PROPHÈTE 7.

VII La prophétie messianique,

«Pour une part le yahvisme a préparé la ruine des petits États où
Yahvé était adoré; on peut faire valoir à sa décharge que ces petits
royaumes ne pouvaient manquer de périr, comme leurs voisins de Damas,
de Hamath et de Sidon, et que les prophètes ont assuré la perpétuité
d'Israël par sa religion» (Loisy, Relig. Isr., p. 147). Voilà qui
est fort justement observé. Mais le fait de cette perpétuité unique
ne peut être expliqué par la critique rationaliste dont Loisy est le
champion français le plus autorisé. Il faut en chercher l'explication
dans les textes eux-mêmes.

Un trait caractéristique de la littérature prophétique depuis le
IX e et suivant. jusqu'à l'ère nouvelle inaugurée par le Messie,
c'est que, de façon constante, lorsqu'elle a raconté une déception,
une catastrophe, elle annonce une bénédiction, un relèvement. La
fatalité, chez elle, ne joue aucun rôle, non plus que les hasards
parmi lesquels les autres peuples accomplissent leur destin. Comme
ces prophéties messianiques, marquant chez les tribus de Jacob la
ferme assurance que Dieu poursuit par elles un plan qui se développe,
aboutissent à la vie de Jésus, qui fut, dans la réalité des faits, la
plus grande infortune humaine suivie de la plus grande bénédiction
dont ait bénéficié l'humanité, on ne saurait les considérer comme un
genre littéraire ni comme une forme de l'illuminisme. Elles nous
mettent en présence d'un phénomène à la fois historique et
psychologique qui demande à être étudié en lui-même. Il est vrai que
la critique la plus en vogue aujourd'hui s'applique à réduire leur
importance et propose pour chacune d'elles une explication qui
s'efforce de les accommoder l'une après l'autre et séparément au
cadre naturel des événements. Mais l'ingéniosité, dans plus d'un cas,
l'emporte sur la vraisemblance, et l'on ne voit pas ce que la science
gagne à cette dislocation. Que l'on aborde l'étude critique d'une
page de la Bible avec l'a priori de la libre intervention de Dieu
dans l'histoire ou avec l'a priori du déterminisme historique, c'est
toujours l'a priori. Les découvertes de la science humaine ne peuvent
nous dire si Dieu est absent de l'histoire ou s'il y est présent. Dès
lors, la meilleure explication dans le domaine biblique comme dans
tous les autres, sera celle qui répond au plus grand nombre de
questions posées et qui rend le mieux compte de l'évolution
historique dans l'harmonie de son développement. Or, s'il est une
chose évidente, c'est que la marche de l'histoire biblique est
dominée par le fait spirituel. Partout il y est invoqué; à mesure que
les temps progressent, il s'y précise; dans la personne de Jésus il
se personnalise; dans l'histoire des chrétiens authentiques, il porte
ses conséquences. Essayez d'imaginer ce que serait le monde si ces
chrétiens-là depuis deux mille ans n'avaient pas existé, et vous
serez épouvanté du vide que vous aurez creusé dans l'histoire du
progrès humain. Nous sommes donc bien ici sur le terrain des réalités
expérimentales avec ses matérialités historiques, avec le jeu des
forces qui mènent le monde au sein d'une société déterminée. Les
savants qui, pour expliquer cette société, s'interdisent de prendre
en considération le fait spirituel, de faire entrer en part l'action
de l'esprit, contredisent le témoignage constant des textes et
faussent le caractère du développement religieux qui, d'un prophète à
l'autre, prépare Israël à la mission du Messie. Quand le Christ
paraît, ils se trouvent devant une énigme et se montrent dans
l'incapacité de rendre justice au phénomène de la Pentecôte. Voilà
pourquoi nous estimons que la manière de voir traditionnelle quant à
la prophétie messianique, qui ne bride en rien notre indépendance
dans la recherche historique ou philologique, n'est pas seulement
l'attitude la plus respectueuse de l'expérience spirituelle des
chrétiens--un fait d'histoire elle aussi--, mais qu'elle est
pareillement l'attitude la plus scientifique pour pénétrer le sens de
toute la série des textes que nous avons à examiner.

Si l'on voulait définir d'un mot la prophétie messianique à
laquelle ces textes appartiennent, on pourrait dire qu'elle marque le
point culminant de l'inspiration prophétique; le point où, dépassant
l'horizon terrestre limité par le passé et le présent, la vision du
prophète aborde les étapes du plan divin encore masquées aux regards
bornés des humains. Par elle, le prophète, échappant aux entraves
qu'imposent à son génie les contingences de l'histoire, affirme
qu'au-dessus de l'histoire, Dieu règne, poursuit un dessein et
atteindra son but pour le salut de ceux qui auront mis en lui leur
confiance. La prophétie messianique de l'A.T. est ce qui, par
excellence, différencie la religion biblique des religions
naturelles. Le second Ésaïe le rappelle quand il dit: «Les dieux des
païens ne méritent pas le nom de dieux, ils ne savent pas annoncer
l'avenir» (Esa 41:21,28 42:6). J. Darmesteter, transporté
d'admiration pour l'Histoire d'Israël de Renan, écrivait en 1892:
A la conception biblique, «elle substitue l'histoire, non moins
merveilleuse, d'une révélation progressive sortie du coeur de
l'homme, sortie des méditations ardentes de quelques voyants,
lentement couvée, transformée, agrandie à la taille de l'humanité; et
Israël, au lieu d'être l'élu de Dieu, a fait Dieu même à la sueur de
son front.» Darmesteter était un Israélite. Quant à l' Histoire
de Renan, elle date aujourd'hui. Sous le ciel de la critique
biblique, aussi, les morts vont vite. D'autant plus vite qu'ils
attribuent avec plus de complaisance au seul génie d'Israël des
pensées qui ne sont montées au coeur d'aucun autre peuple. La
prophétie messianique, avec son fondement: la justice, et son
couronnement: le salut, est au premier chef une de ces pensées-là.
Ceux qui s'imaginent l'expliquer sans en chercher la raison dans la
venue du Christ au temps d'Auguste, font ce que ferait un physicien
qui chercherait à expliquer l'embrasement des nuages à l'aurore sans
le rattacher à l'astre invisible qui monte lentement vers l'horizon.

La philosophie contemporaine, en découvrant à nouveau le monde de
l'esprit et son influence sur tous les domaines de la vie, a consommé
la défaite du matérialisme et démontré l'impuissance du rationalisme
pour expliquer l'histoire humaine. Du même coup, le Dieu qui est
Esprit a été rétabli dans les moyens d'action que l'orgueil d'un
savoir trop borné lui avait déniés. Désormais, ce n'est plus aux
croyants à justifier leur foi en l'intervention de Dieu dans les
affaires d'Israël, mais à leurs adversaires de nous dire de quel
droit ils tiennent cette intervention pour impossible. Les mots
inspiration, révélation, évolution dirigée, sont bien plus proches de
notre génération que de la précédente. Pourquoi?

-Parce que la science, qui avait orienté la pensée vers le
déterminisme purement mécanique, se voit contrainte, par ses
découvertes, de la replacer devant le mystère du dynamisme vital dont
le problème reste entier et maintient toute sa souveraineté à
l'action directrice de l'Esprit. Qu'il s'agisse du domaine
physiologique ou du domaine psychologique, la constatation ici est la
même. Parmi les manifestations de cette action directrice, il n'en
est pas de plus originale et de plus frappante que l'illumination
accordée à Israël dans la prophétie messianique.

On dit volontiers que la prophétie messianique fait son
apparition au VIII e siècle et qu'elle date d'Ésaïe. Il est certain
que le fils d'Amots la représente avec éclat, mais il n'en est point
le père. Nous ne trouvons en lui que le développement des principes
renfermés dans les traditions hébraïques que, cent ans avant Esaïe,
l'historien jéhoviste a rassemblées dans son livre. Là naît
l'espérance que la prophétie messianique va préciser de siècle en
siècle.

Notre historien place aux origines, dans le cadre du récit de la
Chute--par laquelle il nous explique comment l'injustice est entrée
dans l'humanité avec l'ingratitude de la créature à l'égard du
Créateur

-cette déclaration de Dieu au séducteur du premier couple humain:

Je mettrai inimitié entre toi et la femme, entre ta postérité et
sa postérité; celle-ci t'atteindra à la tête, et toi tu l'atteindras
au talon (Ge 3:15).

Pour le Jéhoviste, au fait de la Chute a répondu aussitôt
l'annonce de la délivrance. L'homme a failli, mais non de son
initiative. Il est perdu, mais non irréparablement. Il engagera la
lutte avec la personnalité rebelle qui l'a asservi. Il souffrira,
mais le suggesteur mauvais sera vaincu. La victoire voulue de Dieu et
annoncée par lui s'accomplira au sein de l'humanité.

Le récit du déluge ne renferme pas de parole directement
prophétique, mais il est lui-même tout imprégné de l'esprit
messianique. Comparez-le aux traditions suméro-babyloniennes d'où il
est sorti. Là, tout est caprice, arbitraire, rivalité entre les
dieux, crainte, rancune, colère. Ici, un Dieu juste. La justice
donnée comme principe à la philosophie de l'histoire. L'homme juste
possède en lui une puissance de vie indestructible. C'est
l'obéissance d'un juste qui sauve l'humanité et toute la création
terrestre. Cette délivrance de Noé n'est-elle pas une prophétie?
Cette arche qui flotte au-dessus de toutes les catastrophes et qui
triomphe de toutes les puissances de l'abîme annonce-t-elle seulement
la pérennité de la religion d'Israël alors que les autres cultes
auxquels elle a fait des emprunts auront disparu? (Bertholet).
L'allusion de Jésus aux «jours de Noé» dans son discours sur la fin
du monde (Mt 24:38 et suivants), la comparaison établie par
saint Pierre entre l'arche «dans laquelle huit personnes furent
sauvées à travers l'eau» et «le baptême qui maintenant vous
sauve» (1Pi 3:20 et suivants), la déclaration explicite de
l'auteur de l'épître aux Hébreux: «C'est par la foi que Noé, divinement
averti..., bâtit l'arche pour sauver sa famille, par elle condamna le
monde et devint héritier de la justice qui s'obtient par la foi»
(Heb 11:7, cf. Sir 44:17 et suivant), ne
justifient-elles pas les Pères qui, dans leur typologie, virent
préfigurée en l'action de Noé l'oeuvre salvatrice du Juste qui devait
un jour sauver les croyants dans la barque de son Église? Fluctuât
nec mergitur.
Comment cette prophétie est entrée en Israël et ce
qu'en comprirent les Hébreux d'alors, nous l'ignorons. Mais n'est-il
pas impressionnant de trouver dans les antiques traditions d'Israël,
placée au seuil de l'histoire, une direction si haute et si sûre
qu'en aucun siècle la théologie de l'Esprit ne devait dévier de la
ligne qu'elle lui avait donnée?

Ce sauvetage, quelle race en devait assurer l'initiative?

Dieu dit à Abraham: Quitte ton pays, ta parenté et la maison de
ton père, et va dans le pays que je t'indiquerai. Je ferai de toi une
grande nation. Je te bénirai. Je rendrai ton nom grand: deviens
bénédiction. Je bénirai ceux qui te béniront et je maudirai ceux qui
te maudiront. Toutes les familles de la terre seront bénies en
toi (Ge 12:1,3).

Malgré ce qu'en disent quelques traducteurs modernes qui écartent
la prédiction messianique en traduisant: «Toutes les tribus de la
terre se souhaiteront ton bonheur» (Reuss), «se souhaiteront l'une à
l'autre d'être bénies comme toi» (Bbl. Cent.), nous ne croyons pas
nécessaire de recourir à ces périphrases, estimant que l'hébreu
bekâ peut fort légitimement être rendu par «en toi» (ou «à cause
de toi», Ge 28:14), comme le font d'ailleurs les LXX: en
soï,
et la Vulgate: in te. Quelle que soit, d'ailleurs, la
traduction adoptée, le fait demeure: la bénédiction accordée à
Abraham sera souhaitée par tous les peuples de la terre. C'est assez
dire qu'elle ne concerne ni une race, ni un temps, mais qu'elle
exauce le voeu de toute l'humanité. «Abraham eut confiance en
Jéhovah, qui le lui compta comme justice» (Ge 15:6). Parole
symptomatique, par où l'on voit que ce qui rend un homme juste et ce
qui lui assure la bénédiction divine, ce n'est pas le mérite de ses
actes, mais la confiance qu'il témoigne à Dieu. La révélation
contenue dans cette parole de l'Écrit prophétique (source E) a été
mise en valeur par saint Paul, qui fonde sur elle sa doctrine de la
justification par la foi (Ro 4:13,25).

Dans quelle tribu, fille d'Abraham, doit naître celui qui
exaucera le voeu de toute l'humanité? Négligeant le droit d'aînesse
pourtant mis en honneur par les chronologies hébraïques, la prophétie
messianique (dans un texte de J) désigne le troisième fils de Jacob:

Juda, tu recevras l'hommage de tes frères...Le sceptre
n'échappera pas à Juda ni le bâton de commandement d'entre ses pieds,
jusqu'à la venue du pacificateur et jusqu'à ce que les peuples lui
obéissent...(Ge 49:8-10)

Le mot le plus important est ici le plus obscur. On peut le lire
de façons différentes: sellô, celui à qui [le sceptre
appartient]; sâlèv, le pacificateur;
môselô, son dominateur; se'ïlô, son désiré. Quelle que soit la leçon que l'on adopte, il
s'agit toujours d'un personnage auquel est destinée la souveraineté
universelle. L'allusion messianique est ici évidente.

Et dans la tribu de Juda, quelle sera la famille à laquelle
reviendra l'honneur de donner au monde le Roi-Messie? 2Sa 7 nous
apprend que Jéhovah donnera à un descendant de David le Judaïte un
trône stable pour l'éternité. David, dont on connaît les fautes et
les repentirs, devait, par son génie et par sa foi, léguer à
l'humanité la double expression de la religion universelle:
l'expression historique, Jérusalem; l'expression morale, le Psautier.
Il aurait voulu bâtir à Jéhovah une maison matérielle. Jéhovah avait
refusé (2Sa 7:6 et suivant). Mais il avait en retour promis à
son serviteur de lui bâtir une maison vivante, une dynastie
éternelle (2Sa 7:12,16,27). David, à la fin de sa vie
glorieuse et tourmentée, rappelle la promesse de Jéhovah:



Un juste dominant sur les hommes,

Dominant dans la crainte de Dieu,

Est semblable à la splendeur du matin

Quand le soleil se lève sans nuages.

Comme le soleil après la pluie

Fait germer de terre la verdure,

N'en est-il pas ainsi de ma maison,

Puisqu'il a fait avec mot

Une alliance éternelle,

Bien réglée de tous points,

Et bien gardée?

Oui, il fera éclore le germe de tout mon salut

Et tout son (ou mon) bon plaisir (2Sa 23:1 et suivant).



La teneur messianique de cet ancien oracle est en ces trois
expressions: un juste qui règne, une alliance éternelle, un germe de
salut. Ces trois expressions s'uniront dans la suite des textes
prophétiques pour constituer la figure du Messie, germe juste,
descendant de David, ange de l'alliance que les hommes désirent et
qui sera inscrite dans les coeurs. (cf. Esa 4:2,Jer 23:5 3
33:15,Mal 3:1,Jer 31:33) Deux petits psaumes, le Ps 2,
attribué à David (Ac 4:25), et le Ps 110, qui porte la
suscription: de David (le terme hébreu ledavid ne signifie pas
«composé par David», mais «appartenant au recueil qui porte son
nom»), reprennent la question de ce «fils» auquel Dieu avait promis
le règne éternel. Ils expriment les sentiments des temps qui
suivirent le règne du grand monarque, temps où la royauté avait
attiré sur le peuple élu les humiliations politiques et les guerres
malheureuses. On y voit l'espérance jéhovique dévier vers les rêves
de revanche et de gloire.



Pourquoi ce tumulte des peuples,

Ces vains complots des nations

Contre Jéhovah et contre son Messie?

Je redirai le décret de Jéhovah:

Il m'a dit: Tu es mon fils,

Je t'ai engendré aujourd'hui.

Demande, et je te donnerai

Les nations pour héritage,

Et pour domaine les extrémités de la terre...(Ps 2)



Jéhovah a dit à mon seigneur: Assieds-toi à ma droite Jusqu'à ce
que j'aie fait de tes ennemis L'escabeau de tes pieds...

(Ps 110:1, cf. Mt 22:41-46,Heb 1:13,1Co 15:25).

Les prophètes du VIII e siècle allaient opérer le redressement
nécessaire. Nous avons vu, au parag. V, la vigueur de ce
redressement. Amos n'a pas plus tôt dénoncé à Israël son péché et
prophétisé la catastrophe qu' Osée annonce le relèvement, mais à une
condition: le repentir et le retour à la fidélité jéhovique:

Après cela, les enfants d'Israël reviendront; ils chercheront
l'Éternel leur Dieu et David leur roi (Os 3:5).

Cette allusion à David, faite par un prophète du royaume du Nord
parlant à un peuple qui servait une dynastie rivale, montre combien
l'espérance messianique tenait à l'âme de tous les fervents
jéhovistes, de Samarie ou de Jérusalem.

Le Deutéronome qui, dans sa teneur actuelle, est né du ministère
d'Ésaïe (voir ci-dessus, p. 475) met dans la bouche de Moïse une
déclaration que nous avons d'autant moins de raisons d'enlever au
législateur des Hébreux qu'elle ne se comprendrait plus guère dans
les temps postérieurs où le prophétisme avait eu déjà de nombreux
représentants:

Jéhovah, ton Dieu, suscitera du milieu de toi, d'entre tes
frères, un prophète comme moi: vous l'écouterez...(De 18:15,16,19).

Ce n'est pas en la personne de Josué, ce n'est pas au temps des
Juges qu'il faut chercher ce successeur qui devait être «comme
Moïse», c'est-à-dire révélateur, pétrisseur d'âmes, fondateur
d'alliance. Jésus s'est reconnu lui-même dans ce prophète (Jn
5:46). L'identification de ce prophète avec le Christ a été faite
par Pierre et par Etienne, dans deux discours fort différents
d'esprit (Ac 3:22,23 7:37).

Esaïe connaissait certainement l'ensemble des textes que nous
venons de citer quand il fixa définitivement la prophétie messianique
dans le type d'Emmanuel, Dieu avec nous. Les textes relatifs à
cet oracle capital sont répartis dans les chap. 7 à 12, chapitres
dont les critiques ont souvent fait ressortir l'incohérence. Les
hypothèses contradictoires qui ont été émises au sujet d'Emmanuel et
qui se réfutent les unes les autres nous ont amené à penser qu'une
confusion s'était glissée dans ces discours messianiques, confusion
toute pareille à celle que l'on constate dans le discours
eschatologique de Jésus (Mt 24). Les disciples de Jésus qui ont
rédigé ce discours y ont mélangé deux sujets: la ruine de Jérusalem
et la fin des temps. De même les disciples d'Ésaïe ont mélangé ici
deux sujets: la ruine de Samarie et de Damas avec, pour signe, les
enfants d'Ésaïe, et le règne messianique avec, pour signe, Emmanuel.
La première série des textes mélangés a pour objets les événements
historiques contemporains. Achaz, au lieu de se confier en Jéhovah,
veut appeler l'Assyrien pour le délivrer de la menace des coalisés de
Syrie et d'Israël. Ésaïe lui est envoyé avec son fils aîné
Séar-Jasub (Esa 7:3), et lui dit de la part de Jéhovah: Prends
garde, demeure tranquille...;(Esa 7:4,9) avant que Séar-Jasub
ait l'âge légal (=12 ans) de discerner entre le mal et le bien
(Esa 7:15 et suivant, se rattache à Esa 7:3,9), avant que
le nouveau-né (Maher-Salal-Has-Baz) sache dire papa et
maman (Esa 8:3 et suivant), les pays des coalisés, Damas et
Samarie, seront dévastés (Esa 8:1,4, continue Esa 7:16).
Ainsi Ésaïe et ses fils sont «des signes et des présages en Israël de
la part de Jéhovah» (Esa 8:17 et suivant). Voir Séar-Jasub.

La deuxième série des textes a pour objet les temps à venir.
Ésaïe a été envoyé de nouveau vers Achaz pour lui proposer un signe
par lequel Jéhovah lui confirmera sa protection toute-puissante.
Achaz refuse (Esa 7:10,12). Il préfère s'adresser à
Tiglath-Piléser et il achète sa protection par de l'or pris dans le
temple et dans les trésors de la maison du roi (2Ro 16:7,9).
Alors Ésaïe annonce au monarque infidèle que Jéhovah enverra le signe
tout de même: un libérateur, Emmanuel =Dieu avec nous (Esa
7:14).

L'enfant qui va être appelé à jouer ce rôle naîtra non de la
femme d'Ésaïe ni de l'épouse du roi, mais d'une alemâh. Le terme
alemâh n'est employé que huit fois dans l'A.T. Dans Ge
24:43, il désigne Rébecca avant ses fiançailles avec Isaac. Dans
Ex 2:8, Marie, la soeur de Moïse. Dans Ps 68:26. les jeunes
filles de la fête du Temple. Dans Ca 1:3 6:8, les jeunes filles
servantes ou choristes du harem royal, expressément distinguées des
concubines. Enfin, dans Pr 30:19, alemâh est employé à
propos de l'acte qui fait d'une jeune fille une femme (LXX, hodous
andros en néotêti;
Vulgate, viam viri in adolescentia). Dans
aucun cas il n'est question d'une femme mariée. C'est donc à juste
titre que la tradition a vu dans la façon dont la naissance
d'Emmanuel est présentée par Ésaïe une allusion manifeste à
l'intervention de la puissance divine. Le fait qu'il existe un autre
mot, bethoûla (gr. parthénos), pour exprimer l'idée de
virginité, ne change rien à la chose. Cet enfant, qui n'aura pas la
destinée des autres enfants, n'est pas venu au monde dans les
conditions ordinaires: de toute façon, il vient de Dieu.

Les LXX traduisent Esa 7:14:

Le Seigneur lui-même donnera un signe. Voici: la vierge
(parthénos) deviendra enceinte, elle enfantera un fils, et tu
l'appelleras Emmanuel.

Portant son regard au delà des circonstances présentes, Ésaïe
annonce que l'Assyrien, une fois introduit dans les affaires de
Palestine, ruinera Juda après Samarie (Esa 7:17,25). Pour punir le peuple
rebelle qui a ce méprisé les eaux de Siloé» (=la sollicitude divine,
(Esa 8:6), Jéhovah «fera monter le roi d'Assyrie».



Il remplira l'étendue de ton pays, ô Emmanuel! (Esa 8:8).

Mais que les nations ne s'imaginent pas triompher pour toujours
du peuple de Dieu;

Grondez, peuples: vous serez brisés!

Ecoutez bien, régions lointaines...

Ceignez vos armes: vous serez brisées!

Tramez des complots, ils seront déjoués!

Formez des projets, ils seront anéantis...

Car: Emmanuel [=Dieu est avec nous]! (Esa 8:10)



Luther traduit Denn hier ist Immanuel, car ici est Emmanuel.
En effet:



Les ténèbres ne régneront pas toujours...

Le peuple qui marchait dans l'obscurité

Voit une grande lueur...

C'est qu'un enfant nous est né,

Un fils nous a été donné;

La souveraineté repose sur son épaule,

On l'appellera Conseiller admirable, Héros divin,

Père éternel, Prince de la paix.

Etendre l'empire, assurer une paix sans fin

Au trône de David et à sa royauté;

L'établir et l'affermir par le droit et par la justice,

Dès maintenant, et à toujours:

Voilà ce qu'il fera...(Esa 9:1-7)



Après le châtiment de l'Assyrien (Esa 10:5 et suivants), le
«reste d'Israël)) se repentira, reviendra à Jéhovah (Esa 10:21).
Alors viendra le règne de l'enfant divin:



Un rameau sortira du tronc d'Isaï,

Un rejeton naîtra de ses racines.

L'esprit de Jéhovah reposera sur lui,

Esprit de sagesse et d'intelligence,

Esprit de conseil et de force,

Esprit de connaissance et de crainte de Jéhovah.,.

Il ne jugera pas selon l'apparence,

II ne prononcera pas sur un ouï-dire.

Mais il jugera les pauvres avec équité...

La justice sera la ceinture de ses flancs...(Esa 11:1,5)



Tous ces traits, rappelant les visions messianiques des siècles
précédents: fils de David, germe salvateur, roi établissant la
justice, dépeignent un Messie qui déborde infiniment les cadres de
l'histoire et qui viendra établir le Royaume de Dieu sur la terre.

Par lui, suivant l'antique prophétie, le serpent sera
mortellement atteint à la tête, et toutes les conséquences de la
chute seront remplacées par une ère de paix.



Le loup habitera avec l'agneau,

La panthère se couchera avec le chevreau;

Le veau, le lion et le bétail...seront ensemble,

Et un petit enfant les conduira.

La vache et l'ourse auront même pâturage...

Il ne se fera ni tort ni dommage

Sur toute ma montagne sainte...

Car la terre sera remplie

De la connaissance de Jéhovah,

Comme le fond de la mer

Est couvert par les eaux.

En ce jour-là, le rejeton d'Isaï

Sera comme un étendard pour tous les peuples;

Les nations se tourneront vers lui,

Et la gloire sera sa demeure (Esa 11:6,9).



La prophétie d'Emmanuel se termine par un magnificat où les
jéhovistes exaltent leur reconnaissance:



Louez l'Éternel, invoquez son nom,

Publiez ses oeuvres parmi les peuples!

Célébrez Jéhovah,

Car il a fait des choses magnifiques:

Qu'elles soient connues par toute la terre!

Pousse des cris, éclate de joie,

Habitante de Sion!

Car il est grand au milieu de toi,

Le Saint d'Israël! (Esa 12:4-6)



Ce «il est grand au milieu de toi» achève la prophétie d'Emmanuel
dans une expression qui est la réplique de «Dieu avec nous».

Par cette vision d'ensemble qui lui assure la première place
parmi les prophètes messianiques, Ésaïe oppose au davidique infidèle:
Achaz, le davidique fidèle: Emmanuel, qui viendra par l'intervention
miraculeuse de Jéhovah pour consoler le peuple élu de ses déboires,
délivrera le reste demeuré fidèle et réalisera en sa faveur, et par
là en faveur de l'humanité tout entière et de toute la création, les
promesses faites à David.

Michée, l'émule d'Ésaïe, se meut dans les mêmes pensées (Mic 5).
Il précise le lieu où le Messie devra naître.



Et toi, Bethléhem Ephratha,

Petite entre les milliers de Juda,

De toi sortira pour moi

Celui qui dominera sur Israël

Et dont l'origine remonte aux temps anciens,

Aux jours de l'éternité (Mic 5:1).



On voit que, pour Michée comme pour Ésaïe, le Messie, tout en
étant fils de David, domine les contingences temporelles.

Voici maintenant Jérémie, le prophète de l'alliance nouvelle;



Voici, les jours viennent, dît Jéhovah,

Où je susciterai à David

Un germe juste.

Il régnera, il prospérera;

Sous son règne, Juda sera sauvé...

On l'appellera: «Jéhovah notre justice» (Jer 33:15).



Ézéchiel compare le peuple de Dieu au troupeau du Messie qu'il
dépeint sous les traits du bon Berger:



Je porterai secours à mes brebis...

J'établirai sur elles un seul berger

Qui les fera paître:

Mon serviteur David...

Moi, Jéhovah, je serai leur Dieu,

Je ferai avec elles une alliance de paix (Eze 34:20 22-25).



Le livre d'Abdias n'est fait que d'une page, incertaine de date et
peut-être inspirée par un prophète antérieur, que cite aussi
Jérémie (Jer 49:15). Mais une chose est claire, c'est l'oracle
messianique, que Joël reproduira et commentera: (cf. Joe 2:31)



Le jour de Jéhovah est proche,

Le salut sera sur la montagne de Sion,

Elle sera sainte...

Et la royauté appartiendra à Jéhovah (Ab 1:15).



C'est en vain qu'on voudrait distinguer le serviteur de Jéhovah
du 2 e Ésaïe d'avec l'Emmanuel davidique du fils d'Amots, le germe
davidique de Jérémie, le bon berger davidique d'Ézéchiel; ce
«serviteur», d'après Esa 55:4, n'a pas d'autre mission que de
rendre durable la faveur de Jéhovah envers David et d'exaucer la
promesse qui lui a été faite:



Prêtez l'oreille et venez à moi;

Ecoutez, et que votre âme vive.

Par un pacte éternel, je vous accorderai

Les grâces assurées à David.

Je l'ai établi témoin auprès des peuples,

Chef et dominateur des nations (Esa 55:3).



La pensée du 2 e Ésaïe est si bien imprégnée des textes
messianiques du passé qu'il cite presque textuellement la déclaration
fondamentale formulée par David dans 2Sa 23:



Comme la terre fait pousser ses germes,

Comme un jardin fait croître ses semences,

Ainsi le Seigneur Jéhovah

Fera germer le salut et la gloire

En présence de toutes les nations (Esa 61:11).



Il était réservé à ce disciple de Jérémie, au prophète qui avait
vu son maître souffrir et mourir sous les coups de ses compatriotes,
de faire un tableau de ce qu'il en coûterait au Messie d'entreprendre
parmi les siens l'oeuvre rédemptrice. Pauvre germe de David, qui
devait venir dans la splendeur et dans la gloire! Pauvre rejeton
d'Isaï (Esa 11:1), qui devait instaurer la paix glorieuse! le
voilà devenu faible pousse et rejeton qui sort d'une terre
desséchée (Esa 53). Comme il est dur, le coeur de l'homme! Pour
muer en chair ce coeur pétrifié, il ne suffira pas d'ordonner par le
verbe ni de donner un exemple: il faudra se donner, se solidariser
avec les coupables, supporter l'opposition sans faiblir, la vaincre
par une passion divinement patiente, offrir à Dieu et aux hommes, par
une vie expiatoire, le spectacle de l'obéissance absolue dans la
souffrance absolue:



Je n'ai point résisté,

Je ne me suis pas rejeté en arrière;

J'ai livré mon dos

A qui le frappait,

Mes joues à qui m'arrachait la barbe.

Je n'ai pas dérobé mon visage

Aux outrages et aux crachats...

Mais Jéhovah me viendra en aide (Esa 50:5,7).



Et le prophète annonce avant de décrire la passion du
Messie--appelé ici «le Serviteur juste»--que le secours de Jéhovah
assurera la victoire à celui qui, ne voulant dans son amour filial et
fraternel lâcher ni Dieu ni l'homme, les unit en mourant:



Mon serviteur prospérera,

Il grandira, il sera exalté, souverainement élevé.

De même que beaucoup

Ont été dans la stupeur en le voyant,

Tant il était défiguré,

Son aspect n'étant plus celui d'un homme,

Ni son visage celui des enfants des hommes,

De même il fera tressaillir des nations nombreuses.

Devant lui, les rois fermeront la bouche;

Car ils verront

Ce qui ne leur avait pas été raconté;

Ils apprendront

Ce qu'ils n'avaient pas entendu (Esa 52:13-15).



Mais ce mystère rédempteur--humiliation et
élévation--s'accomplira au sein de l'incompréhension de tous, même
des meilleurs:



Qui a cru à ce qui nous était annoncé?

Qui a su discerner le bras de Jéhovah? (Esa 53:1)



Esaïe II fait ici allusion à l'aveuglement, non seulement de la
masse du peuple, mais aussi du serviteur collectif en présence de
l'oeuvre accomplie par le serviteur individuel. (Il ne faut pas
oublier qu'Ésaïe II ne s'est élevé que peu à peu à la notion du
Messie personnel. Voir Esa 41:8 et suivants Esa 44:1,21.49:1-3 et
comparer avec Esa 42:1 49:5 Esa 50 52:13 Esa 53 Esa 61:1-3,10).
Le prophète lui-même se range par son «nous» (Esa 53:3) dans la
catégorie de ceux que «l'homme de douleur» qualifiera un jour de
«gens sans intelligence et lents à croire ce que les prophètes ont
dit»: (Lu 24:25)



Il s'est élevé devant Jéhovah

Comme une faible pousse,

Comme un rejeton qui sort d'une terre desséchée;

Il n'avait ni beauté, ni éclat

Pour attirer nos regards,

Ni rien dans son aspect

Qui fût fait pour nous plaire.

Méprisé et abandonné des hommes,

Homme de douleur et fait à la souffrance,

Semblable à un objet dont on détourne le visage,

Nous l'avons dédaigné,

Nous n'avons fait aucun cas de lui.

Cependant, c'étaient nos maladies qu'il portait,

C'étaient nos douleurs dont il s'était chargé,

Alors que nous le prenions

Pour un misérable, puni,

Frappé par Dieu, humilié.

Mais c'est pour nos péchés qu'il a été meurtri,

Pour nos iniquités qu'il a été brisé.

Il a supporté le châtiment qui fait notre salut:

Ce sont ses meurtrissures

Qui nous ont valu la guérison.

Nous étions tous comme des brebis errantes,

Chacun suivait sa propre voie,

Et Jéhovah a fait retomber sur lui

Notre crime à tous.

Maltraité, insulté, il n'ouvre pas la bouche.



Ici, le second Esaïe voit le Messie à travers Jérémie et lui
emprunte les paroles que ce prophète s'applique à lui-même: (Jer
11:19)



Pareil à l'agneau qu'on traîne à la boucherie,

Pareil à la brebis silencieuse

Devant ceux qui la tondent,

Il n'a pas ouvert la bouche.

Faute de protection et de justice,

Il a été enlevé.

Parmi ses contemporains, qui eût pensé

Qu'il était retranché du pays des vivants

Et que le coup le frappait

A cause des péchés de mon peuple?

On lui avait assigné sa sépulture

Avec les méchants,

Mais dans sa mort

Il a été avec le riche,

Car il n'avait fait aucun mal

Et il n'y avait jamais eu de fraude dans sa bouche.

Il a plu à Jéhovah de le briser par la souffrance,

Voulant, s'il s'offrait lui-même

Comme victime expiatoire,

Qu'il vît une postérité

Destinée à se perpétuer,

Et que l'oeuvre de Jéhovah

Prospérât dans sa main.

A cause du travail de son âme,

Il verra, il sera rassasié de joie.

Par la connaissance qu'ils auront de lui,

Mon serviteur juste justifiera

Un grand nombre d'hommes,

Car lui-même se chargera

De leurs iniquités.

C'est pourquoi je lui donnerai son lot

Parmi les grands;

Il partagera le butin

Avec les puissants,

Parce qu'il s'est livré lui-même à la mort

Et s'est laissé confondre

Avec les malfaiteurs,

Lui qui n'a fait que porter

Les péchés d'un grand nombre,

Et qui a intercédé

En faveur des coupables (Esa 53:2,12).



Après une page comme celle-ci, tout est dit. Par elle resplendit
l'unité de la pensée messianique entre l'A.T, et le N.T. Il n'est
pas, dans l'Évangile même, de description qui ramasse dans un
raccourci aussi impressionnant la vie et l'oeuvre de Jésus-Christ
(voir Serviteur de l'Éternel).

Il ne restait plus à la prophétie qu'à donner la parole au Messie
lui-même pour l'exposé de son programme, programme dont la teneur
achève de démontrer l'identité des trois héros de la prophétie
messianique: le rejeton d'Isaï, le serviteur de Jéhovah et l'oint de
Jéhovah (Esa 11:1 42:1 61:1 et suivants).



L'Esprit du Seigneur est sur moi,

Parce que Jéhovah m'a oint (=m'a fait messie)

Pour porter la bonne nouvelle aux malheureux;

Il m'a envoyé pour panser

Ceux qui ont le coeur brisé;

Pour annoncer aux captifs la liberté,

Et aux prisonniers le retour à la lumière;

Pour publier une année de grâce de Jéhovah...(Esa 61:1)



«Aujourd'hui, dira un jour Jésus dans la synagogue de Nazareth,
s'accomplit ce passage de l'Écriture que vous venez
d'entendre» (Lu 4:17-21).

Après l'exil, quelques voix messianiques encore.

Malachie, au V e siècle, annonce la venue du précurseur, Élie le
prophète, puis:



Soudain entrera dans son temple

Le Seigneur que vous cherchez,

L'Ange de l'alliance que vous désirez.

Voici, il vient, dît Jéhovah des armées.

Qui pourra soutenir le jour de sa venue?

Mais pour vous qui craignez mon nom

Se lèvera le Soleil de justice

Qui porte la guérison dans ses rayons (Mal 3:1 4:2).



Le premier Zacharie, son contemporain, reprend, dans ses visions
obscures, la formule du Germe de Jéhovah:

Voici, je fais venir mon serviteur, le Germe...En ce jour-là,
vous vous inviterez Sous la vigne et sous le figuier...

Voici un homme dont le nom est «Germe»; il germera à la place
même où il est, pour bâtir le temple de Jéhovah...Il recevra la
majesté royale...Il trônera aussi comme sacrificateur, il exercera
les deux fonctions dans une paix parfaite (Za 3:8-10 6:13 et
suivant
).

Le 2e Zacharie et Joël, qui vécurent sans doute au IV°
siècle, donnent aux derniers accents de la prophétie messianique une
suprême magnificence.

Zacharie annonce l'humilité du Messie et sa gloire:



Réjouis-toi, fille de Sion!

Exulte de joie, fille de Jérusalem!

Voici ton roi qui vient à toi;

Il est juste et victorieux,

Humble et monté sur un âne,

Le poulain d'une ânesse!

Il dictera la paix aux nations,

Sa domination s'étendra d'une mer à l'autre,

De l'Euphrate aux extrémités de la terre.

(Za 9:9 Matthieu 21:2).



Joël s'appuie sur la prédiction d'Emmanuel, du I er Ésaïe,
proclame l'unité de Dieu dans une formule que le 2 e Esaïe reprendra,
annonce l'effusion de l'Esprit, les prodiges qui se produiront à la
fin du monde, et le salut gratuit.



Après cela,

Je répandrai mon Esprit sur toutes créatures.

Vos fils et vos filles prophétiseront,

Vos vieillards songeront des songes,

Vos jeunes gens verront des visions;

Même sur les esclaves et sur les servantes

Je répandrai en ces jours mon Esprit.

Je ferai paraître des prodiges...

Le soleil se changera en ténèbres

Et la lune en sang...

Alors quiconque invoquera le nom de Jéhovah sera sauvé.

Le salut sera sur la montagne de Sion

Et à Jérusalem comme l'a dit Jéhovah,

Et parmi les rachetés que Jéhovah appellera.



(Joe 2:28-32, cf. Esa 12:6 45:6,18,Ac 2:17,Mt 24:29 et suivant, Ro 10:13).

L'apocalypse de Daniel--dont le chap. 2, avec sa vision de la
statue géante qu'une petite pierre détachée «sans le secours d'aucune
main» suffit à renverser et sa prédiction du royaume éternel que Dieu
suscitera sur les ruines des empires terrestres, est tout imprégné
d'esprit messianique--renferme au chap. 7 le dernier des textes dans
lesquels l'A.T, annonce la venue du Messie.

Je regardai encore...et je vis un personnage pareil à un fils
d'homme, qui venait sur les nuées du ciel. Il s'avança jusqu'à un
vieillard. (Da 7:13.--Ici comme au verset 9, la trad. Vers.
Syn., suivant l'erreur traditionnelle qui parle à l'imagination
mystique, maintient «l'Ancien des jours» (voir art.); mais l'hébreu
n'a pas d'article défini et dit simplement; «un ancien en jours»,
c-à-d, un vieillard, lequel est ici la représentation de Dieu.)

Il lui fut donné domination, gloire et règne...Les saints du
Très-Haut recevront le royaume et ils posséderont le royaume a
jamais, d'éternité en éternité (Da 7:14,18).

L'expression «fils d'homme» n'avait pour but, en principe, que
d'opposer les qualités nobles et spirituelles du royaume céleste de
Jéhovah au caractère de puissance charnelle du royaume céleste des
autres peuples, représenté généralement par des figures d'animaux.
Cette expression, devenue le fils de l'homme dans le langage
apocalyptique, fut adoptée par Jésus-Christ pour désigner sa propre
personne. Bien que moins précise que le terme «Messie», elle devait
tout de même amener ses auditeurs à voir en lui celui qui reviendrait
un jour «sur les nuées du ciel» pour gouverner «le royaume» que «les
saints» doivent posséder «d'éternité en éternité». Il est à remarquer
que Jésus n'écarte pas le prodige annoncé par cette vision, mais
qu'il le place simplement à l'époque de son retour (Mt 24:27-30
25:31).

Quand l'inspiration prophétique eut cessé, le messianisme se
débattit, stérile, dans l'apocalypse juive (voir Messie); puis:
«Chose remarquable, le messianisme aussi tombe comme épuisé, dans les
dernières convulsions du nationalisme juif au temps d'Adrien. Bientôt
le thème du Messie ne sera plus guère qu'un sujet de discussions pour
les rabbins, comme tel autre chapitre de la doctrine biblique...La
religion qui se réclamait de Moïse tendait à se perdre dans une
casuistique stérile ou dans un fanatisme extravagant, à moins qu'elle
ne se réfugiât dans l'ascétisme en se retirant de la vie commune.»
(Loisy, Relig. Isr., pp. 310, 320). Pourquoi? Loisy ne le dit
pas, mais les chrétiens le savent: c'est que la marée de l'Esprit
avait, avec Jésus, passé du judaïsme au christianisme, lequel avait
reçu en charge les destinées spirituelles de l'humanité (cf. Mt
21:33 et suivants, Jn 12:32,Ro 9-11).

Jean-Baptiste paraît, sentinelle avancée de l'ancienne alliance,
annonciateur de la nouvelle; héraut de transition, sur plus d'un
point énigmatique, dont on ne saurait dire sans dépasser les textes
ni qu'il se joignit à Jésus, ni qu'il s'en sépara. Des siècles se
sont écoulés depuis que la voix des grands prophètes s'est éteinte;
la littérature apocalyptique s'est emparée des esprits et les a
enfiévrés; l'essénisme a développé son genre de piété antilégaliste,
avec le bain lustral quotidien; le messianisme politique entretient
dans les provinces et jusque parmi les pharisiens de la capitale une
agitation constante. Jean n'appartient à aucun de ces milieux. Il
est, et Jésus le confirme (Mt 11:9), de la lignée des prophètes,
de ceux qui se mettent en route parce que l'Esprit de Jéhovah les a
saisis, et qui prêchent la repentance et le jugement sans se mettre
en peine des conséquences que cette hardiesse, cette possession
divine peuvent avoir pour leur propre vie. On retrouve dans sa
prédication. enflammée les éléments cardinaux de toute l'ancienne
prophétie: l'appel à la conversion, l'annonce du Messie, le jugement,
l'envoi de l'Esprit, l'Agneau divin:

Je suis la voix de celui qui crie dans le désert; «Aplanissez le
chemin du Seigneur,» comme l'a dit le prophète Ésaïe...

Race de vipères, qui vous a appris à fuir la colère à venir?
Produisez donc du fruit digne de la repentance...Pour moi, je vous
baptise d'eau; mais il vient, celui qui est plus puissant que moi,
lui vous baptisera d'Esprit saint et de feu.

Il a son van dans sa main, il nettoiera parfaitement son aire, il
amassera son froment dans son grenier; mais il brûlera la balle au
feu qui ne s'éteint point.

Voici l'Agneau de Dieu, qui ôte le péché du monde.

(Jn 12:3,Mt 3:7,Lu 3:16,Jn 1:29, cf. Esa 53:7).

Dans cet Agneau, Jean a-t-il entrevu la victime du Calvaire? Il
faut reconnaître que nous ne trouvons pas dans les brèves paroles qui
nous ont été conservées de Jean la note de miséricorde, d'amour et de
sacrifice donnée par Osée, Jérémie, le 2 e Esaïe, et qui l'eût
orienté vers une notion plus complète de ce que devait être le Messie
de la «nouvelle alliance» (Jer 31:31 et suivant). Ce qui
constitue l'originalité et la valeur unique de sa carrière, ce qui
l'élève au-dessus des prophètes antérieurs (Mt 11:9), c'est
qu'il se sait le précurseur du Messie dont les anciens prophètes
avaient parlé à Israël; il l'attend, il l'annonce, il le baptise, il
le désigne aux foules après avoir institué pour elles le baptême
d'eau: initiation au Royaume qui vient. On comprend que cette
création de génie, où se réalisait dans un symbole plastique l'acte
que réclamaient les exhortations vigoureuses de Jean, ait attiré à
lui les masses et lui ait valu de nombreux disciples: quiconque était
décidé à renoncer au péché et à entrer dans la voie conforme à la
volonté de Dieu était, devant tous, immergé par Jean dans les eaux du
Jourdain. Il disparaissait à la vue...c'était la mort à la vie
ancienne. Puis il émergeait des ondes et remontait sur la
berge...c'était la vie nouvelle qui commençait.

Jusqu'à quel point Jean s'est-il rendu compte que ce
recommencement de vie n'était possible qu'après le baptême d'Esprit
dont il disait lui-même que le

Messie seul pourrait l'administrer? Son attitude après le baptême
de Jésus ne permet pas de le dire. Ce qu'il y a de certain, c'est
qu'il ne se joint pas à la troupe qui se détache de lui pour suivre
Jésus, qu'il maintient son baptême après que les disciples de Jésus
ont commencé à baptiser sur l'ordre de leur Maître, qu'il continue à
former et à constituer à part le groupe de ses disciples qui se
montrent parfois jaloux du succès du Messie (Lu 5:33 11:1,Jn 3:26
4:1) et qui resteront fidèles à leurs communautés baptistes même
après la disparition de Jean et les débuts de l'Église
chrétienne. (cf. Ac 19:3) Évidemment, Jean, qui porte à son
point culminant la prédication de ses devanciers les prophètes, et
qui a l'honneur d'introduire lui-même le Messie qu'il a de peu
précédé, ne conçoit pas le Messie sous la forme du Maître doux et
humble de coeur, né pour servir, ni l'Esprit du baptême messianique
sous la forme du Paraclet (voir ce mot) dont Jésus, d'après le 4 e
évangile, entretint ses apôtres dans la chambre haute (Jn
14-16). Le Royaume qu'il prêche est encore le Royaume juif, le
Royaume extérieur, fait pour les justes de son peuple. Ce n'est pas
encore le Royaume intérieur fait pour les rachetés qui «viendront
d'Orient et d'Occident». Aussi, après avoir été décontenancé par la
volonté de Jésus de recevoir le baptême, c'est-à-dire de se
solidariser moralement avec l'humanité pécheresse,

Jean s'y opposait en disant: C'est moi qui ai besoin d'être
baptisé par toi, et tu viens à moi!est-il (Mt 3:14) scandalisé
par l'attitude de Jésus qui va de lieu en lieu faisant le bien, en
prodiguant les miracles de sa miséricorde, mais qui refuse de se
manifester le Messie justicier, et qui le laisse, lui Jean, son
précurseur et son ami, languir sur la paille d'un cachot.

Es-tu celui qui devait venir, ou devons-nous en attendre un
autre? (Lu 7:19)

Jésus répond en accomplissant, devant les émissaires de Jean, des
actes où se révélait la véritable nature du règne de l'Esprit; puis
il ajoute à ses oeuvres de grâce une parole grave, qui doit aller à
Jean comme un coup droit et l'exhorter au redressement:

Heureux celui pour qui je ne serai pas une occasion de
chute! (Lu 7:23)

Enfin, voyant l'émotion de la foule qui garde pour Jean
l'admiration que son patriotique courage et sa vie austère lui
avaient méritée, Jésus prononce au sujet de son précurseur un hommage
où il montre qu'il ne le méconnaît point:

Qu'êtes-vous allés voir au désert? Un prophète? Oui, vous dis-je,
et plus qu'un prophète...entre ceux qui sont nés de femme, il n'y en
a point de plus grand que Jean-Baptiste...(Lu 7:26)

Et un jugement qui le met à son véritable rang: précurseur, mais
non collaborateur; prophète, c'est-à-dire homme de l'Esprit, mais non
apôtre, c'est-à-dire homme spirituel; héraut du Royaume, mais non
membre du Royaume. Seul parmi les prophètes il est arrivé jusqu'à la
porte du monde nouveau, mais il n'a pas franchi son seuil.

Celui qui est le plus petit dans le Royaume de Dieu est plus
grand que lui (Lu 7:28).

Quand on voit combien le précurseur, «plus qu'un
prophète» (Mt 11:9), saisit imparfaitement ce que Jésus
apportait à la terre (Lu 7:18,23), on peut s'imaginer qu'à plus
forte raison les hérauts inspirés qui devaient, au sein d'Israël,
siècle après siècle, aplanir le sentier du Messie furent loin d'être
éclairés eux-mêmes par toute la lumière que leur intuition divine
projetait sur l'avenir. Aussi bien, n'est-ce pas pour glorifier
l'homme que nous avons rassemblé ici les textes de la prophétie
messianique et que nous en avons montré l'enchaînement progressif et
la valeur révélatrice, tels que nous pouvons les apercevoir avec le
recul de l'histoire et la leçon des faits accomplis. Notre propos a
été de mettre en évidence l'action continue de Dieu au sein d'un
peuple qui fut dépendant de tous les autres au point de vue de la
civilisation, mais que Jéhovah, au point de vue religieux, sut tenir
indépendant par ses prophètes et, malgré toutes ses chutes, acheminer
patiemment jusqu'aux jours du Christ.

Il faut avoir présent à l'esprit l'ensemble de ces textes
messianiques pour pouvoir porter sur le milieu auquel les prophètes
appartinrent un jugement de valeur. Nous ne possédons en leurs pages
brèves que le haut-relief littéraire de toute une action poursuivie
dans la nuit d'un passé lointain par les jéhovistes, chaîne d'ombre
où luit par instants un anneau: le prophète. Mais ces pages nous
livrent les idées maîtresses qui leur permirent de former une élite
et de réussir, génération après génération, son entraînement. C'est
dans leur tradition qu'Israël, au point de vue moral et religieux, a
puisé sa solide armature; c'est dans la direction qui lui était
donnée par cette tradition ininterrompue qu'Israël a trouvé le secret
de son développement sans analogue; c'est à elle qu'il doit d'avoir
pu maintenir si irrésistible, malgré les vents contraires, sa marée
de l'Esprit, que celle-ci, franchissant sans s'y perdre les sables
arides du légalisme juif, a pu déferler sur le seuil de l'ère
chrétienne. Grâce à la prophétie messianique, Jésus a trouvé un
milieu propre à le recevoir. Sa reconnaissance envers ses précurseurs
transverbère les béatitudes:

Heureux ceux qui ont faim et soif de la justice...Heureux ceux
qui procurent la paix...Heureux ceux qui sont persécutés pour la
justice, car le Royaume des cieux est à eux...(cf. Mt 5:12 et
Ac 7:52).