Bible viendra mettre en doute la légitimité du
développement de la tradition, le prestige de l'institution cléricale
et hiérarchique sera encore plus ébranlé. Et les sacrements que
l'Église garantissait par son prestige seront remis en discussion à
la clarté des sources bibliques. Ajoutons que le concile de Trente ne
s'est pas préoccupé des imprécisions et des contradictions de la
doctrine des sacrements née au Moyen âge. Il s'est contenté de
condamner ceux qui mettent en doute le nombre de sept sacrements,
l'idée qu'ils sont absolument nécessaires sur le chemin du salut et
qu'ils sont en eux-mêmes efficaces et agissants, leur caractère
indélébile, enfin.

2.

La Réforme.

Luther a combattu dès le début la conception romaine de la
transsubstantiation et de l'action magique des sacrements, pour
défendre une conception toute spirituelle selon laquelle il n'y a que
deux sacrements, ceux qui rappellent l'oeuvre de Jésus-Christ: le
baptême et la Cène (cf. Trois sermons sur les sacrements, et son
grand écrit réformateur: De la captivité babylonienne de
l'Église).
Mais plus tard, au cours de ses luttes avec les
«illuminés», il revint en arrière, au risque de se rapprocher à
nouveau de la doctrine romaine, et abandonna le strict symbolisme.

Dans ces mêmes circonstances, Zwingle prit l'attitude opposée
faisant du sacrement un pur symbole, un simple mémorial de l'oeuvre
du Christ, ce qui ne signifie nullement d'ailleurs que Zwingle ait
dédaigné ces actes ou les ait tenus pour peu de chose. Mais
l'attitude divergente des deux Réformateurs provoqua la «Controverse
sur la Cène», qui aboutit au colloque de Strasbourg où l'entente se
fit sur de nombreux points, mais non pas sur la question de savoir si
le vrai corps et le vrai sang de Christ étaient «corporellement»
présents dans le pain et le vin.

Calvin prit, tout comme les Réformateurs de Strasbourg, une
attitude intermédiaire. Il vit dans les sacrements des «signes» par
lesquels Dieu, afin de venir en aide à notre pauvre foi, nous
confirme la grâce promise en Jésus-Christ et dans l'Écriture, tandis
que nous-mêmes, en les recevant, nous lui montrons notre foi. Parole
et sacrement en eux-mêmes n'apportent rien et ne sont pour
l'incrédule que signes vains et vides, mais quand l'Esprit s'est
emparé d'un coeur pour en faire un coeur croyant, les sacrements
peuvent lui communiquer la grâce divine. Ce n'est donc pas dans le
sacrement lui-même qu'il faut mettre sa confiance, mais dans
l'Esprit, seule réalité, venant à la rencontre de la foi.

C'est cette affirmation du primat de l'Esprit qui doit être, et
qui sera toujours davantage entre les diverses branches du
protestantisme, la base d'une interprétation commune de la nature des
sacrements et de leur rôle. N'est-ce pas ainsi que le N.T. lui-même
juge de leur valeur? On sait que le 4 e évangile parle en termes très
réalistes du corps qu'il faut manger, du sang qu'il faut
boire (Jn 6:53 et suivants). Mais il déclare en même temps
(verset 63): «C'est l'Esprit qui vivifie, la chair ne sert de rien.
Les paroles que je vous dis sont esprit et vie.» Et saint Paul,
d'autre part, semble employer dans Ro 6 des expressions bien
proches de celles des religions des mystères (voir Paul, VII, 2).
Mais il est impossible d'affirmer qu'il s'agisse là du rite ex
opere operato.
Paul veut marquer quelle puissance possède, sur la
conscience du disciple, la pensée de la mort et de la résurrection de
son Maître. Aucune formule ne sera assez forte pour souligner cette
action.

Mais cette action reste tout intérieure, morale; l'apôtre, après
les premiers versets de ce chap. 6, exhorte ses lecteurs à vivre
conformément à la grâce reçue et les associe étroitement au combat
par lequel l'Esprit doit triompher (Ro 6:11,14).

Il ne pourrait y avoir de véritable sacrement qu'en tant que
ex opere operato. Le véritable sacrement se suffit à lui-même, son
oeuvre est parfaite. En ce sens l'Écriture ne connaît pas le
sacrement. Ni l'apôtre Paul ni aucun autre auteur sacré n'attribuent
au sacrement ce rôle suffisant. Tous conçoivent que la communication
de l'Esprit qui est l'élément décisif d'une vie nouvelle, non
seulement peut s'accomplir indépendamment de l'acte rituel, mais
encore est la seule chose qui importe dans cet acte lui-même, et
qu'elle est le fait de la vie entière.

Le baptême et la Cène annoncent le don de Dieu, Christ et son
oeuvre. Voilà pourquoi ils parlent à l'âme croyante et lui sont
chers, pourquoi ils veulent être reçus avec un grand sérieux. Mais si
c'est une grande émotion que la découverte et la prise de conscience
de l'amour divin, il n'y a rien là de semblable à une «infusion de
substance». Et cette émotion ne vaut même, au travers de la cérémonie
la plus saisissante, que pour autant qu'elle devient assentiment
conscient et décidé au jugement, à la volonté, à l'amour divins.

Voir Cène, Symbole. G. F.