AMOUR

I L'AMOUR DE DIEU.

Si nous avions besoin d'une preuve incontestable de la réalité de
la Révélation, nous n'aurions aucune peine à la découvrir, car elle
se trouve éminemment dans cette affirmation: «Dieu est
Amour» (1Jn 4:8). En effet, comment l'homme, avec les seules
lumières de sa raison, aurait-il été capable d'acquérir cette
connaissance? Il a pu, par lui-même, avoir l'idée de la
toute-puissance de Dieu. Tout l'y portait: le spectacle de la nature
et le sentiment de sa faiblesse propre. Il a dû, de très bonne heure,
donner une signification religieuse aux forces naturelles et voir en
elles autant de manifestations d'une Puissance mystérieuse, devant
laquelle il fallait s'incliner dans un sentiment de crainte sacrée.
Nous trouvons dans l'A.T. de nombreuses traces de cette crainte; p.
ex. Jacob à Béthel: «Lorsqu'il se réveilla, il dit: Certainement
l'Éternel est en ce lieu, et moi je ne le savais pas! Il eut peur et
dit: Que ce lieu est redoutable...» (Ge 28:16,17). La sainteté
de Dieu, elle, porte sans doute la marque de la Révélation, surtout
lorsqu'elle apparaît dans sa pleine évidence, grâce à la prédication
des prophètes. Mais il faut reconnaître que, si l'homme était
incapable par lui-même de la concevoir, il pouvait, une fois qu'elle
lui était révélée, l'accepter comme une réalité normale, comme un
attribut nécessaire de la nature divine, car elle répondait
entièrement aux exigences absolues de la conscience, et elle avait
pour elle le témoignage intérieur de la loi morale.

Il en va tout autrement de l'amour. Rien, a priori, ne permet
d'affirmer qu'il fait partie de l'essence de Dieu. Ce qui le montre
bien, c'est que les philosophes s'efforçant de construire
rationnellement une définition de Dieu ne mettent point l'amour au
nombre de ses attributs. Et rien dans notre expérience humaine ne
permet, quand il est connu, de le considérer comme allant de soi. Il
reste le mystère insondable; bien plus, il est une folie pour la
sagesse des hommes. Si nous cherchons sa raison d'être, c'est en lui
et non en nous que nous la trouvons. Il est à la fois le principe de
son existence, puisqu'il ne dépend que de soi, et la source de notre
connaissance, puisque ce que nous savons de lui nous ne le savons que
par lui. La certitude de l'amour est elle-même un don de l'amour.
«Dieu a tant aimé le monde...» (Jn 3:16). Comment aurions-nous
pu le savoir, s'il ne nous l'avait lui-même dit? Et pourquoi nous
l'a-t-Il dit, sinon parce qu'il nous aime? La Révélation tout entière
n'a de sens que par l'amour surnaturel qui l'a voulue et réalisée.

S'il en est ainsi, il est aisé de comprendre que l'amour, premier
dans l'ordre de l'existence, n'ait été saisi que le dernier dans
l'ordre de la connaissance. Sa réalité était si incroyable, elle
dépassait tellement tout ce que l'homme pouvait concevoir ou
imaginer, qu'il lui a fallu des siècles et des siècles pour arriver à
sortir de la nuit de l'ignorance.

Avec quelle timidité, à travers quels tâtonnements et quelles
hésitations les Inspirés de l'A.T. se risquent à l'affirmer! Le fait
même de l'alliance établie par Dieu entre lui et Israël s'est imposé
à leur esprit; il a été le fondement de leur foi et, dans les mauvais
jours, le secret de leur espérance. Mais ils n'ont compris que fort
tard le pourquoi de ce fait. Osée, le premier (milieu du VIII e
siècle av. J.-C), parle de l'alliance de Jéhovah avec son peuple dans
des termes empruntés à la vie conjugale. Dans son amour humain
trompé, dans la souffrance qu'il éprouve à cause de l'infidélité de
sa femme, le prophète a la révélation de l'amour de Jéhovah pour son
peuple,. de sa douleur et de son légitime courroux quand Israël,
semblable à Gomer l'adultère, abandonne son époux pour se prostituer.
Et, de même qu'il pardonne à l'infidèle, de même Dieu renonce au
juste châtiment, car Il aime son peuple. Il ne peut cesser de l'aimer
malgré ses reniements et ses trahisons (voir en particulier Os 1
et Os 2). D'autres prophètes reprendront cette image de l'amour
conjugal et du pardon accordé par Jéhovah à l'épouse
infidèle (Esa 54:5-6,Jer 3:6-13,Eze 16:1-63 etc.). Ils mettront
en relief le caractère immuable de l'amour de Dieu qui, participant
de sa sainteté, est, comme elle, éternel: «Je t'aime d'un amour
éternel; c'est pourquoi je te conserve ma bonté» (Jer 31:3, cf.
Esa 54:8-10).

Le lien qui unit Jéhovah à son peuple est aussi comparé à celui
qui existe entre un père et son fils (Ex 4:22,Jer 3:19
31:9,20,Mal 1:6 etc.). Quelques remarques sont nécessaires ici:

Dans un bon-nombre de passages le mot père
signifie simplement créateur ou procréateur (voir par ex. De
32:6,Esa 64:8,Mal 2:10). C'est fort rarement qu'il a, comme dans
Esa 63:16, un sens spirituel pour exprimer l'amour de Dieu. Nous
sommes donc encore très loin de la révélation de la paternité divine
telle que l'apportera au monde l'Evangile.

C'est le peuple d'Israël, en tant que
collectivité, qui reçoit le titre de fils (Os 11:1,Ps 80:16);
c'est lui qui est l'objet de l'amour de Jéhovah (De 7:6-8,1Ro
10:9,2Ch 2:11 9:8, Esa 41:8 43:4,Mal 1:2). Nous trouvons sans
doute quelques textes où il est dit que Dieu aime des hommes pris
individuellement, mais il s'agit alors d'un amour conditionnel:
«J'aime ceux qui m'aiment» (Pr 8:17). «L'Éternel aime ceux qui
le craignent» (Ps 147:11). «L'Éternel aime les justes» (Ps
146:8, cf. Ps 103:11,13,Pr 15:8).

Longtemps Israël a été considéré comme le seul
peuple aimé de Dieu. Cette idée a favorisé singulièrement le
particularisme juif. Nous trouvons pourtant chez les prophètes une
réaction vigoureuse contre cet esprit nationaliste: ils affirment que
si Jéhovah a établi une alliance particulière avec Israël, il n'a pas
exclu les autres peuples de ses bénédictions (Jer 4:2,Esa
2:2-4,7, cf. Mic 4:1-3,Esa 19:25 25:6 52:15). Une place
spéciale doit être faite au livre de Jonas qui nous montre en Dieu
l'universalité de sa compassion et de sa miséricorde. L'amour n'a
plus de frontières: au delà d'Israël, il s'étend sur toutes les
créatures.

Avec le N.T. s'opère, d'un seul coup, une révolution complète.
L'amour de Dieu n'est plus, comme dans l'A.T., le point culminant de
la Révélation vers lequel tend la foi; il est le fondement sur lequel
tout repose, le terrain dans lequel la certitude enfonce profondément
ses racines: «Étant enracinés et fondés dans l'amour...» (Eph
3:18). Il est à la fois la réalité première et la connaissance
première; il est l'essence même de l'Évangile (1Jn 4:7,8,16).

Dieu est notre Père, le Père céleste, le Père parfait.
(Mt 5:48 6:9 7:11,Jn 4:23 16:27,Ro 1:7,1Co 1:3,Jas 1:17,1Jn 3:1) Il
aime tous les hommes d'un même amour; sa providence s'exerce envers
tous indistinctement (Mt 5:45,1Co 8:6). Cette affirmation de la
paternité divine est le secret de l'uni-versalisme chrétien (Mt
23:8,9). «Il n'y a plus ici ni Juif ni Grec, ni esclave ni libre, ni
homme ni femme; vous êtes tous un en Jésus-Christ.» (Ga 3:28).
Universel, l'amour du Père est en même temps individuel. Dieu connaît
chacun de ses enfants (Mt 6:4,6 10:29-31). Il n'en oublie
aucun (Mt 18:10); dans sa grâce prévenante, Il sait d'avance de
quoi ils ont besoin (Mt 6:8-32); Il veut leur vrai bien et leur
véritable bonheur (Mt 5:3-10); tout don excellent et tout
présent parfait viennent de Lui (Jas 1:17).

Cette volonté d'amour est une volonté de salut. Les hommes,
esclaves du péché, révoltés contre Dieu, sont perdus. Mais Dieu les
aime et parce qu'il les aime, Il veut les arracher à la perdition et
à la mort (Mt 18:14). Il est le berger qui va chercher sa brebis
perdue; Il est le père qui reçoit dans ses bras l'enfant prodigue
repentant (Lu 15). «Il y a de la joie au ciel pour un seul
pécheur qui se repent» (Lu 15:7). Jésus nous fait pénétrer dans
le coeur même de Dieu et nous y montre cette réalité humaine entre
toutes: la joie. Dieu reste Dieu dans sa souveraineté absolue; mais
Il devient en même temps un Dieu humain, car, dans son amour, Il
connaît comme nous la joie, la tristesse et même l'inquiétude de
l'espérance: «Je leur enverrai mon fils bien-aimé; peut-être le
respecteront-ils?» (Lu 20:13).

L'amour se consomme dans le sacrifice. Pour nous sauver, Dieu
lui-même se donne à nous dans la personne de son Fils: «Dieu a tant
aimé le monde qu'il a donné son Fils unique, afin que quiconque croit
en lui ne périsse point, mais qu'il ait la vie éternelle» (Jn
3:16). En Jésus-Christ, c'est l'amour du Père qui s'incarne, qui
devient une réalité visible, qui s'impose à nos sens pour gagner
notre foi: «Ce qui existait dès le commencement, ce que nous avons vu
de nos yeux, ce que nous avons contemplé et que nos mains ont
touché...» (1Jn 1:1). Jésus aime comme Dieu seul peut aimer. Il
console, il pardonne, il guérit; il se penche sur toutes les
détresses et toutes les misères; il arrache les hommes à la puissance
du péché qui les asservit (Lu 19:10). Il se donne tout
entier (Mr 10:45), librement (Jn 10:17-13), jusqu'à la
perfection (Jn 13:1), jusqu'à la mort (Eph 5:2,Php 2:8). La
croix est l'accomplissement de l'amour rédempteur.

II. L'AMOUR POUR DIEU.

Il est la conséquence normale de l'amour de Dieu pour nous. Il ne
suppose donc pas seulement la réciprocité, comme dans les relations
humaines, mais il implique un rapport de cause à effet: c'est Dieu
qui a l'initiative, c'est lui qui nous aime et qui fait naître en
nous l'amour. Notre amour pour le Père est lui-même un don de l'amour
du Père. Il est, en nous, un fruit surnaturel de l'Esprit (Ga
5:22). Le désir, c'est Dieu qui le fait surgir dans nos coeurs;
l'appel, c'est Lui qui le fait entendre; la réponse, c'est Lui qui la
sollicite. Sans doute notre liberté entre en jeu, car, sans elle,
l'amour n'aurait aucune valeur morale (Dieu veut être aimé
librement); mais elle apparaît surtout comme une possibilité de
refus; par elle-même, elle ne crée rien dans l'ordre de la grâce. Il
suffit que l'homme ne résiste pas, qu'il n'endurcisse pas son coeur,
pour que spontanément l'amour réponde à l'amour.

Encore faut-il que l'homme prenne conscience de l'amour divin
car, aussi longtemps qu'il ne le soupçonne pas, rien en lui ne
saurait y répondre. Il est ainsi aisé de comprendre que les progrès
de l'amour pour Dieu coïncident avec les étapes de la Révélation.

Au début, nous l'avons vu, le sentiment qui domine est la
crainte. Cette crainte, nous la retrouvons dans les premiers
balbutiements de l'amour, car Dieu se montre toujours redoutable,
plus encore par sa sainteté que par sa puissance, et ce n'est qu'en
tremblant que le fidèle s'approche de Lui. Si Jéhovah manifeste sa
bonté, Il le fait comme un maître qui veut bien accorder une faveur à
son serviteur. L'amour demandé à l'homme en retour est un devoir, une
sorte de serment d'allégeance au Seigneur. Des bénédictions sont
accordées à ceux qui observent ce commandement; le châtiment menace
ceux qui s'en détournent (De 11:1,13-17 13:1-4 30:15-20). Dans
le livre des Psaumes nous trouvons pourtant une piété faite de
confiance en Dieu et d'intimité avec Lui, qui est un pressentiment
émouvant de l'amour chrétien.

Avec la révélation du Dieu-Père apparaît l'amour filial. Par la
foi en Jésus-Christ, par la nouvelle naissance, l'homme devient un
enfant de Dieu (Jn 1:12,13,Ga 3:26,1Jn 3:1,2). Il se sait
enfant de Dieu, non par un effort de sa pensée propre, mais par le
témoignage de l'Esprit: «L'Esprit atteste lui-même à notre esprit que
nous sommes enfants de Dieu» (Ro 8:16). Ayant reçu cet «Esprit
d'adoption», il peut avec une joyeuse assurance appeler Dieu: Abba!
Père! (Ro 8:15), cf (Ga 4:6).. N'étant plus «esclave» mais
«fils», il jouit de toutes les prérogatives nouvelles qui lui sont
conférées; il possède «la liberté glorieuse des enfants de
Dieu» (Ro 8:21); il est héritier, «héritier de Dieu, cohéritier
de Christ» (Ro 8:17, cf. Ga 4:7). Toutes ces bienheureuses
certitudes le libèrent définitivement de la crainte: «La crainte
n'est pas dans l'amour; au contraire l'amour parfait bannit la
crainte, parce que la crainte suppose une punition et celui qui
craint n'est pas parfait dans l'amour» (1Jn 4:18, cf. Ro
8:15). C'est par son respect filial, son adoration, sa
gratitude, sa confiance et sa joyeuse obéissance qu'il essaye
d'exprimer son amour envers Dieu. Cet amour, il doit le donner tout
entier: «Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton coeur,
de toute ton âme, de toute ta pensée, de toute ta
force» (Mr 12:30), car la plus grande infidélité est celle du
coeur partagé et du double service (Mt 4:10 6:24,Jas 4:4,1Jn
2:15,16).

L'amour pour Dieu, tel que nous le révèle et nous le donne
l'Évangile, est inséparable de l'amour pour le Christ. Si
théoriquement une distinction est possible, pratiquement elle
n'existe pas: c'est le même mouvement du coeur qui porte le chrétien
à vivre dans la communion de son Père et à s'unir étroitement à son
Sauveur bien-aimé.

III L'AMOUR POUR LES HOMMES.

Il est, lui aussi, un don de la grâce, un fruit surnaturel de
l'Esprit, car le coeur humain est naturellement égoïste. Il faut
entendre par égoïsme, non le simple amour de soi, forme normale de
l'instinct de conservation, dont l'Évangile reconnaît la légitimité:
«Tu aimeras ton prochain comme toi-même » (Mr 12:31), mais
l'hypertrophie du moi qui prétend tout ramener à lui et faire
toujours passer son intérêt avant celui des autres. Or, quoi qu'en
disent certains moralistes, il est impossible de transformer
l'égoïsme en altruisme, car il y a entre les deux une opposition
absolue. Ce n'est pas par une évolution insensible et continue que
l'on peut passer de l'un à l'autre, mais par une révolution totale
qui substitue à une réalité donnée une réalité radicalement
différente. «Ce qui est né de la chair est chair; ce qui est né de
l'Esprit est esprit...Il faut que vous naissiez de nouveau» (Jn
3:6,7). Seuls sont capables de posséder véritablement l'amour ceux
qui sont «nés de nouveau». L'amour chrétien ne saurait donc, malgré
certaines ressemblances extérieures, être assimilé à un simple
sentiment d'humanité ou de philanthropie, car ce qui constitue son
originalité propre, ce qui lui donne son caractère irréductible,
c'est son inspiration religieuse. Avant de se tourner vers les
hommes, il s'oriente vers Dieu en qui il trouve sa cause et sa fin:
«...les sentiments d'amour que l'Esprit vous inspire» (Col 1:8);
«Vous avez appris de Dieu à vous aimer les uns les autres» (1Th
4:9); «Que celui qui aime Dieu aime aussi son frère» (1Jn 4:21,
cf. 1Jn 4:7-11-12). L'amour pour le Père est si étroitement lié
à l'amour pour les frères que l'absence du second est la preuve de la
fausseté du premier (1Jn 4:20). Et les deux ensemble n'existent
que par l'amour de Dieu pour nous: «Nous devons aimer parce qu'il
nous a aimés le premier» (1Jn 4:19). En dernière analyse, il
n'existe qu'un seul et même amour: celui qui vient du ciel et qui y
retourne, en laissant ici-bas les traces lumineuses de son passage.
La langue du N.T. rend sensible cette identité en employant un seul
mot: agapè, pour désigner l'amour de Dieu pour nous, notre amour
pour Dieu et notre amour pour les hommes. Pour nommer ce dernier, le
mot charité est devenu si courant qu'il est pratiquement
impossible de s'en passer; mais nous devons nous souvenir que, dans
tous les passages où nous le rencontrons, dans le ch. 13 de I Cor. en
particulier, il correspond au même mot agapè que l'on traduit
toujours ailleurs par amour.

L'amour pour les hommes se manifeste sous des formes différentes
qu'il faut essayer de préciser:

(a) Nous trouvons tout d'abord l'amour chrétien dans
son sens le plus large, objet d'un commandement universel: «Tu
aimeras ton prochain comme toi-même» (Mt 22:39). Cet amour est
présenté comme le résumé et l'accomplissement de la Loi (Ro
13:9,Ga 5:14); il est aussi appelé la Loi royale (Jas 2:8). Or,
en tant qu'il est commandé, il ne saurait être affaire de sentiment.
Le sentiment, en effet, ne se commande pas; il représente en nous,
dans son jaillissement, la spontanéité pure. On arrive à le
discipliner, à le refouler et même à l'inhiber; mais son apparition
échappe à toute action réfléchie et à tout effort conscient. De plus,
on ne peut exiger de lui qu'il devienne universaliste, car il est par
essence limitatif, sinon exclusif. Seule la volonté est capable
d'obéir à la loi, seule elle est susceptible de recevoir un ordre.
C'est donc en fonction d'elle que nous devons définir l'amour, objet
d'un commandement. Comment en douter quand nous constatons le rôle
prépondérant que la volonté joue dans la haine? Haïr quelqu'un, c'est
lui vouloir du mal. L'aimer, ce sera donc lui vouloir du bien. Il n'y
a pas d'autre définition à chercher: l'amour est la bienveillance, la
volonté de faire du bien au prochain. Personne ici ne peut se
récuser, c'est-à-dire à la fois se réclamer du Christ et se dérober à
sa Loi, car l'amour que le Maître commande est à la portée de tous
ceux qui veulent le posséder. Cet amour exclut l'esprit de
vengeance (Ro 12:19); il réclame le pardon des offenses (Mt
6:12,14,15 18:21-35,Eph 4:32,Col 3:13); il se donne à tous, même aux
ennemis (Mt 5:41,Ro 12:20). Non content de ne pas faire du mal,
il saisit, il cherche les occasions de faire du bien (Ga 6:10).
Par lui s'éclaire et prend une signification nouvelle la notion du
prochain. «Qui est mon prochain?» sommes-nous tentés de demander avec
le légiste (Lu 10:25-37). Et, restant tranquillement là où nous
sommes, nous attendons qu'une réponse nous soit donnée, prêts à faire
toutes sortes de distinctions pour esquiver éventuellement notre
devoir et éluder notre responsabilité. Le Maître, par sa parabole du
bon Samaritain, nous pose tout autrement la question: «Es-tu, toi, le
prochain de tous ceux que Dieu met sur ton chemin? As-tu toujours et
partout la volonté de t'approcher d'eux avec amour, pour les servir,
les aider et au besoin les secourir?»

(b) Si l'amour commence par la bienveillance, il ne
saurait s'arrêter là; en vertu de son exigence de perfection, il tend
à devenir l'amour des âmes. Cette nouvelle forme de l'amour apparaît,
elle, spontanément, car elle prend naissance dans une intuition: la
vision de l'humanité en Dieu ou, plus exactement, la vision de Dieu
en tout homme. Le chrétien acquiert un sens nouveau, le sens de la
valeur unique de l'âme humaine pour laquelle Dieu a donné son Fils et
pour laquelle Jésus est mort sur la croix. Il voit désormais les
hommes non pas seulement tels qu'ils sont, avec leurs défauts, leurs
tares, leurs péchés, mais tels que Dieu les aime; il découvre en
chacun d'eux une intention, une espérance de Dieu. Aussi se sent-il
poussé irrésistiblement à les aimer à son tour, à les aimer pour
l'amour de Dieu, à aimer Dieu présent en eux.

C'est cet amour que l'apôtre Paul a chanté dans son hymne à la
charité: «Quand je parlerais les langues des hommes et des anges, si
je n'ai pas la charité, je ne suis qu'un airain qui résonne ou une
cymbale qui retentit...La charité excuse tout, elle croit tout, elle
espère tout, elle supporte tout...La charité ne périt
jamais...» (1Co 13)

C'est ce même amour qui est le secret de l'esprit de service et
de sacrifice: «J'ai eu faim et vous m'avez donné à manger...Toutes
les fois que vous avez fait cela à un seul de ces plus petits de mes
frères, c'est à moi que vous l'avez fait» (Mt 25:31-46, cf.
Mr 9:37). «Voici comment nous avons connu l'amour: Il a donné sa
vie pour nous; nous aussi nous devons donner notre vie pour les
frères» (1Jn 3:16).

C'est encore cet amour qui est le secret de l'esprit d'apostolat.
Comment, en effet, celui qui le possède pourrait-il accepter que tant
d'hommes continuent à se perdre loin de Dieu, alors que le salut est
pour eux comme pour lui? Il faut qu'il leur apporte le message
libérateur, la bonne nouvelle du pardon et de la délivrance. C'est là
une nécessité intérieure à laquelle il ne peut, sous peine
d'infidélité, se dérober: «Malheur à moi si je n'annonce pas
l'Évangile» (1Co 9:16). L'amour des âmes devient chez certains
chrétiens une vraie passion qui brûle en eux comme un feu dévorant.
N'est-ce pas cette passion qui a arraché à l'apôtre Paul ce cri de
douleur: «Je voudrais être anathème, séparé du Christ pour mes
frères, pour ceux de ma race et de mon sang»? (Ro 9:3)

(c) Il est une autre forme de l'amour que nous devons
distinguer des deux premières car, si elle a une même origine, elle
possède par ailleurs certains caractères propres qui nous obligent à
lui donner une place à part. Nous voulons parler de l'amour
fraternel. Le texte grec, marquant nettement la différence, emploie
pour le nommer, non le mot agapè, mais le mot philadelphia qui,
dans son sens ordinaire, désigne le sentiment d'affection
éprouvé par quelqu'un pour ses frères ou soeurs et, dans son sens
religieux, l'amour qui existe entre les chrétiens en tant qu'ils se
reconnaissent frères et qu'ils se traitent comme tels. (voir Ro
12:10,1Th 4:9,Heb 13:1,1Pi 1:22 3:8,2Pi 1:7) Dans le livre des
Actes et dans les épîtres revient continuellement l'expression: «les
frères» pour parler des chrétiens des différentes Églises. Nous
trouvons également dans plusieurs passages l'expression: «les frères
bien-aimés». (voir Ac 9:30 15:23 17:10 21:7,1Co 15:58 16:20,2Co
8:23,Col 4:15,1Th 1:4,2Th 2:13,Jas 1:16,19 etc.) La fraternité
dont il est question ici ne doit pas être confondue avec la
fraternité que Dieu a établie entre tous les hommes «en les faisant
naître d'un seul», car, si elle l'implique, en même temps elle la
dépasse. Elle est le lien surnaturel unissant tous ceux qui, par la
nouvelle naissance, sont devenus «enfants de Dieu» et membres de la
même famille spirituelle. «Vous êtes concitoyens des saints et
membres de la famille de Dieu» (Eph 2:19).

Frères de Jésus-Christ et frères les uns des autres, les
chrétiens doivent, par un mutuel amour, affirmer ce lien nouveau créé
par l'Esprit: «En vue d'une sincère affection fraternelle
(philadelphia), aimez-vous ardemment les uns les autres, de tout
coeur, vous qui êtes nés de nouveau» (1Pi 1:22). «Ne soyez tous
qu'un coeur et qu'une âme, aimant vos frères» (philadelphoï)
(1Pi 3:8, cf. Php 2:1,2). L'apôtre Paul compare la
communion des âmes ainsi créée par l'amour fraternel à l'union
organique des membres qui, dans leur diversité, forment un seul
corps: «Nous ne faisons qu'un seul corps en Christ et nous sommes
tous membres les uns des autres» (Ro 12:5, cf. 1Co
12:12-27). Cette communion spirituelle trouve son expression
visible et sa confirmation dans la sainte Cène: «Parce qu'il y a un
seul pain, nous formons tous un seul corps, car nous participons tous
à cet unique pain» (1Co 10:17, cf. Ac 2:42,46).

Seul l'amour fraternel a le pouvoir de réaliser et de maintenir,
entre tous les disciples du Christ, l'unité de l'Esprit; seul il rend
possible l'affirmation de leur foi commune (Eph 4:2,6). Il est
donc la seule apologétique efficace que nous puissions présenter au
monde pour le convaincre, par une démonstration visible, de la
réalité de l'amour de Dieu et de la valeur unique de l'oeuvre
accomplie par Jésus-Christ: «Qu'ils soient un comme nous sommes un,
moi en eux et toi en moi; que cette unité soit parfaite, afin que le
monde reconnaisse que c'est toi qui m'as envoyé et que tu les as
aimés comme tu m'as aimé.» (Jn 17:22,23). Alb. D.

Voir Ami, Bien-Aimé, Bienveillance, Bonté, Charité, Compassion,
etc.