RUTH (livre de)

L'un des ce livres historiques» de l'A.T, selon la classification des
LXX et de nos Bibles françaises, mais le deuxième des cinq «rouleaux»
(megillôt) dans la Bible hébraïque (voir Bible, 3); était lu
solennellement dans la synagogue juive à la Fête des Semaines ou de
la Moisson.

Contenu.

Cet écrit, un des plus courts de l'A.T., est unique en son genre;
c'est le récit détaillé d'un événement de famille qui se passe au
temps des Juges, le mariage de Ruth la Moabite avec Booz (hébr., Boaz)
de Bethléhem. Cet épisode de caractère tout intime intéresse
cependant l'histoire générale du peuple d'Israël, puisque Ruth et
Booz eurent pour arrière-petit-fils David.

C'est à l'occasion d'une famine survenue au pays de Juda
qu'Elimélec, habitant de Bethléhem, partît avec sa femme Naomi et ses
deux fils pour le pays de Moab. Après la mort de leur père, ceux-ci
épousèrent deux jeunes Moabites, Orpa et Ruth; ils moururent
eux-mêmes une dizaine d'années plus tard. Naomi, la mère, décidée à
retourner en Juda, engagea ses deux belles-filles à rentrer chez
leurs parents, mais Ruth refusa d'abandonner sa belle-mère: «Où tu iras
j'irai, lui dit-elle, ton peuple sera mon peuple, ton dieu sera mon
dieu.» Naomi accepta cet affectueux dévouement, et les deux femmes
arrivèrent à Bethléhem au commencement de la moisson des orges. Ruth
alla glaner dans les champs, comme pouvait le faire une veuve, et il
se trouva que ce fut sur les terres d'un parent d'Elimélec, le riche
et généreux Booz. Celui-ci traita avec bienveillance la jeune
étrangère, et Naomi conçut l'espoir qu'il épouserait Ruth, ce qui
était son devoir de parent, selon une antique coutume en Israël
connue sous le nom de lévirat ou droit de rachat. (voir Ge 38:8,De
25:5,Mt 22:2) La jeune veuve va donc, sur l'ordre de sa belle-mère,
trouver Booz «pour le mettre en demeure de l'épouser». Celui-ci y est
disposé, mais il sait qu'un autre parent d'Elimélec, parent plus
rapproché, aurait ce droit avant lui. Cet homme, interrogé selon les
règles «à la porte de la ville», déclare devant témoins renoncer à
son droit de rachat. Booz alors épouse Ruth; il en aura un fils,
Obed, qui sera le père d'Isaï, père de David. (cf. Mt 1:5)

Ce récit naïf et touchant, aux sentiments délicats et aux
personnages simples et naturels, a inspiré de nombreux poèmes; tout
le monde connaît le morceau de Victor Hugo (Légende des Siècles)
Il fait contraste avec ce que nous savons du sombre temps des Juges
pendant lequel il se déroule, contraste si fort que certains
critiques ne veulent voir dans le livre de Ruth qu'une fiction
poétique, composée bien des siècles plus tard et placée à l'époque
des Juges par pure convention littéraire. Ce contraste ne nous paraît
pas une raison suffisante pour faire repousser le fond du récit, tout
au moins; dans les temps les plus barbares, d'exquises choses ne sont
pas impossibles, surtout pour qui croit à l'action de Dieu parmi les
hommes. Il y a lieu d'admettre que nous nous trouvons là en présence
d'une antique tradition, transmise oralement à travers les
générations jusqu'au jour où elle fut fixée par un écrivain.

Date de la composition.

Les critiques l'ont placée aux époques les plus diverses, les uns à
la fin du règne de David, d'autres (Reuss) dans les derniers temps du
royaume de Juda, d'autres pendant l'exil, d'autres enfin très loin
après l'exil.

Il est de fait que l'auteur emploie souvent des mots et des
locutions que l'on trouve seulement dans les livres postexiliques
(Chroniques, Esdras, etc:); il use d'araméismes; il parle des
anciennes coutumes comme étant inconnues de ses lecteurs, et
l'expression «au temps des Juges» nous reporte tout au moins aux
derniers jours de Juda.

Nous admettrons donc que le livre de Ruth a été composé après
l'exil par un auteur qui nous est d'ailleurs tout à fait inconnu.

But du livre.

Notons d'abord que, si beau et si touchant qu'il soit, le livre
de Ruth ne présente pas au point de vue proprement religieux un intérêt
très particulier: la conviction religieuse y semble nettement
subordonnée, chez l'héroïne notamment, aux affections de famille. On
s'est demandé quelle était l'intention profonde de l'auteur.

Eut-il pour but d'exposer les lois et coutumes des Israélites
concernant le mariage? A vrai dire il ne semble pas en avoir lui-même
une connaissance très précise; qu'il s'agisse de la coutume de la
remise du soulier (Ru 4:7,9,De 25:9) ou même de la question de
savoir à qui revient le droit de rachat, nous constatons dans les
données du livre de Ruth un certain vague et en tout cas un désaccord
avec celles du Deutéronome et du reste de la Bible à cet égard.

Reuss a cru trouver chez notre auteur l'intention de réconcilier
les Éphraïmites, débris de l'ancien royaume du Nord, avec la dynastie
de David, en montrant dans Elimélec et ses fils des «Éphratiens» de
Bethléhem. Tous les critiques jugent contestable ce trop ingénieux
rapprochement de mots; et Reuss, sur ce point, n'a convaincu personne.

Des critiques modernes voient dans le livre de Ruth une
protestation contre les lois d'Esdras et de Néhémie interdisant aux
Juifs d'épouser des femmes étrangères (Esd 9,10,Ne 13:23,29). Il
serait difficile, dans ce cas, de comprendre comment un tel livre eût
été admis dans le canon. Certes, il est remarquable que l'auteur
n'ait pas craint de dire ou de rappeler que David était
l'arrière-petit-fils d'une Moabite, mais de là à voir dans cet écrit
une oeuvre d'opposition à la réforme religieuse du V e siècle, il y a
loin. D'ailleurs, si telle avait été l'intention de l'auteur,
n'aurait-il pas trouvé un argument plus fort et plus direct dans le
mariage de David lui-même? (1Ch 3:2)

Le but du livre de Ruth nous semble se trouver, de façon
suffisamment nette, dans le désir de conserver le souvenir d'un
épisode intéressant la famille du roi David. Il est d'ailleurs
possible que l'auteur ait profité de l'occasion pour suggérer
discrètement que l'intransigeance des réformateurs du retour de
l'exil au sujet du mariage avec des femmes étrangères n'eût pas été
de mise autrefois, en Israël. Pour nous chrétiens, ce livre présente,
outre l'intérêt de tous les mérites signalés ci-dessus, celui de nous
parler de Bethléhem où, de la postérité de Booz, naîtra le petit
enfant dans la crèche. Hri B.