RÉCONCILIATION

Tous les lecteurs de la Bible connaissent le beau récit, dans Ge
33, de la réconciliation d'Ésaü et de Jacob lors du retour de Jacob
en Canaan. Mais le mot même de réconciliation ne s'y trouve pas plus
qu'ailleurs, dans tout l'A.T. II n'apparaît que dans le N.T., et, en
dehors de Mt 5:24 où il est question de réconciliation
fraternelle, dans les seuls textes pauliniens. Sauf dans 1Co
7:11, où il s'agit d'une exhortation à la réconciliation entre mari
et femme séparés, partout ailleurs l'idée et le mot s'appliquent aux
rapports de Dieu et de l'homme et mettent en lumière un aspect
particulier de la rédemption.

A vrai dire, toute «alliance» avec Dieu, selon le terme employé
par Moïse et repris par Jésus, implique, l'homme étant pécheur, une
réconciliation préalable. On trouve le terme de réconciliation, pour
caractériser ce nouveau rapport avec Dieu, dans Ro 5:10 11:15,2Co
5:18,20,Eph 2:16,Col 1:20 et suivants. Cette réconciliation,
comment faut-il la comprendre? Faut-il penser que, le péché ayant
créé dans le coeur de l'homme un sentiment d'inimitié à l'égard de
Dieu, et, par contre-coup, un sentiment d'inimitié en Dieu lui-même à
l'égard de l'homme rebelle, la réconciliation suppose tout d'abord un
profond changement dans leurs dispositions réciproques, comme c'est
généralement le cas quand il s'agit de la réconciliation d'un homme
avec un autre? Ou bien faut-il entendre par là que Dieu, restant
éternellement immuable dans son amour infini pour l'homme comme en
tous ses autres attributs, dans la manifestation de toutes ses autres
perfections, ce sont les seules dispositions de l'homme à l'égard de
Dieu qui doivent être changées, auquel cas la réconciliation ne
signifierait pas autre chose, en définitive, qu'un retour de l'homme
à Dieu? Certains interprètes, insistant plus particulièrement sur les
textes de 2Co 5:18 et Col 1:20, se rangent à la
première manière de voir, d'autres à la seconde. Ceux-ci font
remarquer que si, par exemple dans Ro 11:15, il est question de
la «réconciliation du monde (avec Dieu)», on ne trouve nulle part une
expression telle que la «réconciliation de Dieu (avec le monde)». A
l'appui de leur affirmation du caractère immuable des perfections
divines, ils peuvent citer Jas 1:17, où il est parlé du Dieu «en
qui il n'y a aucun changement, pas l'ombre d'une variation». Ils
repoussent l'idée que le Dieu d'amour ait pu éprouver un sentiment de
colère à l'égard de l'homme, sentiment dont on ne trouve aucune trace
chez le père de l'enfant prodigue, tout au contraire, puisque «comme
il était encore loin, son père le vit et fut ému de compassion et,
courant à lui, il se jeta à son cou et l'embrassa» (Lu 15:20).

D'autres commentateurs au contraire estiment que le Dieu «trois
fois saint», «Celui dont les yeux sont trop purs pour voir le mal»,
ne peut pas tenir le pécheur pour innocent et que, par conséquent, il
doit nécessairement y avoir en lui une réelle inimitié à l'égard du
pécheur en tant que tel. Sans doute, l'expression scripturaire: «la
colère de Dieu» (voir art.) est empruntée au langage humain, toujours
imparfait, pour désigner les rapports de Dieu et de l'homme; la
colère de Dieu ne doit pas s'entendre tout à fait dans le même sens
où nous parlons d'une colère humaine. La colère en Dieu ne peut être
qu'une indignation sainte absolument exempte de passion, et qui
n'exclut pas la miséricorde pour le pécheur, mais qui bien plutôt la
suppose: car si Dieu s'irrite contre le mal qui est dans le coeur de
son enfant, c'est encore par amour pour lui, en raison du préjudice
que le péché lui cause ou, si l'on veut, que son enfant, dont Dieu
veut toujours le plus grand bien, se cause à lui-même. C'est dans ce
sens que l'Evangile parle d'une indignation de Jésus (Mr 3:5
10:14). Or les sentiments de Jésus à l'égard de l'homme ne sont que
le reflet des sentiments de Dieu. On peut donc parler à bon droit
d'une «colère de Dieu». (cf. Ro 1:18 5:9 etc.) «Quiconque a une
conscience et croit en Dieu sait bien que lorsqu'il a péché
volontairement, Dieu s'éloigne, se détourne de lui, lui témoigne son
déplaisir et son mécontentement» (Ch. Babut, Et. Bibl, sur la
Rédemption,
p. 120).

Quoi qu'il en soit, c'est Dieu lui-même qui, d'après le N.T., a
pris l'initiative de la réconciliation (Ro 5:10,2Co 5:18-20,Col
1:20,23, cf. Jn 3:16). C'est là la substance même de
l'Évangile, le contenu essentiel de la «bonne nouvelle». De même,
d'après l'ensemble du N.T., le grand moyen de la réconciliation,
c'est le Christ lui-même et son oeuvre, et plus spécialement encore
sa mort sur la croix (Mr 10:45 14:24,Jn 3:14 10:15,Ac 3:26 4:12,Ro
3:21-26 8:3 et suivants, Heb 9:14,1Pi 3:18,1Jn 4:10). Comment
la mort du Christ a-t-elle pu produire un tel résultat? De multiples
explications ont été proposées au cours des siècles pour rendre
compte du grand fait rédempteur. Théories juridiques, morales,
solidaristes...Les unes et les autres se partagent encore les esprits
et peuvent contenir des éléments de vérité, par lesquels elles se
complètent plus qu'elles ne s'excluent. Voici, sommairement énoncée,
celle qui nous paraît le plus satisfaisante:

Pour que la réconciliation puisse s'opérer, il importe évidemment
que disparaisse la cause même de l'inimitié ressentie: le péché. Il
faut donc que l'homme se repente, désavoue son passé de péché et
meure à lui-même, à son moi égoïste et pécheur, pour ne plus
s'attacher désormais qu'à la sainte volonté de Dieu. Mais cela, il
est devenu foncièrement incapable de le faire par ses propres forces.
Il faut donc que quelqu'un d'autre et de plus puissant, s'identifiant
à lui aussi complètement que possible, revêtant son humanité, le
fasse pour lui. Or, c'est justement ce que le Dieu Sauveur a voulu
faire pour nous en Jésus-Christ. Par son incarnation, le Christ est
entré volontairement dans notre condition terrestre, et en lui
l'humanité s'est pour ainsi dire renoncée elle-même. Elle s'est
laisse crucifier en lui, avec lui, pour revivre avec lui d'une vie
toute nouvelle, cette fois en plein accord avec la volonté de Dieu.
Dès lors, l'expiation du péché est faite, la réconciliation avec Dieu
est possible. La nature humaine peut être désormais en paix avec
Dieu. Toutefois, ce que Jésus-Christ, le «second Adam», a accompli en
principe pour l'humanité tout entière, doit se reproduire, grâce à
l'action du Saint-Esprit, dans chaque individu en particulier. Par la
foi, le chrétien s'unit à son Sauveur, reconnaît la valeur et
l'entière efficacité de son oeuvre expiatoire et rédemptrice, et
consent à mourir mystiquement à lui-même pour revivre spirituellement
avec lui et par lui. Telle est, du côté de l'homme, la condition non
seulement du pardon de ses péchés, mais aussi de sa régénération et
de sa sanctification, comme de son espérance pour l'au-delà. L'oeuvre
de rédemption commencée par Dieu en Jésus-Christ se poursuit dans le
monde à travers les générations par la prédication de l'Evangile,
Dieu «ayant mis dans ses serviteurs la parole de la
réconciliation» (2Co 5:18 et suivant).

Remarquons enfin que, d'après un passage d'ailleurs assez
mystérieux de l'épître aux Colossiens (Col 1:19, cf. Eph
1:10), l'oeuvre de réconciliation accomplie par Jésus-Christ paraît
bien avoir une portée décisive non seulement pour l'humanité
terrestre, mais pour l'univers tout entier. Ce texte déclare, en
effet, qu' «il a plu (à Dieu) de réconcilier toutes choses avec
lui-même, tant ce qui est sur la terre que ce qui est dans les cieux».

Voir Expiation, Rédemption. M. M.