EZÉCHIEL (Prophète)

Ézéchiel fut par excellence le prophète des Juifs exilés en
Babylonie. Son contemporain Ésaïe II est resté un prophète anonyme et
sans ministère proprement dit. Ézéchiel, vivant au milieu des exilés,
dans ce qui fut sans doute le principal centre de leur captivité, à
Tel-Abib, exerça sur eux une action directe.

On ne saurait s'exagérer l'importance de la première prise de
Jérusalem par les Caldéens en 597, sous le règne du malheureux
Jéhojakin (appelé par Jérémie Jéconia). Élie marqua en réalité la fin
de l'indépendance de Juda, dont le dernier roi, Sédécias, fut vassal
de Babylone. Avec Jéhojakin, 10.000 Judéens, composant l'élite de la
nation, partirent pour l'exil: Jérusalem fut vidée de tous ses
meilleurs éléments, jusqu'à décourager ceux qui demeuraient; Jérémie
les compare à une corbeille de figues gâtées, tandis qu'il voit la
corbeille de figues saines transportée au loin.

Selon toute vraisemblance, Ézéchiel faisait partie du convoi des
déportés et, par son influence sur cette élite, dirigea les destinées
d'Israël dans une des périodes les plus critiques de son histoire, à
une époque où l'axe de la population juive et de la pensée hébraïque
semblait se déplacer de plus en plus vers l'Orient.

On a trop méconnu jusqu'ici l'importance de la Diaspora (voir
ce mot) israélite, oublié que l'Orient avait déjà recueilli et en
quelque sorte absorbé un gros effectif des Israélites des Dix Tribus,
après la ruine de Samarie, tandis que la seconde prise de Jérusalem
allait achever l'oeuvre de la première, en réduisant en désert la
cité sainte. Dès lors, malgré les efforts de Jérémie et des fidèles
yahvistes restés en Judée, c'est principalement en pays
assyro-baby-lonien que vont se développer la vie nationale et la vie
religieuse d'Israël, en attendant la période de la restauration.

L'action d'Ézéchiel ne s'est pas limitée au seul groupe des
Judéens de Tel-Abib, mais s'est étendue à toute la Diaspora, désignée
par lui sous ce terme général: la maison d'Israël. Sa prophétie
sur les deux soeurs Ohola et Oholiba (Eze 23), qui fait écho à
celle de Jérémie (Jer 3:6 et suivants), montre qu'il ne séparait
pas dans ses préoccupations religieuses le sort des Dix Tribus de
celui de Juda et semble prouver que ses oracles pouvaient parvenu:
aux déportés d'Assyrie. Dans les limites qui leur étaient assignées
et qui nous paraissent n'avoir été ni très étroites ni très
rigoureuses, les exilés avaient pu s'organiser selon leurs coutumes
et jouissaient d'une véritable autonomie. Les conseils de Jérémie,
transmis par sa Lettre aux captifs (Jer 29), étaient suivis
docilement et des maisons se construisaient; les champs de Tel-Abib
(=monceau de gerbes) donnaient d'abondantes récoltes, le peuple
prospérait sous la direction de ses anciens. Tel-Abib faisait figure
de communauté religieuse, groupée autour de ses prêtres et de ses
prophètes; et là comme à Jérusalem il y avait prophète et
prophète: (cf. Jer 29:15) les uns, anciens associés du Temple et
flatteurs de la cour, poursuivant leur même carrière lucrative sur la
terre étrangère; les autres, dont Ézéchiel était le vrai
représentant, fidèles à l'attitude et à la doctrine de Jérémie,
continuant sa lutte contre les premiers au nom de la liberté de la
prophétie. L'ascendant d'Ézéchiel fera passer au second plan et
disparaître peu à peu les faux prophètes; mais l'influence des
prêtres, à la caste desquels Ézéchiel appartenait par sa naissance,
sera plus tenace et grandira avec les premières espérances de la
libération, jusqu'à inspirer au prophète sa vision du temple
restauré, dont nous aurons à déterminer le vrai caractère.

La personnalité et l'oeuvre d'Ézéchiel ressortent de ses discours
et de tous les détails fournis par son livre avec un relief
saisissant. Faire d'Ézéchiel avant tout un prophète écrivain était
une erreur, de laquelle on est complètement revenu. Ses actes
symboliques destinés au peuple, ses entretiens avec les anciens qui
viennent fréquemment le consulter, ses relations avec Jérusalem dont
il reste exactement informé, manifestent une grande activité et
feront de lui, surtout après la nouvelle de la ruine de la cité
sainte, le véritable chef de la communauté de Tel-Abib.

Cette catastrophe marque ainsi, dans sa vie comme dans son livre,
dans sa pensée comme dans son message, une coupure très nette. De
même que Jérémie, lors de sa vocation, avait reçu l'ordre «d'arracher
et de démolir», mais ensuite «de bâtir et de planter», Ézéchiel,
après avoir, en sentinelle vigilante, averti les Judéens du danger
imminent, arraché courageusement et presque brutalement leurs
illusions, devint le prophète consolateur dont les visions ne se
rapportent plus à un passé coupable ou à un présent ignominieux, mais
à un avenir de relèvement moral et de résurrection spirituelle.
L'auteur des invectives contre les deux soeurs, également adultères
et criminelles (Eze 23:45), deviendra presque sans transition le
visionnaire de la revivification des os secs (Eze 37) et de la
Jérusalem restaurée (Eze 40 ss).

Le déroulement de la vie et de l'oeuvre d'Ézéchiel nous est bien
facilité par l'ordre qui règne dans tout le cours de son livre. Les
discours ou les récits sont nettement délimités et se suivent (sauf
quelques inversions sans importance) dans l'ordre chronologique. Ils
portent la date de l'année, du mois et du jour de leur composition et
ces dates sont fort nombreuses. Les suscriptions qui les fournissent
sont toutes de la main d'Ézéchiel, suivant une formule invariable:
«La parole de l'Éternel me fut adressée en ces mots...» Le cachet
d'authenticité en est indéniable et nous n'avons pas, comme pour le
livre de Jérémie, à faire le départ entre ce qui émane du prophète
lui-même et ce qui a été ajouté par son biographe Baruc ou quelque
autre rédacteur.

Le livre d'Ézéchiel ne porte aucun titre général. Dans la
suscription du premier discours s'est glissée une notice explicative
émanant d'un rédacteur (Eze 1:2 et suivant). Cette notice est
destinée à nous renseigner sur le nom et la personnalité du prophète
qui a déjà pris la parole pour introduire le récit de sa vocation.
Nous n'avons aucun motif de mettre en doute ses données. Nous
apprenons qu'il s'agit d'Ézéchiel (hébreu Jehêzeqèl =Dieu
fortifie), fils du sacrificateur Bouzzi; que le fleuve Kébar,
mentionné par lui (verset 1) comme côtoyant la résidence des captifs,
était situé dans le pays des Caldéens; et que sa vocation eut lieu en
la cinquième année de la captivité du roi Jéhojakin. Cette date est
confirmée par le prophète lui-même, qui place son discours suivant en
la sixième année et poursuivra son énumération jusqu'à la
vingt-septième (Eze 29:17, cf. Eze 40:1, «la
vingt-cinquième année de notre exil»). D'autre part Ézéchiel, dès ses
premiers mots, situe sa vocation en la trentième année (Eze
1:1), ce qui, malgré toutes les tentatives pour trouver une autre
explication, ne peut se rapporter qu'à son âge.

Ézéchiel avait donc vingt-cinq ans lorsqu'il quitta Jérusalem où,
selon toute probabilité, il était disciple de Jérémie. La tradition
rabbinique, selon laquelle Jérémie était son père, sous prétexte que
le nom de Bouzzi (=le méprisé) pourrait s'appliquer à ce prophète,
est invraisemblable et se heurte au texte formel où Jérémie mentionne
l'ordre de Dieu lui interdisant de se marier (Jer 16:2). Nous
savons par contre qu'Ézéchiel était marié et que sa femme mourut à la
veille de la ruine de Jérusalem (Eze 24:18), sans qu'il soit
fait allusion à des enfants nés de ce mariage. Le ministère
d'Ézéchiel, commencé à l'âge de trente ans, dura au moins vingt-deux
ans et se déroula tout entier à Tel-Abib, sur les bords du fleuve
Kébar (probablement un fleuve artificiel, le grand canal appelé
Kabarou dans les inscriptions d'Artaxerxès I er).

Le livre d'Ézéchiel se divise nettement en quatre parties:

Vision inaugurale et prophéties antérieures au
siège de Jérusalem (1 à 24);

Prophéties sur les nations (25 à 32);

Prophéties postérieures à la ruine de Jérusalem
(33 à 39);

Vision de la Jérusalem restaurée (40 à 48).

Comme dans la plupart des autres livres prophétiques, les
prophéties sur les nations sont toutes rassemblées, quelle que soit
leur date, et forment une section spéciale, qui chez Amos se trouve
au début, chez Ésaïe au centre, chez Jérémie à la fin. Ici, cette
section a été insérée entre les deux séries de discours qui occupent
presque toute la durée du ministère d'Ézéchiel et remplit
l'intervalle de deux ans environ pendant lequel le prophète garda un
silence angoissé dans l'attente de la catastrophe inévitable.

La vision d'Ézéchiel se présente comme un frontispice grandiose,
qui imprime sa marque à tout le livre. L'influence des grands
monuments babyloniens s'y fait peut-être sentir dans la description
des Keroubim (chérubins), mais il s'y trouve en une bien plus
forte mesure des souvenirs authentiquement israélites: le récit de la
vocation d'Ésaïe où les Séraphins entourent le trône de Dieu et la
vision des 70 anciens qui au pied du Sinaï purent voir le Dieu
d'Israël à travers une voûte de saphir transparent (Ex 24:10).
Ézéchiel voit venir du nord, poussé par un vent impétueux, un char,
semblable au char de feu qui avait emporté, le prophète Élie, traîné
par quatre êtres composites et mystérieux (les Keroubim),
supportant un dôme de cristal, au travers duquel apparaît sur un
trône de saphir, dans la lumière de l'arc-en-ciel, une forme humaine,
image glorieuse de Jéhovah. Dès lors Ézéchiel sera hanté par cette
gloire de Dieu, qui lui apparaîtra une seconde fois sous la même
forme (Eze 3) et à diverses reprises sous d'autres aspects.
Cette gloire le terrifie et le jette dans la poussière, mais Dieu le
relève pour lui faire entendre debout le message dont il est
désormais chargé. Le message est écrit du doigt de Dieu sur un
rouleau que le prophète est invité à dévorer et qui, malgré
l'amertume de son contenu, lui semble doux comme du miel.

Ainsi, dès sa vocation, Ézéchiel connaît la douceur de
l'obéissance: il ne sera qu'un instrument docile et humble, un Fils
de l'homme
sous la main de son Dieu. Cependant, comme Jérémie, il
aura à lutter, car Dieu qualifie durement les Israélites: ils sont
une «famille de rebelles» (expression qui revient souvent dans les
discours); ils s'endurciront, mais «qu'ils écoutent ou qu'ils
n'écoutent pas», ils sauront qu'un prophète est au milieu d'eux.

Sept jours après sa vocation, la parole de l'Éternel lui est
adressée pour ajouter encore à la gravité de|son ministère en lui
exposant toute la responsabilité qui incombe au prophète. Établi
comme sentinelle sur la «maison d'Israël», il devra avertir les
coupables et, si un coupable meurt dans ses péchés sans être averti,
c'est au prophète que l'Éternel redemandera son sang.

Ézéchiel inaugure son ministère par deux actions symboliques: le
plan de Jérusalem assiégée, gravé sur une tablette d'argile et qu'il
montre à tous ses visiteurs (Eze 4), la chevelure coupée et
dispersée (Eze 5). Deux discours (Eze 6 et Eze 7) en
donnent l'explication: la révolte de Sédécias, vassal de Babylone,
sera la cause de nouveaux malheurs.

En la sixième année de sa captivité, Ézéchiel fut transporté par
l'Esprit à Jérusalem, pour être témoin de tous les cultes
idolâtriques qui se célébraient dans le temple. Il vit au portail
septentrional l'idole de la jalousie (la statue d'Astarté établie
par Jojakim),et, dans des salles dissimulées, les anciens faisant
fumer l'encens devant les images peintes sur la muraille, des femmes
pleurant la mort de Thammouz (Adonis); enfin, dans le parvis, des
adorateurs du soleil. Alors la gloire de l'Éternel, telle qu'il
l'avait contemplée lors de sa vocation, lui apparut et, quittant le
temple, se retira vers la montagne des Oliviers.

Ramené en Caldée, Ézéchiel simule un départ hâtif en sortant de
sa maison par un trou percé dans la muraille: ainsi Sédécias sera
obligé de fuir hors des murs de Jérusalem. Nous voyons ici commencer
la lutte contre les faux prophètes qui entretiennent les illusions du
peuple (Eze 13). Une visite des anciens est l'occasion de
plusieurs discours (Eze 14 ss), où Ézéchiel affirme que
Jérusalem est perdue; quand il s'y trouverait des justes comme Noé,
Daniel et Job, elle ne serait pas sauvée. Trois allégories illustrent
cette sentence: Jérusalem est comparée au bois de la vigne qui, s'il
ne répond pas à sa mission: porter les plus beaux fruits, est
absolument inutilisable. L'histoire d'Israël est racontée sous
l'emblème d'une prostituée (Eze 16) et son sort est décrit dans
la parabole des deux grands aigles (la Caldée et l'Egypte). Une
complainte sur les princes d'Israël termine cette section.

En là septième année, consulté par les anciens, Ézéchiel leur
expose l'histoire des infidélités d'Israël, cause des malheurs qui
s'approchent; mais il tourne leurs regards vers un avenir meilleur,
où ceux qui reviendront en Sion ne profaneront plus la montagne
sainte et où l'Éternel sera «sanctifié par eux aux yeux des
nations» (Eze 20). Bientôt on apprend que les armées sont en
marche pour l'action décisive; toutefois deux chemins s'offrent à
elles. Ézéchiel en instruit ses visiteurs par une carte où deux
routes sont tracées, l'une vers Rabbat-Ammon (TransJordanie), l'autre
directement vers Jérusalem. Puis il prononce l'anathème sur la ville
sanguinaire et souillée qui ne mérite plus que la fureur de
l'Éternel (Eze 22). La grande prophétie sur les deux soeurs
termine cette section (Eze 23).

Deux ans après, en la neuvième année, au dixième mois, à la
nouvelle que le siège est mis devant Jérusalem, Ézéchiel prononce de
nouvelles lamentations. A ce moment sa femme meurt soudainement;
mais, malgré sa douleur, Dieu lui interdit les larmes et le deuil.
Désormais le silence lui est ordonné jusqu'au jour où un messager lui
annoncera la catastrophe attendue.

Ce fut sans doute pendant cette période d'inactivité qu'Ézéchiel
composa la plupart de ses oracles sur les nations étrangères,
particulièrement ses oracles contre Tyr, que réjouissait la
perspective d'une prospérité grandissante à la faveur de
l'abaissement de Jérusalem, et contre l'Egypte coupable d'avoir
entraîné Sédécias à la révolte.

La seconde phase du ministère d'Ézéchiel est inaugurée par une
nouvelle consécration (Eze 33). Le prophète entend la voix de
Dieu lui rappeler, presque dans les mêmes termes qu'au début, ses
devoirs de sentinelle, établie pour détourner le méchant de sa
mauvaise voie. Toutefois, à la foule des visiteurs qui se pressent
chez lui, dès la nouvelle de la ruine de Jérusalem, c'est un langage
assez différent qu'il va tenir. Si sa bouche, qui s'est rouverte,
prononce encore des anathèmes, c'est plutôt contre les chefs, les
mauvais bergers, qui se paissaient eux-mêmes au lieu de paître le
troupeau de l'Éternel, tellement que les brebis se sont dispersées.
Mais l'Éternel les rassemblera et sera lui-même leur pasteur: il sera
leur Dieu; et David, son serviteur, sera prince au milieu d'elles.

L'espérance messianique s'offre d'emblée pour la consolation des
exilés; elle inspirera encore son discours de reproches contre Édom,
dont on sut à Tel-Abib l'attitude haineuse lors de la prise de Sion,
et un peu plus tard sa grande prophétie sur Gog, où de grands
mouvements de peuples sont décrits comme un présage de délivrance.
Élie se traduira surtout par la promesse (Eze 36:16 et suivants)
d'une purification du peuple, et par la vision célèbre de la
résurrection des os secs (Eze 37). Sous le souffle de l'Esprit,
Israël se lèvera de son sépulcre, comme une grande armée, pour
reprendre son rang et pour sanctifier 4e nom de l'Éternel aux yeux
des nations.

La description de Jérusalem restaurée (Eze 40 à Eze 48)
se place quatorze ans après la ruine de la ville, en la
vingt-cinquième année de la captivité d'Ézéchiel. Il s'agit d'une
vision proprement dite, Ézéchiel étant, comme jadis, transporté par
l'Esprit au pays d'Israël et conduit à travers la nouvelle ville par
un ange tenant à la main un cordeau et une canne d'arpenteur. L'ange
lui fait visiter le Temple, dont il fournit toutes les mesures. Le
prophète, parvenu à la porte orientale, d'où la gloire de l'Éternel
avait quitté le sanctuaire (Eze 11:24), assiste au retour de
cette théophanie et à la fermeture de la porte, preuve que l'Éternel
n'abandonnera pas le second Temple. Il reçoit des instructions
détaillées sur le sacerdoce, sur le prince, sur les offrandes du
peuple, sur le partage du pays entre les douze tribus d'Israël..

Ce n'est pas par un artifice littéraire et pour donner meilleure
couleur à des lois peut-être trop rigoureuses qu'Ézéchiel les a
attribuées à une vision: c'est parce qu'en réalité tout ce qui
remplit cette dernière partie de son livre était le fruit d'une
vision prophétique de même nature que les précédentes. Il n'a pas
cessé d'être prophète pour se muer en législateur. Il reste prophète
lorsqu'il rêve d'une organisation nouvelle du sacerdoce, de la
royauté et du peuple.

Il est facile de relever la part de symbolisme que renferment la
plupart des dispositions nouvelles. Le symbolisme apparaît déjà dans
la position idéale de la ville, située sur une montagne au milieu du
pays et exposée au midi. On le reconnaît aussi dans le partage idéal
du pays entre les douze tribus, suivant des bandes parallèles d'égale
dimension, partage qui, s'il avait pu se réaliser, aurait été fort
injuste, mais qui symbolise l'égalité parfaite et la réconciliation
définitive de tous les fils de Jacob; enfin dans le groupement autour
de la ville des propriétés du prince et du sacerdoce.

Ézéchiel reste le prédicateur de l'esprit nouveau (Eze 36:26).
C'est en vertu d'un esprit nouveau que le Temple reconstruit
ne présentera plus la distinction du lieu saint et du lieu
très-saint; que les chérubins ne seront plus cachés derrière le
voile, mais orneront tout le pourtour du Temple; que tous les prêtres
devront se maintenir dans un état de pureté jadis exigé du seul
grand-prêtre. C'est encore en vertu d'un esprit nouveau que la
royauté fera place à un prince qui assumera la responsabilité et les.
charges du culte, unissant en sa personne le pouvoir civil et le
caractère religieux.

Les préoccupations d'Ézéchiel sont, malgré les apparences,
d'ordre religieux plutôt qu'ecclésiastique. On a été trop
impressionné par la multiplicité des règlements relatifs au sacerdoce
et on a mal interprété ses dispositions au sujet des lévites. En
réalité, Ézéchiel n'a pas préconisé une distinction entre prêtres et
lévites, qui, selon Néhémie (Ne 12:1), existait déjà de son
temps, ni cherché à rabaisser la classe des lévites en lui assignant
un rôle inférieur. Son but était de châtier les lévites infidèles,
ceux qui avaient pactisé avec l'idolâtrie du peuple (cf. la vision du
ch. 8) et qui «s'étaient détournés de Dieu quand Israël
s'égarait» (Eze 44:10). Ce sont ces lévites infidèles qui seront
réduits à des emplois subalternes, en expiation de leur faute. Seuls
seront dignes de la prêtrise les «fils de Tsadok» (Eze 44:15),
les fils spirituels de ce Tsadok qui, au point de vue sacerdotal,
symbolise la fidélité à l'Eternel (1Ro 1:8 2:35), comme David
est le symbole du roi fidèle.

Le sacerdoce et le temple ainsi purifiés, la gloire de l'Éternel
y rentrera pour toujours (Eze 43:7). Une source, qui jaillira
sous la porte orientale, deviendra bientôt un fleuve profond, dont
les eaux purifieront le monde souillé (Eze 47:1-12). Alors un
nouveau nom sera donné à la Jérusalem nouvelle: «l'Éternel est ici».
C'est le dernier mot du livre et il fait écho, après tant d'autres, à
la voix de Jérémie, qui avait aussi proposé pour l'avenir messianique
un nom nouveau: «l'Éternel est notre justice» (Jer 23:6).

Le changement de nom implique un changement complet de nature et
d'orientation. L'orientation nouvelle ne sera pas moins prophétique.
Ézéchiel a voulu faire oeuvre de réformateur, non de créateur. Le
symbolisme qui imprègne sa législation montre assez qu'il existe une
profonde analogie entre ses aspirations et celles du Deutéronomiste.
Chez l'un comme chez l'autre, le but n'est pas de créer des lois
nouvelles, mais de plier la législation à un esprit nouveau, plus
fidèle pour l'un à la révélation mosaïque, pour l'autre à l'idéal
prophétique. C'est dire qu'on ne peut pas attribuer les chap. 40-48 à
une troisième phase du ministère d'Ézéchiel, qui l'aurait amené à
échanger son spiritualisme si marqué contre une tendance ritualiste.
La date initiale de la seconde phase: douzième année de sa captivité,
ne s'étend pas au delà du premier discours (Eze 33:21 et
suivants
); les prophéties suivantes ne sont plus datées et doivent
s'échelonner jusqu'à la dernière, la prophétie sur Gog, où le nom de
la Perse est un signe suffisant d'une époque très tardive. Dès lors
l'intervalle devient insuffisant entre la vision des os secs et celle
de la Jérusalem restaurée, pour une évolution de sa pensée aussi
profonde et aussi grave. L'auteur du ch. 36, qui ne voyait de salut
pour Israël que dans le baptême d'une eau pure et dans la
substitution d'un coeur de chair au coeur de pierre, n'a pu, si peu
de temps après, se mettre à l'oeuvre pour diriger son peuple dans les
voies d'un ritualisme inconnu avant l'exil et dont il aurait assumé
la paternité. Bien au contraire, persuadé qu'un jour Jérusalem sera
restaurée et son temple rebâti, constatant peut-être déjà la
formation du courant ritualiste qui l'emportera au retour de la
captivité, sous l'influence d'Esdras, il a cherché à prémunir Israël,
en déployant devant lui dans cette législation les grands principes
de réconciliation politique, d'égalité religieuse et d'universalisme,
qui témoignent de sa fidélité à l'idéal prophétique.

La carrière d'Ézéchiel offre un développement continu et son
caractère ne paraît pas avoir subi de notables fluctuations. On a
dit, peut-être avec raison, qu'il était plus grand par la conscience
que par le coeur. Dans la crise de l'exil, sa fermeté de chef, sa
vigilance de sentinelle, sa fidélité aux traditions des pères et à la
théocratie yahviste ont contribué au salut de la Diaspora juive, au
moins autant que les élans du coeur et les accents consolateurs si
sublimes chez Ésaïe II

De nos jours, certaines de ses actions symboliques et de ses
visions ont été interprétées dans un sens assez défavorable. Il est
vrai qu'on peut différer sur l'interprétation réaliste ou fictive à
leur donner. Son surnom de «faiseur de paraboles», qu'il signale
lui-même, et la grande variété de similitudes que fournit son livre,
semblent appuyer le caractère fictif de ses visions et de ses actes.
Pourtant, dans bien des cas l'interprétation réaliste s'impose,
surtout pour les actes, si singuliers soient-ils, qui sont rapportés
comme ayant eu pour témoins ses visiteurs.

On a conclu de ce réalisme à des états extatiques ou
pathologiques chez le prophète. Cependant l'extase, réelle ou
fictive, durant laquelle il eut ses visions et reçut ses révélations,
n'est pas différente de celle d'un Ésaïe et de tant d'autres
prophètes chez lesquels on n'en a tiré aucune conséquence défavorable
quant à leur état physique ou mental. Son long silence entre les deux
phases de son ministère, à la suite duquel Dieu «lui ouvrit la
bouche», ne prouve nullement qu'il était sujet à des accès mystérieux
de mutisme; et les crises de paralysie ou de catalepsie, dont
quelques auteurs l'ont gratiné, ne ressortent nullement de l'action
symbolique du ch. 4, qui perdrait à une telle interprétation une
grande part de sa valeur.

Que l'action rapportée dans ce chapitre soit symbolique, c'est ce
qu'indique nettement le but religieux qui lui est assigné. Si le
prophète doit se tenir couché sur un côté, puis sur l'autre, un
nombre de jours proportionné à la durée de l'infidélité d'Israël et
de Juda, c'est afin de «porter leur iniquité». A la notion de
l'intercession prophétique paraît s'ajouter ici une idée nouvelle,
qui s'élabore chez Ézéchiel et atteindra son plein développement chez
Ésaïe II (Esa 53) Le prophète se charge de l'iniquité de son
peuple et entrevoit ainsi la grande idée de la souffrance
substitutive, dont la réalisation parfaite sera plus tard attribuée
au Serviteur de l'Éternel, rédempteur d'Israël et des nations.

Le réalisme de cette action paraît d'ailleurs atténué par bien
des détails du texte, qui montrent que l'immobilité du prophète
n'était pas complète. Ézéchiel devait l'interrompre pour la
préparation minutieuse de sa nourriture, laquelle, selon les ordres
de Dieu, devait aussi servir de leçon à ses visiteurs. Le caractère
symbolique de cette nourriture, destinée à annoncer la famine qui
devait régner à Jérusalem durant le siège, achève de prouver que
l'immobilité prescrite n'était nullement causée par une paralysie. Il
faut comprendre tout ce passage en ce sens qu'Ézéchiel se présentait
aux anciens d'Israël dans la position couchée et mangeant sa
nourriture souillée chaque fois qu'au cours de leurs visites
fréquentes ils pouvaient être des témoins de cet acte symbolique. Au
surplus si l'on s'en réfère au texte des LXX, qui réduit
singulièrement le nombre de jours où Ezéchiel devait rester couché
sur le côté gauche pour Israël, la durée de cet acte ne semble pas
plaider en faveur d'une paralysie ou d'un accès de catalepsie. Nulle
part le prophète ne manifeste ces signes morbides. Les discours
d'Ézéchiel, même les plus véhéments, loin de justifier une telle
opinion, manifestent sa force et sa grandeur, l'équilibre parfait de
toutes ses facultés.

Le style d'Ézéchiel est fonction de son caractère. On n'y trouve
ni l'éloquence d'Ésaïe, ni le lyrisme de Jérémie; cependant
quelques-unes de ses complaintes montrent que la note émotive ne lui
fait pas défaut. Le texte est malheureusement très défectueux et dans
bien des cas intraduisible. Des interversions et des mélanges
fréquents, joints à des récits répétés, ont fait croire à la fusion
en un seul ouvrage de deux recensions, toutes deux attribuables à
Ézéchiel. Quoi qu'il en soit, les obscurités du texte sont souvent
faites pour décourager une saine exégèse. Toutefois la faute n'en
incombe pas au prophète, dont la haute pensée se présente dans la
plupart des discours avec toute la netteté désirable.

Nul n'a eu plus que lui le souci de l'honneur de Dieu et ne l'a
revendiqué avec une plus inlassable énergie contre ceux qui
profanaient le saint nom de l'Eternel aux yeux des peuples païens. La
sainteté de l'Éternel, mise en regard de la souillure et de
l'ingratitude de son peuple, est un de ses thèmes préférés. Aussi
n'est-ce pas à cause de l'Israël infidèle que Dieu lui enverra le
salut, mais pour l'honneur de son propre nom et pour que les nations
sachent qu'il est l'Éternel.

Ézéchiel a exposé d'autre part, à l'exemple de Jérémie mais avec
plus d'insistance, le caractère individuel du péché, la
responsabilité personnelle, la valeur de l'âme humaine et par là il
marque un progrès sensible. Ses idées messianiques, peu accentuées,
ne paraissent pas différentes de celles de Jérémie: s'il n'a pas
prononcé, comme ce grand précurseur du Christ, le mot de «nouvelle
alliance», il en a eu la vision et en a posé les conditions dans la
purification, dans le changement du coeur. Le baptême de repentance
doit peut-être son origine à l'influence exercée par la prophétie
d'Ézéchiel, qui garde une place éminente dans la préparation du
royaume de Dieu. Ed. B.