AARON

Frère aîné de Moïse, arrière-petit-fils de Lévi par Amram et
Kéhath (Ex 6:16). Du fait de son droit d'aînesse, Aaron était
chef du deuxième clan de la tribu de Lévi, et, par sa femme Éliséba,
il était apparenté à Naasson, «prince» de la tribu de Juda (Ex
6:23 No 7:12). Les récits d'Exode, de Lévitique et Nombres le
montrent mêlé de près à l'histoire des tribus, bien que Moïse
conserve toujours sur lui l'autorité supérieure.

Il est appelé (Ex 7:1) «le prophète» de Moïse, c'est-à-dire
son porte-parole dans tous les pourparlers avec le pharaon.

Il opère certains prodiges; son bâton, changé en serpent,
engloutit ceux des magiciens d'Egypte (Ex 7:12); il change l'eau
en sang, déchaîne les fléaux des grenouilles et des
moustiques (Ex 8:1-18). Cependant, c'est toujours Moïse qui lui
ordonne d'agir et qui reçoit lui-même l'ordre de se présenter devant
le pharaon (Ex 7:14-16 8:16 9:1-13 10:1), et ce n'est que dans
la suite qu'on voit Aaron mentionné, lorsque le roi prie les deux
frères d'intervenir pour faire cesser les fléaux. Et chaque fois,
c'est encore Moïse qu'on voit intercéder et transmettre au roi la
réponse divine.

Lors du séjour au pied du Sinaï, Aaron, Nadab et Abihu, (d'après
Le 10:1, deux de ses fils) et soixante-dix anciens, reçoivent la
permission d'accompagner Moïse sur la montagne et de «voir le Dieu
d'Israël» (Ex 24:10); mais, dans ce récit, Moïse seul accomplit
certains actes cultuels (Ex 24:4,8). Enfin, alors que Moïse est
remonté sur le Sinaï, Ex 32 raconte qu'Aaron, cédant aux
instances du peuple, fabriqua un veau d'or qui devait figurer Yahvé
et devant lequel il offrit des sacrifices, exposant ainsi aux plus
grands dangers la forme supérieure de religion qui venait d'être
révélée à Israël. Moïse, redescendu auprès d'Aaron, lui demanda
compte de son acte; l'explication qu'il en donne (Ex 32:21,24)
s'applique à diminuer sa culpabilité en accentuant celle du peuple.

C'est pendant le séjour au Sinaï que, d'après le document
sacerdotal P (voir art. Pentateuque pour la caractéristique des
documents ayant servi à rédiger cet ouvrage), se produit le fait
capital de la carrière d'Aaron: son élévation au sacerdoce suprême;
l'onction qui lui fut conférée (à lui seul, d'après Ex 29:7);
l'établissement de ses fils comme prêtres subordonnés à son autorité;
enfin, plus tard (No 3), l'organisation du reste des Lévites
pour les offices subalternes du sanctuaire. Les récits de la période
du désert mentionnent maintes fois encore Aaron. Dans Le 10,
deux des fils d'Aaron, Nadab et Abihu, pour avoir contrevenu aux
règles du culte régulier, furent consumés par le feu qui sortit de
«devant Yahvé». Aaron eut-il une part de responsabilité dans l'acte
commis par eux? On a parfois tiré cette conclusion du silence qu'il
garda en présence de Moïse (Le 10:3); il paraît plus probable
d'y voir, de sa part, une marque de soumission à la volonté de
l'Éternel.

Un autre récit (No 12) jette une ombre de blâme sur sa
conduite: lui et Miriam murmurent contre Moïse à cause de la femme
éthiopienne que ce dernier avait épousée, et (par esprit de jalousie)
ils revendiquent le droit de recevoir, comme lui, des révélations de
la part de Yahvé; l'intervention de Moïse leur épargna un châtiment.
L'autorité sacerdotale d'Aaron est si fortement mise en relief par P,
ses prérogatives sont si exclusives que, lorsqu'un lévite nommé Coré,
et, avec lui, deux cent cinquante d'entre les principaux du peuple,
voulurent revendiquer le droit d'exercer les fonctions du
sacerdoce (No 16), ils excitèrent la colère de l'Éternel et le
sol, s'entr'ouvrant (No 16:32), les engloutit; le reste du
peuple fut sauvé par l'intervention d'Aaron qui fit pour eux
l'expiation en offrant de l'encens (No 16:47).

Un autre fait vient encore accentuer l'importance que P attribue
à Aaron: (No 17) c'est l'histoire de sa verge qui, déposée
devant l'arche avec celles des douze chefs de tribus, se mit à
fleurir et à donner des fruits, façon symbolique de confirmer, par un
prodige éclatant, l'autorité suprême dont il était investi. Enfin, il
faut citer la seule défaillance que P ait relevée dans le caractère
d'Aaron: le récit de No 20 reproche à Aaron et à Moïse de
n'avoir pas exécuté à la lettre l'ordre de l'Éternel, de s'être
montrés hésitants et d'une foi vacillante, de sorte que, à cette
occasion, il leur fut retiré l'honneur de pouvoir entrer en Canaan
avec les tribus. Aaron mourut sur le mont Hor, aux frontières d'Édom
(No 20:28), après avoir été dépouillé des vêtements de sa haute
charge par Moïse, qui en revêtit Éléazar, fils aîné d'Aaron, en même
temps qu'il lui transmettait la dignité de grand-prêtre. Une autre
tradition, conservée dans De 10:6, indique la station de Môsérâ
comme ayant été le lieu de la mort et de la sépulture
d'Aaron.

Ce résumé de la carrière d'Aaron résulte de la combinaison des
données fournies par les trois documents, yahviste (J), élohiste (E),
et sacerdotal (P). Mais tous ne présentent pas d'une façon identique
le personnage et le rôle d'Aaron:

Dans J et E (Ex 4:30), J indique la seule
occasion où Aaron ait été le porte-parole de Moïse devant le peuple;
partout ailleurs, (malgré Ex 4:14-16) c'est Moïse qui s'adresse
aux Israélites et au pharaon. Pour la plupart des critiques, Aaron
n'aurait même tenu aucune place dans le texte primitif de J, et son
nom n'y aurait été ajouté que postérieurement; ainsi, dans Ex
7-10, où sont décrits les pourparlers avec le pharaon et les
plaies. Dans Ex 10:17 (J), le changement de nombre dans les
verbes (pardonne mon péché...et priez Yahvé pour moi) est un
indice évident du fait que le compilateur de J et E, jugeant la
présence d'Aaron indispensable dans ces récits, (d'après Ex 4:14
et suivants) a ajouté son nom ici et là. J ne connaît nulle part
Aaron comme prêtre, mais toujours comme auxiliaire de Moïse, juge
et représentant de Yahvé auprès du peuple. Dans Ex 24:4-8 (E),
c'est Moïse et non Aaron qui accomplit tout le rituel du sacrifice,
avec l'aide de «jeunes hommes» dont rien ne dit qu'ils fussent des
Lévites. Et dans le verset 14, Aaron paraît de nouveau avec Ur, (voy.
Ex 17) comme autorité civile, en l'absence de Moïse. Dans Ex
33:7-11 (E), c'est encore Moïse et non Aaron qui entre dans le
tabernacle, lequel est confié à la garde de l'Éphraïmite Josué. Le
seul passage d'E où Aaron pourrait être considéré comme prêtre serait
Ex 32 (histoire du veau d'or); et là, Aaron est présenté sous un
jour défavorable. Le verset 34 pourrait être une allusion à l'exil de
722, considéré comme une punition du culte des veaux d'or dans le
royaume du Nord.

Dans le document deutéronomique, trois textes
mentionnent Aaron, mais jamais comme prêtre: De 9:20, qui paraît
provenir d'un réviseur qui voulait faire comprendre que, si Aaron
n'avait pas été puni lors de l'affaire du veau d'or, c'était grâce à
l'intercession de Moïse; De 10:6, qui est une adjonction plus
récente, interrompant la suite du discours de Moïse; et De
32:50, une allusion à la mort d'Aaron (placée au mont Hor, comme
dans P). On sait d'ailleurs que D «n'a connu ni distinction entre
prêtres et lévites, ni hiérarchie parmi les familles de la tribu de
Lévi» (A. Westphal, Sources, t. II, p. 203).

On peut enfin constater, dans ceux des livres
historiques qui n'ont pas subi l'influence de P, et dans les récits
des prophètes, (voy. 1Sa 12:6,Mic 6:4) que les rares textes qui
citent le nom d'Aaron ne le mentionnent jamais comme prêtre, mais
qu'ils lui attribuent le même rôle que J et E. Et Ézéchiel, parlant
de l'organisation sacerdotale de l'avenir, ne cite jamais Aaron comme
chef des prêtres, mais désigne toujours ceux-ci comme «race» ou «fils
de Tsadok» (Eze 43 19 44:16), et ignore totalement la fonction
de grand-prêtre. Les deux ou trois passages des livres historiques
qui parlent d'un grand-prêtre: 2Ro 12:11 22:4 23:4, sont
certainement interpolés.

La conception traditionnelle du rôle d'Aaron, considéré comme
chef et ancêtre du sacerdoce israélite, repose donc exclusivement sur
P (le document le plus récent); c'est lui qui a établi la hiérarchie
bien connue: au sommet, Aaron, premier de la série des
grands-prêtres; sous ses ordres, ses fils et leurs successeurs,
formant le sacerdoce ordinaire régulier; au-dessous d'eux, les
lévites, remplissant les fonctions subalternes. Or, la lecture des
livres historiques autres que les Chroniques, ouvrage plus récent et
tout imprégné de l'esprit de P (1Ch 12:28 emploie même le nom
d'Aaron tout court pour désigner collectivement les prêtres qui
accompagnèrent David à Hébron), montre nettement que la réalité ne
correspond nullement à cette construction tardive de l'édifice
cultuel d'Israël; dans ces livres «on chercherait en vain le clergé
si bien organisé de P». (Benzinger, Hébreu Archoeol., p. 405.) Et
Wellhausen (Proleg. zur Gesch. Isr., 1899, p. 139) a montré que
l'on serait même en droit de trouver dans certains passages l'indice
que les deux lignées sacerdotales héréditaires: celle de Dan, qui
descendait de ce Jonathan petit-fils de Moïse, mentionné Jug 17
et Jug 18:30, et celle de la maison d'Héli à Silo, 1Sa 1 et
1Sa 2:27, auraient fait remonter leur origine jusqu'à Moïse (ce
dernier texte paraît bien désigner Moïse, et non pas Aaron, comme
ayant été l'intermédiaire de la révélation accordée à la maison
d'Héli et de la mission sacerdotale confiée à celle-ci); qu'enfin
De 33:8 indique assez clairement que tous les prêtres voyaient
en Moïse leur commun ancêtre (point de vue qui trouverait un appui
dans Ex 33:7-11).

Il faut donc admettre que l'école sacerdotale de P a dû
transporter jusque dans le lointain passé de l'époque mosaïque toute
une organisation sacerdotale qui n'a, en réalité, fonctionné en
Israël qu'à partir d'une époque beaucoup plus récente, celle d'Esdras
et de Néhémie. On a même cru pouvoir supposer (R.-H. Kennett, O. T.
Essays,
Cambr. 1928, p. 78) que le cycle de traditions relatives à
Aaron avait, à l'origine, appartenu au royaume d'Israël du Nord, et
qu'Aaron aurait été l'ancêtre de la prêtrise du sanctuaire de Béthel,
laquelle aurait pu, par là, revendiquer une antiquité plus haute que
celle de Jérusalem, puisque celle-ci ne remontait qu'à Tsadok, l'un
des trois principaux prêtres du règne de David. Pour toutes ces
questions,voir Lévi, Prêtres, Tsadok. Ant.-J. B.