NOMBRES (livre des)

Titre.

Comme les trois premiers livres du Pent., celui-ci tire son nom de la
traduction grecque des LXX, d'où il passa dans la Vulgate. Ce mot est
pris dans le sens de dénombrement et ne se rapporte, en fait,
qu'aux ch. 1-4 et 26, qui parlent du recensement des Israélites et
des Lévites au Sinaï, puis à la sortie du désert. Le terme de
Bammidbar (=«dans le désert», au milieu du premier verset du
livre), dont les Juifs se servent pour le désigner, est plus conforme
au contenu général du livre, dont l'intérêt est concentré sur le
séjour des Israélites dans les divers déserts du Sinaï et de Paran et
dans les plaines de Moab.

Subdivisions.

Ce livre, envisagé au point de vue du théâtre des événements qu'il
raconte et des périodes dont il traite, est généralement divisé en
trois sections:

-1 No 1-10:10 (auxquels il faut ajouter les versets 29,32 de
ce ch. 10), lois et instructions données à Israël dans le désert du
Sinaï:

a) ch. 1-4, premier recensement; ordre prescrit pour les
campements; dénombrement des Lévites; rachat des premiers-nés;
fonctions des diverses familles lévitiques.

b) ch. 5-6, lois et règlements comprenant, entre autres, la loi
dite des eaux de jalousie et celle sur le naziréat,

c) ch. 7- 10:10, prescriptions diverses: offrandes faites par les
chefs des tribus pour la dédicace du tabernacle; consécration des
Lévites; Pâque supplémentaire du 2 e mois, etc.

-2 No 10:11-20 13, récits et lois de la période qui s'étend
du Sinaï jusqu'au moment du départ de Kadès. Relevons: ch. 11,-les
épisodes de Tabeéra, de Kibrôth-Hattaavâ et l'envoi des cailles; ch.
12, les murmures de Marie et d'Aaron contre Moïse; ch. 13-14, la
mission des espions en Canaan; ch. 16-18, les révoltes de Koré, de
Dathan et d'Abiram; la verge d'Aaron qui fleurit; No 20:1,13,
mort de Marie à Kadès, et les eaux de Mériba.

-3 No 20:14-36:13, de Kadès aux plaines de Moab. Ce
troisième groupe rappelle d'abord (No 20:14-21) la vaine
tentative faite auprès du roi d'Édom pour obtenir la permission de
passer sur son territoire; No 20:22,29, mort d'Aaron au mont
Hor; No 21:1,9, les serpents brûlants; v. 10, 33, défaite des
Amorrhéens et occupation du territoire entre Jabbok et Amon; ch.
22-24, histoire de Balaam; ch. 25, les Israélites et l'idolâtrie de
Baal-Peôr; épisode de Phinées; No 27:12-23, annonce de sa mort
faite à Moïse et nomination de Josué comme son successeur; ch. 28-30,
temps fixé pour les sacrifices, loi sur les voeux; ch. 31, guerre
d'extermination des Madianites; ch. 32, Gad, Ruben et Manassé établis
à l'Est du Jourdain; ch. 33, catalogue des stations du voyage au
désert; ch. 34-36, lois diverses concernant la conquête et
l'établissement en Canaan. En faisant abstraction de la première
partie du livre (No 1-10:10) qui est d'ordre statistique et
légal et qui est la suite naturelle du Lév., on peut dire, si l'on
veut caractériser le but poursuivi par les rédacteurs du livre des
Nomb., qu'ils ont eu en vue de raconter les faits qui s'échelonnèrent
depuis le Sinaï jusqu'à l'arrivée d'Israël aux confins de Canaan.

Chronologie.

Nombres contient quelques dates appartenant au document P et qui montrent
que le canevas chronologique a été emprunté à ce document. Ces dates
sont:

-(a) Celle de No 1:1 (voir verset 18), l'ordre donné à Moïse
de faire le dénombrement des tribus «le I er jour du 2 e mois de la 2
e année» de la sortie d'Egypte; les tribus sont encore au pied du
Sinaï.

-(b) No 9:1 rappelle l'ordre donné à Moïse (ce le 1er m. de
la 2 e a.»), de célébrer la Pâque au temps fixé; et le verset 5
indique l'exécution de cet ordre, «le 14 e j. du 1er m.» de cette
même année.

-(c) Dans No 10:11, la date du départ du Sinaï, «le 20° j.
du 2 e m. de la 2 e a.»

-(d) Dans No 33:3, «le 1 er m. et le 15 e j. du 1 er m.»
n'est qu'un rappel de la date de la Sortie.

-(e) Dans No 33:38, la date de la mort d'Aaron au mont Hor,
«le 1 er j. du 5 e m. de la 40°a.».

-Il faut encore indiquer ici, comme appartenant aussi à P, le texte
de 20:1 concernant la date de l'arrivée des tribus à Kadès et dans
lequel l'indication de l'année est omise: «au premier mois...».

-De l'ensemble des données de P, il résulte que ce document se
représente la situation comme suit: après l'envoi des espions au ch.
13, envoi qui aurait eu le désert de Sin comme point de départ, les
tribus, pour avoir murmuré contre Yahvé, auraient été condamnées à
errer pendant 40 ans dans le désert de Paran (No 14:32), jusqu'à
ce que toute la génération adulte actuelle eût disparu. Cette période
une fois écoulée, les Israélites se seraient avancés du côté du pays
qui avait été exploré par les espions; ils seraient arrivés à Kadès.
D'après P, il semble que ce document n'ait raconté, comme s'étant
passé à Kadès, que le fait rapporté dans No 20.

Or, d'après JE, Kadès aurait été le point où les espions
revinrent rendre compte de leur mission (No 13:25) et qui fut,
durant 38 ans, le centre de ralliement et le point de départ des
pérégrinations des tribus; c'est là que se seraient passés les
événements racontés par JE, jusqu'au moment où ces tribus, s'étant vu
refuser le passage à travers Édom, durent contourner ce territoire
pour arriver dans la région de Moab. Comment, alors, concilier la
donnée de P dans No 20:1 (qui devait très probablement indiquer
la 40 e année comme étant celle de l'arrivée à Kadès) avec la donnée
de JE, qui avait déjà fait arriver les tribus à Kadès au moment dont
parle No 13:26? Le compilateur des divers documents, pour éviter
les contradictions qui existaient entre eux, se sera borné à omettre
dans P (verset 1a) la mention de l'année et à insérer (verset 1)
ces mots de JE: «et le peuple habitait à Kadès».

Pour arriver à une suite chronologique acceptable des événements
racontés dans Nomb., il faudrait, en coordonnant les données
empruntées aux diverses sources, admettre que:

(a) la première partie du livre (No 1:1-10),
qui est de P, seul utilisé dans ces chap., représente une période de
19 jours (No 1:1 10:11);

(b) la deuxième (No 10:11-33:38), d'après le
point de vue de JE, embrasse une période de 38 ans (du départ du
Sinaï à la mort d'Aaron);

(c) la dernière (depuis la mort
d'Aaron, No 33:38, P, jusqu'à la fin de la 40 e année), une
période d'environ 5 mois. On est généralement d'accord pour
admettre qu'un espace de 19 jours seulement semble bien court
pour y concentrer tout ce qui s'est dit et fait d'après ces 10
premiers chapitres. Et, pour la dernière partie du voyage, il semble
également très difficile de croire que les nombreux faits racontés
par ces chap, aient pu se dérouler dans le court espace de 5 mois.

-Reste la partie centrale des Nombres, à laquelle, d'après JE,
on pourrait rattacher la plus grande partie des faits qui sont
racontés, depuis le départ du Sinaï jusqu'au moment où les tribus se
dirigent vers les rives du Jourdain; les 38 ans de pérégrination,
avec Kadès comme centre d'opérations et de ralliement, semblent donc
bien représenter une réalité possible.

Il semble même que, vu la place si importante que Kadès a tenue
dans l'histoire du séjour au désert, on doive souscrire à cette
conclusion de Lods Israël, vol. I, p. 201: «Presque tous les
épisodes intercalés, dans le texte actuel, entre le passage de la mer
Rouge et l'arrivée au Sinaï (Ex 16-18) avaient primitivement
pour théâtre la région de Kadès» qui, pour la forme ancienne de la
tradition conservée par J, aurait été «l'objectif, tout au moins le
premier objectif, de l'exode des Israélites, le lieu de leur première
rencontre solennelle avec Yahvé».

Composition du livre.

Comme Gen., Ex et Lév., No montre nettement qu'il n'est pas l'oeuvre
d'une seule main, et encore moins de celle de Moïse. Partout il est
parlé de ce dernier à la 3 e personne; dans un passage même (No
12:3,8), il est question de lui en des termes si élogieux qu'il
serait impossible de supposer qu'un tel hommage fût sorti de sa
propre plume. Un seul fragment, le catalogue des étapes parcourues
par Israël au désert (No 33), est attribué à Moïse; or, même
pour ce chap., qui appartient à P dont il présente nettement les
caractères particuliers et qui renferme 11 noms de stations ne se
retrouvant que dans ce document, il paraît bien difficile d'admettre
l'autoricité de Moïse; il s'agit ici, au contraire, d'un des morceaux
les plus récents du Pent., de l'oeuvre d'un rédacteur qui voulait
grouper, en un catalogue unique, les traditions qui avaient cours sur
l'ensemble du voyage au désert. Baentsch (Comment, sur
Ex. Lév. Nomb.,
p. 672) pense que l'auteur de ce chap, a pu avoir à
sa disposition un ou même plusieurs catalogues d'étapes, dont il
aurait combiné les données avec celles du Pent. lui-même, dans lequel
on ne retrouve pas 16 des noms mentionnés ch. 33. On a même supposé
que chacune des 40 stations de la liste devait représenter une des 40
années passées au désert; toutefois, cette opinion ne paraît pas
soutenable, car, si le compilateur admet que les tribus ont quitté le
Sinaï un an après la sortie d'Egypte et qu'elles ont passé le
Jourdain à la fin de la 40 e année, il place 11 stations entre cette
sortie et l'arrivée au Sinaï, tandis qu'il en assigne 9 à la 40 e
année et qu'il n'en laisserait plus que 21 pour les 38 années
restantes.

L'analyse du livre montre avec évidence qu'on y retrouve les
mêmes documents que dans Gen., Ex et Le Seulement, ici, les emprunts
faits à JE, la source combinée d'origine prophétique (voir Genèse et
Exode), ne représentent qu'un quart à peine de l'ensemble du texte,
l'apport de P, la source d'origine sacerdotale, constituant les trois
autres quarts.

1.
Le document JE réapparaît pour la première fois, depuis
Ex 34, dans No 10, où l'on distingue nettement J dans v.
29, 32 et E dans v. 33-36 (parce qu'on y retrouve le nom de Hobab
dont ce document se sert pour désigner le beau-père de Moïse).
Toutefois, étant donnée l'étroite parenté d'origine de ces deux
documents, il n'est pas facile d'établir entre eux une distinction
toujours satisfaisante. Lorsqu'on se trouve, notamment, en présence
de conceptions théologiques ou archéologiques propres à J ou à E,
cette distinction peut se faire avec assez de probabilité; ainsi, par
exemple, le tabernacle placé «hors du camp» (No 11:16 17,24,30),
les songes et les visions comme moyens de révélations divines (No
12) et l'accent mis sur l'élément prophétique de l'histoire
d'Israël constituent des traits si caractéristiques de E qu'on
n'éprouve pas d'hésitation à lui attribuer le ch. 12.--Les parties
qu'on peut rapporter à J sont, entre autres: No 10:29,32
11:4-15,18-24 31-35 22:22-35 à E: No 11:16,17,24-30 12:1-15
20:14-21 21:21-24, et la plus grande partie de l'histoire de
Balaam. C'est cette péricope (ch. 22-24) qui offre un des meilleurs
échantillons de l'art avec lequel le rédacteur qui a combiné J et E
(Rje) a su faire, des sources employées. par lui, un récit d'un très
haut intérêt, bien qu'il n'ait pas atteint à une parfaite homogénéité
(A.R.S. Kennedy, Comment, sur Lév.-Nomb., p. 18). Ce Rje a su, là
où cela était nécessaire, harmoniser ses sources, par exemple
dans No 23:27,29, et parfois, comme dans No 24:11,24,
ajouter un développement de sa composition auquel la critique
s'accorde à attribuer une date postérieure à celle de JE.

Dans JE, on trouve divers récits rentrant dans les catégories
suivantes:

(a) des traditions ou légendes étymologiques,
concernant certains noms de lieux auxquels on rattachait une histoire
qui les expliquait (voir par ex., ch. 11, les noms de Tabeéra et de
Kibrôth-Hattaavâ; No 20:11-13, le nom de Meribath-Kadès,
etc.);

(b) des légendes cultuelles étiologiques, par
lesquelles la tradition explique, sous la forme d'une narration
historique, la raison d'être d'une institution ou d'un usage de
culte; voir par ex., No 21:4-9, l'histoire du serpent d'airain,
par laquelle on expliquait et justifiait la présence, dans le temple
de Jérusalem, de cette image d'un serpent d'airain, qui fut détruite
sous Ézéchias (2Ro 18:4); le récit étiologique, dans le cas
présent, expliquerait un symbole qui serait provenu d'une origine
étrangère au culte de Yahvé et qui, plus tard, aurait pris une
signification nouvelle dans la religion populaire d'Israël (voir G.B.
Gray, Comment, on Numbers, p. 275; Gressmann, Die Anfoenge
Israels,
pp. 10-13).

2.

A côté des emprunts faits à JE, il faut indiquer l'apport
considérable du document sacerdotal P dans Nombres. Cet apport se
présente sous la forme d'éléments narratifs d'une part, et
d'éléments législatifs de l'autre. On retrouve ici, comme dans
Ex., la combinaison de récits et de lois, les mêmes méthodes
de composition et les mêmes caractères de rédaction.

(a) Les éléments narratifs, dans P, paraissent
être d'une historicité moins certaine que ceux de JE, car ils
appartiennent à une époque tardive et dénotent l'influence du milieu
sacerdotal dans lequel ils ont pris naissance. Ainsi l'histoire de la
révolte de Koré (qui se trouve actuellement mêlée à celle de Dathan
et d'Abiram, dans ch. 16: voir plus loin) reflète les souvenirs de
luttes sur le terrain hiérarchique, qui se seraient produites à
l'époque postexilique; on pourrait en dire autant de No
25:10,13, qui établirait les privilèges conférés aux descendants de
Tsadok, pour l'exercice du sacerdoce. Voir encore les ch. 17 et 18,
qui fournissent un exemple remarquable de la façon dont P rattache au
récit d'un fait (la verge d'Aaron fleurissant et confirmant la
suprématie de sa tribu sur les autres) un ensemble d'institutions
légales qui en aurait été la conséquence: la fixation des revenus et
des fonctions des prêtres et lévites (Baentsch, ouvr. cit., p.
LXIX). Enfin, tel récit de P, comme celui de la guerre
d'extermination contre Madian (ch. 31, appartenant sans doute à la
couche secondaire, P 8), ne présente aucun des caractères propres à
la narration d'un fait vraiment historique. Point de données sur le
lieu de la bataille, ni sur les conditions de la campagne, mais, par
contre, une énumération détaillée du butin conquis, et une grande
importance attachée, d'un côté, à la purification rituelle d'une
partie de ce butin, et de l'autre au prélèvement fait sur lui en
faveur de Yahvé et des Lévites. Par des exagérations de chiffres, par
l'invraisemblance du fait que 12.000 Israélites (mille hommes par
tribu) exterminent tous les Madianites mâles, sans perdre
eux-mêmes un seul homme (verset 49...et cependant, après cela,
les Madianites ont continué leur existence nationale, comme le
prouvent les luttes du temps des Juges, ch. 7 et 8), on se rend
compte qu'on est en dehors des conditions ordinaires de l'histoire,
bien qu'à la base même du récit il ait pu y avoir certains éléments
d'une tradition reposant sur un fond de réalité historique qu'il est
actuellement impossible de déterminer.--Avec ce ch. 31, Gray observe
très justement (ouvr. cit.,p. 418) qu'on est ici en présence d'un
exemple de ce genre littéraire i que les Juifs appellent Midrasch,
sorte de tractation d'un thème ou d'une pensée fournis
par le texte sacré et dont l'imagination s'applique à donner un
développement soit didactique, soit édifiant. Peut-être aussi, comme
le supposent plusieurs commentateurs, le récit avait-il pour but
d'appuyer par un exemple se rapportant à l'époque mosaïque la règle
qui exigeait (depuis l'époque de David, 1Sa 30:24) le partage
équitable du butin entre les combattants et ceux qui n'avaient pas pu
prendre part au combat.

(b) Les éléments légaux sont largement représentés
dans No et renferment des prescriptions sur des sujets très divers,
parmi lesquels il faut relever ici: la loi dite des «eaux de
jalousie», concernant une épreuve, sorte de jugement de Dieu, que
l'on imposait à la femme soupçonnée d'adultère (No 5); la loi
sur le naziréat (No 6); celle sur l'eau de purification préparée
avec les cendres de la vache rousse et destinée à laver celui qui
avait contracté une souillure involontaire (No 19); les temps
fixés pour les sacrifices et fêtes religieuses (No 28 et No
29); la loi sur les voeux (No 30). Pour bon nombre de ces lois
de l'ordre rituel, on a observé que, dans Nomb., «les modifications
introduites dans le rituel représentent surtout des sacrifices plus
nombreux et des revenus plus considérables attribués aux prêtres;
elles correspondent, en partie, à des modifications qui se seraient
produites à une époque plus récente, dans la pratique du culte; et
d'autres ne seraient même que l'énoncé de théories émises par les
Scribes, plutôt que celui d'une réalité pratique tangible» (G.F.
Moore, art. Nombres, dans EB, col. 3449). Parmi ces lois, il en
est qui ont pour nous un intérêt archéologique très réel, car elles
reflètent des croyances et des pratiques qui devaient remonter à une
antiquité assez reculée, mais qui ont été introduites dans la
pratique d'époques plus récentes par les auteurs des lois contenues
dans P, après avoir été dépouillées plus ou moins complètement de
leur signification primitive, ainsi: au ch. 5, l'épreuve des «eaux de
jalousie»; et au ch. 6, la loi réglant le voeu de naziréat.

La majeure partie de No est constituée par des emprunts faits à
Ps (g =Geschichte, histoire), partie fondamentale du document P,
sorte d'histoire des institutions religieuses d'Israël contenant des
éléments narratifs et législatifs. Mais on retrouve aussi, dans le
livre, des fragments empruntés à une couche plus récente de P et
qu'on a l'habitude d'appeler P et suivant (s =secondaire), couche
reconnaissable à divers indices assez caractéristiques et qui, elle
aussi, renferme des récits et des groupes de lois. Si Pg a dû être
composé vers 500 av. J.-C, P et suivant l'aurait été vers 250,
puisqu'il renferme des éléments qui sont postérieurs à la version des
LXX Enfin on retrouve encore, mais en petit nombre, des fragments
isolés qui ont été empruntés à P h (h =Heiligkeit, sainteté),
c'est-à-dire à ce Code de Sainteté dont la majeure partie est
actuellement concentrée dans Le 17 à Le 26. Les éléments de P h,
dans Nomb., se trouvent à No 15:37-41 33:52 et suivant, et
peut-être aussi No 10:9 et suivant.

Comment le ou les compilateurs de nos documents JE et P ont-ils
accompli leur travail? Ils ont, comme ailleurs, employé deux méthodes:

(a) Celle qui consistait à juxtaposer simplement
les emprunts faits à JE et à P; ainsi, dans No 20:14,21, le
fragment de JE est suivi, dans v. 22-29, d'un morceau emprunté à P;
dans les deux, c'est le récit parallèle du départ de Kadès et de la
reprise du voyage des tribus en direction de Moab et du Jourdain,

(b) La deuxième méthode consistait dans la combinaison
plus ou moins étroite des documents à utiliser; voir,
par exemple, le récit de l'envoi des espions (No 13 - No
14) et le No 16 qui raconte les révoltes distinctes de Koré et
de Dathan et Abiram. Pour montrer le caractère composite de bon
nombre des récits de Nomb., il convient d'étudier ici les deux
narrations suivantes, choisies parmi les autres.

Chap. 13-14. Le récit de la mission des 12 espions envoyés en Canaan
pour explorer le pays promis aux tribus a un but assez déterminé, qui
est de répondre à la question suivante: pourquoi, après avoir été si
miraculeusement libéré de la servitude en Egypte, Israël a-t-il dû
errer si longtemps dans le désert, avant de pouvoir entrer en Canaan?
Les 2 chap, montrent, dans ce fait, un châtiment qui fut appliqué à
Israël pour le punir d'un manque de foi et d'une explosion de
murmures contre son Dieu.--Une lecture, même superficielle, de ces
chap., révèle des variantes et contradictions qui ont mis depuis
longtemps la critique en présence de deux et même de trois traditions
d'un même fait; les deux courants JE et P se retrouvent ici combinés,
comme ailleurs, en un récit unique. On constate en effet que:

Le point d'où partent les espions est différent:
au verset 3, c'est le désert de Paran (P) et, au verset 26 (JE),
Kadès.

Le point extrême de l'exploration est, dans v.
22, 24, Hébron et son voisinage (JE), tandis que P (verset 2
et v. 17) dit que les espions poussèrent jusqu'à l'extrême nord du
pays de Canaan.

Les résultats de l'exploration sont différents:
dans JE, les espions rapportent que le pays est très fertile, mais
que, vu la présence de populations géantes et de villes très fortes,
il sera impossible de le conquérir (No 13:27,31,33). tandis que
P, au verset 32, dit que ce pays «dévore ses habitants», c'est-à-dire
qu'il est stérile.

Enfin, l'un des récits (P) montre Josué et Caleb
exemptés, à cause de leur fidélité, du châtiment qui va frapper
Israël (No 14:30-38), tandis que dans JE (No 13:30 14:24)
Caleb est seul mentionné comme ne s'étant pas rallié à l'avis
défavorable de la majorité des espions et, en récompense de sa
conduite, comme devant échapper au châtiment.--Les critiques ont pu,
sur la base de ces indices, reconstituer la trame des deux principaux
récits et attribuer à JE les passages suivants: No
13:17-20,22-24,26 (depuis Kadès), v. 27 - 31, 32b, 33 No
14:1,3,4,8,25.31,32,39-45 et à P les groupes devoir suivants: No
13:1-17,21,25-26 (jusqu'à Paran), v. 32a No
14:1,2,5,7,10,26-30,33-38 Les versets11-24 du ch. 14
appartiendraient à une couche postérieure de JE.

Les deux narrations de J et de E ne devaient pas, sous leur forme
primitive distincte, présenter des variantes bien sensibles. Quant à
celle de P, elle devait différer d'une façon plus marquée, mais le
Rédacteur qui a combiné JE et P ne s'est pas astreint à résoudre à
tout prix les divergences qui existent entre eux.

--La reconstitution des deux grands courants narratifs JE et P
est donnée par G.B. Gray (ouvr. cit., p. 130s) sous la forme
graphique très claire et concluante de deux colonnes de textes
parallèles.

Chap. 16-18. Ils forment un ensemble au point de vue du but
poursuivi par les rédacteurs. En effet, No 16, partant du récit
de la double révolte de Koré dirigée contre les prérogatives
attribuées à la tribu de Lévi, et de celle de Dathan et d'Abiram
contre l'autorité civile de Moïse, a pour aboutissement:

No 17 qui, sous le symbole de la verge
d'Aaron qui fleurit, fait éclater et confirme aux yeux de tous le
privilège accordé à la tribu de Lévi; et

No 18 qui établit nettement les fonctions et
revenus assignés aux membres de cette tribu.

Dans No 16, on constate facilement les indices d'une
pluralité de récits distincts qui, à un moment donné, ont été réunis
et combinés en une seule narration. On voit, d'abord, que trois
causes différentes de révolte sont mentionnées:

(a) l'autorité civile exercée par Moïse;

(b) le mécontentement suscité par les privilèges
accordés à la tribu de Lévi.

(c) la protestation élevée par une certaine
partie de cette tribu contre le monopole sacerdotal de la
famille d'Aaron. Ces trois causes de révolte apparaissent
distinctes les unes des autres, dans les récits groupés d'une part
autour du nom de Koré, et, d'autre part, autour de ceux de Dathan et
d'Abiram. En outre, les différents noms, dans la rédaction actuelle
du ch. 16, ne se présentent réunis qu'aux v. 1, 24, 27, où il est
probable qu'ils ne furent groupés qu'à une époque postérieure, et
ceci afin d'harmoniser les diverses couches de récits que l'on
faisait rentrer dans cette rédaction unique.--De plus, certains
passages font allusion à tels des noms mentionnés au ch. 16 et
semblent ignorer les autres; c'est ainsi que No 27:3 ne rappelle
que la révolte de Koré, tandis que De 11:6 paraît n'avoir connu
que celle de Dathan et d'Abiram, et que Ps 106:17 et suivant ne
fait mention que du châtiment infligé à ces derniers, ce qui paraît
indiquer qu'il ne confondait pas leur histoire avec celle de
Koré.--Enfin, la diversité des récits entrés dans la combinaison du
ch. 16 actuel ressort aussi du fait que le châtiment qui frappe Koré
ne se produit pas au même moment et sous la même forme que celui dont
furent frappés Dathan et Abiram; pour le premier et sa bande, ce fut
un tremblement de terre qui fendit le sol, lequel les engloutit
vivants, tandis que les autres furent soumis à l'épreuve des brasiers
enflammés et périrent dans un incendie.

Partant de ces diverses données, on est mis en présence:

au verset 1a, d'un personnage nommé Koré dont
l'ascendance remonte à Lévi et qui, au verset 2, est accompagné de
250 chefs du peuple, laïques, qui protestent avec lui contre
l'autorité exclusive de Moïse et qui, prétendent que, «toute
l'assemblée étant sainte», les privilèges de la tribu de Lévi sont
injustifiés;

au verset 1b, de trois Rubénites, Dathan, Abiram
et On (qui n'apparaît plus dans la suite), qui articulent des griefs
contre Moïse, l'accusant de n'avoir pas tenu ses promesses et de les
avoir emmenés périr au désert;

à côté de ce double courant de récits, on
retrouve les éléments d'une troisième couche où Koré apparaît comme
membre et porte-parole de la tribu de Lévi, pour protester contre les
droits exclusifs à la prêtrise que s'arroge la maison d'Aaron; ce
sont donc ici des Lévites qui interviennent pour contester les
prérogatives sacerdotales de cette maison d'Aaron, tandis que, dans
les premiers récits, il semble que Koré et ses partisans s'insurgent
contre les privilèges conférés à la tribu de Lévi dans son
ensemble


On est généralement d'accord pour reconnaître que:

(a) Le premier récit appartient à Pi! et que sa suite
naturelle est constituée par les ch. 17 et 18, entièrement empruntés
à cette même source.

(b) Le récit relatif à Dathan et à Abiram (personnages
appartenant à cette tribu de Ruben qui avait jadis possédé la
primauté sur les autres) présente nettement les caractères propres à
JE.

(c) Enfin, les adjonctions qui introduisent dans
l'ensemble de la narration la protestation élevée contre les
prétentions sacerdotales de la maison d'Aaron (adjonctions que Gray
caractérise par les mots: «une végétation parasite qui a poussé sur
la combinaison des deux récits originaux»,ouvr. cit., p. 188)
proviennent de la couche secondaire du document P, c'est-à-dire de P
et suivant. Elles doivent refléter des luttes qui se seraient
produites entre prêtres et lévites, mais que l'on ne peut pas
préciser exactement; Kennedy y voit (ouvr. cit., p. 279) l'écho
des protestations qui, à une époque tardive, auraient été élevées par
les anciens prêtres des hauts-lieux, dépossédés de leurs droits
sacerdotaux au profit de la prêtrise jérusalémite. Il donne la
répartition suivante du texte du ch. 16 entre ces trois couches de
récits:

De JE (histoire de Dathan et d'Abiram):
v.lb,2a,12-10,25,26,27b-32a,3 3,34

De Ps (1re couche de l'histoire de Koré): v. 1a (en partie), v.
26, 7,18, 24,27 - 35 - 41, 50.

De P et suivant (adjonctions à l'histoire de Koré): v. 1a (en
partie), v. 8 - 11, 16 - 17, 36, 40.

Les parties poétiques du livre des Nombres.

Le texte renferme ce que la tradition nationale, reproduite sous des
formes diverses par deux ou trois documents d'origine et d'âge
différents, a pu savoir de la période durant laquelle les tribus
vécurent au désert et se préparèrent à faire la conquête de Canaan.
Ces traditions, au cours des siècles, se transmirent, soit par voie
orale (et c'est à propos de celles-ci qu'il convient d'admettre les
plus grandes possibilités de déformation), soit peut-être encore sous
la forme de rédactions partielles (voir ce qui a été dit de No
33), soit aussi sous celle de poèmes dont on verra plus loin que
l'un d'entre eux, au moins, célébrait les victoires remportées par
Yahvé sur les ennemis de son peuple. (voir No 21:14, «le Livre
des Guerres de Yahvé») Un des éléments les plus intéressants de
Nomb., et spécialement de JE où ils sont le plus largement
représentés, ce sont les fragments poétiques qu'on y rencontre. Nous
ne ferons qu'énumérer brièvement ici:

La «bénédiction sacerdotale» de No 6:24,26,
actuellement insérée dans P, et qui doit avoir été tirée de quelque
hymne préexilique: elle se fait remarquer par sa structure pleine
d'art; on y discerne une gradation très marquée, chaque verset étant
composé de deux hémistiches dont le deuxième renferme un mot de moins
que le premier; la pensée elle-même s'élève de la demande de
bénédiction matérielle, v. 24, à celle de la Paix, terme qui implique
toutes les grâces temporelles et spirituelles du verset 26 (voir
Kautzsch, Die heil. Schrift des A.T., 3 e éd., p. 194, et les
commentaires).

No 10:35 et suivant, la formule de souhait
qu'on prononçait lorsque l'arche quittait un lieu ou se fixait dans
un autre. L'arche étant la forme visible de la présence divine, ces
paroles s'adressaient à Dieu même, dont on souhaitait le triomphe sur
ses ennemis. Elle a un cachet d'antiquité très réel et il est
possible qu'elle ait été empruntée à ce «Livre des Guerres de Yahvé»
dont provient le fragment suivant.

No 21:14 et suivant, citation d'un poème
plus ancien que E, dans lequel il est inséré ici, et tirée d'un
«Livre des Guerres de Yahvé», recueil qui devait contenir des chants
populaires célébrant les victoires d'Israël sur les Cananéens et
autres ennemis. Il est possible que ce petit poème célébrait les
conquêtes d'Israël en Moab.

No 21:17,18, le «chant du puits», échantillon
d'un genre de poésie populaire dont il existe un petit nombre
d'exemples dans l'A.T, (voir Esa 5:1 27:2- et suivant). Ce bref
poème, composé sans doute à l'occasion de l'ouverture d'un puits et
en vue d'une cérémonie d'inauguration, célèbre l'intervention
bienfaisante des «princes et chefs» qui ont assuré à leur clan
l'usage de ce puits.

No 21:27-30. On trouve ici, attribué aux môchelîm
(litt., «faiseurs de sentences», mot qu'on a aussi
traduit par «chanteurs de ballades»), un poème sur la nature duquel
on a de la peine à s'accorder, car il présente de sérieuses
difficultés d'interprétation. Les uns y voient l'oeuvre d'un poète
amorrhéen chantant la victoire remportée par sa nation sur les
Moabites; les autres (et cette opinion paraît la plus probable) y
reconnaissent l'oeuvre d'un poète hébreu, célébrant une victoire de
son peuple sur Moab et exhortant, soit ses contemporains à rebâtir
les villes que les conquérants avaient détruites, soit (sous une
forme ironique) les Moabites eux-mêmes à reconstruire les villes de
leur territoire qui avaient été ravagées au cours de la guerre.--Ce
petit poème se retrouve, avec quelques variantes et sans la mention
de Sihon roi des Amorrhéens du verset 29, dans Jer 48:45 et
suivant
. Quant à la date, on en a proposé plusieurs: d'après Causse
(Les plus vieux chants de la Bible, Paris 1928, p. 60), il
remonterait déjà au XII e ou au XI e siècle, et aurait été composé à
l'occasion d'une guerre entre Ruben et Gad; tandis que, d'après
Stade, Basntsch, Kennedy, etc., le poème aurait été composé à
l'époque où le roi d'Israël dirigea contre Moab (vers 887) les
campagnes que rappelle la stèle de Mésa, qui date des environs de
860; il faudrait alors considérer les mots du verset 29.: Sihon roi
des Amorrhéens, comme étant une glose postérieure.

Les quatre petits poèmes de
No 23:7,10,18-24 24:3-9,15-19 sont enchâssés dans l'ensemble
narratif 22-24 qui raconte l'histoire de Balaam, et dont on a pu dire
qu'il constitue «un des chefs-d'oeuvre de la littérature hébraïque»;
les poèmes eux-mêmes «représentent la poésie la plus artistique de
tout l'A.T., poésie qui est à peine surpassée par celle des passages
les plus brillants du livre de Job» (F.C. Burkitt, dans Comment. de
Gore, p. 420). Reposant sur une tradition populaire plus ancienne
qu'eux, mais certainement antérieurs à la date des textes narratifs
de J et E dans lesquels ils se trouvent insérés, ces poèmes
paraissent rappeler la période ancienne de la royauté, car il ne
semble pas que la nation ait été alors divisée en deux royaumes; tout
Israël est encore réuni sous un même sceptre, certains traits y
rappellent l'âge d'or de la royauté israélite: la nation y révèle le
sentiment de sa force et de la certitude du secours et de la
protection divine assurés au peuple de Yahvé, etc. Si l'on pouvait
certifier que le passage No 24:18 et suivant appartenait
bien, dès l'origine, au 4 e de ces poèmes (verset 15,19), l'époque de
David pourrait être indiquée comme ayant été celle de sa composition,
parce que c'est ce roi qui soumit Edom au joug d'Israël. Mais des
réserves assez sérieuses ont été faites à cet égard, et bien des
critiques considèrent ces deux versets comme constituant plutôt la
première des courtes prophéties concernant des peuples voisins
d'Israël (Amalek, v. 20; les Kéniens, v. 21 et suivant; Assur, v.
24), qui ont dû être ajoutées, à diverses époques, à la suite des ch.
22-24, et qui présentent un texte actuellement très altéré. Depuis
quelques années, plusieurs critiques ont émis une opinion d'après
laquelle ces quatre poèmes appartiendraient à une époque tardive,
postexilique; ils auraient le caractère de prophéties de portée
eschatologique, ayant en vue les temps messianiques. Cette opinion,
toutefois, paraît difficilement soutenable, et les raisons qu'on
invoque en sa faveur ne sauraient contrebalancer celles qui parlent
pour l'origine ancienne de ces poèmes. Il est d'ailleurs très
possible que, à des époques tardives, des retouches et des traits
nouveaux aient été introduits dans l'oeuvre des anciens poètes,
supposition qui expliquerait suffisamment la présence d'expressions
et de vues propres aux époques récentes..