HÉBREUX (épître aux)

I Analyse de l'épître.

PRÉAMBULE (Heb 1:1,3). L'auteur, sans aucun préliminaire, pose
la thèse qu'il va développe, celle d'une nouvelle révélation de Dieu
par son Fils, l'agent de la création, le reflet de sa gloire,
l'empreinte de son essence qui, après avoir accompli la purification
des péchés, s'est assis à la droite de Dieu.

PREMIÈRE PARTIE (Heb 1:4-10:18). Supériorité de la nouvelle
alliance sur l'ancienne.

I re section: (Heb 1:4-7:28) supériorité du Christ sur les
organes de l'ancienne alliance.

1.
Le Christ est supérieur aux anges (Heb 1:4-2:18). Seul il
a droit à l'adoration, il est le Fils, appelé à la royauté. Son
abaissement momentané a été nécessaire pour le conduire à la
perfection. Les souffrances qu'il a subies parce qu'il participe à la
chair et au sang détruisent celui qui a le pouvoir de la mort, c-à-d,
le diable. Pour que le Christ pût faire l'expiation des péchés, il
fallait qu'il fût semblable aux hommes. Ce développement est coupé
dans Heb 2:1,4 par une exhortation pratique incidente sur la
nécessité de se tenir fortement à la doctrine du salut proclamée par
le Seigneur lui-même, parce qu'elle a plus d'autorité que la parole
prononcée par les anges (la Loi), laquelle pourtant était appuyée par
des sanctions.

2.
Le Christ est supérieur à Moïse (Heb 3:1-4:13). Il est le
Fils, tandis que Moïse n'a été qu'un serviteur. Il donne à ceux qui
croient en lui un repos que Moïse n'a pu assurer aux Israélites. Il
faut donc résister à l'incrédulité qui écarterait du Dieu vivant,
pour ne pas perdre la promesse du Royaume de Dieu comme les
Israélites sortis d'Egypte ont perdu celle qui leur avait été faite.

3.
Le Christ est supérieur aux grands-prêtres de l'ancienne
alliance
(Heb 4:14-7:18) - Les fidèles qui ont dans les cieux
un grand-prêtre qui n'a point péché, bien qu'il ait été tenté,
peuvent s'approcher avec hardiesse du trône de grâce. Le Christ n'est
pas un grand-prêtre qui, comme ceux d'Israël, doive offrir des
sacrifices pour ses péchés. Il est grand-prêtre selon l'ordre de
Melchisédec, roi de Salem, lequel n'est que le type du Christ, roi de
la justice et de la paix, supérieur au sacerdoce juif puisque Abraham
a donné la dîme à Melchisédec et a été béni par lui (Heb
4:14-7:10). Ce développement est interrompu dans Heb 6:1,10 par
une importante digression, dans laquelle est développée l'idée qu'il
est superflu de revenir sur les doctrines élémentaires puisqu'il est
impossible que ceux qui sont tombés, c'est-à-dire vraisemblablement
qui, devant la persécution, ont renié leur foi, se convertissent à
nouveau. Puisqu'un autre sacerdoce que celui de Lévi a été
nécessaire, c'est que le premier ne pouvait conduire à la perfection.
Le nouveau sacerdoce appartient à la tribu de Juda; il est éternel,
parce qu'il n'est pas charnel. Il a été établi par un serment de
Dieu. Il a pour objet non pas des sacrifices répétés, mais un
sacrifice unique dans lequel le grand-prêtre s'offre lui-même une
fois pour toutes (Heb 7:11-28).

II e section: (Heb 8:1-10:18) supériorité du sacrifice du Christ
sur le sacrifice lévitique.

1.
Comparaison des deux alliances (Heb 8:1,13). Le Christ assis
à la droite de Dieu est le ministre du sanctuaire céleste. Il ne peut
remplir son office sur la terre, où les sacrifices sont réglés par la
Loi de Moïse. Mais le culte terrestre n'est que l'ombre d'une réalité
céleste dans laquelle le Christ joue le rôle de grand-prêtre et est
le médiateur d'une alliance plus parfaite, alliance qui a été
annoncée par l'A.T.

2.
Supériorité du sanctuaire de la nouvelle alliance (Heb
9:1,14). Par l'interdiction de pénétrer dans le Saint des Saints, le
Saint-Esprit a montré que tant que le culte mosaïque subsisterait,
l'accès du sanctuaire céleste resterait fermé. Les sacrifices
lévitiques ne sont valables que jusqu'au temps de la substitution à
l'alliance ancienne d'une alliance meilleure. Le ministère du Christ
s'est déroulé dans le sanctuaire céleste, où il a offert son propre
sang qui opère une purification éternelle et amène les fidèles à
servir le Dieu vivant.

3.
Supériorité du sacrifice de la nouvelle alliance (Heb
9:15-10:18). Le Christ est le médiateur d'une nouvelle alliance qui
efface les péchés. Le terme de diathèkè, dont se sert l'auteur,
en même temps qu'alliance, signifie testament. Par là est introduite
l'idée que la mort est nécessaire pour que la diathèkè soit
valable. La première alliance a comporté des sacrifices et l'effusion
de sang, la nouvelle alliance de même est établie par le sacrifice du
Christ, qui est entré au ciel avec son propre sang qui ôte les
péchés; il reviendra une seconde fois pour sauver ceux qui
l'attendent. Le sacrifice lévitique, s'il avait pu conduire à la
perfection ceux pour qui il était célébré, aurait cessé d'être
offert. Il ne fait donc que rappeler le péché. Le sacrifice du
Christ, au contraire, sanctifie les pécheurs et n'a pas besoin d'être
renouvelé. Après l'avoir offert, le Christ s'est assis à la droite de
Dieu: son oeuvre est parfaite.

DEUXIÈME PARTIE (Heb 10:19-13:17). Exhortations morales.

1.
Exhortations à la foi (Heb 10:19-11:40). Ceux qui ont été
purifiés doivent rester fermes dans la foi, veiller les uns sur les
autres s'exhorter mutuellement, ne pas abandonner les assemblées, car
le jour du jugement est proche. Ces exhortations sont appuyées par le
rappel de la doctrine de l'impossibilité de la seconde repentance.
Les fidèles sont exhortés à se souvenir de leur conversion et des
souffrances qu'ils ont supportées, afin de garder la foi pour être
sauvés (Heb 10:32-39). L'auteur définitif foi «une certitude des
choses espérées, une conviction de celles que l'on ne voit pas», et
il appuie cette définition par l'exemple des héros de la foi de
l'ancienne alliance qui ont vécu sur la terre comme des étrangers et
des voyageurs ayant seulement aperçu de loin ce qui leur avait été
promis. C'est que Dieu avait en vue pour eux quelque chose de
meilleur et qu'il ne voulait pas qu'ils fussent sauvés sans
nous (Heb 11:1,40).

2.
Exhortations diverses (Heb 12:1-13:16). Il faut être
persévérants en gardant les yeux fixés sur Jésus. Les souffrances ne
doivent pas décourager, car Dieu châtie ceux qu'il aime. Il faut
vivre dans la paix et se sanctifier, car les chrétiens infidèles sont
menacés de châtiments plus terribles que ceux qui ont atteint les
rebelles de l'ancienne alliance. Il faut être charitables envers les
prisonniers et les malheureux, respecter le mariage, être
désintéressés. Les fidèles doivent se souvenir de leurs conducteurs,
car le Christ est le même hier, aujourd'hui et éternellement. Vient
ensuite, en termes très généraux, une polémique contre des erreurs de
doctrine qui paraît viser des rites alimentaires et la recommandation
d'être soumis aux conducteurs.

CONCLUSION (Heb 13:17-25).

L'auteur demande à ses lecteurs de prier afin qu'il leur soit
rendu plus tôt. Après une bénédiction et une doxologie, il leur
demande de bien accueillir son exhortation. Ils savent que Timothée a
été remis en liberté. S'il vient assez tôt, il les verra avec lui.
Salutations pour les conducteurs et les membres de l'Église.
Salutations de la part de e ceux d'Italie». Bénédiction finale.

II La tradition sur l'épître.

Dans la tradition occidentale, l'épître aux Hébreux est généralement
placée à la suite des épîtres pauliniennes; dans la tradition
orientale, elle est, le plus souvent, insérée entre 2 Thess, et 1
Tim., c-à-d, entre les épîtres aux Églises et les épîtres aux
particuliers. Ce n'est que très exceptionnellement qu'elle figure
entre 2Co et Galates, c-à-d, à la place que sa longueur lui assignerait
dans la collection des épîtres de Paul. Ces faits montrent qu'elle
n'est entrée qu'après coup dans le recueil des ép. de Paul et plus
tard en Occident qu'en Orient.

Elle semble avoir été connue à Rome avant la fin du I er siècle.
Clément romain, sans la citer, paraît s'en inspirer en plusieurs
passages de son épître aux Corinthiens (vers 96). Les premiers
témoignages précis se rencontrent à Alexandrie: Pantène la croyait
écrite par Paul, qui n'y aurait pas fait figurer son nom parce qu'il
s'adressait à des Juifs et qu'il était l'apôtre des Gentils; Clément
d'Alexandrie pensait que Paul l'avait écrite en hébreu, et que
Clément romain ou Luc l'avait traduite en grec; Origène modifia cette
théorie parce qu'il se rendit compte que le style de l'épître était trop
coulant pour qu'elle pût être une traduction: il supposa que Paul
l'avait inspirée, mais qu'un autre l'avait rédigée. Ces théories des
Pères alexandrins paraissent avoir été dictées par le désir de
concilier deux traditions dont l'une attribuait l'épître à Paul et dont
l'autre attestait qu'elle n'était pas de lui. Quoi qu'il en soit, la
théorie de l'origine indirectement paulinienne a, de bonne heure,
triomphé en Orient des hésitations que l'on pouvait avoir à
l'accueillir dans le canon.

En Occident, sa canonisation et son assimilation aux ép. de Paul
se sont faites suivant un tout autre processus et ont été beaucoup
plus lentes. Irénée, Hippolyte, Gaïus de Rome, s'ils l'ont connue--ce
qui reste douteux--ne comptent pourtant que treize ép. de Paul. Le
canon de Muratori l'ignore. Tertullien la cite comme de Barnabas, non
pas comme un livre canonique, mais comme l'oeuvre d'un compagnon des
apôtres. Pendant tout le cours du III e s, l'épître n'est citée en
Occident que par Nova-tien qui, comme Tertullien, l'attribue à
Barnabas. Les premiers écrivains occidentaux qui, au IV e siècle,
l'ont citée comme paulinienne et canonique, sont des hommes comme
Hilaire de Poitiers, Lucifer de Cagliari, Priscillien, qui, au cours
des controverses ariennes, ont été en relations avec les docteurs
orientaux. C'est lorsqu'à la fin du IV e siècle les relations entre
l'Église d'Orient et l'Église d'Occident sont devenues plus
fréquentes, que l'épître aux Heb a été, si on peut dire, importée
d'Orient en Occident et introduite dans le canon de l'Église latine,
sous l'influence d'hommes comme saint Jérôme et saint Augustin, qui
connaissaient bien les raisons qu'il y avait pour ne pas la
considérer comme paulinienne, mais qui se déclaraient liés par
l'autorité des Églises d'Orient. L'évolution s'achève avec les
conciles africains d'Hippone (393) et de Carthage (397), qui comptent
treize épîtres de Paul et une du même aux Heb; et l'unification est
faite par Innocent I er dans sa lettre à Exupère de Toulouse (405) et
par le concile de Carthage (419) qui comptent quatorze épîtres de
Paul. A partir de ce moment, les doutes sur l'origine paulinienne de
l'épître aux Hébreux n'apparaîtront plus que d'une manière sporadique.
Ils reprendront une certaine intensité au XVI e siècle avec Érasme et
les humanistes et surtout avec Luther qui l'attribue à Apollos et
l'exclut du N.T. parce qu'elle enseigne l'impossibilité de la seconde
repentance. Mais le concile de Trente étouffera les velléités de
critique indépendante des humanistes et le développement dans le
protestantisme de la doctrine de l'inspiration triomphera, bien que
plus lentement, dans les Églises luthériennes, des doutes relatifs à
l'origine de l'épître aux Hébreux.

A l'heure actuelle, en dehors des théologiens catholiques, qui
sont liés par le décret du concile de Trente, aucun critique ayant
quelque autorité n'envisage l'idée d'une origine directement ou
indirectement paulinienne de l'épître aux Hébreux.

III La forme littéraire.

Est-ce une lettre véritable ou bien la forme épistolaire n'y est-elle
que fictive? Les deux hypothèses ont été soutenues, et on a aussi
pensé que c'était un traité théologique ou une homélie qui, par une
conclusion épistolaire ajoutée après coup par l'auteur lui-même ou
par un éditeur, aurait été adressée à un groupe différent de celui
pour lequel il avait été primitivement conçu. Le titre «Aux Hébreux»
est énigmatique. Il ne paraît pas provenir de l'auteur mais semble
avoir été donné sous l'influence de cette réflexion qu'une
démonstration de la supériorité de la nouvelle alliance sur
l'ancienne doit avoir été composée pour des lecteurs d'origine juive.

L'épître ne s'ouvre pas par une salutation semblable à celles qui
figurent en tête de toutes les ép. pauliniennes. Le caractère
majestueux et la perfection littéraire de la première phrase ne
permettent pas d'admettre qu'elle ait pu originairement être précédée
d'une salutation qui aurait été intentionnellement ou
accidentellement supprimée. Mais cela ne prouve pas que l'épître aux Heb
ne soit pas une lettre, car il faut juger sur l'ensemble, et il ne
serait pas impossible de supposer que l'auteur, écrivant à une époque
de persécutions, ait pris la précaution de ne pas nommer directement
ceux à qui il s'adressait, pour le cas où sa lettre serait tombée
entre des mains païennes.

Dans l'épître aux Hébreux, il n'y a pas, autant que dans la
plupart des ép. de Paul, de traits concrets désignant un cercle
défini de lecteurs. Il y a cependant assez d'indices précis prouvant
que l'auteur a en vue un groupe de chrétiens dont il connaît la
situation (Heb 2:3 4:1 5:11-14 12:4 13:7,9,17). C'est surtout la
conclusion qu'il faut considérer, notamment l'invitation que l'auteur
adresse de prier pour qu'il soit rendu à ses lecteurs (Heb
13:19), ce qu'il dit de la mise en liberté de Timothée et de la
visite qu'il projette de faire en sa compagnie (Heb 13:23), les
salutations pour les conducteurs et les saints et les salutations de
la part de «ceux d'Italie» (Heb 13:17-24). On a, il est vrai,
supposé que 1a conclusion pourrait avoir été ajoutée après coup pour
donner au document un caractère épistolaire qu'il n'aurait pas eu
primitivement. Mais, outre que le corps même du livre contient assez
d'indications précises pour prouver que l'auteur a en vue un groupe
défini de lecteurs, l'hypothèse du caractère épistolaire fictif se
heurte à plusieurs difficultés. La moins grave n'est pas que, si on
avait voulu imiter le modèle fourni par les ép. de Paul, la première
chose que l'on aurait faite aurait été de mettre en tête une
salutation semblable à celles par lesquelles s'ouvrent les lettres de
l'apôtre.

On a fait observer que le ton et la structure de l'épître sont
plutôt d'un discours que d'une lettre. L'auteur lui-même semble
présenter son oeuvre comme un discours qui s'adresse à des
auditeurs (Heb 2:5 4:13 5:11 9:5 11:32 13:22) et, avec un art
qui n'ignore pas certains procédés de la rhétorique grecque, il fait
alterner les développements théoriques qui réclament quelque
attention pour être suivis et des exhortations pratiques plus faciles
à saisir, comme s'il voulait ménager à ses auditeurs des paliers qui
leur permettent de reprendre haleine. Mais tout cela peut
parfaitement s'expliquer par le tempérament oratoire de l'auteur et
par le fait qu'il n'a pas composé son oeuvre pour que ceux à qui il
l'adresse en prennent individuellement connaissance, mais pour
qu'elle soit lue à la communauté assemblée. Cependant, il faut
reconnaître que, parmi les arguments invoqués par les partisans de la
conclusion épistolaire surajoutée, il y en a un qui est grave. C'est
celui qu'ils tirent de la différence entre Heb 13:19 où les
lecteurs sont invités à prier pour que l'auteur leur soit rendu,
c-à-d, où l'annonce d'une visite qu'il leur fera reste hypothétique,
et Heb 13:23 où une visite est positivement annoncée et est si
proche qu'elle ne coïncidera avec celle de Timothée que si celui-ci
ne tarde pas à venir. Cette difficulté se résoudrait d'elle-même si
on considérait le passage relatif à Timothée (Heb 13:23) comme
un fragment maladroitement introduit à cet endroit d'une autre
lettre, peut-être d'une lettre de Paul. Mais ce n'est là qu'une
conjecture. On voit que l'hypothèse du caractère épistolaire primitif
de l'épître aux Heb ne peut pas être considérée comme rigoureusement
démontrée. Elle paraît cependant rester de beaucoup la plus probable,
parce que l'hypothèse de l'addition de la conclusion épistolaire
soulève de plus graves difficultés encore.

La langue et le vocabulaire de l'épître sont très différents de
la langue et du vocabulaire pauliniens. Le style est beaucoup plus
coulant et plus proche du grec classique. Il est tel que l'hypothèse
d'une traduction de l'hébreu doit être écartée. D'ailleurs, non
seulement les citations, mais encore les réminiscences de l'A.T., se
rapportent aux LXX et il y a des assonances et même quelques jeux de
mots qui n'ont pu être conçus qu'en grec.

IV La théologie de l'épître aux Hébreux.

Aux raisons d'ordre littéraire qu'il y a de ne pas l'attribuer à
l'apôtre Paul, s'ajoutent des raisons d'ordre théologique. Certains
de ses éléments, il est vrai, se retrouvent dans le paulinisme, par
ex. l'idée de la substitution à l'ancienne alliance d'une alliance
nouvelle, ou celle du rôle capital de la mort du Christ; mais ce sont
là des idées communes à tous les chrétiens du siècle apostolique, et
l'auteur de l'épître aux Heb les présente et les développe tout
autrement que Paul. C'est ainsi que, pour l'apôtre l'ancienne
alliance est constituée par la promesse et que la Loi n'est venue que
s'y surajouter, tandis que, pour l'auteur de l'épître aux Héb.,
l'ancienne alliance, c'est essentiellement la législation mosaïque et
spécialement le système cultuel qu'elle règle. La mort du Christ est
pour Paul la condamnation du péché, c-à-d, l'exécution d'un coupable.
Pour l'auteur de l'épître aux Héb., c'est l'immolation d'une victime
très sainte et très pure.

L'appropriation du salut se fait tout autrement dans les deux
systèmes. Pour Paul, elle est réalisée par la foi, c-à-d, par l'union
mystique avec le Christ qui meurt et qui ressuscite à la vie du ciel.
Pour l'épître aux Héb., la nature de l'homme est seulement purifiée, non
radicalement transformée par la rédemption. La notion de la foi est,
par suite, très différente. L'auteur de l'épître aux Heb la définit dans
un sens qui correspond à ce que Paul appelle l'espérance. Il n'y a
rien dans l'épître aux Heb qui réponde à ce qu'exprime pour Paul
l'expression «être en Christ», rien non plus qui soit l'équivalent du
rôle que jouent chez Paul les phénomènes d'inspiration et, d'une
manière générale, la notion de l'Esprit. Pour l'auteur de l'épître aux
Héb., la condition du salut c'est l'attachement inébranlable à la
confession de la foi chrétienne. Il y a là une différence de
tempérament, mais aussi une différence de situation. L'attachement au
christianisme passe nécessairement au premier plan quand la
persécution sévit ou seulement menace, et c'est aussi une différence
de situation et d'époque que révèle le fait que l'auteur de l'épître aux
Héb., qui n'est, à aucun degré, ni légaliste ni particulariste, ne
vise directement aucune des grandes thèses pour lesquelles l'apôtre
Paul a lutté. Ces thèses ont si complètement triomphé qu'elles ne
sont plus en discussion.

L'auteur de l'épître aux Heb a très fortement subi l'influence de la
philosophie judéo-alexandrine. Il est imbu de la théorie philonienne
du Logos (voir ce mot), et l'on doit considérer comme très
vraisemblable qu'il a connu directement une partie au moins des
traités de Philon. Il donne au Christ les principaux attributs du
Logos philonien, mais le terme même de logos ne se trouve pas
chez lui. C'est que le terme «Christ» représente pour lui tout ce que
représentait le terme philonien de logos, et quelque chose de
plus. L'influence du philonisme ne doit pas être comprise dans ce
sens que l'auteur de l'épître aux Heb aurait réalisé une synthèse entre
le christianisme et la philosophie judéo-alexandrine, mais dans ce
sens qu'il a trouvé dans le philonisme des matériaux qui lui ont paru
se prêter à exprimer sa pensée et sa, foi chrétiennes.

V Les destinataires de l'épître.

On a longtemps cru qu'elle devait avoir été adressée à des lecteurs
d'origine juive. Mais elle appartient à une époque où l'opposition
entre le judéo-christianisme légaliste et particulariste et le
pagano-christianisme n'existe plus et où l'A.T, est le bien de toute
l'Église. Il y a d'ailleurs dans l'épître des traits qui s'accorderaient
mal avec l'hypothèse de lecteurs judéo-chrétiens, par ex. la mention,
parmi les enseignements chrétiens élémentaires, de la foi en Dieu, de
la résurrection et du jugement (Heb 6:2), car ce sont là des
doctrines communes au judaïsme et au christianisme.

La majorité des critiques pense que l'épître a été adressée à des
chrétiens de Rome. Plusieurs observations paraissent favorables à
cette opinion. Le premier auteur qui l'ait connue est le Romain
Clément; le passage Heb 6:10 parle des services rendus aux
saints par les lecteurs; or nous savons que l'Église de Rome, riche
et généreuse, était souvent venue en aide aux Églises pauvres. Les
conducteurs de l'Église sont appelés hègoumènes; or ce terme qui
ne se rencontre que chez Clément paraît être spécifiquement romain.
La salutation de la part de «ceux d'Italie» (Heb 13:24) se
comprend le mieux comme envoyée par une colonie d'Italiens fixée à
l'étranger. Par contre les passages Heb 10:32 et suivants où il
est question d'outrages et de tribulations, et surtout Heb 12:4
où l'auteur dit: «Vous n'avez pas encore résisté jusqu'au sang», ne
semblent guère avoir pu être adressés à une Église qui aurait passé
par la persécution de Néron. Or il paraît difficile que l'épître ait
pu être écrite avant 64. On doit donc laisser en suspens la question
des destinataires, en se bornant à considérer comme les plus
vraisemblables les hypothèses qui les chercheraient d'une part en
Egypte et de l'autre en Italie en dehors de Rome.

Harnack et Zahn ont émis l'hypothèse que l'épître n'avait pas été
adressée à la communauté romaine tout entière, mais à un petit groupe
au sein de cette communauté, semblable à l' «Église qui s'assemble
dans la maison d'Aquilas» dont il est question dans Ro 16:5.
Cette conjecture, qui a beaucoup pour elle, est indépendante de la
thèse de destinataires romains à propos de laquelle elle a été émise.

Quant au lieu où l'épître a été composée, aucun indice ne permet de
hasarder une conjecture.

VI La date de composition.

Pour un certain nombre de critiques, l'épître serait antérieure à 70
parce qu'elle décrit le Temple et le culte au présent et qu'elle ne
tire pas argument de la cessation du culte lévitique. Ces deux
raisons ne peuvent pas être retenues, la première parce que la
description du sanctuaire et du culte est faite d'après le texte de
l'A.T, et non d'après l'observation directe; elle se rapporte en
réalité au Tabernacle et non au Temple d'Hérode. Quant à la cessation
du sacrifice, elle peut n'avoir été considérée que comme une
interruption provisoire, semblable à celle qu'avait provoquée la
persécution d'Antiochus Épiphane. Longtemps les Juifs ont espéré une
reconstruction du Temple et une restauration de leur culte et, au
temps d'Hadrien, ils ont un moment pensé que leurs espérances
allaient se réaliser.

L'épître ayant été connue de Clément romain doit avoir été écrite
avant 96. On y relève une série d'indices qui conduisent à la placer
sensiblement après 70. Notons, par ex., la position de la théologie
de l'épître par rapport au paulinisme et le sentiment qu'a l'auteur de
ne pas appartenir à la première génération chrétienne (Heb 2:3);
l'Église à laquelle il s'adresse existe depuis longtemps (Heb
5:11 10:30). Une persécution violente qui pourrait être
celle de Néron est déjà assez éloignée (Heb 10:32,34); une autre
persécution commence ou, du moins, menace (Heb 12:4 13:3), ce
pourrait être celle de Domitien. Il semble que l'on ait bien des
chances de ne pas se tromper en fixant la composition de l'épître aux
années 80-90.

VII L'auteur.

Il n'est guère de personnalité du siècle apostolique à laquelle on
n'ait pas proposé d'en attribuer la composition; c'est ainsi que l'on
a mis en avant les noms de Luc, de Barnabas, de Clément romain,
d'Apollos, de Silas, de Pierre ou d'un de ses disciples, du diacre
Philippe, du pres-bytre Aristion et même de Priscille; simples
conjectures le plus souvent, et qui manquent tellement de base qu'il
est impossible de les discuter. Celles qui ont recueilli le plus de
suffrages sont les attributions à Barnabas et à Apollos. La première
a pour elle le témoignage de Tertullien, mais, si elle reposait sur
une tradition primitive, on aurait peine à comprendre l'attribution
au même Barnabas d'une autre lettre composée vers 130 et qui a un
caractère assez différent. L'attribution à Apollos est une conjecture
qui n'apparaît qu'avec Luther, bien qu'elle soit sans doute
antérieure à lui. Si ce que nous savons d'Apollos, Juif alexandrin,
cultivé et éloquent, correspond bien à l'idée que nous pouvons nous
faire de l'auteur de l'épître aux Héb., il ne faut pas oublier
qu'Apollos n'a certainement pas été le seul Juif alexandrin qui se
soit converti à l'Évangile. Il sera donc sage de se borner à dire que
l'épître aux Heb est l'oeuvre d'un Juif hellénisé ou d'un prosélyte
familiarisé avec la pensée philonienne. Quant à son nom, comme le
disait déjà Origène, «Dieu seul le sait».
BIBLIOGRAPHIE
--Introductions.
--Comment, angl.: Westcott 3, 1902.
--Ménégoz, La tkeol. de l'ép. aux Hébreux, Paris 1894 (fondamental);
--M. Goguel, La doctr. de l'impossibil. de la seconde conversion dans l'épître
aux Heb et sa place dans l'évol. du Christian.
(Ann. Ec. H.-Et., Se. rel. 1931-32). M. G.