PÉCHÉ (3.)

III La loi.

Dans le peuple d'Israël, le concept du péché se rattache
étroitement aux notions connexes de l'alliance et de la loi (voir ce
mot).

Toute la vie religieuse et morale du peuple est dominée par le
sentiment du lien étroit, indissoluble, qui l'unit à son Dieu.
Jéhovah a choisi les Hébreux parmi tous les peuples de la terre; il
les a mis à part pour son service et pour sa gloire; il leur accorde
sa protection et son salut. Le devoir de la nation, c'est de rester
fidèle à l'alliance (voir ce mot). Si elle s'en détourne, elle tombe
dans le péché et dans la malédiction qu'implique la désobéissance à
la volonté divine.

Cette volonté, Dieu la précise en donnant sa loi à son peuple. La
loi, c'est l'énoncé exact et complet des obligations que comporte
l'alliance. Violer la loi, c'est se révolter contre l'alliance et
tomber dans le péché. L'apparition de la loi constitue donc une étape
capitale dans l'évolution du peuple hébreu et permet d'arriver à des
précisions nouvelles en ce qui concerne la notion du péché (Ex
20:20).

L'adoration et le service du seul vrai Dieu, c'est ce que, tout
naturellement, la loi prescrit avant toute autre chose. L'antique
législation israélite représente le péché d'idolâtrie comme le plus
grave, car il sépare radicalement l'homme de son Dieu. C'est ce
qu'affirment expressément le Livre de l'Alliance (Ex 22:20
23:24,32), puis le Décalogue (Ex 20:3,7). Aussi, en se laissant
aller à l'idolâtrie, Israël encourt-il les plus terribles châtiments.

L'histoire nous montre comment la nation s'est effectivement
éloignée de son Dieu et comment, par là, elle s'est orientée vers la
perdition et vers la mort. Sous les juges, les désastres nationaux se
succèdent très rapidement: ils sont attribués à la révolte contre
Dieu et à l'idolâtrie (Jug 2:10,15 3:7 4:1 6:1,3 8:33,35 10:6,9
13:1). Le retour à Dieu sous la conduite d'un chef et d'un héros est
toujours marqué par les bénédictions de la paix et de la prospérité.
Pendant les règnes de Saül et de David, nous trouvons peu de traces
du péché d'idolâtrie.

De là la prospérité qui s'est manifestée sous leur double règne,
comme ensuite, d'une manière assez générale, dans le royaume du Sud.
Mais Salomon, dans sa vieillesse, négligea le culte de son Dieu, et
ce grave manquement est considéré comme la cause de la révolte de
Jéroboam contre la dynastie de David (1Ro 11:1,13). Après le
schisme, nous voyons ce leit motiv revenir à chaque règne, dans
l'histoire du royaume du Nord: «Il se livra au péché de Jéroboam,
fils de Nébat, qui avait fait pécher Israël, et il ne s'en détourna
pas» (2Ro 3:3 10:29 13:2 etc.). Le peuple d'Israël ne se
contente pas d'une telle forme du péché contre le vrai Dieu--le culte
du taureau d'or--, il pratique aussi celui des Baals et des Astartés,
beaucoup plus grave par ses conséquences religieuses et morales.
C'est dans une telle idolâtrie que, déjà sous le règne triomphant
d'Achab et de Jézabel, l'historien découvre la source profonde d'une
terrible décadence nationale (1Ro 16:30-33).

Ainsi Jéhovah réclame le service et l'adoration de son peuple.
Mais ce service et cette adoration ne se manifestent pas simplement
par le culte rendu à lui seul. Dieu entend aussi que la piété à son
égard se manifeste par la pratique d'un certain nombre de devoirs
vis-à-vis du prochain. C'est ainsi que le Livre de l'Alliance (Ex
21 Ex 22 Ex 23) formule tout un ensemble de règles morales et sociales
qui reposent sur la loi royale de l'amour fraternel (par ex.: Tu ne
maltraiteras pas l'étranger et tu ne l'opprimeras pas, car vous avez
été étrangers dans le pays d'Egypte; tu n'affligeras point la veuve,
ni l'orphelin: si tu les affliges et qu'ils viennent à moi,
j'entendrai leurs cris..., Ex 22:21,23). Le Décalogue (voir ce
mot), d'autre part, se divise en deux tables dont l'une formule les
devoirs envers Dieu et l'autre les devoirs envers le prochain. Par
conséquent, dans la législation israélite la plus ancienne, le devoir
envers Dieu et le devoir envers l'homme sont étroitement liés l'un à
l'autre, mais c'est le devoir envers Dieu qui a la primauté, et
l'observation du devoir envers l'homme est considérée comme une forme
de l'obéissance que le peuple doit à son Dieu.

La loi mosaïque ne se borne pas à prescrire l'attitude que
l'homme doit avoir vis-à-vis de son Dieu et de son prochain. Le code
lévitique s'élabore bientôt en système d'obligations légales et
rituelles: non seulement la nomenclature des péchés se trouve, par là
même, augmentée, mais encore leur contenu semble ne plus être le
même: le péché est de plus en plus considéré comme la violation des
prescriptions cérémonielles, qui sont regardées comme ayant leur but
en elles-mêmes. Pourtant, il serait inexact de considérer ces règles
comme n'ayant aucun rapport avec la loi morale et spirituelle, car
les actes purement rituels (ceux qui sont prescrits, par exemple, par
la loi sur les animaux purs et impurs, Le 11) tirent leur
signification profonde du fait qu'ils doivent inspirer une haute idée
de la sainteté divine et une profonde horreur du péché humain (voir
Pur et impur). Le péché cérémoniel lui-même trahit donc la
méconnaissance de la sainteté et de l'amour divins.

Le Deutéronome fait ressortir davantage la nature religieuse et
morale du péché, en fondant la fidélité à la loi sur l'amour que
l'homme doit avoir pour son Dieu (De 6:5 10:12 11:1). L'amour de
l'homme pour Dieu s'impose comme un devoir de gratitude, puisque
c'est Dieu qui, le premier, a aimé son peuple et l'a choisi pour en
faire un témoignage de sa puissance (De 4:37 7:6,8 10:15). Et
puisque l'obéissance est conditionnée par l'amour, les commandements
doivent se trouver dans le coeur avant de se traduire dans la
conduite (De 6:6 10:16 11:18).

La piété israélite est amenée, de cette manière, à purifier les
motifs qu'elle a d'obéir à la loi et de résister au péché. Certes,
nous trouvons encore de nombreux échos de la vieille conception
d'après laquelle l'observation des commandements s'impose en vertu du
pacte qui conditionne la prospérité de la nation (De 4:24,40
6:15, cf. Ex 20:5 23:22 et suivant). Mais nous voyons se
former une idée plus haute de la culpabilité. D'abord on comprend
que, si Dieu manifeste sa sévérité, c'est pour le bien de son peuple,
c'est pour l'obliger à reconnaître que le péché conduit à la
mort (De 6:24 10:13). Ensuite l'homme doit haïr le mal de la
même manière que Dieu le hait et aimer la justice et la miséricorde
pour la seule raison que Dieu les aime (De 10:17 et suivant,
Le 19:32,37). C'est ainsi qu'Israël sera un peuple saint,
entretenant des relations de confiance et d'amour avec son Dieu et
réalisant par là sa glorieuse destinée (De 7:6 14:1 26:18 27:9
28:9). Il est frappant de constater maintenant que, pour l'ancien
Israël, le péché a toujours un caractère collectif et national. C'est
avec le peuple pris dans son ensemble que Dieu a conclu son alliance.
C'est aussi à la nation tout entière qu'il a donné sa loi (Ex
20:2,Le 25:38). Aussi, même si le péché est commis par un individu
isolé, il intéresse la collectivité et c'est elle qui en porte la
responsabilité. Ce sont, au premier chef, les péchés des gouvernants
qui incombent au peuple lui-même. Par exemple, quand David se laisse
aller à l'orgueil et procède au dénombrement du royaume, il en est
châtié par une peste meurtrière qui, comme le remarque David, décime
une population innocente du crime de son roi (2Sa 24:15,17).
Même les péchés des simples sujets engagent la responsabilité
collective. Ainsi, Acan a transgressé la loi divine, non pas tant en
désobéissant à l'ordre divin, qu'en retenant par devers lui des
choses consacrées à l'Éternel (Jos 7). Cette faute purement
individuelle (verset 20) est pourtant considérée comme intéressant le
peuple dans son ensemble (verset 1-11); aussi en est-il puni par la
défaite (verset 5,12) et il n'est lavé de sa faute que par la
découverte et la destruction du coupable et de tout ce qui touchait
au coupable (verset 13,24,26). Ainsi donc, les offenses personnelles
ne sont pas essentiellement des questions à traiter entre le coupable
et Dieu. Toute la communauté en prend sa part: c'est une abomination
qui attire la colère de Dieu sur le corps tout entier.

La nature essentiellement sociale du péché est encore exprimée
par le rituel des sacrifices (voir ce mot), surtout par celui du
«grand jour de l'expiation», qui précise les mesures à prendre pour
la rémission et pour l'expiation des fautes globalement commises par
le peuple (Le 4:13 16:15 et suivants).

La solidarité s'exerce également dans le temps: les générations
ultérieures sont tout naturellement punies pour les fautes des
générations antérieures (Ex 20:5,De 5:9). Mais nous voyons
apparaître le souci de la responsabilité personnelle et l'affirmation
de la culpabilité individuelle (De 24:16, cf. 2Ro 14:6).

Dans cette époque se pose aussi, à plusieurs reprises, le
problème de l'origine du péché. La piété hébraïque semble d'abord
regarder Dieu comme l'auteur du mal, au moins pour une part. Si l'on
se trouvait en présence d'un acte mauvais, inexplicable, fatal, on
pensait que Dieu lui-même l'avait provoqué. Ce fut le cas du pharaon
refusant sa liberté au peuple hébreu (Ex 4:21 7:3 14:8),
d'Abimélec, le fils de Gédéon (Jug 9:23), de Saül aboutissant à
une lamentable déchéance (1Sa 16:14 18:10 19:9 26:19). Mais la
pensée israélite ne pouvait s'en tenir à un tel point de vue. La
double relation de la faute commise par David à l'occasion du
recensement est la preuve de cette évolution. Dans 2Sa 24:1,
nous lisons: «La colère de l'Éternel s'enflamma de nouveau contre
Israël et il excita David contre eux en disant: Va, fais le
dénombrement d'Israël et de Juda.» Mais le rédacteur des
Chroniques (1Ch 21:1) rectifie: «Satan se leva contre Israël, et
il excita David à faire le dénombrement d'Israël.» Dans le même ordre
d'idées, le Siracide (Sir 15:20) affirme: «Dieu n'a
commandé à aucun homme d'être impie et il n'a donné licence à aucun
homme de pécher.» Le même problème continuera à se poser aux hommes,
puisque, plus tard, Jacques défendra d'imputer à Dieu la tentation au
mal et affirmera que «le Père des lumières» est l'auteur de tout bien
(1:13,17). Voir Satan, Tentation.