LANGUES (don des) 1.

I Etude exégétique.

1.

LES TEXTES.

Le don des langues est l'un des charismes d'apparence prodigieuse
dont l'Église primitive a été gratifiée (voir Charisme). Les 1Co
12 à 1Co 14 sont la source de renseignements de beaucoup la
plus importante, celle qui permet le mieux de caractériser le «parler
en langues» (laleïn glôssaïs ou glôssê), la «glossolalie».

D'autres textes, pourtant, doivent être examinés, et notamment
Ac 2:1,13, où le fait mentionné semble, au premier abord,
différent, ressortissant à la xénoglossie, ou parler en langues
étrangères non apprises, plutôt qu'à la glossolalie.

1.
Le don des langues, d'après 1Co 12-14

Les Corinthiens qui ont consulté Paul, et Paul qui les
conseille (1Co 12:1), sont d'accord sur un point essentiel: le
«parler en langues», la glossolalie est un charisme, un don de
l'Esprit divin (1Co 12:10 et suivants). Sans doute, certains
membres de la communauté le contestaient-ils, puisque l'apôtre juge
bon d'adresser cet avis: N'empêchez pas qu'on parle en
langues (1Co 14:39). Cependant, la majorité de l'Église n'avait
pas besoin d'être encouragée, mais plutôt retenue sur cette voie qui
n'était pas sans risques.

Le glossolale était généralement considéré comme l'inspiré par
excellence (1Co 14:27). Et Paul lui-même ne déclare-t-il pas: Je
parle en langues plus que vous tous? (1Co 14:18) Néanmoins, son
conseil est surtout de prudence vis-à-vis d'un charisme que, sur
l'échelle des valeurs et des dons spirituels, il ne situe pas tout en
haut (1Co 14:19,23-28). Dans son langage charismatique,
l'inspiré n'est plus sous le contrôle de son entendement pour régler
sa parole; c'est l'Esprit qui le mène et qui se sert de lui comme
d'un instrument (1Co 14:14 et suivants).

Le «parler en langues» ou «parler en esprit» (1Co 14:2,13,14)
est donc un langage automatique dont l'homme, possédé
par l'Esprit, n'est pas le producteur conscient, mais l'organe
passif. Le glossolale est dans une extase comparable à celle que
Philon décrit en ces termes: «L'intelligence (nous) est chassée
par l'invasion de l'Esprit (pneuma) divin; quand l'Esprit se
retire, l'intelligence revient» (Quis rer. div., 53).

Dans cet état mystique, l'affectivité déborde et submerge
l'entendement; elle n'est cependant pas toujours comme diluvienne et
chaotique; elle peut suivre le cours de l'Esprit, qui la dirige vers
l'édification, l'intercession, l'action de grâces (1Co
14:2,14,16).

Mais l'inspiré lui-même s'en rend à peine compte. Il parle à
Dieu, non aux hommes (1Co 14:2), et les sons qu'il émet restent
mystérieux pour ceux qui l'écoutent. Ils ont besoin d'être
interprétés (1Co 14:2 14:27). Sans interprétation, le glossolale
n'édifie que lui seul (1Co 14:3 et suivant) et se sépare de la
communauté (1Co 14:16 et suivant). C'est pourquoi, s'il n'a pas
d'interprète, que le glossolale se taise (1Co 14:28).

La glossolalie ne se présente pas toujours avec les mêmes
caractères: on peut en distinguer des genres différents (génê
glôssôn,
1Co 12:10,28). Ces genres ne dépendent pas seulement
de l'interprétation, comme le voudrait Holsten, mais de la nature du
phénomène, aux aspects variés comme ceux des langues dont les hommes
se servent pour se communiquer leurs pensées (génê phônôn, 1Co
14:10).

En dehors de toute interprétation, la glossolalie produit des
effets divers sur ceux qui l'entendent. Il arrive que l'incrédule,
saisi par le prodige, y discerne un signe divin (1Co 14:22).
Mais on peut y voir une manifestation de folie (1Co 14:23).
L'impression dominante est celle du mystère (1Co 14:2).

La glossolalie peut donner l'impression d'une xénoglossie, d'un
parler en langue étrangère (1Co 14:21). Mais les langues
humaines sont formées de paroles distinctes, et dont le groupement
obéit à des lois. Il n'en est pas toujours ainsi pour la
glossolalie (1Co 14:9-11). Elle peut se comparer à des
instruments dont on joue sans en observer les règles
musicales (1Co 14:7-9). Il arrive, également, qu'elle donne
l'impression d'un langage angélique, soit par la douceur ou
l'harmonie des sons, soit, peut-être, par la ferveur, l'onction ou la
jubilation d'un rythme de prière, de louanges ou d'actions de
grâces (1Co 13:1).

La conclusion qui se dégage naturellement de ce passage, c'est
que la glossolalie est un langage extatique, échappant au contrôle
rationnel et fermé à l'entendement. Elle se présente sous des formes
diverses et, vraisemblablement, depuis des émissions de sons
inarticulés jusqu'à l'association de mots qu'aucun lien rationnel ne
paraît unir, mais dont le groupement n'est pas de pur hasard et obéit
peut-être à quelque loi spirituelle. De toutes façons, le
glossolale a besoin d'être interprété.

2.
Le don des langues, d'après Ac 2:1,13

L'effusion de l'Esprit le jour de la Pentecôte et ses premiers
résultats sont du même ordre que les faits mentionnés par l'apôtre
Paul. Le mot choisi par l'auteur des Actes pour désigner l'apparition
des langues de feu ôphthêsan, (Ac 2:3) est une sorte de terme
technique appliqué aux visions surnaturelles. (Cf. Lu 24:34,Ac
9:17 26:16,1Co 15:5,8,1Ti 3:16) Paul a fait l'expérience de ces
visions (optasiaï ; cf. 2Co 12:1,Ac 26:19). Les
manifestations verbales consécutives à la descente de l'Esprit sont,
au premier abord, semblables au phénomène glossolalique. Sous la
puissance de l'Esprit, c'est-à-dire automatiquement, extatiquement,
les disciples commencent «à parler en d'autres langues (laleïn
hétéraïs glôssaïs),
selon que l'Esprit leur donnait de s'exprimer».

L'expression hétéraï glôssaï-- autres langues ou langues
étrangères, sans autre développement, serait à rapprocher
naturellement de 1Co 14:21, où Paul applique à la glossolalie
une parole ainsi présentée de Esa 28:11 et suivants: «Je
parlerai à ce peuple par des hommes d'une autre langue (en
hétéroglôssoïs),
et par des lèvres étrangères (en kheïlésin
hétérôn).
»

On pourrait également rapprocher de 1Co 14:23: «ils diront
que vous êtes fous», la raillerie des auditeurs sceptiques, dans
Ac 2:13: «Ils sont pleins de vin doux». (cf. Eph 5:18)
Pierre, dans son discours explicatif, ne nie point l'apparence qui a
pu suggérer cette remarque ironique; il s'attache à montrer que la
réalité n'est pas ce qu'ont cru les profanes, mais une possession de
l'Esprit. Ses déclarations mêmes, en tant qu'elles sont explicatives,
non, sans doute, du sens, mais de la cause des émissions phoniques,
ressortissent à l'interprétation charismatique, à l' hermêneïa de
1 Corinthiens. Elles sont «proférées» (grec apophtheggesthaï,
lat. effari), suivant une formule également consacrée aux oracles
pneumatiques (cf. Ac 2:4 et comp. Ac 26:25, et, dans LXX
Eze 13:9,Mic 5:12,1Ch 25:1,Za 10:2).

Malgré ces indications concordantes, le corps même du récit
montre indubitablement que le rédacteur final a cru à un prodige d'un
autre genre que la glossolalie. Le miracle ne consiste pas dans le
fait que les auditeurs entendent proférer des sons qu'ils ne
comprennent pas; mais, au contraire, dans celui que tout le monde
comprend, et que chacun entend parler dans sa propre langue
(Ac 2:6).

Ce trait qui, pour le rédacteur, est essentiel, reparaît deux
fois, sous une forme interrogative (Ac 2:8,11). L'énumération
des peuples représentés vient encore accentuer le fait prodigieux. On
a fait observer que les populations mentionnées soit d'après leur
origine ethnique, soit par leur habitat, parlaient, en réalité,
quatre langues (le zend, l'araméen, le grec et le latin), et, qu'au
demeurant, le grec hellénistique (la langue commune, la koïnê) se
trouvait être comme la seconde langue internationale de l'époque.
Mais ces observations ne suppriment pas le fait que, pour le
rédacteur, chacun a entendu parler dans sa langue maternelle, quelles
que fussent, par ailleurs, ses connaissances linguistiques. C'est là
que gît le miracle, alors même que le nombre des langues se réduirait
à quatre (à la condition, naturellement, d'exclure les dialectes).

Ce fait acquis, trois interprétations de la pensée du rédacteur
peuvent être et ont été envisagées.

Goethe, suivi par un petit nombre de théologiens, estime qu'il
s'agit de «cette langue simple, universelle, dont la recherche a
fatigué inutilement tant de puissants cerveaux. Chacun croit entendre
sa langue parce que chacun comprend.» On a parlé, dans le même sens,
de «langue élémentaire, espéranto mystique, langage mixte», etc.
«Cette langue, d'après Billroth, aurait été la seconde par rapport à
la langue primitive de l'humanité; elle contenait les rudiments des
langues historiques les plus diverses; elle était aux véritables
langues, plus tard parlées par les peuples chrétiens, ce que le
christianisme primitif lui-même, avec ses signes et ses miracles, fut
aux Eglises historiques et nationales des temps postérieurs.» Ce sont
là fantaisies plus littéraires qu'exégétiques. L'usage de cette
langue imaginaire aurait été inutile, car un second miracle
d'audition ou d'interprétation eût été nécessaire.

Dans la seconde catégorie d'hypothèses, le miracle s'effectue non
sur ceux qui parlent, mais sur ceux qui écoutent. Comme l'a indiqué
Suarez, deux conjectures sont encore possibles: il pourrait y avoir
eu soit miracle d'audition par perception réelle, en plusieurs
langues, de paroles prononcées dans une seule, l'araméen; soit
miracle de compréhension, par une intelligence commune, malgré la
diversité linguistique, du sens de ces paroles. La seconde de ces
conjectures est celle d'un phénomène purement télépathique, d'une
lecture de la pensée telle qu'on en cite de nombreux cas, dont
quelques-uns paraissent bien observés. Mais le texte implique
nettement que l'oreille des auditeurs a été frappée par des sons
familiers: ceux de la langue maternelle de chacun en particulier.

Faudrait-il en conclure au prolongement auditif d'un phénomène
d'ordre télépathique? L'auteur, assurément, n'y a jamais pensé, non
plus, d'ailleurs, qu'à la première des deux conjectures. Le
verset (Ac 2:4) est formel: le miracle porte non sur les
auditeurs, mais sur les disciples. Les langues proférées étaient
étrangères (hétéraï) pour les disciples, mais familières à leurs
auditeurs (hêmétéraï, v. 11). Il y a eu certainement, pour
l'auteur, une émission réelle de sons réels, une manifestation
phonique. Il faut même aller plus loin et reconnaître que, pour lui,
ce prodige ressortit nettement à la «xénoglossie». Le récit, dans son
incohérence rédactionnelle, présente en somme une glossolalie
interprétée comme une xénoglossie. Cette interprétation n'a-t-elle
aucun fondement? On ne saurait l'affirmer, car les frontières de la
glossolalie et de la xénoglossie sont imprécises: la première, en
tant que désignant simplement les automatismes phoniques, englobe la
seconde. Mais l'auteur, en accentuant de manière exclusive un trait
qui a pu se rencontrer aussi, bien que sporadiquement, dans la
glossolalie corinthienne, a déplacé le centre de gravité du récit et
mis ce dernier en équilibre instable. On se demande quel principe il
a suivi dans son classement des races et des pays. L'ensemble doit-il
être ordonné sous la rubrique Juifs et prosélytes, qui vient
incidemment au lieu d'être en tête ou en conclusion? Mais le
rédacteur a voulu donner l'impression d'une beaucoup plus grande
variété. Pourquoi mentionne-t-il également la Judée? Déjà Tertullien
lisait Armeniam et Jérôme Syriam, au lieu de Judoeam ; un
grand nombre d'autres substitutions du même genre ont été proposées;
mais elles sont aussi gratuites qu'inutiles. D'autre part, aux versets
(Ac 2:14) et suivants Pierre parle à la foule dans une seule
langue et se fait comprendre. Si les auditeurs n'avaient connu que
leurs propres idiomes, ce discours eût donc été l'occasion, comme le
note Reuss, d'un nouveau miracle. Et, d'autre part, si tous ces gens
parlent l'araméen ou bien le grec hellénistique, quelle était donc
l'utilité d'un prodige de polyglottisme ou de xénoglossie? Ces
difficultés, qui font ressortir le caractère secondaire de la
rédaction, laissent intacte la question de savoir pourquoi l'auteur
les a risquées.

Von Dobschütz considère la scène de Ac 2 comme ayant été
primitivement une manifestation visible du Christ, une christophanie.
Des automatismes visuels, des «photismes» ont précédé, effectivement,
les automatismes phoniques; ils ont été accompagnés d'automatismes
auditifs et tactiles: la sensation d'un souffle, d'un vent. Un bruit
semblable à celui d'une bourrasque remplit toute la maison, et c'est
alors que les disciples aperçoivent des langues séparées qui semblent
de feu, et qui se posent sur chacun d'eux (Ac 2:2,3).

On pourrait invoquer ici un grand nombre d'exemples qui montrent
comment les phénomènes d'inspiration ont très souvent été accompagnés
de ces deux manifestations sensorielles: la perception d'un souffle,
d'un vent, la perception d'une flamme, d'un feu. Le fait a été si
courant qu'une véritable tradition mystique, susceptible à son tour
d'action psychique intense et caractérisée, s'est formée, appelant
ces deux impressions physiques comme un concomitant normal et
nécessaire du phénomène essentiel de l'inspiration. A telles
enseignes que, dans toutes les langues, les expressions mêmes qui
servent à désigner l'esprit, le vent et quelquefois le feu, sont
voisines, souvent interchangeables, et parfois identiques.

Ainsi rouakh, en hébreu; pneuma, en grec; spiritus,
en latin, veulent dire également: souffle, haleine, vent ou esprit.
Yahvé, comme les dieux homériques, a les vents pour messagers (Job
38:1 Eze 1:4,Ps 104:4); à son approche, les cimes des arbres font
entendre comme un bruit de pas (2Sa 5:24). L'Esprit est comparé,
identifié avec le vent (Eze 37:9,Jn 3:8, cf. 1Ro 19:11).

A ces faits anciens l'on pourrait en adjoindre de plus récents et
même de modernes (cf. Lombard, De la glossolalie..., p. 75; H.
Bois, Le Réveil au Pays de Galles, p. 383). Le feu accompagnait,
comme le vent, les manifestations de Dieu ou de l'Esprit (cf. Ex
3:2 19:18,1Ro 18:38 19:12; Josèphe, Ant. 8:4; cf. Mt 3:11,Lu
3:16). Les impressions lumineuses, ou «photismes», à caractère
mystique, sont très fréquentes jusqu'à nos jours (cf. Lombard, o.
c.;
H. Bois, 0. e, pp. 354SS; Théâtre sacré des Cévennes;
Mémoires d'Abraham Mazel,
p. 20).

Les termes glôssaï ôseï puros (langues comme de feu) ont
également de nombreux parallèles. Le plus remarquable est
l'expression hébraïque lechôn éch, qui veut dire littéralement:
langue de feu; si bien que, par extension, lâchôn seul, qui
signifie langue, veut dire également tantôt flamme et tantôt parole.
Il y a là comme l'aboutissement verbal d'une tradition mystique, et,
en même temps, l'introduction au miracle des langues.

Il n'en demeure pas moins que, pour l'auteur des Actes, l'accent
du récit de la Pentecôte ne porte pas sur une christophanie, mais sur
une manifestation phonique de l'Esprit, sur une «hétéroglossie», qui,
même dans sa conception particulière, demeure essentiellement une
«pneumoglossie».

Comment s'est effectuée la déviation rédactionnelle constatée? La
plupart des auteurs sont ici d'accord. Suivant la tradition juive, la
fête de la Pentecôte était la commémoration de l'institution
sinaïtique de la Loi. Or, le judaïsme contemporain de Jésus
considérait déjà la Loi comme ayant été promulguée non seulement pour
Israël, mais pour tous les peuples. A l'occasion de cette
promulgation, afin de la rendre efficace, des prodiges ont eu lieu
qui ne sont pas sans analogies avec ceux que rapporte, le chap. 2 des
Actes. Ainsi, Philon raconte comment le retentissement de la voix
divine a porté jusqu'aux extrémités de la terre, pour atteindre ceux
qui n'étaient pas présents au Sinaï (De Septenario). Cette voix
qui descend du ciel, et dont la portée est universelle, est une voix
de feu (pros pur phlogoeïdes métabalousa). Le feu descend du ciel
comme un fleuve, et la flamme s'articule dans les divers dialectes
(tês phlogos eïs dialecton arthrouménês). Cette description de
Philon (De De-calogo, parag. 9 et 11) présente un parallèle très
net avec le récit de la Pentecôte, et les traditions juives sur
lesquelles il se fonde n'ont sans doute pas été sans influencer la
rédaction des Actes.

L'auteur a eu vraisemblablement à sa disposition, non seulement
la tradition orale, mais également une source ou plusieurs sources
divergentes. Son récit, bien que secondaire, apporte une précieuse
contribution à la connaissance et à la compréhension du charisme des
langues dans l'Église primitive.

3.
Autres passages du N.T. sur le don des langues

On vient de voir que la glossolalie n'avait pas été limitée à
l'Église corinthienne, puisqu'il faut englober sous ce nom générique
les automatismes phoniques les plus divers (génê glôssôn). Elle
apparaît souvent dans les périodes d'effervescence religieuse; il
serait surprenant qu'elle eût absolument laissé indemnes les autres
communautés pauliniennes. Pourtant, l'apôtre n'en fait mention, d'une
manière certaine, que dans 1Co 12-14. On a rapproché de 1Co
14:39,1Th 5:19: «N'éteignez pas l'esprit», avec la mention
parallèle de la prophétie, et l'on en a conclu que la glossolalie,
manifestation pneumatique par excellence pour les Corinthiens, était
également connue à Thessalonique. Ce n'est qu'une hypothèse. On a
voulu, de même, interpréter Col 3:16 par 1Co 14:15. Mais
comment Paul recommanderait-il aux Colossiens des chants
«pneumatiques», quand il les déconseille aux Corinthiens, sans
d'ailleurs les prohiber absolument? Le livre des Actes, en dehors du
récit de la Pentecôte, sa contribution la plus importante, mentionne
à deux reprises le charisme des langues, dont il fait le signe
courant et l'effet habituel du baptême de l'Esprit (Ac 10:46
19:6). C'est un trait de lumière!

Il faut signaler également que la fin de Marc (Mr 16:17)
fait allusion à la glossolalie (glôssaïs lalêsousin kaïnaïs)

On peut encore citer les passages où Paul mentionne ses propres
charismes. Dans 2Co 12:1 et suivants, l'apôtre invoque ses
visions et révélations du Seigneur: il a été transporté jusqu'au
troisième ciel; il ne sait s'il était alors ou non dans son corps; il
a entendu des paroles mystérieuses qu'il n'est pas permis à l'homme
de dire (arrêta rêmata, v. 4, cf. 1Co 2:9 13:1). Les paroles
ineffables (arrêta rêmata) sont entendues sans doute exclusivement.
L'apôtre était, d'ailleurs, richement doté en propriétés de ce genre.
Il n'a pas eu seulement des visions, des messages et des
avertissements d'en haut, (cf. Ac 16:9 18:9 22:17 23:11 27:23,Ga
2:2) mais aussi des impulsions motrices. Il a parlé en langues, et,
vraisemblablement, de diverses manières: «plus que vous tous»,
déclare-t-il aux Corinthiens (1Co 14:18). On a pensé que Ga
4:6,Ro 8:15-26 pouvaient impliquer une répercussion motrice et
phonique de l'inspiration. Ce n'est qu'une conjecture fondée sur le
fait que les réminiscences lointaines et les archaïsmes sont très
fréquents dans le langage automatique. Mais la mention du seul terme
araméen: abba (père) n'est pas suffisante pour que l'on puisse
préciser cette simple supposition.
Conclusion de l'examen des textes

Les passages du N.T. où il est question du «parler en langues» font
allusion à des phénomènes qui, dans leur variété, présentent
cependant une certaine unité. Qu'il s'agisse de la glossolalie
corinthienne ou de la xénoglossie ou pseudo-xénoglossie
hiéro-solymite, nous avons affaire similairement à des états de
conscience réduite, voire totalement obnubilée, où le mécanisme
phonique, échappant au contrôle personnel, est actionné par une force
d'apparence étrangère; cette puissance mystérieuse est attribuée à
l'Esprit ou identifiée avec lui.

«Glossolalie» (ou «pneumolalie», qui accentuerait la notion du
charisme) pourrait être usité comme terme générique pour désigner les
variétés du «parler en langues», d'après les indications ou simples
allusions du N.T. La glossolalie est un automatisme moteur de nature
exclusivement phonique; mais elle va de pair avec d'autres
automatismes sensoriels ou moteurs qui forment son cortège habituel.

2.

LE SENS DE L'EXPRESSION BIBLIQUE: «parler en langues, ou en
langue
». L'expression se rencontre 11 fois chez Paul: 6 ou 7 fois
(suivant les manuscrits) avec le substantif au pluriel (glôssaïs
laleïn),
dans 1Co 12:30 14:5,6,23,39) et peut-être v. 18; 4 ou
5 fois avec le substantif au singulier (glôssê laleïn), dans
1Co 14:2-4,13,27, et sans doute v. 18 (dans les manuscrits Sin.,
A,D,G, latin).

Il faut signaler, dans la même épître, les expressions voisines:

dire des paroles en langue (laleïn logous en glôssê, 1Co 14:19);
parler les langues des hommes et des anges (laleïn tais glôssaïs..., 1Co 13:1);
prier en langue (proseukhes-ïhaï glôssê, 1Co 14:14);
avoir une langue (glôssan ékheïn, 1Co 14:26);
genres de langues (génê glôssôn, 1Co 12:10,28).
les langues ;(glôssaï, 1Co 13:8 14:22)

On rencontre encore l'expression parler en langues
(laleïn glôssaïs) dans Ac 10:46 19:6; avec l'adjonction des
déterminatifs: autres, les nôtres (hétéraïs, hêmétéraïs) dans
Ac 2:4-11; avec l'épithète: nouvelles (kaïnaïs) dans
Mr 16:17.
Laleïn (=parler) désigne le langage en général, articulé ou
inarticulé: des paroles, des cris, des sons.

Comme l'hébreu lâchôn, le latin lingua et le franc.
langue, le terme grec glôssa désigne à la fois l'organe
phonateur et le produit de la phonation; il a, de plus, un sens
technique, d'où trois catégories d'explications de l'expression
«parler en langues».

Glôssa =langue, organe phonateur.

(a) D'après Bardili, Eichhorn, S. Reinach,
«glossolaler», au sens biblique, c'est parler avec la langue,
c'est-à-dire automatiquement, l'esprit humain ne prenant point part à
cette opération où l'organe seul est actif. Cette interprétation se
heurte au pluriel glôssaïs =langues, employé pour une seule
personne (1Co 14:5 et suivant); elle rend parfaitement
inintelligibles les expressions: avoir une langue, genres de langues.
D'autre part, lorsqu'il s'agit de l'organe phonateur, la tournure
employée ne permet aucune confusion (1Co 14:9, dia tes
glôssês).

(b) Quelques auteurs (Baur, Hilgenfeld, Holsten,
Schmie-dël), mais de manières diverses, font de glôssa l'organe
phonateur en tant qu'instrument de l'Esprit; ce n'est plus la même
langue, mais une langue nouvelle, recréée par l'Esprit (Neander).
Cette forme de l'hypothèse se heurte aux mêmes objections que la
précédente et paraît encore plus étrange. Beyschlag va jusqu'à
identifier les langues recréées par l'Esprit avec les langues de feu.

(c) Paul Feine veut combiner la thèse de l'organe
phonateur et celle du terme technique; il se heurte ainsi aux
difficultés qui précèdent et à celles qui suivent.

Glôssa --terme technique, rare, désuet,
archaïque. «Glossolaler», c'est parler en «glosses», c'est-à-dire en
termes étranges, incompréhensibles (Herder, Ernesti, Bleek,
Heinrici). De même que la précédente hypothèse se heurtait au
pluriel, celle-ci se heurte au singulier. Qu'est-ce qu'un parler en
langue qui se réduit à l'emploi d'un seul terme bizarre? Pas plus que
la première, cette interprétation ne cadre avec les textes.

Glôssa --langue, langage,

(a) «Glossolaler», c'est parler une langue étrangère
ou des langues étrangères, dont la connaissance a été donnée
miraculeusement (Origène, Chrysostome, Augustin, Calvin, Kohler).
C'est l'assimilation de la glossolalie corinthienne à la xénoglossie
traditionnelle, suivant l'auteur des Actes. On a vu que le contraire
paraissait justement indiqué (cf. I, 1, 2).

(b) Pour A. Wright et D. Walker, la glossolalie, tant
corinthienne que hiérosolymite, est un phénomène prodigieux de
réminiscence, sous l'action de l'Esprit. Cette explication,
psychologiquement et religieusement plausible, n'est pas une
interprétation philologique. Le sens biblique est certainement autre.

(c) «Glossolaler» veut dire: parler la langue de
l'Esprit. C'est une langue particulière, celle du Paradis, pour
certains; celle dont Dieu se sert dans ses inspirations. Cette
interprétation se heurte, comme celles de la première catégorie, au
pluriel: langues, et à l'expression: genre de langues.

(d) «Glossolaler», c'est parler un langage étrange, le
langage des esprits ou de l'Esprit (J. Weiss, Lietzmann). Bousset
développe heureusement cette interprétation, en insistant sur le sens
mystique de «langues» pris ici absolument, suivant un usage courant
pour d'autres termes. Les langues par excellence (kat'exo-khên),
ce sont les langues spirituelles. Il y en a plusieurs, même pour les
anges, suivant le ciel de leur habitation, ou suivant leurs
catégories. D'après l'Ascension d'Ésaïe (Esa 8:18,20), le
prophète ressuscité a chanté un hymne avec les habitants du sixième
ciel; «et ni leurs voix, ni leurs paroles n'étaient comme celles des
anges qui sont dans les cinq cieux». Les filles de Job (Testament
48-50), ravies en extase, louent Dieu, chacune dans le dialecte d'une
classe d'anges. (cf. 2Co 13:1,2Co 12:4,Ap 14:2 et suivant)
Conclusion

Les parallèles historiques-religieux invoqués par Bousset paraissent
décisifs; on peut en indiquer beaucoup d'autres, ainsi qu'on le verra
dans le chapitre suivant. Nulle interprétation ne peut se faire,
isolément, dans un abstrait philologique; les textes replacés dans
leur contexte littéraire doivent l'être également dans le plus grand
contexte, celui de l'histoire.

«Glossolaler» ne peut tirer son origine de la scène, quelle
qu'elle ait été, de la Pentecôte. L'histoire montre, que nous avons
affaire, dans la glossolalie, à un phénomène général et fréquent, du
moins quant à ses caractères externes.

Des deux premières catégories d'explications, on peut retenir
quelque chose; mais la troisième seule, sous une forme achevée,
paraît adéquate. Le «parler en langues» peut être, sans doute,
l'activité automatique d'un organe phonateur dont l'individu n'est
plus maître; ou un ensemble de termes étranges et inconnus; mais
c'est essentiellement, et avant tout, un langage spirituel, formé de
phonations diverses, des plus élémentaires jusqu'aux plus complexes;
un langage inspiré, un langage des esprits, de l'Esprit.

Révision Yves Petrakian 2005