ISRAËL (Histoire et Religion 2.)

1.

Les origines.

D'études nombreuses et variées, il résulte que les Hébreux, comme les
Grecs et les Romains, sont un peuple relativement moderne, bien que
nos textes traditionnels reculent la perspective de leurs origines
historiques jusque dans le plus lointain passé. Les sciences
physiques, l'archéologie, les religions comparées, la critique
littéraire, concourent ensemble à donner cette impression. Un examen
détaillé de la période préhistorique ne serait pas ici à sa place,
non plus qu'une apologétique unilatérale. L'étude des civilisations
de Babylone et de l'Egypte a projeté un flot de lumière sur
l'histoire du Proche-Orient et aidé à résoudre des questions
difficiles. La vie d'Israël plongeait ses racines dans le passé de la
race sémitique. Sa religion ne parvint pas, dès le début, à sa pleine
maturité. Ceux qui ont fait une étude scrupuleuse et respectueuse des
documents anciens sont convaincus que cette petite nation, en contact
avec les civilisations primitives et, en quelque mesure, dépendante
d'elles, a eu une religion progressive et individuelle qui lui
appartenait en propre. Le chercheur chrétien voit dans ce fait une
révélation spéciale. Il n'est pas nécessaire d'être intransigeant sur
la doctrine de l'inspiration littérale pour croire qu'à cette époque
reculée les initiateurs religieux d'Israël étaient guidés par le
Saint-Esprit. Cette inspiration, nous la trouvons dans le message
nouveau et éternel des prophètes et dans l'ascension du peuple élu,
occupant dans l'histoire une place unique, comme héraut du Royaume de
Dieu. Autrefois ce sujet portait le nom de «Théologie de l'A.T.» et
consistait à présenter les textes d'après le système dogmatique de
l'interprète, en tenant souvent trop peu compte du contexte ou du
sens primitif. Aujourd'hui l'expression «Histoire de la Religion
d'Israël» révèle une différence de méthode et d'esprit. Il signifie
que la religion ne se manifeste pas au moyen d'une spéculation
abstraite, mais au cours de la vie progressive nationale et
individuelle. Il est vrai que plusieurs des traits de la vie d'une
nation qui évolue appartiennent à l'histoire. A côté des faits
saillants de l'histoire politique d'Israël, des alternatives de
victoires et de défaites, la langue, la littérature, les lois, le
culte, servent à indiquer les changements survenus sous l'influence
de circonstances exceptionnelles et de personnalités marquantes. Il
est un sens dans lequel «cette vie n'était pas limitée à une seule
époque, mais devait être pour tous les temps». Elle l'a prouvé, en
prenant un sens plus riche et en gagnant en puissance, dans la mesure
où l'ardente lumière de la critique a été projetée sur elle. La
littérature, qui en est le miroir, prit naissance en Palestine. Il
n'est pas douteux que les Hébreux aient apporté du désert des
traditions et des coutumes. Mais ces faibles survivances (totémisme,
sacrifices d'enfants, adoration des ancêtres, etc.) furent plus tard
rejetées comme superstitieuses. Le grand don fait au monde fut le
puissant et grave monothéisme, la croyance en un Dieu vivant,
créateur et maître de l'univers. Tel est le fondement sur lequel doit
reposer toute la vie religieuse. Le savant d'aujourd'hui nous dit
qu'il doit partir de l'hypothèse que, derrière toutes choses, il n'y
a qu'une cause; le monde étant une unité, toute investigation
admettant la croyance à plusieurs dieux est vouée à l'insuccès. Cela
est vrai, mais la foi en un Dieu unique n'est pas une présomption,
elle est le terme de la marche de l'humanité, cherchant la source
divine de la vie et de la force. Cette constatation peut être
regardée comme un acte de foi, car elle implique la croyance que
derrière l'ascension de l'humanité il y a l'action de l'Esprit divin
faisant progressivement passer les hommes de leurs ténèbres épaisses
à la pleine lumière. Mais il est un fait historique, c'est qu'il fut
donné au peuple hébreu, l'une des plus petites nations, de jouer dans
cette ascension du progrès humain un rôle de premier plan. Les
fondations en furent posées longtemps avant que cette nation existât,
mais les Juifs, les Grecs et les Romains ont fourni à notre
civilisation chrétienne une très large contribution.

On a fait beaucoup de recherches et discuté au sujet de
l'influence respective de Babylone et de l'Egypte sur la religion
d'Israël. Au cours de la période historique nous noterons les points
de contact; ils sont nombreux et importants. Il suffît pour le moment
d'observer qu'à cette époque reculée les rapports avec la religion
babylonienne furent plus étroits. Dans aucun cas cependant ils ne
peuvent être considérés comme ayant consisté en «emprunts» effectués
de façon grossière et machinale. Les races, les traditions se
ressemblaient, mais chaque nation avait son caractère propre. C'est
la plus petite des trois qui marqua un progrès décisif vers la
religion spirituelle. Un fait doit être clairement saisi et répété au
fur et à mesure que de nouvelles explications surgissent, c'est que
l'accroissement de la puissance et du prestige des divinités dans les
grandes nations dépendait du développement des forces militaires et
de la splendeur impériale de ces nations. Ceci paraît évident dans
l'histoire de Babylone. Les dieux de la capitale dominaient et
annihilaient les autres, et il est avéré que les Babyloniens ne
franchirent pas le stade du polythéisme. La religion égyptienne, dont
les rites comportaient l'adoration des animaux et le culte des morts,
n'a pas laissé en Israël de traces sensibles. On a tenté de faire
remonter la foi d'Israël à l'adoration monothéiste du Dieu-Soleil,
attribuée à Ikhnaton (Aménophis IV, vers 1450), mais cette tentative
avortée fut suivie d'une prompte et énergique réaction qui laissa la
religion égyptienne plus pauvre qu'elle n'était auparavant. Si
l'inspiration en fut élevée, elle manquait de racines profondes et
dépérit.

La période préhistorique a laissé dans les souvenirs et la vie
des tribus de vieilles traditions et coutumes. La religion de la
révélation ne pouvait être nettement mise par écrit sur des
tablettes. Elle devait être mêlée comme une semence vivante à la vie
du peuple, courir des risques au milieu de l'abondante floraison de
croyances aux dieux et aux démons, consommer enfin sa victoire et
réaliser sa destinée au cours des années de luttes qui allaient
suivre. Lors-qu'après des discussions prolongées on fut obligé de
reconnaître que le Pentateuque--qui embrasse des périodes si
diverses--n'avait pu être écrit par un seul homme au désert, il
sembla que la grande figure de Moïse (voir ce mot) allait disparaître
de la scène, mais il y a longtemps que cette conclusion négative
n'est plus regardée comme nécessaire. Bien qu'il ne puisse plus être
considéré comme l'auteur d'un vaste recueil où sont mélangés les
récits et les lois, ni d'un code rituel soigneusement élaboré sur
lequel repose le judaïsme le plus récent, Moïse garde son titre de
fondateur de la religion.

Il est bien difficile, avec les documents que nous possédons,
d'attribuer à l'exode une date précise, de savoir combien de tribus
étaient établies aux frontières de l'Egypte, à quel chiffre on peut
évaluer le nombre de celles du désert. Au milieu du désordre qui
suivit l'essai de conquête d'une patrie à l'ouest du Jourdain, toute
l'oeuvre de Moïse faillit être anéantie. Le fait que, loin de.
disparaître, cette oeuvre fut riche en résultats, prouve son
authenticité et sa valeur. Ce n'est pas dans l'explosion spontanée
d'un enthousiasme collectif que naissent les grands mouvements, comme
certains le croient. Il y faut un chef, un guide, une personnalité
puissante, un homme appelé de Dieu et investi d'une mission. Tel fut
Moïse; son admirable figure se dresse au seuil d'une grande époque;
environnée de brouillards, elle refuse de s'évanouir dans les
ténèbres. L'histoire, après lui, implique et appelle l'action de
Moïse, même ramenée à de modestes proportions. Demandons-nous ce que
nous avons le droit de lui attribuer. Rien de moins que la fondation
d'une religion nationale.

Il peut sembler étrange de parler de religion nationale avant
que la nation existât, mais nous verrons qu'en un sens ce fut la
religion qui fit la nation. Moïse rapprocha et unit entre elles des
tribus qui acceptèrent, comme signe de cette union, un seul Dieu,
Jéhovah, nom sacré, mêlé pendant des siècles à leurs prières et à
leurs chants jusqu'à ce que, leur ardente vénération confinant à la
superstition, ce nom fût considéré comme trop saint pour franchir les
lèvres humaines. Exposé en peu de mots, cet événement peut sembler de
faible importance; mais, pour ceux qui étudient l'histoire des
religions, il est, en réalité, d'une immense portée. Nous dominons
ici la religion naturelle, car dans l'esprit de l'homme est née une
pensée noble et féconde, celle d'une alliance entre le peuple et son
Dieu unique. La pleine signification et les multiples conséquences
qui découlent de cette grande idée ne pouvaient être perçues alors
et, même à l'époque actuelle, ne sont pas encore parvenues à leur
plein développement. Les antiques récits impliquent l'idée d'une
élection antérieure, mais la vraie tradition d'Israël est que la
naissance de la religion et celle de la nation furent simultanées et
rattachées à la mission de Moïse. A partir de ce moment, une esquisse
des destinées si changeantes de la nation peut être tracée avec des
dates approximativement exactes. Le chap. 5 de la Genèse renferme une
chronologie qui a été étudiée par beaucoup de spécialistes et a donné
lieu à de nombreuses discussions. Nous savons maintenant qu'elle
appartient à une époque plus récente, parce qu'elle s'étend sur une
très longue période de la vie de la nation. Ce n'est qu'après qu'une
nation a pris pleinement conscience de sa mission, qu'elle cherche à
définir son rôle dans le vaste monde et à l'établir sur une base
scientifique; jusque-là, de simples indications chronologiques
pouvaient suffire (Am 1:1 Esa 6:1).