INSPIRATION

Le mot vient du verbe inspirer, dérivé lui-même de deux mots
latins: in (=dans) et spirare (=souffler), et qui
signifie par conséquent «mettre un souffle, un esprit dans
quelqu'un». A strictement parler, l'homme seul est apte à recevoir
une inspiration; inspiré par l'influence d'un autre homme, il peut
l'être aussi par des paysages ou des objets qu'il contemple, par des
sons qu'il entend, par des événements qui se répercutent en lui; mais
surtout l'inspiration lui viendra de l'Être qui le dépasse
infiniment, de Dieu. Lorsqu'on étend l'idée d'inspiration à des actes
ou à des objets inanimés, c'est somme toute par manière de parler;
dire qu'une action, qu'une oeuvre d'art ou qu'un livre sont inspirés
signifie qu'on en considère l'auteur comme une personnalité inspirée.

Nous aurons à traiter successivement deux points nettement
distincts, qui répondent aux deux questions suivantes:

Qu'entend-on dans la Bible en disant d'un homme qu'il est inspiré?

Qu'entend-on en affirmant que les Saintes Écritures
sont inspirées?

I L'inspiration de l'homme d'après la Bible.

Un homme est considéré comme inspiré lorsqu'il agit sous l'impulsion
d'une force qui le domine; cette force est en général l'Esprit divin.
Mais la Bible présente cette intervention de l'Esprit sous des formes
nombreuses, dont quelques-unes sont très différentes de ce que nous
appelons inspiration.

1.
L'Esprit de Dieu anime tout être humain

L'Esprit de Dieu constitue le principe de vie dans l'être
humain (Ge 2:7,Job 33:4) et peut même rendre la vie à des corps
morts (Eze 37:9 et suivant, Ap 11:11); les animaux doivent
l'existence à cet Esprit (Ps 104:30). Plus encore, cet Esprit se
mouvait déjà sur la terre informe et vide (Ge 12).

2.
L'intelligence et la sagesse sont inspirées à l'homme

L'Esprit représente plus encore que la vie; c'est par lui que l'homme
est un être doué d'intelligence (De 34:9,Job 32:8 35:11). Une
sagesse au-dessus de la moyenne est un effet de l'Esprit (Ge
41:38,Ex 31:3 35:31,No 27:18,1Ro 3:28,Esa 11:2 42:1). Les qualités
morales en proviennent également (Ne 9:20,Ps 51:12,Esa 63:10,Eze
36:26).

3.
Le courage, l'habileté, la force physique sont parfois des formes
d'inspiration


Ainsi dans Jug 6:34 11:29 14:6 15:4 Parfois même des actes
que nous jugeons cruels sont considérés comme inspirés par
l'Esprit (Jug 14:19).

4.
Une inspiration divine est à l'origine de certaines intuitions
subites, de ce que nous appelons «des inspirations
».

Cette signification se rencontre fréquemment dans le N.T (Lu 2:27
12:12,Ac 10:19 11:12).

5.

Mais lorsque la Bible parle de personnes inspirées, il s'agit
avant tout de ceux qui ont été appelés par Dieu à une tâche
spéciale


Les juges furent des inspirés, les premiers rois aussi (Jug 3:10
13:25,1Sa 10:6,9 11:5 16:13,2Sa 23:2).

Les prophètes sont saisis par l'Esprit divin: (2Ch 24:20,Ne
9:30,Esa 6 61:1,Jer 42:7,Eze 1-3 11:5,Am 7,Mic 3:8,Hab 2:1,Za 1:6,
2Pi 1:21), etc. Eux-mêmes se sentent pris par l'Esprit de
Dieu (Esa 8:11,Jer 20:9,Am 3:8). Mais cette inspiration
d'En-haut n'a rien de mécanique, puisqu'elle s'exprime parfois par
l'intermédiaire d'un autre homme, ainsi Moïse et Aaron (Ex
4:16). D'ailleurs un prophète ne reçoit l'Esprit de l'Éternel que
dans la mesure où il reste fidèle (Jer 15:19). Si les prophètes
ou d'autres inspirés connaissent l'avenir, c'est par une intervention
de l'Esprit (2Ch 20:14,Lu 2:25 et suivant, Ac 11:6 20:23).
Des prédictions fausses sont une preuve que le prophète n'a pas été
inspiré par Dieu (De 18:21 et suivant, Jer 23:16 28:15), à
moins que ce ne soit Dieu lui-même qui ait envoyé un esprit de
mensonge (1Ro 22:12 et suivant). Il arrive en effet que Dieu
inspire le méchant qu'il veut perdre (Ex 4:21,Jug 9:23,2Ro
19:7), qu'il envoie un esprit mauvais (1Sa 16:14), provoquant
la maladie (1Sa 18:10).

6.
Plus encore que les prophètes, le Christ est Celui sur qui Dieu a
mis son Esprit


Voir Mt 3:16 12:18,Lu 11:5,Ac 10:38. Les évangiles relèvent une
intervention particulière de l'Esprit en certaines circonstances
graves de la vie du Christ (Mt 4:1,Lu 10:21 etc.).

7.
L'inspiration de l'Esprit dans l'Église primitive

La première Pentecôte est une manifestation de l'Esprit (Ac
2:4). L'Esprit saisit Saul de Tarse pour en faire un apôtre (Ac
9:17); il le guide en mainte occasion (Ac 13:9 15:28,Ro
15:19,1Co 7:40,1Th 1:5). L'Esprit confère le droit et le
pouvoir d'exercer des fonctions dans l'Église (Ac 6:3,5 11:24 13:2
20:28 cf. No 11:25). Les charismes sont des dons de
l'Esprit (Jn 20:22,Ro 12:6 et suivant, 1Co 12:1,11,28).
Mais saint Paul met en garde contre les fausses inspirations (2Th
2:2,Mt 7:15 et suivant); de même 1Jn 4:1, qui recommande
d'éprouver les esprits pour savoir s'ils sont de Dieu.

8.
Avoir l'Esprit de Dieu signifie aussi, et plus simplement, être
pieux


Ainsi dans No 11:17,29,2Ch 15:1 Eze 11:19 37:14, Za 12:10.
Le N.T. considère souvent la piété chrétienne comme inspirée par
l'Esprit (Lu 11:13,Jn 14:26,Ro 8:4,9,1Co 2:10 3:16 Eph 4:30
1Th 4:8 5:19,Jude 1:19). La vie chrétienne est le fruit de
l'Esprit (Ac 13:52,Ro 14:17,Eph 5:18,Col 3:16). D'autre part,
c'est l'Esprit qui fait comprendre les Écritures (Lu 24:25) et
c'est par l'Esprit qu'on se convertit à la foi chrétienne (Ac
8:18 9:31 10:44 11:16 15:8 19:6,2Co 4:6). Si les persécutés rendent
fidèlement leur témoignage, c'est qu'ils sont soutenus par
l'Esprit (Mt 10:19,Ac 1:8 7:55)

9.
Conclusion

Tels sont les divers sens que la Bible attribue à l'idée
d'inspiration. Dans le langage religieux habituel, la notion
d'inspiration se rapporte au fait que Dieu choisit, au cours des
âges, certaines personnalités auxquelles Il se révèle, leur donnant
un message particulier à transmettre à leurs contemporains. Dieu
exige leur obéissance; ils le savent, et cette conviction personnelle
est l'une des formes de l'action de l'Esprit en eux; le degré et la
réalité de leur inspiration correspondent à l'exactitude de leur
soumission à la volonté divine. Les prophètes ont été des inspirés
parce qu'ils n'ont pas fermé leur coeur aux ordres de Dieu; tout
chrétien dont la vie est transformée par la foi est aussi un inspiré,
en un certain sens. Mais parmi tous ceux dont parle la Bible, le
Christ occupe une place unique: lui seul fut pleinement inspiré parce
qu'en parfaite communion avec Dieu.

II L'inspiration des Saintes Écritures.

De tout temps les croyants, tant juifs que chrétiens, ont vu dans les
Écritures saintes des livres inspirés. Mais cette inspiration a été
comprise de plusieurs manières, que nous examinerons successivement.
Prenant notre point de départ dans la pensée juive, nous indiquerons
dans leurs grandes lignes les conceptions chrétiennes de
l'inspiration biblique, en ayant soin de distinguer, à partir de la
Réforme, entre les théories protestantes et les explications
catholiques.

A.--L'INSPIRATION DES SAINTES ÉCRITURES DANS LE JUDAÏSME

Longtemps avant l'ère chrétienne, les Juifs ont vu dans leurs livres
sacrés des livres écrits sous l'influence divine. Plus tard, le
Talmud a distingué entre l'inspiration de Moïse, vrai secrétaire
auquel Dieu dicta le Pentateuque, et celle de second ordre des autres
écrivains sacrés, qui laisse une part plus grande à leur
personnalité. Au Moyen âge, les théologiens juifs, poursuivant ces
distinctions, reconnaissent trois degrés dans l'inspiration: au
premier rang Moïse, puis les écrits dictés par l'esprit prophétique,
puis le reste; d'autres penseurs juifs vont plus loin et distinguent
quatre degrés, même huit et onze degrés, d'inspiration dans les
Écritures. Le judaïsme alexandrin, d'autre part, enseignait que le
don de prophétie, possédé par les écrivains de l'A.T., existe aussi
chez tout homme pieux et sage (voir préface de l'Ecclésiastique ou
Siracide, et Sag 7:27). Et l'on prétendait même que les traducteurs
de la version des LXX, qui ont mis en grec l'A.T., avaient été
inspirés jusque dans leurs fautes de traduction! Aux yeux de ces
penseurs alexandrins (Philon, Josèphe), l'inspiration se présente
comme une sorte d'extase.

B.--L'INSPIRATION DES SAINTES ÉCRITURES DANS LE CHRISTIANISME

1.

Avant la Réforme.

Les premiers penseurs chrétiens, qui auraient pu être influencés par
les conceptions du judaïsme alexandrin, puisqu'ils écrivaient
également en grec, n'abordent pas la question de l'inspiration des
Écritures. Le Symbole des Apôtres ne renferme rien à ce sujet; les
Pères apostoliques (début du II° siècle) n'établissent pas de
distinction précise entre l'inspiration des écrivains sacrés et celle
dont ils reconnaissent l'existence chez tous les croyants ou qu'ils
s'attribuent à eux-mêmes. Bientôt apparaît, chez quelques Pères,
l'idée d'une inspiration passive. Les écrivains sacrés sont comparés
à des lyres que touche l'artiste divin (Justin, Cohort. ad Graec,
8, col. 256s). Mais il ne s'agit en général que des écrivains de
l'A.T., auxquels on ne craint pas d'associer la Sibylle (Justin).
D'autres, tel Origène, voient dans l'inspiration un degré supérieur
de l'illumination que possèdent tous les croyants.

Bientôt l'Église est unanime à enseigner que les prophètes n'ont
jamais cessé d'avoir une pleine possession d'eux-mêmes. St Jérôme
distingue entre les styles plus ou moins purs de leurs écrits et
relève des fautes syntaxiques chez saint Paul; ce qui ne l'empêche
pas de conclure à une inspiration divine des Écritures. Plus tard
saint Thomas d'Aquin, tout en décrivant l'inspiration comme un
phénomène passif en un certain sens, découvre dans ce phénomène des
formes diverses et des degrés différents; l'homme qui sert
d'instrument au Saint-Esprit peut, par sa faute, nuire à l'effet de
ce dernier.

Parmi les précurseurs de la Réforme, Savona-role, qui se dit
lui-même prophète, tient la Bible pour venue de Dieu; toutefois il
remarque que Dieu n'a pas employé les écrivains sacrés comme des
machines, mais a laissé parler les bergers en bergers, les femmes en
femmes, etc.

2.

La Réforme.

La Réforme s'est faite au nom de la Bible; mais les Réformateurs y
ont vu surtout un trésor religieux; pour tout ce qui ne touche pas
directement au domaine religieux, ils ont usé des Écritures avec une
grande liberté.
Luther, qui considère la Bible «comme si Dieu même y parlait»,
qui la proclame «reine, seule digne de commander et à qui tous
doivent obéissance», qui même déclare qu'une de ses syllabes, un de
ses titres, vaut plus que ciel et terre, n'en relève pas moins chez
les auteurs sacrés des inexactitudes (Mt 24 et Mr 13
confondent deux sujets), des raisonnements peu solides (Ga 4:22
et suivant). «Christ est le maître, écrit-il, l'Écriture est le
serviteur. Voici la vraie pierre de touche pour juger tous les
livres: il faut voir s'ils font les affaires du Christ ou non. Le
livre qui n'enseigne pas le Christ n'est pas non plus apostolique,
serait-ce saint Pierre ou saint Paul qui l'eût écrit. En retour,
celui qui prêche Christ est apostolique, aurait-il pour auteur Judas,
Anne, Pilate ou Hérode...Jean accorde peu de place aux actes du
Christ, beaucoup à ses paroles. Les autres évang, s'étendent sur les
actes, moins sur l'enseignement; c'est pourquoi le premier est
l'évangile capital, l'unique, le plus cher, celui qu'il faut préférer
à tous les autres. En somme l'évangile de Jean et sa première épître,
les épîtres de Paul, en particulier les Romains, les Galates, les
Éphésiens et la première épître de Pierre, voilà les livres qui te
montrent Christ et qui t'enseignent tout ce qu'il t'est nécessaire et
bon de savoir, quand même tu n'entendrais ni ne verrais jamais
d'autres livres. Au regard de ceux-là, l'épître de saint Jacques est
une véritable épître de paille, car elle n'a rien d'Évangéliste.»
Rappelons encore ce que le réformateur dit des prophètes de l'A.T.:
«Sans aucun doute, les prophètes ont étudié dans les livres de Moïse,
et les derniers venus dans ceux de leurs devanciers; et, pleins de
l'Esprit de Dieu, ils ont mis par écrit leurs bonnes pensées. Mais
cela n'empêche pas que ces docteurs, scrutant les Écritures, aient
parfois rencontré de la balle, de la paille ou de l'étoupe, et pas
toujours de l'argent, de l'or ou du diamant. Néanmoins, le fondement
subsiste et le feu consume le reste.»
Calvin fait reposer la certitude des croyants sur le fait «qu'ils
tiennent pour arrêté et conclu que les Écritures sont venues du ciel,
comme s'ils oyaient là Dieu parler de sa propre bouche». La preuve
excellente et seule suffisante de cette conviction est pour lui «le
témoignage secret du Saint-Esprit» en nous. «L'Écriture a de quoi se
faire connaître, dit-il, voire d'un sentiment aussi notoire et
infaillible comme ont les choses blanches ou noires de montrer leur
couleur et les choses douces ou amères de montrer leur
saveur...Veuillons ou non, elles nous poindront si vivement, elles
perceront tellement notre coeur, elles se ficheront tellement au
dedans des moelles...que il est aisé d'apercevoir que les saintes
Écritures ont quelque propriété divine à inspirer les hommes»
(Inst, chrét.). Mais ces déclarations n'ont pas empêché Calvin de
mettre en doute l'authenticité de la deuxième ép. de Pierre et de
s'exprimer avec une très grande liberté sur les contradictions des
récits évangéliques et sur le caractère douteux de l'Apoc, de Jean,
qu'il n'a jamais commentée.
Zwingle, qui célèbre admirablement la Bible, accorde d'autre part
à l'homme spirituel, «à cette parole que Dieu a placée dans notre
coeur», le droit de «juger la parole extérieure». Il affirme
d'ailleurs que la Bible, tout en contenant des erreurs de détail,
n'en renferme aucune sur les choses essentielles. Les mêmes idées se
retrouvent chez les autres réformateurs (Mélanchton, Bul-linger,
etc.), et inspirent les symboles ecclésiastiques de la première
période.

3.

Le Protestantisme après la Réforme.

Un siècle plus tard, le protestantisme, engagé dans une âpre lutte
avec l'Église catholique romaine qui invoque l'autorité de la
tradition, cherche lui aussi à s'appuyer sur un principe d'autorité.
Cette autorité, ce sera la Bible. Les théologiens protestants des
XVII° et XVIIIe siècles sont ainsi amenés à préciser la doctrine de
l'inspiration biblique, autant pour les besoins de la controverse que
pour donner une base solide à leurs constructions dogmatiques. La
largeur de vue des Réformateurs est oubliée; on se refuse à admettre
même la possibilité d'une contradiction de détail dans les récits
sacrés et l'on affirme qu'il n'y a absolument rien dans la Bible qui
ne soit le produit de l'inspiration. Les écrivains bibliques ont été
parfaitement passifs; ils ont écrit sous dictée, mieux encore, ils
n'étaient que la plume que Dieu fait mouvoir. En 1714, un
superintendant de Gotha, G. Nitzsch, se demande si l'Écriture sainte
ne serait peut-être pas «Dieu lui-même et non point une créature».

Le piétisme allemand ramène une notion plus vivante de la Bible;
c'est Bengel qui exhorte les chrétiens à manger le pain de vie sans
se tourmenter de quelques grains de gravier qui pourraient s'être
mêlés au pur froment. Enfin une étude plus approfondie du texte
biblique amène les théologiens allemands à faire une distinction
entre l'inspiration proprement dite et les Écritures, qui ne sont que
le document de la révélation.

En pays de langue française, les discussions relatives à
l'inspiration biblique furent soulevées principalement par la
publication du livre de Gaussen sur la Théopneustie (Genève
1840). S'appuyant sur 2Pi 1:21 («C'est poussés par le
Saint-Esprit que des hommes ont parlé de la part de Dieu») et 2Ti
3:16 («Toute écriture est inspirée de Dieu, et utile pour
enseigner, pour convaincre, pour corriger, pour instruire dans la
justice...»), Gaussen concluait à l'inspiration «plénière» des
Écritures; les écrits bibliques sont théopneustiques, c-à-d,
inspirés par Dieu (du grec théos =Dieu, et pneuma--souffle,
esprit), et ne peuvent contenir aucune erreur quelconque, ni de
chronologie ni de physique, ni la moindre contradiction de détail.
C'est là un miracle, que Gaussen reconnaît sans chercher à
l'expliquer. La même tendance, plus absolue encore, se rencontre dans
les livres d'Ag. de Gasparin.

Les adversaires de l'inspiration verbale (Alex. Vinet, Aug.
Sabatier, etc.) montrèrent que les auteurs sacrés, si l'on examine à
la fois leurs propres déclarations et les faits bibliques, n'ont pas
été élevés au-dessus de toute imperfection humaine, ni surtout privés
de toute activité spontanée et naturelle. La Bible, document de la
révélation, a été rédigée par des témoins compétents, pénétrés
(surtout en ce qui concerne les auteurs du N.T.) de ce même souffle
de l'Esprit qui éclaire tout croyant (1Jn 2:20,27), mais qui fut
porté chez eux à une puissance exceptionnelle.. En Amérique et
ailleurs, les «fondamentalistes» ont repris les idées de la
théopneustie.

4.

Le Catholicisme depuis la Réforme.


Du Concile de Trente au XIXe siècle.

Le concile de Trente (1546) avait légitimé le droit de l'Église à
dresser la liste officielle des Livres saints. Mais bientôt se
dessina un double courant au sujet de l'action du Saint-Esprit sur
les écrivains sacrés.

Pour les uns, ceux-ci n'ont eu besoin d'aucune révélation immédiate
pour rédiger leurs écrits; ils ont été assistés par un secours
particulier du Saint-Esprit qui leur a suggéré ce qu'ils avaient à
écrire.

Pour d'autres, l'inspiration se subdivise en trois moments:

Dieu révèle à l'écrivain les choses qu'il ignore;

Dieu le presse d'écrire ce qu'il sait (c'est la
«motion spéciale de Dieu») avec l'assistance du Saint-Esprit pour
qu'il n'oublie rien de ce qu'il doit écrire;

en plus de ces deux interventions, Dieu suggère
tous les mots, les dicte en quelque sorte. Telle fut l'opinion du
théologien Banez, adoptée par l'école thomiste sous le nom de théorie
bannézienne et longtemps en faveur.


Le XIXe siècle; le Concile du Vatican.

La caractéristique des études bibliques du XIXe siècle est la
distinction nettement établie entre la révélation immédiate ou
prophétie, et l'inspiration scripturaire, qui n'entraîne pas
nécessairement une révélation directe du contenu de l'Écriture. Mais
des vues divergentes se manifestèrent; elles furent condamnées par le
Concile du Vatican (1870), fournissant ainsi à l'Église l'occasion de
formuler ce que tout catholique doit entendre par inspiration
biblique. Tous les livres bibliques, déclare le Concile, ont été
écrits sous l'inspiration du Saint-Esprit et ont Dieu pour auteur.
Cette formule paraissait précise; mais les théologiens ne manquèrent
pas de l'interpréter. Dieu, remarquèrent-ils, n'a pas écrit lui-même;
il s'est servi des hommes; puis il faut distinguer entre les choses
que l'écrivain ne connaissait pas, et que Dieu lui a révélées, et
celles qu'il connaissait ou pouvait connaître par lui-même, et que
Dieu l'a seulement engagé à écrire. Cet ensemble de choses révélées
représente l'élément formel de l'Écriture; les mots qui les
expriment n'en sont que l'élément matériel. Or, pour qu'on puisse
déclarer d'un écrit qu'il est inspiré, il suffit que l'élément formel
provienne de Dieu; les mots ont donc pu être écrits par les écrivains
sacrés eux-mêmes, jouissant pleinement de leurs facultés naturelles;
Dieu leur a laissé le libre choix des termes qu'ils ont employés.


Décision de Léon XIII: l'Encyclique «Pro-videntissimus Deus».
Cette manière d'expliquer l'inspiration, devenue quasi officielle,
semblait définitivement établie, et tous les manuels de théologie
catholique la reproduisaient, lorsque Léon XIII imposa une nouvelle
façon de voir par son Encyclique Providentissimus Deus (18 nov.
1893). Le pape repoussait catégoriquement la distinction entre
élément formel et élément matériel de l'inspiration; il n'admettait
pas qu'on dît que les écrivains sacrés, conservant leurs facultés,
sont sujets à l'erreur. «Dieu les a tellement assistés, quand ils
écrivaient, qu'ils ont d'abord conçu dans leur esprit, puis
fidèlement voulu rendre, enfin exprimé exactement et avec une
infaillible vérité, tout ce que Dieu leur ordonnait d'écrire, ni plus
ni moins; autrement il ne serait pas lui-même l'auteur de la Sainte
Écriture.»

L'Encyclique condamnait également ceux qui, pour résoudre les
difficultés suscitées par les découvertes scientifiques et
historiques, avaient distingué dans les livres saints une partie
divine et inspirée contenant l'enseignement moral et religieux, et
une autre partie, tout humaine celle-là,. renfermant des opinions
sans rapport direct avec la religion et pouvant par conséquent
contenir des erreurs. Léon XIII est très net et déclare qu'il ne sera
jamais permis de restreindre l'inspiration à certaines parties de la
Bible ou d'accorder que l'écrivain sacré ait pu se tromper.


Interprétation de l'Encyclique «Providentissimus Deus».
Les termes de l'Encyclique étaient formels; tous les théologiens et
professeurs catholiques s'empressèrent d'y adhérer entièrement. Mais
ils formulèrent bientôt de nouvelles et subtiles distinctions, par
lesquelles ils parvinrent à faire dire au texte papal à peu près le
contraire de ce que le pape avait déclaré. Ainsi Léon XIII avait
insisté sur l'inspiration verbale des Écritures. Mais on fit observer
que Dieu n'a pas transmis aux auteurs sacrés des livres tout faits;
il les leur a fait faire, ne dictant ni les mots ni les idées.
L'écrivain biblique a exécuté son travail comme un écrivain ordinaire
qui choisit les expressions propres à rendre ses idées, les arrange,
les dispose d'une façon personnelle; de sorte que la rédaction est
vraiment de lui, tout entière, mais elle n'en demeure pas moins due à
l'influence de la «motion divine» initiale; donc il y a bien
inspiration verbale. On alla même plus loin dans l'interprétation
de la pensée de Léon XIII On assura que ses déclarations permettaient
de soutenir non seulement que Dieu avait fait faire les livres
bibliques, mais qu'il s'était contenté de les laisser faire ; d'où
la conclusion, très logique, que tout dans l'Écriture n'est pas
inspiré. Léon XIII avait écrit: «Les écrivains sacrés, en matière
scientifique, ont parlé selon les apparences.» Mettant à part les
passages qui ont trait aux sciences de la nature, on nota que la
Bible ne donne pas d'enseignement sur ces questions, mais se contente
d'en faire une description imagée, dans le langage familier de
l'antiquité et suivant les apparences extérieures. Le théologien n'a
donc pas à chercher dans la Bible une physique révélée, et encore
moins à l'imposer aux physiciens et aux naturalistes. Toutefois ces
passages sont inspirés, puisque l'Encyclique affirme l'inspiration
verbale de toute l'Écriture; mais ils ne constituent pas un
enseignement, ils ne sont qu'une description. Donc la Bible, bien
qu'inspirée tout entière, n'enseigne aucune erreur.


Benoît XV et l'Encyclique «Spiritus Para-clitus».
Benoît XV jugea nécessaire de mettre un terme à ces
interprétations fantaisistes de la pensée de Léon XIII Dans
l'Encyclique Spiritus Para-clitus (30 sept. 1920), il s'élève
contre ceux qui expliquent certains passages bibliques en
contradiction avec la science moderne ou avec les récentes
découvertes archéologiques en prétendant qu'il s'agit là d'une
manière de parler en usage à l'époque. Benoît XV blâme les
théologiens qui développent de semblables idées. «Ils ne craignent
pas de se réclamer, écrit-il, pour soutenir cette théorie, des
paroles mêmes du pape Léon XIII qui aurait déclaré qu'on peut
transporter dans le domaine de l'histoire les principes admis en
matière de phénomènes naturels. Ainsi, de même que, dans l'ordre
physique, les écrivains sacrés ont parlé suivant les apparences, de
même, prétend-on, quand il s'agissait d'événements qu'ils ne
connaissaient pas, ils les ont relatés tels qu'ils paraissaient
établis d'après l'opinion commune du temps ou des relations inexactes
d'autres témoins; en outre, ils n'ont pas mentionné les sources de
leurs informations et ils n'ont pas personnellement garanti les
récits empruntés à d'autres auteurs. A quoi bon réfuter une théorie
injurieuse à notre prédécesseur en même temps que fausse et pleine
d'erreurs? Comment, si on admettait la théorie de ces auteurs,
sauvegarderait-on au récit sacré cette vérité pure de toute fausseté,
à laquelle notre prédécesseur déclare, dans tout le contexte de sa
lettre, qu'il ne faut pas toucher?»

Pour être quelque peu complet, il faudrait encore parler de la
théorie des citations implicites ou tacites qui permet aux
exégètes catholiques d'échapper une fois de plus, malgré toutes les
précisions des Encycliques pontificales, aux règles doctrinales qui
leur sont imposées.

C.--L'INSPIRATION DES SAINTES ÉCRITURES: CONCLUSION

On le voit, les penseurs chrétiens, quels qu'ils soient, anciens ou
modernes, catholiques ou protestants, tous affirment l'inspiration
des saintes Écritures. Les divergences et discussions ne commencent
qu'au moment où l'on cherche à définir les limites de cette
inspiration. Or l'histoire de l'Église--en particulier l'histoire des
études bibliques au sein de l'Église romaine à partir de la
Réforme--prouve à l'évidence qu'il est impossible d'imposer
d'autorité une certaine conception de l'inspiration des saintes
Écritures à l'exclusion de toute autre explication. La raison
profonde de ce fait--car c'est un fait--nous paraît être la suivante:
comme l'étymologie l'indique (voir le début de cet art.), être
inspiré signifie que l'on est sous l'influence d'un esprit qui fait
agir et penser autrement que lorsqu'on est livré à ses propres
forces. Or, n'est-ce pas le privilège de l'être humain d'être apte à
sentir passer en lui le souffle du Dieu vivant? Soutenir qu'une
inspiration divine s'est en quelque sorte matérialisée dans des mots,
n'est-ce pas donner à la notion d'inspiration une signification que
la Bible ne présente guère? Seuls des êtres humains peuvent être
inspirés, parce qu'ils ont été créés «à l'image de Dieu»; un livre,
même la Bible, n'est pas une création «à l'image de Dieu». Certes, la
Bible est inspirée; mais elle l'est parce que des hommes inspirés par
Dieu l'ont écrite. Les Réformateurs l'avaient compris; sur ce point,
comme en beaucoup d'autres, la piété et la pensée protestantes
contemporaines ne peuvent que gagner en revenant aux idées
admirablement équilibrées et saines d'un Luther ou d'un Calvin. Edm.
R.