JUDAÏSME AU TEMPS DE JÉSUS-CHRIST

I Histoire.

1.

PALESTINE.

Après la prise de Jérusalem par Pompée (63), la Palestine fut placée
sous la juridiction romaine. Quelques années plus tard, l'Édomite
Antipater, ancien légat des Hasmonéens, bien vu des Romains, réussit
à faire nommer ses fils Phasaël et Hérode légats, l'un de Galilée,
l'autre de Judée. A la mort de Phasaël, Hérode obtint par ses
intrigues à Rome le titre de roi de Judée. Son règne dura
trente-quatre ans (37-4 av. J.-C). Hérode, grand constructeur selon
la coutume de l'époque, fit reconstruire le temple de Jérusalem.
Toutefois il ne parvint pas à gagner l'estime des Juifs, qui le
haïssaient et le considéraient comme un étranger. A sa mort, ses
trois fils se partagèrent le royaume: Archélaüs reçut la Judée,
la Samarie et la Syrie avec le titre d'ethnarque. Il mourut en 6 ap.
J.-C, et fut remplacé par des procurateurs romains soumis au légat de
Syrie. Le plus connu est Ponce Pilate (26-36). Hérode Antipas,
celui dont parlent les évangiles, obtint la Galilée et la Pérée avec
le titre de tétrarque; il régna jusqu'en 39, puis fut banni par
Caligula. Enfin Philippe devint tétrarque du N.-E, et mourut
en 34. La tétrarchie de Philippe (37), puis celle d'Hérode Antipas
(40) furent données par Caligula à Hérode Agrippa I er, petit-fils
d'Hérode le Gd, avec le titre de roi. En 41, Claude lui donna la
Judée et la Samarie. Hérode Agrippa I er mourut en 44 et fut remplacé
par des procurateurs (44-66), dont Félix et Festus. Voir les Hérodes,
Palestine AU SIÈCLE DE J.-C.

2.

DIASPORA.

A côté du judaïsme palestinien, la Diaspora (voir ce mot) joue un
rôle important dans l'histoire du peuple juif. Son origine est fort
ancienne, et son apogée se place au moment des Macchabées (150 av.
J.-C). A l'époque de Jésus, le nombre des Juifs répandus dans
l'empire romain est considérable: quatre millions environ, soit un
douzième de la population totale de l'empire (la Palestine en
comptait à peine un million). Parmi ces dispersés, se trouvaient
surtout des commerçants et des banquiers ainsi qu'un bon nombre
d'intellectuels. Ils jouissaient de privilèges notables: ils
n'étaient pas soumis au service militaire, ni cités devant les
tribunaux le jour du sabbat, ni contraints de sacrifier à l'empereur.

II Religion.

Toute la vie religieuse du judaïsme gravite autour d'un point
central: le Temple de Jérusalem, où chaque Juif de la Diaspora et de
Palestine devait venir au moins une fois dans sa vie. En dehors du
culte du temple s'était développé, et cela tout d'abord dans la
Diaspora, le culte de la synagogue (voir ce mot). A l'époque de
Jésus, chaque communauté possédait une synagogue où l'on se
réunissait pour la lecture et l'explication de l'Écriture. En
Palestine, la lecture se faisait en hébreu et l'explication en
araméen, tandis que dans la Diaspora on se servait du grec. La
traduction grecque de la Bible (les LXX) y était la version
officielle (voir Textes de l'A.T.). De même, l'école joue un grand
rôle dans la vie religieuse, car on y étudiait l'Écriture et la
tradition religieuse. La vie familiale était également imprégnée de
religion: purifications, prières quotidiennes (Chemoné Esré). Les
fêtes se célébraient à la maison comme dans la communauté.

L'ancien idéal religieux des prophètes s'était transformé depuis
l'exil. A l'époque romaine, Dieu n'était plus qu'un être lointain,
inaccessible à l'homme. Entre ce Dieu absolu et le croyant
s'échelonnèrent toute une série d'anges, à la tête de laquelle se
trouvaient les archanges au nombre de sept. En même temps, la
croyance aux démons et à Satan fait son apparition. Néanmoins, malgré
son éloignement, Dieu a donné à Israël un gage: la Loi. Cette
loi, écrite dans la Thora, orale dans la tradition des ancêtres,
manifestation de la volonté divine, devient la norme de vie du Juif.
Toute la piété subit son influence, et par suite porte un cachet
essentiellement légaliste. C'est par les bonnes oeuvres (aumônes,
prières, jeûnes) que l'on obtient de Dieu la justification, c-à-d,
l'absolution au jugement. Cette piété, qui fait de Dieu une
personnalité éthique, est celle de Gamaliel, de Hillel, de Schammaï
et d'autres rabbins, et souvent elle trouve une expression très
élevée, mais elle a le défaut d'être particulariste et d'aboutir trop
facilement à ce qu'on nomme le pharisaïsme (orgueil, hypocrisie).
L'espérance messianique forme, avec la Loi, la caractéristique du
judaïsme. Elle est très vivante à l'époque de Jésus. Le Messie
descendant de David viendra libérer le peuple du joug romain et
donner à Israël la prédominance dans le monde. L'apocalyptique, qui
touche de près à cette croyance populaire d'un Messie guerrier, forme
un degré plus élevé. Le Messie, conçu comme un être céleste
préexistant, anéantira Satan et son royaume et inaugurera le monde
nouveau. Tous ressusciteront et seront jugés par le Messie; les bons
iront demeurer avec lui, tandis que les méchants iront avec Satan
dans la géhenne. Ces croyances très vives dans le peuple (les
«pauvres d'Israël») formaient la doctrine du parti pharisien.
Descendants des anciens partisans des Macchabées, les Pharisiens
(voir ce mot) constituaient l'aristocratie religieuse. Stricts
observateurs de la Loi, ils se caractérisent par leur VI° sainte
(sacrifices, aumônes, observance du pur et de l'impur, du sabbat).
Leur nombre semble n'avoir pas été considérable si l'on en croit
Josèphe, qui les considère comme une secte et en compte 6.000 au
temps d'Hérode le Gd. Parmi eux se recrutaient en grande partie les
Scribes, dirigeants spirituels du peuple. A la fois théologiens
et juristes, ils avaient pour tâche principale d'expliquer et de
transmettre la loi renfermée dans la Thora et dans les 63 traités de
la Mischna. Par contre, ces doctrines étaient rejetées en grande
partie par les Sadducéens (voir ce mot), groupe moins important,
d'origine inconnue, qui comprenait la caste sacerdotale juive.
Ceux-ci n'admettaient que la Thora et rejetaient les croyances aux
anges, aux démons, à la résurrection, au jugement du monde. Mais
cette aristocratie de prêtres se sentait attirée par la culture
hellénistique.

De bonne heure une scission parmi les Juifs s'était formée entre
ceux qui rejetaient la culture grecque, les «Hébreux», et ceux qui
l'avaient adoptée, les «Hellénistes» (voir ces mots). En Palestine,
cette scission se produisit du temps des Hasmonéens et des Hérodiens
surtout, mais le parti des Hébreux avait la majorité. Dans la
Diaspora, où le Juif était en contact permanent avec le monde
hellénique, ce fut l'inverse. Avec la langue grecque, les idées
philosophiques du Stoïcisme et de Platon sont adaptées aux
conceptions religieuses du judaïsme, et cela principalement à
Alexandrie où Philon est le représentant le plus remarquable de ce
syncrétisme. La conception du monde reste strictement dualiste, mais
Satan disparaît pour être remplacé par la matière. Il s'agit d'une
opposition entre l'esprit et la matière. Les anges, personnages de la
croyance populaire, deviennent les logoï, hypostases divines
entre Dieu et le monde, dont le Logos (voir ce mot) est la tête. Les
âmes humaines préexistantes sont considérées comme emprisonnées dans
le corps, d'où elles ne pourront s'échapper que par le mépris du
monde. Reprenant la méthode allégorique inaugurée par les Stoïciens,
les Juifs l'appliquent à la Bible afin de la rendre conforme à leurs
doctrines. Mais les Juifs, tout en s'adaptant les idées grecques,
organisaient une mission active parmi les païens; et malgré le
mépris que l'on avait pour eux, beaucoup de païens, attirés par le
monothéisme et la morale élevée du judaïsme, suivaient leurs
assemblées à la synagogue. Les prosélytes (ceux qui devenaient juifs)
étaient peu nombreux, mais les «croyants en Dieu» formaient un groupe
considérable chez qui le christianisme naissant trouva ses premiers
partisans.

En dehors des influences grecques, qui se manifestent
principalement dans la Diaspora, le judaïsme subit celles des
religions orientales et en particulier des religions iranienne et
babylonienne. L'apocalyptique montre plusieurs traces de ces
conceptions étrangères (Fils de l'homme, résurrection, jugement par
le feu, etc.), mais c'est surtout parmi les nombreuses sectes du
judaïsme que ces idées prédominent. Peut-être même ont-elles pénétré
dans le judaïsme officiel par leur intermédiaire. L'eschatologie
était fort en honneur chez elles, et elles se perdaient dans des
spéculations gnostiques sur la personne et l'oeuvre du Fils de
l'homme. Les rites de purification par l'eau courante étaient fort
prisés et jouaient un rôle considérable dans la vie religieuse de ces
communautés ésotériques. La mieux connue de ces sectes est celle des
Esséniens (voir ce mot). Ceux-ci, au nombre de 4.000 d'après
Philon et Josèphe, constituaient une sorte de communauté monastique
et communiste sur la rive orientale de la mer Morte. Leur origine est
inconnue; elle remonte au milieu du II° siècle avant notre ère. La
Loi était tenue en haute estime chez eux, ainsi que les rites de
purification qu'ils accomplissaient quotidiennement. Par contre, ils
condamnaient les sacrifices sanglants du Temple et rejetaient la
croyance à la résurrection. Ils enseignaient l'immortalité de l'âme,
et l'incarnation marquait pour eux une chute. A côté des Esséniens,
il y avait d'autres sectes dont les doctrines sont de nos jours
encore presque complètement inconnues, telles que les Thérapeutes
(en Egypte), les Baptistes et Hémérobaptistes avec lesquels
Jean-Baptiste semble bien avoir été en rapport étroit et dont les
Mandéens (la seule secte gnostique de l'antiquité qui compte
encore des adhérents) sont peut-être les descendants, les Nazaréens, etc.

Malgré toutes ces diversités de parti, de doctrine, de langue même,
on sent une grande unité en ce peuple. Hellénistes comme Hébreux,
Pharisiens comme hommes du peuple, tous se sentent solidaires. Ils
formaient une nation, un peuple; les révoltes sous Vespasien, Trajan
et Hadrien sont les conséquences de ce sentiment national. Le lien
qui les unit, c'est la religion. Le peuple juif est le peuple élu de
Dieu. C'est en spiritualisant cette notion que les chrétiens et
surtout Paul ont empêché que le christianisme ne devînt une secte
juive parmi tant d'autres.
BIBLIOGRAPHIE

--En anglais: G.F. Moore, Judaism in the first Cent, of the Christ.
Era
(1927).

--Sur les Pharisiens, voir la récente traduction du livre de R.
Travers Herford, Les Pharisiens (1928).

O. C.