JACQUES (épître de)

1.

Analyse du contenu.

Cette épître, la première des sept ép. catholiques (voir ce mot),
se compose d'une série d'exhortations, qui ne sont pas présentées
dans un enchaînement rigoureux.

On peut les grouper sous les titres suivants:

1. Les épreuves et les tentations (Jas 1:1,18).

2. Le devoir de mettre en pratique la Parole de Dieu (Jas 1:19,27).

3. L'acception de personnes et la loi de l'amour fraternel (Jas 2:1-13).

4. La foi sans les oeuvres est morte (Jas 2:14,26).

5. Les péchés de la langue (Jas 3:1,12).

6. La fausse et la vraie sagesse (Jas 3:13,18).

7. Les passions mondaines et la soumission à Dieu (Jas 4:1,12).

8. Vains projets et incertitude du lendemain (Jas 4:13-17).

9. Le jugement qui menace les mauvais riches (Jas 5:1-4).

10.Exhortations diverses: la patience; le serment; la prière; la
confession des péchés et la conversion du pécheur (Jas 5:7-20).

2.

Auteur et date.

La suscription porte cette indication: «Jacques, serviteur de Dieu et
du Seigneur Jésus-Christ» (Jas 1:1). Étant données la mort
précoce de Jacques fils de Zébédée, et l'obscurité où nous sommes au
sujet de Jacques fils d'Alphée, tout porte, dans l'hypothèse de
l'authenticité, à attribuer notre ép. à Jacques le frère du Seigneur.
L'exégèse catholique plaide pour l'identité de ces deux Jacques (voir
Jacques, 2 et 3). En faveur de Jacques, le chef de l'Église de
Jérusalem, on remarque qu'il ne se donne pas comme apôtre, et
s'il ne rappelle pas sa parenté avec Jésus, c'est sans doute par
humilité. De plus, l'auteur parle comme un personnage ayant de
l'autorité auprès de ses lecteurs, et toute l'épître s'inspire d'un
grand sérieux moral, ce qui convient à la position ecclésiastique et
à l'austérité de vie du frère du Seigneur.

Les défenseurs de l'authenticité se divisent sur la question de
la date. Suivant les uns, ce serait l'écrit le plus ancien du
N.T. On fait valoir la simplicité de la doctrine, et on évite ainsi
toute polémique de Jacques contre Paul, qui serait postérieure. Une
date entre 40 et 50, ou du moins avant les ép. de Paul, est soutenue
par B. Weiss, Beyschlag, Zahn, Mayor, Bonnet-Schroeder, etc. Mais les
conditions religieuses des lecteurs conviennent mal aux débuts de
l'Église chrétienne. En outre, l'enseignement de Jacques sur la foi
et les oeuvres ne se comprend, à notre avis, que comme une réplique
ou un complément à la doctrine de Paul sur la justification par la
foi. Aussi les défenseurs de l'authenticité s'accordent-ils de plus
en plus pour une date vers la fin de la vie de Jacques, soit entre 60
et 65. Ainsi en jugent Sabatier, Bovon, F. Barth, Feine, Chaîne, etc.

Contre l'authenticité on fait valoir le style qui est du meilleur
grec du N.T. (après l'épître aux Héb.); soixante-treize mots ne se
retrouvent pas ailleurs dans le N.T., et cela malgré la brièveté de
la lettre. Mais rien n'empêche que Jacques ait eu recours à l'aide
d'un secrétaire. On allègue aussi (ce qui est plus grave) le silence
presque complet sur la personne et l'oeuvre de Jésus-Christ, sur
l'espérance messianique, sur le rôle de la loi mosaïque. On en
conclut que l'auteur est plutôt un Juif helléniste, écrivant dans la
période de calme qui s'étend entre les années 75 et 125, dans une
ville mi-hellénique de Palestine (Césarée, Tibériade). Ainsi, à la
suite de Ropes, Wautier d'Aygalliers dans Bbl. Cent.; J. Weiss voit
dans notre ép. un sermon écrit à l'usage d'une communauté de Syrie
(70-100). Dibelius l'explique comme un traité parénétique puisé aux
sources les plus diverses, juives et grecques (80-130). Holtzmann,
Julicher, Harnack descendent jusque vers le milieu du II° siècle,
dans le voisinage du Pasteur d'Hermas. Sans méconnaître la force de
plusieurs des arguments allégués par ces savants, nous ne pensons pas
qu'ils soient décisifs contre l'attribution traditionnelle et une
date entre 60 et 65.

3.

Les destinataires.

L'adresse est ainsi conçue: «aux douze tribus dans la Dispersion».
Cette adresse a été comprise de différentes manières, comme se
rapportant:

(a) aux Juifs dans leur ensemble;

(b) aux judéo-chrétiens;

(c) aux chrétiens en général, considérés comme le vrai
Israël (Ga 6:16).

Les défenseurs de l'authenticité se décident en général pour (b);
tandis que leurs adversaires, partisans d'une date plus récente,
préfèrent (c)

Nous pensons donc que Jacques a écrit de Jérusalem à des communautés
judéo-chrétiennes répandues en Palestine et en Syrie.

Quant aux conditions religieuses des destinataires, tout en
tenant compte avec Dibelius et autres auteurs récents de ce qu'en un
traité parénétique bien des exhortations peuvent avoir un caractère
général et n'être pas des allusions directes, voici ce qu'on peut
retenir. Les communautés auxquelles Jacques s'adresse sont composées
pour la plupart de pauvres, exposés à l'oppression des riches. Nous
ne pensons pas que les mauvais riches apostrophés (J5:1,8) fissent
partie de l'Église. A la ferveur des premiers temps a succédé une
certaine lassitude; la religion est souvent une simple profession de
foi, à laquelle ne s'ajoute pas la pratique morale; il y a des coeurs
partagés entre Dieu et le monde; plusieurs aspirent à la charge de
docteur sans en avoir les dons; la religion dégénère ainsi en
querelles et vaines disputes. Contre ces différents travers Jacques
s'élève avec toute l'autorité de sa personnalité morale.

4.

Caractères de l'épître.

Une chose qui frappe à la première lecture, c'est la pauvreté
d'éléments spécifiquement chrétiens, surtout en comparaison des ép.
de Paul, Pierre et Jean. Le nom de Jésus-Christ n'est mentionné que
deux fois (Jas 1:1 2:1); sur sa vie et sa mort l'épître garde un
étrange silence. Il en est de même du Saint-Esprit. On comprend dès
lors l'hypothèse de Spitta en Allemagne et de Massebieau en France,
d'après laquelle il s'agit de l'ouvrage d'un auteur juif, retouché
plus tard par un chrétien. Mais un interpolateur chrétien aurait sans
doute marqué plus profondément son intervention. Aussi cette
hypothèse, assez plausible en apparence, n'a-t-elle pas eu de suite.

En effet, si de la surface nous passons au contenu de l'ép., nous
constatons son étroite parenté avec l'enseignement de Jésus,
tellement qu'on a pu appeler la lettre de Jacques «le sermon sur la
montagne parmi les épîtres».

Nous relevons les principaux parallèles:


Joie dans l'épreuve: Jas 1:2 Matthieu 5:12;

soyez parfaits: Jas 1:4,Mt 5:48;

demander avec foi: Jas 1:5 Matthieu 7:7 21:21;

mettre en pratique la Parole; Jas 1:22,Mt 7:24;

le jugement sans miséricorde: Jas 2:13,Mt 5:7 18:33;

inviolabilité de la loi: Jas 2:10-12,Mt 5:17;

les péchés de la langue: Jas 3,Mt 12:36;

opposition entre Dieu et le monde: Jas 4:4,Mt 6:24;

contre les jugements: Jas 4 Matthieu 7:1,6;

incertitude du lendemain: Jas 4:13 Lu 12:20;

richesses détruites: Jas 5:2 Matthieu 6:20;

le serment: Jas 5:12,Mt 5:37 (où le texte de Jacques est supérieur à celui de Matthieu).

Il y a aussi une parenté bien étroite, dans la conception touchant les riches et les
pauvres, entre Jacques et Luc.

Sur ce chapitre des parallèles, mentionnons encore des points de contact:

-entre Jacques, et 1Pierre d'une part:

Jas 1:2 et 1Pi 1:6;
Jas 1:10 et 1Pi 1:24;
Jas 1:18,21 et 1Pi 1:23 2:2
Jas 4:6 et 1Pi 5:5,8
Jas 5:20 et 1Pi 4:8,


-entre Jacques et l'épître aux Romains d'autre part

Jas 1:2 Ro 5:4;
Jas 1:22 Ro 2:13
Jas 2:23 Ro 3:28 4:3
Jas 4:1 Ro 7:23
Jas 4:4 Ro 8:7).


Nous pensons que Jacques se place chronologiquement entre Romains et
1Pierre.

Relevons quelques éléments doctrinaux: la fine psychologie sur
l'origine du péché, enfant de la convoitise, et engendrant à son tour
la mort (Jas 1:13-15); la régénération fruit de la Parole
divine, plantée dans les âmes (Jas 1 18,21); la Loi, appelée à
deux reprises «loi de liberté» (Jas 1:25 2:12), comme pour la
distinguer de l'observance juive, et trouvant son couronnement dans
la «loi royale» de l'amour (Jas 2:8); l'attente du retour du
Seigneur, conformément à l'espérance chrétienne primitive (Jas
5:7).

Dans son ensemble, la tendance de Jacques est toute pratique.
On pourrait donner comme devise à son ép. le verset: «Mettez en
pratique la parole et ne vous contentez pas de l'écouter» (Jas
1:22). La religion de celui qui se borne à écouter est
vaine (Jas 1:23 et suivants). Celui qui enseigne les autres,
s'attire, s'il tombe, un jugement plus sévère (Jas 3:1). La
vraie religion, approuvée de Dieu, consiste dans les oeuvres de
charité et dans la pureté (Jas 1:27).

Par son énergique affirmation de l'oeuvre, comme élément
fondamental d'un christianisme pratique, Jacques se trouve être dans
une opposition au moins formelle avec Paul, l'apôtre du salut par la foi.
Ce point important est à examiner.

5.

Paul et Jacques.

De tout temps, l'opposition entre Paul et Jacques a frappé les
esprits. Paul dit: «Nous estimons que l'homme est justifié par la
foi, sans les oeuvres de la loi» (Ro 3:28). Jacques réplique:
«Vous voyez que l'homme est justifié par les oeuvres et non par la
foi seulement» (Jas 2:24). La contradiction au point de vue
formel est flagrante. On a souvent cherché à éluder la difficulté en
affirmant que Jacques est antérieur à Paul, et ne vise pas du tout la
doctrine du grand apôtre. Ce point de vue, quoique soutenu par des
théologiens de grande autorité, nous paraît tout à fait inadmissible.
A notre connaissance personne, avant Paul, n'a enseigné la
justification par la foi, sans les oeuvres. C'est donc bien la
formule paulinienne que Jacques combat, pour y substituer une autre
plus exacte. Toutefois, en y regardant de plus près, on s'aperçoit
que la différence entre les deux auteurs sacrés est moins grande
qu'elle n'en a l'air. C'est que les mots qu'ils emploient l'un et
l'autre (foi, oeuvres, justification) sont pris en des sens
quelque peu différents.

La foi, chez Jacques, est purement une conviction
intellectuelle; même les démons la possèdent (Jas 2:19),. En soi
elle est insuffisante. Pour Paul, la foi est l'acceptation du
salut offert en Christ, et le principe d'une vie nouvelle dans
l'union mystique; avec le Sauveur.

Les oeuvres, dont parle Paul, sont les oeuvres de la loi, que
l'homme cherche à accomplir par ses propres forces;
elles précèdent la foi et sont insuffisantes pour acquérir le salut.
Chez Jacques, les oeuvres découlent de la foi, en attestent la
réalité et concourent avec elle (Jas 2:22) à rendre l'homme
accompli aux yeux de Dieu. Paul enseigne de même la foi agissante par
les oeuvres (Ga 5:8,1Th 1:3).

Enfin la justification est pour Paul l'acceptation en grâce
du pécheur qui croit; pour Jacques c'est le jugement final de Dieu
sur toute la vie de l'homme.

On le voit: Paul ramène tout à la foi, source de la vie nouvelle du
chrétien; Jacques ramène tout à l'oeuvre du croyant régénéré. L'une
est la formule du théologien mystique, l'autre celle du moraliste
populaire. Quoique ne pouvant pas se ramener à une parfaite
unité--Jacques n'accepte pas la formule de Paul, qu'il jugeait
probablement dangereuse dans la pratique, et Paul aurait sans doute
considéré le point de vue de Jacques comme bien incomplet et
superficiel--les deux conceptions ont chacune sa vérité et son
utilité pour l'Eglise. Paul s'élève en effet contre le système
pharisaïque du salut par les oeuvres, tandis que Jacques combat
l'orthodoxie stérile et l'illusion qu'il suffit de répéter certaines
formules pour plaire à Dieu. Voir Foi, Justification, OEuvres.

6.

Témoignages ecclésiastiques.

Dans l'antiquité chrétienne, notre épître ne jouit pas d'une
attestation aussi unanime que d'autres livres du N.T. Cela tient
peut-être au fait que son auteur n'était pas un apôtre, au cercle
restreint des lecteurs auxquels elle s'adressait, et à son contenu
plus moral que dogmatique. On signale chez Clément romain (vers 95)
quelques points de contact; Hermas, au milieu du II° siècle, a en
commun avec elle un grand nombre d'idées et d'expressions. Le Canon
de Muratori (180) ne la mentionne pas. Les premières citations
expresses se trouvent chez Origène. Encore Eusèbe, au commencement du
IV e siècle, range Jacques au nombre des écrits contestés
(antilegomena), tout en se déclarant favorable à son acceptation.
Au cours du IV e siècle, l'épître est reçue comme canonique en Orient
et en Occident, et considérée comme l'oeuvre de «l'apôtre» Jacques.

L'époque de la Réforme vit se renouveler les doutes à son sujet,
particulièrement au point de vue doctrinal. Surtout Luther l'a
appelée assez dédaigneusement «une vraie épître de paille», n'ayant
pas la valeur évangélique de tels autres livres du N.T. Il
l'attribuait à quelque Juif qui n'aurait eu qu'une connaissance
rudimentaire du Christ. Calvin vint à la rescousse en observant:
«Quant à ce qu'on pourrait penser qu'il (Jacques) ne magnifie pas la
grâce de Christ en telle sorte que doit faire un apôtre, certes la
réponse est facile, à savoir que nous ne devons pas requérir
précisément que tous traitent un même point de doctrine...»

Les modernes, tout en signalant les lacunes de l'épître au point
de vue dogmatique, s'accordent à rendre hommage au sérieux de son
inspiration morale. Ainsi que s'exprime un théologien de langue
française: «Riche en sa brièveté, l'épître de Jacques se fait
remarquer par son inspiration sobre et sévère, par son langage
plastique, par la vivacité de ses images, qui donnent des ailes aux
préceptes et aux pensées, pour les faire pénétrer comme autant de
flèches dans les coeurs: aussi conclurons-nous que, malgré les
jugements défavorables, presque méprisants dont il a parfois été
l'objet, ce petit écrit mérite d'être tenu en honneur dans le recueil
de la littérature biblique» (Bovon).

Les commentaires scientifiques les plus récents sont ceux de
Ropes (ICC, 1916), de Dibelius (septième éd. du Comment
Meyer, 1919); de Hauck (Comment, de Zahn, 1926). En français le
comment, cathol, de J. Chaîne dans les Et. bibl. (Paris 1927)
très soigné au point de vue philologique et littéraire.

Th. L.

Révision Yves Petrakian 2005