PROVIDENCE
Nous distinguerons la Providence de la Prescience, celle-ci
attribuant à Dieu la faculté de prévoir l'avenir, celle-là le pouvoir
de le produire.
I Providence dans l'A.T.
La Providence joue un grand rôle dans l'A.T. Certains textes la
rendent même responsable du mal physique (La 3:33,Am 3:6 et
suivants) ou moral (Jug 9:2 et suivant, 1Sa 16:14 et
suivants). Cependant le but principal de la Providence, c'est la
création et non la destruction (que Dieu n'opère
qu'exceptionnellement, pour châtier ou amender les coupables: Ge
6 Ge 19, etc.).
Dans les textes les plus anciens, c'est le peuple élu en tant que
collectivité oui est l'objet de la Providence (voir surtout les
récits de la sortie d'Egypte et de l'entrée en Palestine); mais les
prophètes élargissent son champ d'action, qui désormais s'étendra
d'une part sur tous les peuples (Mic 6:8,Jer 26:4,6,Mal 1:10),
d'autre part sur les individus (Eze 18,Ps 1 etc.). Quant à
l'idée d'une Providence compensatrice dans l'au-delà, elle n'apparaît
que tardivement (Da 12:1,3. Sag 3:1,7 2Ma 7:9-14, Hén. 51 et
52), mais elle était admise par les pharisiens du temps de Jésus. Par
contre, l'idée du sacrifice volontaire en vue de la réalisation des
plans de Dieu (Esa 53 Esa 54) n'a guère été comprise que par les
chrétiens.
II Providence dans le N.T.
1.
ENSEIGNEMENT DE JESUS D'APRES LES EVANGILES SYNOPTIQUES.
Comme les prophètes et les psalmistes, Jésus croit à la
Toute-Puissance de Dieu (Lu 18:25). Aucun miracle ne lui est
impossible. Il peut susciter du règne minéral des descendants à
Abraham (Mt 3:8 et parallèle); il aurait pu envoyer des légions
d'anges pour faire échec à la puissance romaine (Mt 26:53).
Cependant, ces exemples mêmes démontrent qu'un usage complet de son
omnipotence, qui réduirait au néant le rôle de la créature, ne serait
conforme ni aux vues de sa Providence ni à sa manière d'agir. Il
était en effet dans la volonté de Dieu que les puissances du mal
exécutassent leur dessein de crucifier Jésus; d'autre part Dieu n'a
nullement imposé cette volonté au Messie, lequel au contraire a
librement accepté ce sacrifice (Mr 14:35 et suivant et
parallèle).
D'une manière générale, l'homme est supposé avoir la liberté de
se décider pour Dieu ou pour «Mammon», de se convertir ou de
s'endurcir (Mt 6:24 10:13 etc.). C'est précisément le mauvais
usage de la liberté qui l'empêche de jouir de tous les bienfaits de
Dieu. Car encore que Jésus connaisse une providence générale et
moralement neutre, dont l'homme bénéficie en tant que rattachée à la
nature, et indépendamment de son attitude spirituelle (Mt 5:45),
il n'en est pas moins vrai qu'il annonce à ceux qui ont la foi en
Dieu et qui recherchent avant tout son Royaume, le privilège spécial
d'être délivrés de tous les soucis matériels (voir surtout Mt
6:25-34). Ces promesses doivent cependant être interprétées à la
lumière des textes qui envisagent la vie des disciples sous l'angle
du sacrifice, parfois même du martyre (Mt 5:10,12,Mr 8:34
10:21,38).
De fait, Jésus n'a jamais garanti aux élus une vie de bonheur
terrestre au sens habituel; mais la Providence--à condition qu'ils se
fient à elle--se chargera de pourvoir à leur nécessaire pour leur
permettre de concentrer leurs efforts sur l'accomplissement de leur
mission essentielle: leur travail en vue de la venue du Royaume.
C'est à cette collaboration de l'homme par l'action et par la prière
que Dieu fait appel «afin que sa Volonté soit faite sur la terre
comme au ciel». L'homme qui vivra ainsi avec Dieu reçoit l'assurance
que rien ne lui sera impossible (Mr 10:27 et parallèle, cf.
Ro 8:31,Mt 17:20,Lu 17:6,Mr 16:18). Jésus lui-même a donné une
démonstration de cette puissance par son combat victorieux contre
Satan, qui torture les hommes par les démons et les maladies.
C'est pourquoi le règne du diable malgré les apparences
contraires touche à sa fin (Lu 10:18, cf. Mt 11:4,6 et
parallèle, Mt 12:25-29 et parallèle). Les persécutions
qu'endureront les disciples ne sont que les derniers soubresauts de
sa puissance, que Dieu anéantira définitivement par un bouleversement
cosmique; celui-ci, comme dans les apocalypses juives, est mis en
rapport avec le jugement dernier. Il nous paraît également certain,
encore que ce point soit contesté, que Jésus a fait à quelques
initiés des allusions (peu comprises) sur un lien mystérieux qui
unirait sa propre mort à la venue du Royaume (Mr 4:11 et
parallèle, Mr 8:31 et parallèle, Mr 14:25 et
parallèle).
--Mais c'est surtout dans l'ordre du salut que la conception de
la Providence chez Jésus est la plus originale. C'est pour sauver son
peuple que Dieu a envoyé Moïse et les prophètes (Mt 23:37 et
parallèle, Lu 16:29-31), et qu'il lui offre le pardon par le
Fils de l'homme, posant comme unique condition le repentir sincère.
L'enseignement des paraboles abonde dans ce sens. Jésus a-t-il prévu
une mission en terre païenne?
On peut citer des textes pour et contre cette supposition. Ce qui
nous paraît sûr, c'est que l'idée d'une conversion finale au moins
partielle des «peuples», déjà annoncée par certains prophètes, est
absolument dans la ligne de sa conception de Dieu, qui n'a rien de
particulariste.
2.
LITTERATURE JOHANNIQUE ET EPITRE AUX HEBREUX
L'étroitesse des rapports entre Dieu et le monde semble un peu
relâchée dans l'évangile de Jean (et dans l'épître aux Héb.). C'est par
l'intermédiaire du Logos (du Fils) que Dieu crée et gouverne le monde
(voir Prologue de Jean et Heb 1:3); c'est lui qui, en quelque
sorte, personnifie la Providence; c'est lui aussi qui, après sa mort,
est chargé d'attirer «tous» (c-à-d, tous les croyants) à lui (Jn
12:32). C'est cependant Dieu qui reste l'auteur des plans
providentiels (Jn 3:16) et jamais le Fils n'oublie de souligner
combien toute son activité est subordonnée à la volonté du
Père (Jn 4:34 7:16 etc.). Celle-ci désire la rédemption du
monde entier (Jn 3:16). Cependant le monde a rejeté le
Messie (Jn 1:11 8:42,47 etc.) et persécuté ses disciples; mais
que ceux-ci soient sans crainte: le Christ est plus fort que le
monde, il l'a même déjà vaincu (Jn 14:1 16:33, cf. 1Jn 5:4
et suivant). C'est également la certitude de la victoire finale de
«l'Agneau» sur les puissances néfastes déchaînées contre les Églises,
ainsi que de la récompense glorieuse des fidèles, qui forme le nerf
religieux de l'Apocalypse de Jean (Ap 2:10 17:14 etc.).
3.
EPITRES DE PAUL.
Mais c'est surtout l'apôtre Paul qui, dans sa théologie, a accordé
une large place à l'idée de la Providence divine dans l'ordre
sotériologique. Ce n'est pas qu'il ignore la Providence matérielle se
manifestant dans la nature comme dans l'histoire (Ro 1:20 et
suivant, Ac 14:15,18,Ro 13:1,7), ni le rôle du Christ dans la
création des mondes visibles et invisibles (Col 1:15,18,1Co
8:6). Mais c'est sur l'oeuvre de la Rédemption accomplie par Jésus
que se concentre son attention. Dès les plus anciens temps et par
divers moyens, Dieu a préparé la venue du Messie (Ro 4,Ga 3). Un
grand nombre de textes de l'A.T, contiennent, selon saint Paul, des
allusions plus ou moins cachées à la rédemption des hommes
«spirituellement circoncis»; parfois les événements eux-mêmes
réalisent comme de mystérieuses apparitions anticipées de Christ
(Ro 3 et Ro 4,9-11,15,Ga 3 et 4,1Co 10:1-7). Mais le
sens spirituel des textes n'est compris que par ceux qui ont la
«connaissance chrétienne». En tout cas la place centrale occupée dans
le grand drame providentiel par la mort et la résurrection du Christ
est un mystère révélé aux seuls chrétiens comme une doctrine
ésotérique, et restée cachée aux «princes de ce monde» (les
archontes et les stoïkheïa, c-à-d, les puissances astrales
soumises au «Dieu de ce monde»); ce sont eux qui ont crucifié Jésus,
mais sans se rendre compte de la portée de leur action (1Co
2:6,9,Col 2:15, cf. 2Co 4:4,Ga 4:3,11). Leur responsabilité
reste donc entière, et cependant ils ont servi les desseins
mystérieux de la Providence divine arrêtés dès avant la
création (1Co 2:9,Col 1:26). En effet, la croix a été voulue par
Dieu pour soustraire les «élus» à la perdition vers laquelle se
précipite le monde à cause du péché qui est le principe de sa vie et
le germe de sa mort.
--Mais l'expérience missionnaire de l'apôtre posait des problèmes
d'ordre plus pratique: la venue du Seigneur étant proche, comment
pouvait-on avoir la certitude que les âmes intérieurement préparées à
recevoir l'Évangile et disséminées dans le monde entier seraient
appelées à temps par une prédication effective et efficace, et
résisteraient, une fois converties, à toutes les épreuves? C'est à
cette double question que répond une doctrine qu'on aurait tort
d'envisager d'un point de vue purement théorique: celle de la
prédestination. Ceux qui sont disposés à se convertir y sont préparés
par la Providence. C'est Elle qui les a choisis, c'est Elle qui les
appelle, de sorte que rien ne saurait les séparer de l'amour de Dieu
ni les priver de la gloire future (Ro 8:28,39).
D'autre part, l'endurcissement des Juifs, qui cependant
semblaient élus par la Providence, posait d'autres questions
troublantes; Paul en esquisse différentes solutions (voir d'une part
Ro 11, surtout v. 25 et suivant; d'autre part Ga
3:7,22). Il faut retenir que ce n'est pas seulement sur le monde
humain que s'étend l'oeuvre de la rédemption. Toute la création
soupire après la délivrance de la servitude de la corruption (Ro
8:19,23). C'est pourquoi, et malgré l'opposition marquée entre le
monde actuel et le monde futur, ce dernier comportera une certaine
corporéité, faite à l'image du corps du Ressuscité, qui n'est autre
que le second Adam (1Co 15); mais ce n'est qu'après
l'extermination par le Christ des puissances mauvaises, et notamment
de la mort, que pourra se réaliser cette réintégration du monde, qui
est le but suprême de la Providence.
4.
AUTRES EPITRES.
Quant aux épîtres 1Pi et Jacq., elles nous ramènent de ces
spéculations sur le terrain pratique. Elles recommandent aux fidèles
de se défaire et de leurs soucis, et de leur confiance en eux-mêmes,
en se soumettant et se confiant en Dieu (1Pi 5:6 et suivant,
Jas 4:13,16). C'est surtout en vue des persécutions qu'elles
veulent fortifier la confiance en la Providence divine, qui désire
éprouver leur foi et éduquer leur caractère, mais qui leur donnera
aussi la force de résister à la tentation (1Pi 4:12,19,Jas
1:2,18, cf. Heb 12:5-11). Même le grand nombre d'hérésies qui
menacent les Églises, et dont se préoccupent surtout les épîtres
pastorales ainsi que 2Pi et Jude, sont autant d'épreuves pour le
jugement et la persévérance des vrais chrétiens; elles sont prévues
par Dieu et prédites par les Écritures ainsi que par Jésus (2Pi
2,Jude 1:17,23,1Ti 4:1 et suivant, 2Ti 3:1 et suivant, cf.
1Co 11:19,Mr 13:21-23 et parallèle). De toute manière--et cette
pensée commune au christianisme primitif a été formulée d'une manière
classique par Paul (Ro 8:18) --, les joies spirituelles du monde
à venir seront incomparablement supérieures aux misères d'ici-bas. Jn
H.
Voir Prédestination, Repentir, Rétribution.