APÔTRE

Grec apostolos (duvoir apostelleïn =envoyer), rend un mot
hébreu (rac. châlakh) qui désigne tout mandataire de Dieu ou des
hommes (Esa 6:8,1Ro 14:6).

Les prophètes d'Israël, porteurs du message divin, étaient déjà
au premier chef des apôtres. «L'apôtre, dit le Talmud, est comme
l'homme même par qui il est délégué.» Il a donc toutes les qualités
d'un ambassadeur.

Plus spécialement le terme apôtre a été appliqué par Jésus aux
Douze qu'il avait choisis, formés, envoyés pour évangéliser. L'Église
y a vu une prérogative exclusive des premiers disciples à qui Jésus
conféra le don du Saint-Esprit, et qui auraient reçu de lui le
pouvoir de le transmettre à d'autres.

D'où la doctrine de la succession apostolique (voir art.),
par laquelle ceux-là seulement sont prêtres de Dieu ou pasteurs qui
ont reçu l'imposition des mains des successeurs des apôtres de Jésus.
Outre qu'il est impossible de contrôler si cette chaîne reliant le
clergé officiant aujourd'hui aux premiers disciples du Christ n'a
jamais été interrompue, et qu'il est plus probable qu'elle l'a été
dans les faits maintes fois, la manière dont l'apostolat nous est
présenté dans les temps primitifs témoigne nettement que le terme
d'apôtre au premier siècle était d'une application générale et
nullement exclusive.

Sans doute, les douze apôtres choisis par le Christ pour l'aider
dans son ministère et chargés par lui de continuer ce ministère après
son départ (Mt 10:2,Lu 6:13) ont été ses envoyés directs, les
apôtres au sens strict, (cf. Ac 6:2,6) ceux dont le témoignage
est normatif. C'est à ce titre qu'on peut parler de la «doctrine des
apôtres» (Ac 2:42).

Toutefois, il ne faut pas oublier qu'à l'origine Judas était
parmi eux, en sorte que la parole de Jésus dans Jn 17:18, «comme
tu m'as envoyé, je les ai aussi envoyés», ne s'applique déjà plus au
collège des Douze au complet. Quand l'Église remplace dans ce collège
des Douze Judas par Matthias, ce ne sont pas les Onze, c'est
l'assemblée des cent vingt qui établit le nouvel apôtre dans ses
fonctions (Ac 1:15).

Si la doctrine ecclésiastique de la succession apostolique avait
existé de ce temps-là, les choses se seraient passées moins
démocratiquement.

D'autre part, Saul de Tarse devint apôtre sans le concours du
collège des Douze, appelé directement par le Seigneur. Ce fut un
simple disciple de la communauté de Damas, Ananias, qui lui imposa
les mains et l'introduisit dans sa charge (Ac 9:10). Devenu
prophète et docteur de l'Église syrienne d'Antioche, il reçut de ses
pairs, en dehors des Douze, voire de toute autorité palestinienne, la
consécration par l'imposition des mains (Ac 13:3) en vue de
l'oeuvre apostolique, laquelle devait lui permettre de dire un jour,
en parlant des Douze, «j'ai plus travaillé qu'eux tous» (1Co
15:10). Le caractère d'apôtre, que les judéo-chrétiens étroits ne
cessèrent de lui contester, avait été conféré à Paul d'autorité
divine, par vision céleste (Ac 26, cf. 1Co 9:3,2Co 12:12).

Bien qu'il n'appartînt pas au collège des Douze, le témoignage de
l'apôtre des Gentils n'en a pas été moins normatif pour cela, et nul
n'a connu, dans la formation des premières communautés chrétiennes,
un champ d'action comparable au sien (1Co 15:10). Le titre
d'apôtre appartenait aussi à Jacques, frère du Seigneur et chef de
l'Église de Jérusalem (Ga 1:19). Il est porté par
Barnabas (Ac 14:14,1Co 9:5-6), par Andronique et par
Junias (Ro 16:7). Sylvain et Timothée, associés à Paul dans les
lettres aux Thessaloniciens, y sont présentés comme des apôtres, au
même titre que Paul (1Th 2:6). Parlant des épreuves subies par
Apollos et lui dans leur ministère, Paul écrit: «Nous, les
apôtres» (1Co 4:1,6,9) - Quand il parle des prédicateurs
judaïsants qui, tout en annonçant le même Sauveur que lui, décriaient
son ministère, Paul les appelle des apôtres: (2Co 11:5) emporté
par sa controverse, il les appelle plus loin de faux apôtres (2Co
11:13). Si le titre d'apôtre avait été l'apanage des Douze, Paul ne
prendrait pas tant de peine à démontrer que ceux qui le combattaient
à Corinthe ne méritaient pas ce nom.

On peut se demander, après toutes ces constatations, si, lorsque
Paul dit dans 1Co 12:28: «Dieu a établi dans l'Église,
premièrement les apôtres, etc.», il a en vue le collège des Douze,
auquel, d'ailleurs, il n'appartenait pas, et s'il ne désigne pas
plutôt une catégorie de disciples du Christ dont les Douze furent les
premiers,--possédant le titre avec une autorité exceptionnelle
puisqu'ils avaient été les compagnons du Maître, les témoins de sa
résurrection,--mais qui comprend en même temps qu'eux et après eux,
dans tous les siècles et toutes les Églises, les personnalités mises
à part «par Dieu et non par les hommes», (cf. Ga 1:1) pour
«faire les fonctions d'ambassadeurs pour Christ» (2Co 5:20) et
mener, avec tous ses risques, le grand combat de l'Évangile (2Ti
4:1-8). Les autres fonctions mentionnées par Paul: prophètes,
docteurs, guérisseurs, gouverneurs, etc., s'exercent au sein de la
communauté; seul, l'apostolat est tourné vers les frontières du
Royaume de Dieu, et les apôtres sont chargés du recrutement de ce
Royaume. Ils sont envoyés par Jésus qu'ils représentent, pour
évangéliser à l'extérieur du cercle chrétien et pour admonester à
l'intérieur ceux qui trahissent sa cause. Missionnaires de l'Esprit,
l'appel d'En-haut les a voués à la prédication du: «Réveille-toi, toi
qui dors, et te relève d'entre les morts, et Christ
t'éclairera» (Eph 5:14). Ils n'ont rien de la caste sacerdotale.

Induire du texte «Dieu a établi dans l'Église premièrement les
apôtres», que les douze apôtres primitifs ont été seuls gratifiés par
Christ de lumières révélatrices et officiellement investis de
pouvoirs qui ne pouvaient être transmis à l'Église que par
l'imposition de leurs mains, c'est méconnaître le sens des Écritures.
L'étude impartiale de l'ensemble des textes évangéliques oblige de
constater que le collège des Douze n'a reçu du Christ l'exclusivité
ni de la prédication (1Co 9:16,Ga 2:7,2Ti 4:2), ni du don des
miracles (Lu 10:1-20), ni de la transmission de l'Esprit
saint (Ac 10:44 11:17), ni de «l'Esprit de vérité» qui devait
conduire les témoins du Christ «dans toute la vérité» (Jn
16:13,Ac 6:10 8:35, voir les lettres de Paul, de Jacques, aux
Hébreux), ni de l'imposition des mains en vue du ministère (Ac
13:3), ni du pouvoir de lier et de délier (Mt 18:18). Tout
cela, les Douze l'ont reçu les premiers, mais ils n'ont pas été les
seuls à le recevoir dès l'origine; aucun texte ne leur confère le
monopole du ministère spirituel, non plus que le droit exclusif de le
transmettre à d'autres.

Tout ce que l'on peut dire, c'est que le fait d'avoir accompagné
Jésus dans son ministère, d'avoir reçu ses enseignements, et d'avoir
entendu son: «Allez et enseignez toutes les nations...» leur valut
une considération exceptionnelle, que l'on retrouve déjà dans la
recommandation donnée par Paul et par Timothée de «garder les
ordonnances qui ont été décrétées par les apôtres» (Ac 16:4).
Mais si l'on voulait, avec la notion catholique, inférer de là que
les Douze furent les seuls fondateurs de l'Église (Batiffol), il
serait aisé de répondre que, dans les recommandations de Paul et de
Timothée, les Anciens de Jérusalem sont aussi bien que les Douze les
auteurs des ordonnances qu'il s'agit de garder. Les Douze devaient
bien moins que l'apôtre Paul évangéliser «jusqu'aux extrémités de la
terre»; et Batiffol lui-même est obligé de concéder que «les Douze
ont synthétisé une prédication qui avait été l'oeuvre collective
d'apôtres peut-être plus nombreux». (cf. Lu 10:1-17) Nous n'en
demandons pas davantage. D'ailleurs le contenu du N.T. et le fait que
plus des deux tiers des livres qui le composent ont été écrits par
d'autres que par les Douze, montrent avec évidence que Jésus ne
confia pas à ceux-ci le privilège exclusif de poser le fondement
doctrinal (Symbole des Apôtres) et de donner l'investiture épiscopale
dans l'Église apostolique (imposition des mains).

Ceci constaté, il est juste de reconnaître que très vite, et dès
le II e siècle avec Ignace, l'Église, par souci d'unité et
d'autorité, manifesta la tendance de tout ramener aux douze
compagnons de Jésus-Christ. Ainsi la Didachè s'intitulera: Doctrine
du Seigneur aux nations par les douze apôtres.
Il n'en demeure pas
moins que Paul et Barnabas ne firent point partie des Douze, et ce
seul fait suffit pour maintenir le bien-fondé de tout ce que nous
avons exposé plus haut. La tradition, dont l'évolution à travers les
siècles-a donné l'Église romaine, a créé un état de choses que le
N.T. n'introduit ni ne légitime.

Sans doute la nécessité de l'ordre amena bien vite la société
chrétienne, sous ses formes diverses, à exiger que les ministres du
Christ fussent instruits, éprouvés et consacrés serviteurs de leurs
frères par les corps constitués de l'Église, mais ce n'est pas à une
prérogative, à une succession dite apostolique qu'ils doivent leur
crédit ni leur puissance; ce sont leurs oeuvres vivantes qui
manifestent qu'ils sont marqués du sceau divin. Harnack dit avec
raison que «le caractère charismatique n'exemptait personne de voir
son mandat reconnu et contrôlé par la communauté».

Jésus lui-même est appelé «l'Apôtre» par l'auteur de l'épître aux
Hébreux (Heb 3:1) parce qu'il a parfaitement représenté Dieu sur
la terre. En la quittant, il a légué à ses disciples non un système
de dogmes, une législation, un monopole sacerdotal, mais la charge et
la force de continuer sa vie. Dans la mesure où un chrétien reproduit
parmi les hommes le Christ qu'il prêche, il est un apôtre. Il est en
même temps le continuateur de la vraie tradition chrétienne; car ici,
tradition (du latin tradere =transmettre, passer de main en main)
suppose la communication d'une vie: comment communiquerait-on une
vie, si soi-même on ne la possède pas? Et si on ne la possède pas,
s'imaginerait-on la recevoir magiquement par une imposition des
mains, une ordination quelle qu'elle soit? Toute la morale de
l'Évangile s'oppose à une telle conception. Il est exact de dire que
la seule Église authentiquement chrétienne est l'Église apostolique,
à condition de se souvenir qu'on affirme par là que l'Église est une
société dirigée non par une caste sacerdotale qui tiendrait son
pouvoir d'une succession apostolique, mais par la chaîne des apôtres
qui, de siècle en siècle, reproduisent dans leur ministère et
transmettent par leur vie la Vie du Christ.
BIBLIOGRAPHIE. --Calvin, Institution chrétienne, 1. IV, ch. 3;
Vinet, Théologie pastorale; A. Harnack, Les origines de la
constitution de l'Église et du droit ecclésiastique aux deux premiers
siècles,
1910; P. Batiffol, L'Église naissante et le
catholicisme,
éd. 1922.

Alex. W.