JEPHTÉ

(hébreu: iftakh, sans doute abrégé de iftakhel =Dieu a
ouvert, c-à-d, a délivré). Juge en Israël (Jug 12:7). Fils d'un
Israélite de Trans-jordanie, région à laquelle la Bible applique le
terme très général de Galaad (Il y a confusion entre le nom de son
père et le nom de son pays). Sa mère était une courtisane (Jug
11:1), et ses frères, voulant se débarrasser de lui, prirent
prétexte de sa naissance illégitime pour le chasser. Il dut se
réfugier au pays de Tob, région syrienne au Nord de la TransJordanie.
Entreprenant et courageux, il devint le chef d'une troupe
d'aventuriers et de pillards. Mais les événements devaient bientôt
l'amener à jouer un rôle prépondérant.

Une attaque des Ammonites (voir ce mot) menaça l'existence des
tribus transjordaniennes. Ruben, Gad et Manassé se trouvaient dans un
péril extrême (Jug 10:9), et l'on fit appel à Jephté pour
organiser la défense. Il accepta de quitter sa terre d'exil et
conclut un pacte solennel avec les anciens d'Israël au sanctuaire de
Galaad (probablement Mitspa): il s'engageait à combattre les
Ammonites, mais en retour exigeait le pouvoir absolu.

Après l'envoi d'une ambassade au roi ennemi, et une tentative
d'arbitrage qui échoua, le nouveau chef parcourut le pays, pour
obtenir le concours des diverses tribus, qui devant le péril de
l'étranger reprenaient conscience de leur sentiment national et
religieux, et il les conduisit à la victoire (Jug 11:32 et
suivant
). De retour à Mitspa, il sacrifia sa fille unique, selon le
voeu qu'il avait fait à Jéhovah avant la bataille pour s'assurer la
victoire. Plus tard, une guerre étant survenue entre Galaad et les
Éphraïmites, ceux-ci attaquèrent Jephté sous prétexte qu'il n'avait
pas réclamé leur aide contre les Ammonites; ils furent exterminés
près des gués du Jourdain (Jug 12:1-6). Pendant six ans, jusqu'à
sa mort, Jephté gouverna Israël ou plus probablement les tribus
transjordaniennes.

L'introduction des récits sur Jephté est d'un écrivain
deutéronomiste (Jug 10:6,7-10), qui fait la philosophie de
l'histoire et généralise, en citant à côté d'Ammon et Moab des
peuples fort différents comme les Philistins et Sidon. Mais il a vu
très juste la raison profonde de ces guerres: les Israélites, à
l'époque des Juges, s'étant mélangés peu à peu aux peuplades
voisines, leur avaient emprunté coutumes et croyances,--grave recul
dans l'abandon progressif de la religion jéhoviste. Notons avec ce
rédacteur de D qu'il fallut un danger menaçant plusieurs tribus,
souvent en lutte entre elles, (cf. Jug 12:1,6) pour opérer le
redressement voulu de Dieu. Mais ce redressement fut loin d'être
complet: les Israélites de ce temps n'étaient pas monothéistes; les
envoyés de Jephté admettaient parfaitement l'existence du dieu
moabite Kamos, et lui reconnaissaient le même pouvoir sur son peuple
qu'à Jéhovah sur Israël (Jug 11:24). On comprenait également que
Dieu acceptât et même demandât des sacrifices humains.

Quelques auteurs pensent retrouver dans l'histoire de Jephté les
deux sources d'histoire J et E. C'est possible: il est surprenant,
par ex., que Jephté, aventurier proscrit, rappelé par ses
compatriotes, retrouve à Mitspa sa maison et sa fille, qui a de
nombreuses amies. Dès le début, les anciens réservent la dictature à
celui qui repoussera les Ammonites (Jug 10:18), tandis que
d'après (Jug 11:9) Jephté semble poser comme condition à son
appui son accession au pouvoir. L'hypothèse de deux sources
expliquerait ces points de vue qui paraissent différents; mais elle
n'est pas absolument nécessaire, le récit étant beaucoup plus
cohérent que dans l'histoire d'autres juges (voir Débora, Gédéon).
Une difficulté subsiste cependant au sujet de l'ambassade de
Jephté: (Jug 11:12-28) au moment où il semble que ses envoyés
parlent au roi d'Ammon, ce qui est tout naturel d'après ce qui
précède, c'est au souverain moabite qu'ils s'adressent; pour établir
leurs droits historiques sur la TransJordanie, ils rappellent
qu'autrefois les Hébreux eurent soin de ne pas pénétrer en Moab
(verset 18) et que Balak, roi de Moab, n'avait pas pris les armes
contre eux (verset 25); enfin et surtout, ils parlent de Kamos
(verset 24), dieu des Moabites et non des Ammonites. Faut-il
attribuer à ce passage deux traditions, dont l'une, perdue
aujourd'hui, parlait d'un différend entre Moab et Jephté? Cette
région à l'Est du Jourdain, entre le Jabbok et l'Arnon, fut en effet
sous les Juges le théâtre de luttes incessantes entre Moab et Israël,
alors que les Ammonites, depuis longtemps refoulés au Nord du
Jabbok, (cf. No 21:24) n'y faisaient que des incursions (comme
celle que repoussa Jephté).

Le récit du voeu de Jephté et de l'immolation de sa fille offre un
grand intérêt pour l'étude des sacrifices humains dans l'antiquité.
Le rédacteur ne semble pas surpris, encore moins scandalisé, par
l'acte cruel de ce père. Les sacrifices humains avaient pourtant été
condamnés par le Deutéronome (De 18:10), que cet auteur
connaissait, mais tel était l'abaissement moral à l'époque des Juges
que cet épisode ne paraissait pas jurer avec la mentalité israélite
de ce temps-là; d'ailleurs, ces sacrifices odieux reparaissent par
moment, sous l'influence néfaste des religions étrangères. (cf.
2Ro 16:3, immolation du fils d'Achaz) L'écrivain deutéronomiste
donne une interprétation religieuse de ces faits: c'est par piété que
le chef fit à Dieu ce voeu funeste, et c'est par piété que sa
malheureuse fille ne se révolte pas contre la décision paternelle et
accepte de mourir pour sauver son peuple (Jug 11:36). Les
anciens voyaient en de tels voeux un remède héroïque en temps de
calamité: pour apaiser la divinité courroucée, on faisait avec elle
un marché, mais il fallait y mettre le prix. Comparer à Jephté,
vouant sa fille avant la bataille qui promet d'être rude, Agamemnon
immolant la sienne, Iphigénie, pour calmer les dieux et s'en faire
des alliés; de même le roi Mésa de Moab, réussissant, après plusieurs
échecs, à repousser l'assaut ennemi en immolant son fils premier-né
sur les remparts de sa ville (2Ro 3:27). Un père ne possédait
rien de plus précieux que son propre enfant; comme, en ces temps
barbares, il en était le possesseur au sens le plus absolu du mot,
rien ne l'empêchait de le sacrifier. Les détails sur la fin de la
jeune fille et sur ses funérailles rappellent des rites païens en
usage dans la Phénicie et la Grèce antiques.--Voir Juges. A. Ch.