RÉTRIBUTION

1.

Définitions.

Plusieurs termes plus ou moins synonymes expriment cette idée ou des
idées connexes; la nuance particulière à chacun peut être précisée
d'après son étymologie latine: rétribution se rattache à l'idée de
tribut, d'impôt. La rémunération est la reconnaissance d'un bienfait
(de munus-- le présent, le don). La récompense est l'acte de
compensation par lequel on équilibre les deux plateaux de la balance
(pensare =peser, examiner attentivement; compensare =
contrebalancer, mettre en parallèle). Le mérite est ce que l'on gagne
ou acquiert par son travail (mereri =gagner, d'où vient aussi
mercenaire; meritum, ce qu'on mérite).

2.

Dans l'Ancien Testament.

La notion de rétribution joue un rôle de première importance dans la
pensée religieuse de l'A.T. A peine l'homme est-il apparu que la
rétribution fait déjà sentir ses effets comme une manifestation de la
justice divine. D'après les plus anciennes annales d'Israël, Adam et
Eve ayant désobéi à l'ordre que Dieu leur avait donné, «l'Éternel
Dieu fit sortir l'homme du jardin d'Éden, pour cultiver la terre d'où
il l'avait pris» (Ge 3:23 et suivant). Caïn ayant tué son frère,
l'Éternel lui dit: «Tu seras maudit de la terre, qui a ouvert sa
bouche pour recevoir de ta main le sang de ton frère; quand tu
cultiveras la terre, elle ne te rendra plus son fruit...» (Ge
4: et suivant). «Ton péché te trouvera!» (No 32:23). La
rétribution ne s'exerce pas seulement pour le mal, mais également
pour le bien. «La parole de l'Éternel fut adressée à Abraham, dans
une vision, en ces mots: Ne crains point, Abraham, je suis ton
bouclier: ta récompense sera grande» (Ge 15:1). Booz dit à Ru:
«Que l'Éternel te rende ce que tu as fait, et que ta récompense soit
entière de la part de l'Éternel» (Ru 2:12). Quand David, à
En-Guédi, a épargné Saül, celui-ci lui dit: «Quand un homme trouve
son ennemi, le laisse-t-il sain et sauf? Que l'Éternel te rende du
bien pour ce que tu m'as fait aujourd'hui!» (1Sa 24:20). Comp.:
«Restez fermes et ne laissez pas vos mains défaillir, car vos efforts
auront leur récompense» (2Ch 15:7 etc.).

La rétribution apparaît dans toute sa rigueur légaliste dans la
loi du talion (voir ce mot), qui réalisait d'ailleurs un progrès sur
l'arbitraire des représailles: (cf. Ge 4:23 et suivant) «oeil
pour oeil, dent pour dent...» (Ex 21:24,Le 24:19 et suivant,
De 10:21). Toutefois, si ces textes laissent à l'homme le droit
d'exercer lui-même la rétribution, comme dans le code de Hammourapi,
en pratiquant la vengeance, il en est d'autres qui réservent ce
privilège à Dieu seul: «A moi la vengeance, à moi la
rétribution...» (De 32:35).

Les livres didactiques et poétiques font également allusion à la
rétribution: «Le Tout-Puissant rend à l'homme selon ses oeuvres, et
il rétribue chacun selon sa conduite» (Job 34:11); «Grande est
la récompense de ceux qui observent les jugements de
l'Éternel» (Ps 19:12); «On dira: oui, il y a une récompense pour
le juste; oui, il y a un Dieu qui fait justice sur la terre» (Ps
58:11); «Tu rendras à chacun selon ses oeuvres» (Ps 62:12,
94:1 96:13 98:9 137:8, Pr 11:18-31 12:14 14:23 24:12 25:21,Ec
8:13 12:14, Sir 2:8 11:26 12:2 16:12 17:23, etc.). Comme il
ne s'agit que de rétributions terrestres et que l'expérience montrait
ici-bas des coupables heureux et des justes malheureux, on chercha de
bonne heure à expliquer cette carence apparente de la rétribution, en
disant que Dieu punit les fautes des pères sur les enfants et
récompense les enfants pour la justice de leurs ancêtres (cf. Ex
20:5 et suivant, De 5:9 et suivant, comp. Os 4:6).

Dans les livres prophétiques, la notion de rétribution est
affirmée aussi nettement, et le livre d'Amos est tout entier un
réquisitoire annonçant la rétribution (Am 1 Am 6:1-7 7:16,
etc.). «Malheur au méchant, malheur! dit Ésaïe, car il recueillera
l'oeuvre de ses mains» (Esa 2:12 3:11,34:8 35:4); «Je vais faire
venir sur ce peuple le malheur, fruit de sa conduite» (Jer
6:19); «Moi, l'Éternel, j'éprouve le coeur et je sonde les reins; je
rends à chacun le salaire de ses oeuvres, et les fruits que ses
actions ont portés»: (Jer 17:10,21:14 31:29 32:19 50:29 51:5-56)
«L'Éternel apporte avec lui ses récompenses, et il se fait précéder
de son salaire» (Esa 40:10); «Il rétribuera chacun selon ses
oeuvres...» (Esa 59:18); «...Le salaire l'accompagne et la
récompense le précède» (Esa 61:2 62:11).

Dans Ézéchiel il faut consulter Eze 3:17,21, et
particulièrement tout le chap. 18. Après avoir montré les deux
solutions opposées, v. 4: «l'âme qui pèche, c'est celle qui mourra»,
et v. 9: «l'homme qui suit mes préceptes et observe mes commandements
en se conduisant avec droiture, cet homme-là est un juste,
certainement il vivra, dit le Seigneur, l'Éternel», le prophète
montre la possibilité pour le pécheur de son salut par la conversion:
«Rejetez loin de vous toutes les transgressions dont vous vous êtes
rendus coupables. Faites-vous un coeur nouveau et un esprit nouveau,
car pourquoi mourriez-vous, ô maison d'Israël? Je ne prends point
plaisir, en effet, à la mort de celui qui meurt, dit le Seigneur,
l'Éternel; convertissez-vous donc et vivez!» (verset 31 et suivant).
La même pensée est exprimée dans Eze 33:7-20; si la notion
stricte de rétribution se retrouve ici de même que dans les textes
mentionnés des livres précédents («Je vous jugerai chacun selon ses
voies...», Eze 18:30 33:20), il faut cependant remarquer que le
prophète, en laissant entrevoir la possibilité de la conversion,
prépare la voie à l'Évangile. Toutefois ce n'est pas l'idée de la
grâce, nous sommes ici encore au salut par les oeuvres: le salaire du
péché, c'est la mort.

Signalons aussi, dans les autres livres prophétiques:
Os 4:9 5:9 9:7 10:12 Mic 3:4,12,Sop 2:8,11,Zach,1:6,Mal 2:1,9 3:7,Da 9:12:3.

Ce coup d'oeil d'ensemble au travers des livres de l'A.T, nous
montre que l'idée de rétribution est née tout naturellement de la
conception du Dieu juste, Dieu-Juge, des Juifs de l'ancienne
alliance. Un tel Dieu ne traite ses créatures que selon le légalisme
absolu: «Je rendrai à chacun selon ses oeuvres», telle est
l'expression qui résume la doctrine du salut dans l'A.T. Et, le plus
généralement, la rétribution est représentée par l'anthropomorphisme
qui attribue à l'Éternel la «vengeance», c'est-à-dire le châtiment
(cf. entre autres De 32:35,Esa 34:8 35:4, Soph., etc.). Mais
Dieu aime son peuple, et comme le dit le Ps 103: «II est
miséricordieux, lent à la colère et riche en bonté.» Ce qu'il
souhaite, c'est de pouvoir pardonner (Os 11:8 14:4 et suivants,
Jer 31:34,Eze 18:23,32,Mal 3:17 4:2). Ici, il faut signaler les
deux tendances qui se partagent l'A.T.: les pages anciennes,
proprement hébraïques et prophétiques, qui font du pardon une
question d'attitude morale et de grâce, et les pages récentes, plus
spécialement juives, qui font dépendre la faveur divine plutôt du
mérite et des sacrifices. On trouve le contraste dans Mic 6:6 et
suivants
, Esa 1:10 et suivants. Voir Lot dans l'A.T.; Péché, V

Ces nombreux passages de l'A.T., et bien d'autres encore, sont
presque unanimes à limiter les rétributions divines à l'horizon
terrestre. Pour l'apparition graduelle des rémunérations
d'outre-tombe, et l'affirmation de l'immortalité dans la Sagesse de
Salomon, voir Cheol, Eschatologie, Résurrection, etc.

3.

Dans le Nouveau Testament.

Sans soulever ici le vaste problème du salut par les oeuvres et du
salut par la foi (voir ces mots), notons simplement le rôle, dans la
Révélation de Jésus-Christ, des notions de rétribution et de
rémunération (voir aussi Loi dans le N.T.).

(a) Dans les évangiles. Nourri de la pensée
religieuse de l'ancienne alliance, Jésus devait nécessairement faire
une place à la rétribution dans son enseignement. C'est ainsi que dès
le sermon sur la montagne apparaît l'idée d'une récompense
spirituelle à ceux qui auront persévéré malgré la persécution (Mt
5:12,Lu 6:23,Mt 5:19). De même plus tard, quand Pierre dit à Jésus:
«Pour nous, nous avons tout quitté pour te suivre: qu'avons-nous à
attendre?» Jésus déclare que la rétribution de ses fidèles sera la
vie éternelle (Mr 10:28-30 parallèle Mt 19:27,29,Lu
18:28,30). De même encore plus tard, Mt 24:13. D'autre part,
Jésus dit aussi: «Si vous aimez ceux qui vous aiment, quelle
récompense méritez-vous?» (Mt 5:46,Lu 6:35). La récompense ne
doit pas être un mérite que l'on cherche à acquérir; elle est un don
offert à celui qui agit avec désintéressement (Mt 6:1,2,5,6,16,18
7:21-23 10:40,42,Mr 9:41 Matthieu 25:40,Lu 14:8-14 7:40-50). L'ouvrier
mérite son salaire (Lu 10:7, cf. 1Ti 5:18,Jn 4:36). Chacun
recevra la rétribution de ses propres oeuvres (Mt 7:1,Lu 6:38,Mt
16:27). A noter à propos de ce dernier texte que Matthieu est le
seul des trois évangiles synoptiques qui relève ici l'idée de
rétribution. Les deux autres, Marc et Luc, de tendance moins
judaïsante, n'ont pas, en effet, dans les passages parallèles (Mr
8:38,Lu 9:26) l'expression: «il rendra à chacun selon ses oeuvres».
La même remarque s'applique à la conclusion de la parabole du
serviteur impitoyable (Mt 18:35). La rétribution est
proportionnée à la responsabilité personnelle: Mr 12:40
parallèle Lu 20:47.

Plusieurs paraboles touchent aussi la question des rétributions,
temporelles ou spirituelles, individuelles ou collectives: les
ouvriers loués à différentes heures (Mt 20:1-16); les vignerons
(Mt 21:33 parallèle Mr 12:1,12,Lu 20:9-19); la parabole
des noces Mt 22:1-14,Lu 14:16-24) les talents et les
mines (Mt 25:14,30,Lu 19:12,27); le pharisien et le
péager (Lu 18:9-14); le jugement dernier (Mt 25:31-46); le
grand festin (Lu 14:7-14); le riche et Lazare (Lu 16:19-31).

Enfin la demande des fils de Zébédée (Mr 10:35,45 parallèle
Mt 20:20,28,Lu 22:24-30) est pour Jésus l'occasion de montrer
que les rétributions souhaitées ne sauraient être obtenues par la
faveur. En déclarant: «le Fils de l'homme est venu non pour être
servi, mais pour donner sa vie pour la rançon de plusieurs», il
scelle définitivement la nouvelle alliance. L'Évangile du Christ, en
même temps qu'il donne aux disciples la vraie méthode, remplace par
la grâce (voir ce mot) le légalisme strict de l'ancienne alliance.
Voir Jn 3:16 10:10 11:51 15:13.

(b) Dans les épîtres et l'Apocalypse. L'apôtre
Paul accentue cette opposition dans la formule où il oppose au
salaire gagné (opsônia-- solde, paye, gages) la gratification
imméritée, le don gratuit (kharisma): «Le salaire du péché, c'est
la mort; mais le don de Dieu, c'est la vie éternelle, par
Jésus-Christ notre Seigneur» (Ro 6:23). Dans ses épîtres, l'idée
de rédemption est d'ailleurs beaucoup plus fréquente que celle de
rétribution; et même en certains passages elle semble la faire
disparaître (Ro 3:23-2 6 4:1-5 5:11-21 8:28,39). Pourtant
d'autres textes n'excluent pas la pensée d'une rétribution (Ro
1:18 2:4,16 12:19 14:10-13,1Co 3:8-15 4:5 9:10,18 15:19-58,2Co 4:17
5:9,Ga 6:7,10,Eph 6:7 et suivant, 2Ti 2:3-6,11 4:7 et
suivant
). Dans Php 2:5-11, l'élévation du Christ au-dessus de
tout nom apparaît comme la rétribution compensatrice accordée par
Dieu à Jésus-Christ pour son obéissance jusqu'à la mort de la
croix. (cf. Jn 12:32)

L'épître aux Hébreux est le seul livre du N.T. où se trouve le
terme misthapodosia =rémunération (Heb 2:2 10:35 11:26)
et misthapodotès-- rémunérateur (Heb 11:6); presque partout
ailleurs dans le N.T. est employé le mot misthos, qui, suivant le
contexte, se traduit par: salaire, mérite, rétribution ou récompense,
rémunération. D'après l'auteur de l'épître aux Hébreux, Dieu est
considéré comme le rémunérateur (Heb 11:6, cf. Jn 5:27,Ac
10:42). L'épître de Jacques, judéo-chrétienne, attache une grande
importance à la rétribution (Jas 1:25 2 12,25 5:1,6) - La 2e
ép. de Jean y fait allusion (verset 8 et suivant). Enfin
l'Apocalypse présente la couronne de vie, ou la calamité, comme la
rétribution finale (Ap 2 10,23 3:5 11:18 18:4,8), et rejoint la
pensée dominante d'e l'A.T, dans Ap 22:12: «Voici, je viens
bientôt, et la rétribution est avec moi; je rendrai à chacun selon
ses oeuvres.»

BIBLIOGRAPHIE
--DCG, art. Rétribution, Reward.--Jean Laroche, L a rétribution sous l'ancienne
alliance,
1904.--Doyen R. Allier, La notion de mérite et la morale
protestante (Rev. Montp., 1927). Pl B.