NAHUM

Le septième des douze petits prophètes. Le livre est intitulé: Oracle
de Ninive, livre de la prophétie de Nahum, l'Elkosite.

Auteur.

Il ne nous est connu que par son livre. Son nom signifie consolation,
réconfort.
Le terme d'Elkosi est généralement
regardé comme désignant le lieu d'origine du prophète (Elkos), bien
que le Targum en ait voulu faire une sorte de patronyme indiquant que
Nahum descendait d'un certain Kashi, personnage d'ailleurs totalement
inconnu. Mais où trouver un lieu du nom de Elkos? Une tradition place
le tombeau du prophète au Nord de Ninive, en face de Mossoul, dans le
village d'Alkousch, sur la rive E. du Tigre, ce qui ferait de Nahum
un descendant des Israélites déportés après la prise de Samarie
(722). Seulement, cette tradition ne remonte pas au delà du XVI°
siècle de notre ère, et rien n'oblige à penser que Nahum ait habité
l'Assyrie. Ninive était assez connue pour qu'un contemporain de sa
décadence pût en parler en termes généraux. On a voulu voir dans le
Capernaüm des évangiles le «village de Nahum». D'autres, sur la foi
de Jérôme, ont recherché un Elkos en Galilée supérieure, et l'ont cru
retrouver dans Elkoset, près de Rama. Mais rien non plus n'oblige à
regarder notre prophète comme étant d'origine galiléenne. Enfin, on a
relevé l'existence d'un Elkos près de Beit Djibrin, à mi-chemin entre
Jérusalem et Gaza. Nahum serait alors un Judéen de la tribu de
Siméon, ce qui, sans être certain, paraît assez vraisemblable. Cette
indication apparaît d'ailleurs dans une version syriaque des
biographies de prophètes attribuées à Epiphane, évêque de Salamine
(Chypre), en 367. Ce qui est certain, c'est que le livre de Nahum est
l'oeuvre d'un patriote. Il y est fait mention de Basan, du Carmel, du
Liban (1:4), et c'est là un cliché classique dans l'A.T. Quant à la
réconfortante exhortation par laquelle débute le chap. 2 (1:15 de la
Vers. Syn.), c'est expressément à Juda qu'elle s'adresse. On peut
donc admettre l'origine judéenne de Nahum.

Date.

Josèphe (Ant., IX, 12) dit que la ruine de Ninive fut consommée
115 ans après la prédiction de Nahum. Mais on ne peut accepter cette
indication sans contrôle: né en l'an 37 de notre ère, Josèphe ne
disposait pas d'autres documents que ceux que nous connaissons, et il
a écrit en apologiste pour donner aux Romains une idée favorable de
sa nation; quand il ajoute quelque chose à la Bible, il le tire soit
de l'opinion courante à son époque, soit de rapprochements fictifs,
et il semble bien que ce soit le cas ici. Ce chiffre de 115 ans entre
la prophétie et la ruine de Ninive ferait de Nahum un contemporain de
Jotham (759-743). Les anciens chronologistes, se fondant sans doute
sur cette indication de Josèphe, plaçaient la ruine de Ninive en 625,
de sorte que Nahum aurait prophétisé vers 740, ce qui reporte en
effet au règne de Jotham. Mais il est bien évident que la prophétie
de Nahum doit se placer entre le saccagement de Thèbes (No-Amon),
mentionné comme accompli (3:8), et la ruine de Ninive annoncée, donc,
en prenant les dates fournies par les chronologistes modernes, entre
664 et 612. On a pensé que Nahum avait écrit vers 660, à cause de sa
description de la prise de Thèbes supposée récente; mais, d'autre
part, on a regardé le passage 3:2 et suivant comme faisant allusion
au blocus de Ninive par Cyaxare, ce qui donne la date de 645 (cf.
Huart, La Perse antique, Paris 1925, p. 37). Il est permis de
chercher à préciser davantage. Si les passages: «Célèbre tes fêtes, ô
Juda, accomplis tes voeux», et ce car l'Éternel va rétablir la gloire
de Jacob et la gloire d'Israël» (Na 2:1 du texte hébreu et Na
1:15 de la Vers. Syn.), peuvent être acceptés comme faisant
allusion aux espoirs qu'avait fait naître l'avènement de Josias
(640-609), après le règne de l'odieux Amon, fils de Manassé, comme
c'est la douzième année de son règne que Josias commence à
«rechercher le Dieu de David», et la dix-huitième qu'il restaure le
Temple et le culte (2Ch 34:31), c'est donc entre 628 et 622
qu'il conviendrait de placer l'oracle de Nahum. Cela correspond
d'ailleurs assez bien à d'autres indices.

La force assyrienne n'a pas encore trop décliné au temps
d'Assourbanipal (669-625); mais quand celui-ci meurt, c'est l'un de
ses fils, le faible Assour-étel-ilâni, qui lui succède; et c'est
alors que le déclin se précipite. Le mot du prophète: «Tu n'auras
plus de descendants qui portent ton nom» (Na 1:14), s'applique
mieux à ce dernier souverain qu'à son père. Il n'était pas difficile,
alors, de prophétiser la chute prochaine, de Ninive, puisque déjà les
Mèdes, un moment retardés par une attaque à revers des Scythes,
inquiètent l'Assyrie. Si la mention du messager de paix qui vient par
les montagnes (du N., seule route possible d'invasion) n'est pas un
pur cliché (cf. Esa 52:7 et Ro 10:15), elle pourrait
désigner l'adversaire qui, précisément parce qu'il menace l'Assyrie,
apparaît au voyant de Juda comme un messager de bonne nouvelle.
C'est, en effet, l'époque où les Scythes pénètrent en Palestine,
attirés par les richesses de l'Egypte conquise par Assourbanipal.
Mais comme ils suivent la côte méditerranéenne, ils ne constituent
pas un danger direct pour Juda. Il paraît donc raisonnable de situer
l'oracle de Nahum un peu après 625, sous le règne du successeur
d'Assourbanipal.

Etat du texte.

Le texte de Nahum paraît en plusieurs endroits assez maltraité,
notamment dans le premier chapitre. On en donne pour raison que cette
partie du livre, dont le début se présente comme un poème
alphabétique (voir art.) interrompu, a subi des remaniements: et, de
plus, l'ordre alphabétique est considéré comme l'indice d'une
composition tardive. Cet argument n'est pas irrésistible. On trouve,
à la vérité, dans cette partie du livre, des traces d'ordre
alphabétique: le verset 2 commence par un aleph, un beth se
trouve au milieu du verset 3, un gimel au début du verset 4, et
ainsi de suite jusqu'au v. 11, qui commence par un mem, ce qui
fait 13 lettres sur les 22 de l'alphabet hébreu. Au delà, on ne
distingue plus l'ordre alphabétique qui, pour être normal, doit
comporter les 22 lettres, une au début de chacune des divisions
métriques. On peut donc se demander si ce qui est tardif ici, ce ne
serait pas un essai de restauration d'un texte plus complet, ou
d'introduction de la forme alphabétique amorcée par la présence,
peut-être purement fortuite, d'un commencement de cette forme
employée, comme on le sait, dans plusieurs psaumes et ailleurs. En
tout cas, la forme alphabétique dans ce morceau de Nahum ne peut
suffire à établir de façon sûre sa composition tardive, car on
connaît des exemples de cette forme antérieurs à l'exil (722),
notamment les Ps 9 et Ps 10 qui, réunis, forment un
acrostiche alphabétique, et qui sont nettement pré-exiliques. Mais il
reste que le texte paraît avoir subi des remaniements, des
transpositions de mots, peut-être des additions de stances qui
déterminent pour le traducteur cet embarras qui se trahit dans Sg.
par des points de suspension, et dans la Vers. Syn. par l'addition,
d'ailleurs justifiée, de mots qui ne sont pas dans le texte, et qui
sont ajoutés pour éclairer le sens (ô Ninive, v. 11; ô Juda, v. 13;
peuple de Ninive, v. 14). Malgré ces difficultés, l'unité du livre ne
paraît pas devoir être mise en cause; elle n'a du reste pas été
victorieusement combattue.

Contenu.

Le livre comprend trois chapitres de longueur à peu près égale et qui
suivent assez exactement l'ordre des idées. Le tout s'ordonne en 2
parties: la première englobe les 2 premiers chap.; la seconde est
formée par le chap. 3. La première partie débute par une sorte
d'introduction psalmique: (Na 1:1,8) Jéhovah, Dieu «jaloux»,
lent à la colère, ne laisse pas le mal impuni; il est bon pour ceux
qui se confient en lui, mais il poursuit ses ennemis jusque dans les
ténèbres. On reconnaît là des expressions courantes du langage des
prophètes. Puis vient un premier tableau où ce qui vient d'être dit
est appliqué à des cas particuliers (Na 1:9,14) pour amener à
cette question: Que pensez-vous de Jéhovah? L'ennemi s'avance, et le
prophète s'adresse à lui pour lui prédire la vanité de ses efforts.
C'est dans cette partie que le texte semble avoir été perturbé. On y
rencontre des images d'un réalisme marqué, obtenues à l'aide de
véritables jeux de mots impossibles à rendre autrement qu'en
périphrases, comme celle où les Ninivites sont représentés vautrés
dans leurs orgies et entrelacés comme des tas d'épines. Aussi
l'Éternel va-t-il les humilier «pour n'avoir plus à les humilier par
la suite», c'est-à-dire définitivement, de sorte que ce peuple, ou le
trône d'Assyrie, n'aura plus de descendants portant le nom d'Assur.
Le deuxième tableau (attaque, prise et pillage de Ninive) s'ouvre par
l'annonce d'un porteur de bonnes nouvelles arrivant sur les montagnes
et par l'invitation à Juda de rétablir son culte, ce qui est, sans
doute, une allusion à la réforme de Josias; puis vient une
description rapide, et très réaliste aussi, de l'investissement de
Ninive. Certains détails frappent par leur précision. Telle est
l'allusion aux «lions» (Na 2:12 et suivant). Les souverains
assyriens affectionnaient la chasse de ces fauves, et l'on sait que
le lion (voir ce mot) tenait une grande place dans l'art sculptural
de leur pays. Mais le lion qui «déchirait pour ses petits, étranglait
pour ses lionnes», qui «remplissait de proies ses antres, de
dépouilles ses tanières», va être dévoré à son tour, et l'on
n'entendra plus la voix de ses messagers.

Le 3e chap, forme un tout à part: c'est un second oracle
sur Ninive, plein, lui aussi, d'images réalistes. Ce morceau
constitue un des plus saisissants tableaux de bataille de la
littérature hébraïque. Dans la «ville sanguinaire, pleine de
mensonge, de violences, et qui ne cesse de se livrer à la rapine»,
voici que soudain on entend «le bruit du fouet, des roues, le galop
des chevaux, le roulement des chars...» (Na 3:2 et suivant).
C'est à cause des «nombreuses prostitutions de la prostituée», dont
l'exemple fascinait les peuples, que la prostituée sera traitée en
prostituée, c'est-à-dire offerte en spectacle, nue et
dépouillée (Na 3:5 et suivant). Et l'on n'aura pas pitié d'elle.
No-Amon a déjà eu ce sort (664). «Es-tu meilleure que No-Amon?»
Cependant elle est partie pour l'exil (Na 3:8,10). Il faut donc
que Ninive se prépare à subir le même sort. Tandis que les Mèdes
rôdent autour d'elle, on tremble parmi le peuple (Na 3:13); les
marchands, les notables, les princes mêmes s'agitent. Ils sont comme
les sauterelles posées sur les haies et les murs, et qui, au matin,
ouvrent leurs ailes et s'envolent (Na 3:17). C'est ironiquement
que le prophète invite les Ninivites à réparer les brèches faites à
leurs murailles. Mais il n'est déjà plus temps de fouler l'argile et
de cuire des briques (Na 3:14). Le roi d'Assyrie ne peut plus
compter sur personne et c'est à lui directement que le prophète
s'adresse en terminant: personne ne le plaindra, car quel est celui
que sa méchanceté n'a pas atteint? (Na 3:19)

Si Nahum apparaît plutôt comme un patriote, il ne faudrait pas en
conclure que son livre n'a qu'une valeur restreinte comme livre
prophétique. On y retrouve les préoccupations des prophètes de
l'époque: Jéhovah est le grand vengeur des iniquités. Certes, Nahum
n'est pas tendre pour Ninive. Il est visiblement emporté par son
indignation. Mais si elle se traduit âprement, elle se justifie par
le souci de l'homme de Dieu. Sophonie, qui prophétisera un peu plus
tard, complétera le tableau en prolongeant le jugement de Dieu sur
Juda et Jérusalem. Et c'est un «reste» qui recueillera un jour le
fruit des promesses. Ch. S.