EXPIATION (Réconciliation)

I

L'oeuvre historique du Christ pour la rédemption du monde a son
point culminant au Calvaire, son heure suprême est celle de la croix.
L'expiation est une manière de comprendre, d'expliquer la relation
établie par les textes scripturaires entre la mort de Jésus et la
réconciliation du Dieu saint et de l'homme pécheur.

Elle n'occupe pas, au début de l'histoire de l'Église, au
commencement de la systématisation des idées chrétiennes, la place
importante qui, plus tard, lui sera donnée. Les Pères apostoliques
ont quelques allusions au sacrifice du Christ, mais leurs
préoccupations dominantes sont ailleurs; c'est la personne du
Sauveur, non l'oeuvre du salut, qui est au premier plan dans les
affirmations initiales de la foi se condensant, se synthétisant en
thèses dogmatiques. Athanase, le premier, au IV e siècle, donne, dans
son traité «de l'incarnation du Verbe», un essai sur la rédemption.
La mort est la conséquence du péché des hommes; mais Dieu a repris
l'oeuvre de la création en sauvant l'humanité; le Verbe vient dans le
monde, et, d'une part, il révèle pleinement Dieu; d'autre part, en sa
qualité de victime pure, il acquitte la dette contractée par les
pécheurs; ce n'est pas Dieu, c'est la mort qui reçoit la rançon
offerte par Jésus. Avec certaines divergences ou certaines
précisions, les principaux Pères grecs se rattachèrent à la théorie
athanasienne.

Chez les Pères latins, la tendance pratique l'emporte sur la
tendance spéculative. Tertullien, l'un des plus représentatifs,
considère l'oeuvre du Christ comme l'oeuvre parallèle, mais en sens
inverse, à l'oeuvre d'Adam: le Christ rétablit ce qu'Adam avait
ruiné. La mort de Jésus, résultat du péché des hommes, est une
«hostie», un sacrifice pour tous, sacrifice auquel consent le Père et
que le Fils accomplit volontairement. La délivrance du péché s'opère
pour le croyant au moment du baptême; devenu capable de bonnes
oeuvres, le chrétien les présente à Dieu comme une «satisfaction» et
se maintient ainsi dans la grâce. La terminologie originale de
Tertullien a fortement influé sur la. terminologie ecclésiastique;
celle-ci toutefois prendra en un autre sens, et presque à contresens,
tels vocables primitifs, comme celui de «satisfaction», par exemple,
appliqué à l'action du Christ après avoir désigné l'action de l'homme.

C'est la pensée ecclésiastique qui hérite d'Augustin bon nombre
d'idées, et l'histoire est fondée à voir dans l'évêque d'Hippone le
premier dogma-ticien de la sotériologie. La rédemption manifeste une
double liberté: celle de Dieu qui, entre plusieurs possibilités pour
sauver, a choisi l'incarnation, et celle du Christ qui a voulu
réaliser le plan divin; la rédemption manifeste un double amour,
pareillement insondable, en Dieu et en Christ. La venue de Jésus est
motivée par le péché des hommes, péché à cause duquel aussi Jésus
accepte de mourir. Comment la mort de Jésus aboutit-elle à la
réconciliation de l'humanité avec Dieu? Dieu était-il irrité contre
nous, et la mort de son Fils, désarmant sa juste rigueur, l'a-t-elle
apaisé envers nous? Non, l'apôtre déclare que c'est Dieu lui-même
qui, par amour pour le monde, lui a donné son Fils, de même que, par
un semblable amour, le Fils s'est donné; la miséricorde divine est
éternelle; la cause première et l'unique motif de l'intervention de
Dieu, c'est son amour.

Mais cette thèse est infirmée, dans la théologie augustinienne,
par une thèse toute différente. La liberté proclamée semble,
ailleurs, être réservée à l'initiative de Dieu, et la nécessité peser
sur le Christ et la prédestination dominer les hommes. L'amour
proclamé semble, ailleurs, voilé par le ressentiment divin, lequel
exige qu'une peine soit subie par le pécheur; c'est cette peine que
Jésus innocent porte à la place des coupables, sa sainteté parfaite
conférant à sa mort la valeur d'une expiation. Cependant ce n'est pas
à Dieu que Jésus paye la dette de la culpabilité humaine, c'est à
celui qui, par suite du péché, avait acquis domination sur nous,
c'est à Satan. Cette représentation étrange n'est pas une innovation;
ébauchée ici et là, elle se cristallise chez Irénée, s'amplifie chez
Origène, reçoit d'Augustin sa forme la plus nette. Elle soulève de si
fortes objections qu'elle disparaît au Moyen âge. Par contre, c'est
au Moyen âge que la théorie de la satisfaction expiatoire, rappelée
par les disciples d'Augustin, va prendre toute son ampleur, toute sa
portée chez le créateur de la scolastique, Anselme de Cantor-bery.

Avec une science, une dialectique, une logique magistrales,
Anselme expose la signification et la nécessité rationnelles de
l'expiation. L'homme était destiné à la vie en Dieu; mais l'homme a
péché, et quiconque pèche ne peut partager la vie divine; pécher, en
effet, c'est ne pas rendre à Dieu ce qui est dû à Dieu, c'est lui
refuser l'obéissance à laquelle était obligée la créature vis-à-vis
du Créateur. Le péché est à la fois offense et injustice; l'offense
doit être effacée, l'injustice doit être réparée; le pardon est à ce
prix. Il convient même que la compensation proposée à Dieu l'emporte
sur l'obligation qui nous liait à lui: alors seulement il y aura,
pour Dieu, satisfaction. Or le péché est d'une gravité infinie;
mesuré à la grandeur de Celui qu'il offense et exigeant une
satisfaction proportionnelle, le péché ne saurait être réparé par
l'homme; ni logiquement ni moralement l'homme ne peut fournir
l'indispensable dédommagement. C'est pourquoi, choisi par Dieu et
acceptant sa vocation, le Christ intervient; seul un être divin
pouvait offrir la réparation due à Dieu; d'autre part, comme c'est
l'homme qui doit cette réparation, le Christ se fait homme pour
remplacer l'homme. La justice et la sainteté de Jésus le revêtent
d'un mérite sans bornes. Pourtant, comme les hommes, il devait à Dieu
une vie juste et sainte; mais sa mort est libre; sa mort est le plus
grand hommage, et non nécessaire, rendu à l'honneur de Dieu; elle est
surérogatoire; elle dépasse la grandeur de l'offense du péché humain;
elle est la parfaite, l'absolue satisfaction. N'ayant aucun pardon à
obtenir pour lui-même, Jésus veut que ce qui est dû à son mérite
propre soit attribué à l'homme par Dieu. Ce que le Sauveur veut,
Dieu le veut; la satisfaction que le Christ offre est par là même un
acquittement pour l'homme de sa dette du péché, une réconciliation
avec Dieu.

Anselme entendait n'invoquer ni le N.T. ni les Pères, mais la
seule raison. Ce sont précisément ses prémisses rationnelles qui
donnèrent lieu à maintes critiques, entre autres à celles d'Abélard.
L'honneur de Dieu est conçu comme un attribut métaphysique immuable;
comment donc peut-il être offensé? La nécessité s'impose à Dieu de
rétablir, pour sa propre gloire, l'ordre de la création troublé par
le péché; comment donc l'amour serait-il le mobile de la rédemption?
La nature humaine de Jésus est prédéterminée à être ce qu'elle est;
que sont donc la libre sainteté et le libre sacrifice de Jésus? La
raison est le seul témoin cité pour établir le bien-fondé d'une
doctrine: que devient donc l'autorité de la révélation? Néanmoins,
après un temps d'arrêt, le développement du dogme se poursuit sous
l'action de Pierre Lombard, d'Alexandre de Halès et arrive à son
terme avec Thomas d'Aquin.

Anselme avait relevé la libre volonté de Dieu, faisant du Christ
le Sauveur, et la libre volonté du Christ obéissant à Dieu. Plus
expressément encore Thomas d'Aquin souligne cet élément moral de la
Rédemption. Rien n'était nécessaire, estime-t-il, ni l'oeuvre
elle-même, car Dieu aurait pu ne pas sauver l'humanité, ni la manière
dont elle s'accomplit, car la satisfaction parfaite que Dieu reçoit
n'était pas, à priori, l'unique moyen du pardon divin, ni l'ouvrier
qui la réalise, car il n'était pas indispensable absolument que le
Christ s'incarnât. Mais la rédemption, telle qu'elle s'est déroulée
dans l'histoire, est l'oeuvre «souverainement convenable», si l'on
considère la qualité du péché, lequel «est en quelque sorte infini».
Or si, théoriquement, Dieu peut pardonner à son gré, en fait il
demande une satisfaction proportionnelle au péché commis, donc, en
quelque sorte, infinie. De là découle la nécessité que l'ouvrier soit
parfait et que l'expiation soit parfaite. A aucun moment de son
existence, en aucun de ses membres, l'humanité n'aurait pu remplir
cette double condition. Seule la Passion de Jésus répond à la divine
exigence: Jésus, le Fils unique, le Saint, souffre la plus grande
douleur possible parce qu'elle résume toutes les humaines douleurs et
parce que la nature de Celui qui les supporte accroît infiniment son
intensité.

Le contexte métaphysique de ces idées maîtresses du thomisme leur
ôte, comme on l'a souvent objecté, une partie de leur clarté et de
leur cohérence. Thomas d'Aquin répète à propos de la Passion ce qu'il
a fortement affirmé de l'action de Dieu et de l'action du Christ,
action de liberté et d'amour: la Passion est le libre sacrifice en
faveur des hommes d'une libre obéissance à l'égard de Dieu; mais,
d'un autre point de vue, la Passion est aussi une nécessité à priori,
indépendante, semble-t-il, du temps et du lieu où elle devient un
fait concret, aussi bien que des dispositions des hommes pour
lesquels elle est subie. Il fallait que la Passion soit: le drame du
Calvaire se joue entre Dieu et le Christ uniquement; les
contemporains de Jésus n'y ont qu'un rôle d'accessoire historique,
auquel du reste ils sont prédestinés puisque le drame lui-même' est
prédéterminé. Deuxième création divine dans laquelle interviennent la
grâce et le péché, le surnaturel et la révélation, l'amour et la
sainteté, où automatique déroulement d'un plan éternel, les deux
conceptions, que l'on croirait exclusives l'une de l'autre,
apparaissent l'une et l'autre dans la Somme théologique, selon
que les considérations sont d'ordre philosophique ou d'ordre
religieux. Telle quelle, cependant, la doctrine thomiste est devenue
l'officielle doctrine de l'Église romaine.

Dans ses lignes majeures, elle a été également acceptée par les
Églises de la Réforme. Pour écarter plus catégoriquement soit le
mérite des oeuvres humaines qui portait atteinte à l'exclusif et
souverain mérite de l'oeuvre du Christ, soit les satisfactions que
ces prétendues bonnes oeuvres étaient susceptibles d'offrir, soit la
tendance pélagienne subsistant dans la morale et qui atténuait la
gravité redoutable du péché, soit les pénitences quelconques
génératrices d'indulgences quelconques, les Réformateurs s'appuyèrent
en partie sur Anselme et Thomas d'Aquin. Il convient toutefois de ne
point oublier que Calvin, dépassant le légalisme du Moyen âge, le
transposant sur le plan de l'Évangile, insistait sur le fait que
l'expiation n'acquitte pas seulement une dette, mais a une
conséquence positive d'incommensurable valeur et produit une vie
nouvelle dans la communion du Sauveur.

II

Quelles sont les données du N.T. ainsi élaborées, et dont les
moyens d'élaboration ont été la philosophie grecque avec Athanase et
Tertullien, le néoplatonisme avec Augustin, le droit pénal et l'usage
de la pénitence avec Anselme, l'aris-totélisme avec Thomas d'Aquin?

Il n'est pas de terme grec, dans les évangiles et les épîtres,
exprimant directement, nettement, l'idée d'expiation. Mais la parenté
de cette notion avec les notions de propitiation--hilasmos,
hilaskesthaï
--;(1Jn 2:3 4:10,Heb 2:17) de
rédemption--lutrôsis, apolutrôsis--;(Lu 21:28,1Co 1:30,Ro 3:24
8:23,Col 1:14,Eph 1:7,14 4:30,Heb 9:12,15 11:35) de délivrance par
rançon--lutroô, lutron, anti-lutron--;(Mr 10:45,Mt 20:28,Lu
24:21,1Ti 2:6,Tit 2:14,1Pi 1:18) de rachat--agorazeïn,
exa-gorazeïn
--;(Ga 3:13 4:5,1Co 6:20 7:23,2Pi 2:1,Ap 5:9) de
réconciliation--katallasseln, apo-katallasseïn,
katallagè
--,(1Co 5:11,2Co 5:18,Ro 5:10 11:16,Col 1:20,Eph
2:16) et, en outre, l'interprétation des paroles de Jésus
concernant la nécessité ou le but de sa mort (Mr 8:31 14:24,Mt
16:21 26:28,Lu 9:22 22:19 et suivant) ont permis à la tradition de
poser la doctrine sur une large base scripturaire.

Les déclarations de Jésus sur sa mort appartiennent à la deuxième
partie de son ministère. C'est à Césarée de Philippe que les
Synoptiques placent les premières révélations au sujet de la Passion,
et le texte de Mr 8:31 «alors il commença à leur enseigner», et
celui de Mt 16:21 «dès lors il commença à leur montrer»
soulignent qu'elles sont quelque chose de nouveau. Sans doute la
pensée du Maître était familière déjà avec la nécessité, pour
accomplir sa tâche, de suivre une via dolorosa. Bien avant le
voyage vers les sources du Jourdain, les intuitions surnaturelles de
Jésus, sa puissance de pénétration dans les coeurs, lui ont laissé
voir à quel degré était susceptible de descendre la mauvaise volonté
humaine, à quels sacrifices successifs pouvait l'amener son sacrifice
initial. Peu après l'appel des premiers disciples, il avait prédit
que l'époux ne quitterait pas seulement ses amis mais leur serait
ôté (Mr 2:19); s'il n'y a là qu'une image, comme on l'a assuré,
du moins traduit-elle un sombre pressentiment; en effet, à côté de la
confiance et de la joie du peuple, des heurts et des conflits se sont
produits entre les chefs et le prophète galiléen (Mr 2:7
3:6,22,Mt 10:25 etc.). Et avant même de se lever pour l'oeuvre de
salut, Jésus a choisi, lors de la tentation au désert (Mt 4,Lu
4), d'être le Messie selon la volonté du Père, non selon l'idéal
apocalyptique, le Messie qui ruinerait l'espérance séculaire d'une
délivrance nationale, d'une suprématie matérielle; c'était par là
aussi soulever l'opposition et la haine avec leurs pires
conséquences. Césarée marque moins un moment unique dans la vie de
Jésus que l'heure inscrite au sommet de la courbe des possibilités de
victoire visible ou d'apparente défaite du Messie selon l'Esprit,
l'heure où la conviction de Jésus, après un développement dont les
déceptions successives de sa mission permettent de marquer quelques
stades, arrive à la certitude, et où Jésus se décide à initier les
siens à la conception, presque blasphématoire pour un Israélite
malgré le souvenir de Ésaïe 53 et comme le montre la protestation de
Pierre (Mt 16:22), à la conception du Messie révélateur et
rédempteur dont l'oeuvre aboutit à la mort. Dans la suite des
événements, les Synoptiques ne rapportent pas moins de quatorze
entretiens où Jésus reprend le même sujet; l'oeuvre est toujours
pareille: sauver; le moyen de cette oeuvre apparaît: sauver par la
souffrance et le sacrifice.

Ce moyen fut imposé à Jésus. Les trois textes de l'entretien de
Césarée portent tous les trois le terme de la nécessité: deï, il
faut. Après Césarée, quand le Maître ramène ses disciples troublés à
la vision qu'ils se refusent à contempler, le terme significatif
revient, ou son synonyme: melleïn; si le terme est absent,
l'ensemble du texte en reflète l'idée. Jésus a nettement reconnu
cette nécessité, il a parlé de l'efficacité et de la valeur sans
bornes de sa mort, il a vu dans sa mort la condition pour atteindre
le but de sa vie; le salut des hommes. Trois déclarations des
Synoptiques sont éminemment expressives.

La première, formulée sous forme d'image, est rapportée par
Lu 12:49 et suivant: «Je suis venu allumer un feu sur la terre et
qu'ai-je à vouloir si déjà il est allumé? Et il y a un baptême dont
je dois être baptisé et combien je suis anxieux jusqu'à ce qu'il soit
accompli!» Le feu (voir ce mot) est le symbole des discussions,
discordes, oppositions que l'action de Jésus fait naître. Dans l'A.T,
le feu représente souvent le jugement de Jéhovah (Esa 26:11,Jer
23:29 etc.); de même dans la prédication de Jean-Baptiste (Mt
3:10,Lu 3:9). Mt 10:34 rend la même pensée par une image
différente: «Je ne suis pas venu apporter la paix mais le glaive.»
L'oeuvre de Jésus ne saurait laisser les hommes indifférents; ils
sont pour elle ou contre elle; elle est comme un glaive jeté entre
les êtres, comme un feu qui éprouve le monde par une crise sans
équivalent. «Je suis venu» indique l'apparition historique de Jésus,
le fait de son ministère; le résultat n'est pas limité à une région
ou à un peuple, il se répercute dans la terre entière; le verbe au
passé montre que l'action est commencée; celle-ci remonte aux jours
où, sur les bords du Jourdain, Jésus s'est présenté aux auditeurs de
Jean-Baptiste pour accomplir les desseins du Père; le feu est allumé,
ce n'est pas une prédiction, c'est la constatation d'un fait; la
parole de Jésus a déjà amené un partage, un triage entre disciples et
adversaires; la crise est ouverte et va s'accentuer, le feu brûle et
va grandir. Tel est le désir de Jésus: qu'ai-je à vouloir? Que la
flamme s'élève assez haut pour que le monde soit contraint de se
prononcer. Le maximum de la crise, la plus grande ardeur du feu, sera
dans le proche avenir où Jésus recevra le baptême dont il doit être
baptisé. D'autres avertissements de Jésus précisent le symbole du
baptême. Dans Mr 10:38, le Maître interroge deux disciples:
«Pouvez-vous boire la coupe que je bois, être baptisés du baptême
dont je suis baptisé?» Coupe et baptême représentent ici le même
fait. Or, plus tard, dans la prière de Gethsémané (Mt 26:39), se
retrouve la même image de -la coupe: «S'il est possible, que cette
coupe passe loin de moi.» La coupe à boire c'est la mort à traverser,
le baptême dont il faut être baptisé ne saurait être autre chose. Par
le premier baptême au Jourdain, Jésus s'était consacré à
«l'accomplissement de toute justice» (Mt 3:15); par le second
baptême à Golgotha, par une consécration allant jusqu'à l'absolu
sacrifice, à l'acceptation des ultimes conséquences de sa solidarité
avec l'homme pécheur, Jésus acheva de réaliser sa volonté de salut;
le baptême d'eau inaugure le ministère historique, le baptême de sang
l'achève, il en est le moment le plus solennel, l'acte le plus
émouvant.

La deuxième déclaration, conservée par Mr 10:45 et Mt 20:28,
répond à la question: pourquoi cet indispensable baptême?
«Le Fils de l'homme n'est pas venu pour être servi mais pour servir,
et donner sa vie comme rançon pour beaucoup.» C'est ici l'une des
assertions maîtresses des évangiles sur la nature du sacrifice
rédempteur. Jésus a exhorté les disciples à l'humilité, et, pour
appuyer sa leçon, il cite son exemple, l'exemple du Fils de l'homme
venu pour servir. La notion de service touche à la notion de
sacrifice: servir c'est chercher toujours le bien d'autrui, jamais
son bien personnel. Le don que le Christ fait de sa vie est
l'aboutissement du service voulu par lui. Il revendique la pleine
liberté de son sacrifice, lequel n'est pas une contrainte mais un
acte volontaire dont le verbe «donner» marque le caractère moral. A
ce point extrême qu'atteint la nécessité historique dans l'oeuvre du
Sauveur, le quatrième évangile affirme pareillement que nul n'ôte sa
vie à Jésus, mais qu'il la donne de lui-même (Jn 10:18). Le
motif de ce don librement offert est indiqué par le terme
significatif: lutron, rançon. Le grec biblique du N.T. et de la
version des LXX, comme le grec classique, expriment par ce mot les
idées de rachat, d'échange ou de substitution. La précision
qu'ajoutent Marc et Matthieu: anti pollôn, «à la place de beaucoup»,
donne le sens net de substitution. Si ailleurs l'oeuvre de Jésus est
représentée comme accomplie «en faveur des hommes», huper (Jn
10:15 15:13,Ro 5:6 et suivants Ro 14:15, etc.), c'est comme
accomplie «à leur place» qu'elle est représentée ici; anti n'a
pas d'autre traduction normale.

Quels sont ces polloï, ces «nombreux», à la place desquels
Jésus offre sa vie? Le feu allumé par le Christ est jeté sur la
terre, dans l'humanité entière; le salut apporté par le Christ est
proposé à tous les hommes. Mais les hommes sont libres; ils
n'acceptent pas tous le don divin; une partie écoute Jésus et reçoit
le salut; une autre partie refuse d'entendre Jésus et ne participe
pas au salut. Destinée à tous, la rédemption n'est pas acquise à
tous; le mauvais vouloir des hommes fait que l'oeuvre du Christ n'est
pas anti pantôn, «à la place de tous», mais à la place de ceux
qui remplissent les conditions posées pour avoir part à sa grâce,
anti pollôn, «à la place de beaucoup». Pas de prédestination
contraignante, pas d'automatique universalisme; ceux qui veulent, et
ceux-là seuls, sont les rachetés du Sauveur.

Le rachat est obtenu par la rançon; dans le texte de Marc et de Matthieu
la rançon est étroitement liée au service. La première partie du
verset: «Le Fils de l'homme est venu non pour être servi mais pour
servir» commande la deuxième partie: «et pour donner sa vie comme
rançon pour beaucoup». Donner sa vie est une continuation, un
achèvement du service; la rançon, le don est un moyen, le moyen le
plus efficace de ce service. La mort sur la croix est comprise dans
ce don; elle est la nécessité morale suprême du service accepté,
l'heure capitale de ce service qui remplit toutes les heures de la
vie de Jésus. Sur la croix l'amour du Fils de l'homme atteint
l'absolu; la fidélité à Dieu devient le renoncement indicible à
soi-même, la miséricorde pour les hommes devient l'acceptation de
tout ce que le péché comportait d'horreur, la sainteté humaine
devient la perfection surhumaine, le service devient tout entier le
sacrifice. Et tout cela est la rançon pour que beaucoup soient
délivrés, soient sauvés. La menace qui pesait sur les hommes c'était
la mort, destruction de l'âme, c'est-à-dire destruction de l'être.
Jésus a plusieurs fois parlé de cet anéantissement de l'être, de
cette perdition totale (Mr 8:36,Mt 10:28,Lu 12:4 et suivant). Il
donne sa vie en rançon pour racheter les hommes de cette mort. La
cause de la mort sans lendemain est le péché qui sépare, qui éloigne
de Dieu, source unique de la vraie vie. Et tous les hommes sont
pécheurs; tous, par le péché dominateur, universel, invincible, sont
poussés à la mort. Nul parmi eux ne peut réaliser la sainteté, raison
d'être de l'homme, sa loi et sa gloire, et par laquelle l'homme
accomplissait le plan de Dieu. Ce que l'homme était à jamais
incapable de faire, le Christ a donné sa vie pour le faire à sa
place; il a fait du but assigné à l'homme son propre but et il l'a
atteint; la sainteté inaccessible à l'homme, il l'a vécue; la vie de
Jésus a été une vie d'homme satisfaisant la volonté créatrice de
Dieu, une vie sainte et demeurée telle au fond des ténèbres et des
douleurs que le péché amasse sur les hommes et que traverse le
représentant des hommes, une vie donnée en rançon pour tous ceux qui
voudraient se réconcilier avec Dieu.

La troisième déclaration, commune aux trois Synoptiques, est
rappelée aussi dans la première épître aux Corinthiens (Mr
14:22-25,Mt 26:26-29,Lu 22:19 et suivant, 1Co 11:23,25). Le
quadruple récit de l'institution de la Cène (voir ce mot) relate un
acte de Jésus et l'explication que Jésus lui-même donne de cet acte.
L'acte est un symbole; fréquents dans l'A.T., les actes symboliques
ne sont point inconnus du N.T. (Mr 6:11 et parallèle, Mt
27:24,Jn 13:3 20:22,Ac 21:11). Dans la Cène, le symbole traduit
d'une manière ineffaçable pour la mémoire et pour le coeur des
disciples la réalité qui est le don total de la personne du Maître.
L'explication de Jésus souligne la signification et la valeur de ce
don. Jésus parle d'une alliance nouvelle qu'il fonde, et met en
rapport la fondation de cette alliance avec la mort prochaine qu'il
va supporter. On a souvent rapproché l'institution de la Cène de la
conclusion de l'alliance sinaïtique (Ex 24:8); mais Jésus ne
restaure pas une alliance ancienne; quoique Luc et Paul seuls
écrivent l'adjectif «nouvelle», il ressort aussi des témoignages de
Mr et de Matthieu que Jésus inaugure quelque chose de nouveau. Jésus
songeait, sans doute, aux promesses de Esa 55:3, de Jer
31:31-34, de Eze 36:35; l'alliance nouvelle qui avait été
prédite, lui la fonde, l'alliance messianique consistant non dans un
contrat légal mais dans un pacte de grâce assurant aux hommes les
bénédictions divines en échange de leur fidélité et de leur amour. Le
parallélisme est ainsi très étroit entre la révélation du
commencement du ministère de Jésus au sujet du Royaume et la
révélation de la fin du ministère de Jésus au sujet de l'alliance.
Avant Jésus le Royaume est prêché, avec Jésus le Royaume est établi;
avant Jésus l'alliance spirituelle est prédite, avec Jésus l'alliance
spirituelle est réalisée. Royaume et alliance ont en Jésus non
seulement leur révélateur ou leur législateur mais leur fondateur;
Jésus apporte sur la terre le Royaume de Dieu et l'alliance de Dieu.

Par l'assimilation de son corps au pain rompu, de son sang au vin
de la coupe, Jésus tourne les pensées de ses disciples vers son
sacrifice; l'alliance nouvelle sera scellée par sa mort. L'idée de
rachat est moins précise dans le récit de la Cène que dans Mr
10:45 et Mt 20:28; la substitution demeure dans l'affirmation
que le corps est brisé, le sang versé pour nous. La substitution
reste d'ordre moral; c'est la comparaison trop forcée de la Cène à la
Pâque juive qui a transféré le caractère légal du rite de l'ancienne
alliance au rite de la nouvelle alliance. Mais les Synoptiques
eux-mêmes qui font un repas pascal du dernier repas de Jésus ne font
aucune mention de l'agneau du sacrifice; pour Paul, la Cène est une
union mystique des croyants avec leur Maître et avec leurs frères;
pour Jean, elle est la communication de la personne de Jésus sous
forme de nourriture et de breuvage spirituels. La Cène qui préfigure
la mort, la transfigure en même temps. Le péché des hommes oblige le
Sauveur à souffrir et à mourir, et le Sauveur fait des souffrances et
de la mort le moyen de la définitive victoire; le moment où il passe,
par amour, dans l'angoisse et dans la nuit, symbolise, résume,
divinise sa vie de Fils de l'homme, la vie vécue et donnée en rançon.
Aucun fait ne met mieux en relief que la Cène la place souveraine
donnée par Jésus à sa propre personne; personne et oeuvre sont
confondues; l'explication du sacrifice absolu est la complète
révélation de la personne. Le plus ancien commentaire de la Cène, et
qui reste le plus fidèle, se trouve dans le quatrième évangile: «Je
suis le pain de vie...celui qui mange ma chair et boit mon sang a la
vie éternelle» (Jn 6:35,48,54). Les disciples vivront en
s'assimilant la force, l'esprit, l'être même du Christ, du Vivant qui
pour donner la vie aux hommes les a aimés jusqu'à la mort.

Chez Paul, l'oeuvre entière du Christ se concentre dans la mort
sur la croix. Dans son ministère à Corinthe, l'apôtre «n'a voulu
savoir que Jésus-Christ et Jésus-Christ crucifié» (1Co 2:2). Et
c'est de lui que s'inspirent surtout les théologiens soucieux de
discerner les premières thèses sotériologiques et christologiques de
l'Église apostolique. Quelques textes pauliniens sont sans cesse
invoqués, étant parmi les plus explicites et résumant, avec plus de
clarté, les indications des multiples textes que l'on pourrait citer.

Paul expose aux Galates que la loi, prônée encore par beaucoup et
devant laquelle certains chrétiens hésitent, ne saurait donner le
salut; seul le juste par la foi vivra. La loi, loin de nous libérer,
nous place sous la condamnation, sous la malédiction. Mais «le Christ
nous a rachetés de la malédiction de la loi, devenant malédiction
pour nous (puisqu'il est écrit: maudit est quiconque est pendu au
bois), afin que la bénédiction accordée à Abraham soit aussi pour les
païens en Jésus-Christ, et que nous recevions par la foi l'Esprit qui
avait été promis» (Ga 3:13). Anselme interprétait: le Christ
nous a sauvés en prenant sur lui-même la malédiction de Dieu que nous
avions encourue, en subissant en sa personne la peine des péchés
commis par les hommes. L'interprétation se fonde sur une analogie de
termes, non sur une parenté d'esprit. Par le rachat qu'il opère, le
Christ nous libère du pouvoir d'un premier possesseur et nous place
dans la dépendance d'un second. Le premier possesseur est la loi, la
loi personnifiée et prononçant un jugement. En effet, ce n'est pas à
Dieu que le Christ achète ceux qu'il délivre. Le même verbe
exagorazeïn, impliquant rachat, reparaît dans trois autres textes
pauliniens: Ga 4:5 où il s'agit encore de délivrer «ceux qui
sont sous la loi», et 1Co 6:20 7:23 où, non seulement Dieu n'est
pas le vendeur mais tout au contraire l'acquéreur, le Maître nouveau
qui reçoit les rachetés. Par le Christ, l'homme va de la loi qui le
maudit à Dieu qui veut son retour.

Le Christ, pour opérer ce transfert, «devient malédiction pour
nous». Le contexte montre qu'il devient malédiction par sa
crucifixion, laquelle le mettait au rang des coupables condamnés,
maudits par la loi. Par la loi, ainsi que l'indique sans confusion
possible la citation de De 21:23. Il ne s'agit donc pas, en
dépit d'Anselme, d'une malédiction de Dieu. La malédiction de la loi
supportée par le Christ est une conséquence de sa mort sur la croix,
la mort sur la croix n'est pas la conséquence d'une malédiction
exprimant un jugement divin. L'apôtre emploie le terme abstrait:
malédiction, non le terme concret: maudit. Dieu n'a ni directement,
ni indirectement, ni comme intermédiaire, ni comme substitut, Dieu
n'a pas maudit le Christ; Dieu a laissé le Christ subir une mort dont
la nature entraîne, de par la loi, une malédiction. L'apôtre qui,
selon sa coutume, cite librement l'A.T., a écarté la précision
contenue dans le texte hébreu comme dans le texte des LXX, que les
crucifiés étaient «malédiction auprès de Dieu». La malédiction de la
loi, dans la conception paulinienne, consiste en ceci: aucun de ceux
qui comptaient sur elle pour trouver le salut ne pouvaient la
réaliser, se justifier par elle, devant elle; tous tombaient donc
sous sa condamnation. Jésus se met à notre place et brise le
tyrannique joug de la loi en faveur de ceux qui, par la foi,
accepteraient la délivrance qu'il obtient pour eux et qu'il leur
offre «par pure grâce». Cette oeuvre de substitution a impliqué à son
terme la mort; le Christ a accepté de mourir. La mort sur la croix
s'accompagnait de la malédiction de la loi; le Christ a accepté cette
malédiction. Souffrances, peines, mort, tout ce qui donnait à
l'oeuvre volontairement entreprise par le Christ un caractère
tragique imposé par le péché dans lequel persévéraient les hommes, le
Christ a voulu le subir pour atteindre le but: sauver ceux qui
croiraient en lui. Le but est indiqué par la conjonction de finalité
dont le sens est constant dans le grec biblique et dans le grec
classique: ina, «afin que». Ce but est, selon le texte,
éminemment positif; se substituant à l'homme pour arracher l'homme à
son esclavage, le Christ a préparé, a permis le don de l'Esprit de
Dieu aux hommes, à tous les hommes, païens comme Juifs.

La grande péricope Ro 3:24-26 a, dans l'histoire du dogme,
une portée et une autorité dominantes. «Tous sont justifiés
gratuitement par la grâce de Dieu, par la rédemption qui est en
Jésus-Christ; Dieu l'a établi comme moyen de propitiation par la foi
en son sang, pour la manifestation de sa justice; parce que dans sa
divine patience il avait supporté les péchés antérieurs, sa justice
s'est manifestée dans le temps présent, afin qu'il soit juste et
qu'il justifie celui qui croit en Jésus.»

Deux affirmations se détachent en premier plan:

(a) tous sont justifiés gratuitement par la rédemption
qui est en Christ;

(b) Dieu l'a établi comme moyen de propitiation par la
foi en son sang. Paul emploie sept fois le mot essentiel;
apolutrôsis, délivrance, rédemption; tantôt avec une
signification générale et sans lien direct avec l'oeuvre de
Jésus (Ro 8:23,Eph 1:14 4:30), tantôt pour synthétiser les
moments et aspects divers de cette oeuvre (1Co 1:30,Col 1:14),
tantôt pour énoncer la conséquence de la mort de Jésus (Ro
3:24,Eph 1:7). La terminologie abstraite seule ne fixe donc pas
la pensée précise, c'est l'ensemble d'une péricope qui fixe le sens
concret de la terminologie. C'est pourquoi ici encore, et ailleurs,
Anselme avec des vocables pauliniens présente des idées non
pauliniennes.
Hilasterion, propitiatoire, traduit dans les LXX l'hébreu kopher,
couvercle de l'arche. Aspergé par le sang des victimes
offertes en holocauste, le couvercle de l'arche devenait
propitiatoire. Tel devient dans la Nouvelle Alliance Jésus aspergé de
son propre sang. Ro 3:25 porte l'adjectif verbal neutre pris
substantivement: hilasterion; la traduction correcte,
grammaticalement, est: moyen de propitiation, et non: victime
propitiatoire; le substantif «victime» ajouté au texte de Paul est
une interprétation de la pensée de Paul; il convient de s'en tenir à
ce que l'apôtre a dit. Dans l'A.T, le sacrifice est un aveu de
culpabilité de la part de l'homme, une preuve du remords qu'il
éprouve devant ses transgressions; et cet homme, sacrifiant quelque
chose qui lui appartenait, cherche, par le renoncement matériel
symbole du renoncement à ses fautes, à rentrer en rapport avec Dieu.
L'animal, sur l'autel, n'est point représenté comme souffrant ce que
l'homme aurait dû légalement souffrir. La fête des Expiations est une
exception dans le rite sacrificatoire. A côté du taureau et du bouc
amenés pour l'holocauste, un deuxième bouc était chargé par
l'imposition des mains «des transgressions par lesquelles les enfants
d'Israël ont péché». Mais cette victime-là n'était ni offerte à Dieu,
ni mise à mort; elle était dévouée à Azazel (voir ce mot) et chassée
loin du tabernacle, siège de la présence divine. De quelque côté
qu'on l'envisage, symboliquement, matériellement, le sacrifice du
Christ est inassimilable aux sacrifices lévitiques, qu'il déborde de
toutes parts.

Paul voit donc dans le Christ un moyen de propitiation. Du Christ
vient, en effet, la réconciliation avec Dieu, et le pardon de Dieu,
et la reprise de la vie avec Dieu. Ce moyen c'est Dieu qui l'a
établi; Dieu «a présenté» en Christ la délivrance. Le verbe
proéthéto a le même sens dans les deux autres passages où
l'apôtre l'emploie (Ro 1:13,Eph 1:9), et il est le seul auteur
du N.T. qui l'emploie. Dieu, cause première dans la Rédemption comme
dans la Création, a voulu sauver en Christ et par le Christ. Et
l'apôtre montre comment Dieu a réalisé dans l'histoire sa volonté de
salut, usant tantôt de patience et laissant les hommes vivre dans
leurs péchés, tantôt de miséricorde et appelant les hommes a la
réconciliation. Après avoir permis à l'homme de commettre le mal, il
est intervenu dans le monde comme un Dieu qui aime mais dont l'amour
n'est ni faiblesse ni impuissance à côté de la justice. Il a montré
sa justice en Jésus-Christ lui-même, par la rédemption que
Jésus-Christ accomplit. Salut pour celui qui accepte l'appel divin et
croit en Christ, et c'est la grâce de Dieu qui pardonne ainsi
gratuitement; rejet de celui qui ne croit pas au Christ et n'accepte
pas l'appel divin, et c'est la justice de Dieu qui ne fléchit pas
devant la rébellion des pécheurs. En justifiant par grâce les
croyants en Jésus-Christ, Dieu demeure un Dieu juste.

La foi au Sauveur est caractérisée comme «la foi en son sang».
L'expression, ou son équivalent, est employée dans Actes, 1 Pierre, 1
Jean, Hébreux, Apocalypse. Paul la répète Eph 1:7 2:13,Col
1:14-20, comme dans Ro 5:8,10, autre texte important de la
sotériologie de l'apôtre. «Dieu a prouvé son amour envers nous en ce
que, quand nous étions encore pécheurs, Christ est mort pour nous. A
plus forte raison étant justifiés maintenant en son sang, serons-nous
sauvés par lui de la colère.» Les mots du verset 9: justifiés devant
Dieu, et du verset 10: réconciliés avec Dieu, sont synonymes; les
deux moyens de justification et de réconciliation, le sang du Christ,
la mort du Christ, sont semblables. Dans la consécration de la vie de
Jésus au service de Dieu, la mort, selon Marc et Matthieu, est le don
couronnant tous les dons, l'acte d'amour visible et sensible entre
tous les actes d'amour. De même chez Paul la mort du Christ est le
sacrifice achevant tous les sacrifices, le fait qui met dans le plus
puissant relief la nature de son oeuvre rédemptrice, le summum de
la souffrance endurée, de la substitution voulue. Quand, à la place
du terme «mort», l'apôtre emploie le mot «sang», il rappelle par ce
deuxième vocable, plus frappant que le premier, que la mort de Jésus
fut véritablement un sacrifice, un supplice nécessité par le péché
des hommes, qu'elle fut une mort violente. C'est un fait de
l'histoire que l'apôtre évoque pour les Romains, ainsi qu'il l'avait
fait pour les Galates (Ga 3:1); à propos de ce fait, maintes
explications seront fournies au cours des siècles, mais l'apôtre ne
donne pas d'explication. Il se borne à constater l'action de Dieu et
l'action du Christ, la manière dont la double action est produite, le
résultat de la double intervention: justification de l'homme devant
Dieu, réconciliation de l'homme avec Dieu. Cette réconciliation se
manifeste par un changement d'attitude des hommes à l'égard du Père
qui leur envoie un Révélateur, un Rédempteur; un état de croyance, de
foi, d'obéissance, d'amour succède à l'état d'indifférence, de péché.
Dieu qui a l'initiative dans le plan du salut, puisqu'il a établi le
Christ comme moyen de propitiation, a l'initiative aussi dans la
réalisation du plan, car c'est son amour qu'il prouve en acceptant
que le Christ meure pour les hommes. Les dispositions de Dieu pour
les hommes sont toujours les mêmes dans les manières diverses dont il
agit dans le monde; il aime et tout vient de là: l'apparition de
l'homme aux premiers jours de la création, et l'apparition du Christ
dans le monde quand les temps sont accomplis. Après que le péché a
dégradé l'univers et l'humanité, et quand le péché s'oppose à la
restauration rédemptrice, Dieu ne cesse pas d'aimer, pas plus qu'il
ne cesse d'être juste, comme l'apôtre l'a déjà affirmé. Or la justice
ne peut s'accommoder de l'injustice, ni la sainteté supporter le
péché. Dieu, parce qu'il est juste et saint, ne peut que pour un
temps--le temps de la patience (Ro 3:25) --admettre le péché.
Dans l'A.T., la colère de Jéhovah est la réaction de la sainteté
divine devant les transgressions; dans le N.T., la colère divine
n'est pas un sentiment positif de rigueur, d'irritation; elle
signifie que la sainteté de Dieu est inconciliable avec le péché, que
l'homme persévérant dans son péché est abandonné de Dieu et livré aux
conséquences du péché, à la mort. Or, le plus puissant et le plus
pressant appel de Dieu est adressé par Jésus, et la démonstration la
plus éclatante que l'amour de Dieu est infini, c'est la croix de
Jésus. Après cela, il n'y a plus rien à faire qu'à laisser l'homme
rebelle suivre la voie fatale dans laquelle il s'obstine, descendre
vers la perdition inévitable; mais par la croix l'homme qui se repent
a l'assurance que rien ne le séparera désormais de l'amour de Dieu,
du Dieu qui «a réconcilié le monde avec lui en Christ, en ne tenant
plus compte des péchés des hommes» (2Co 5:18, cf. Col
1:20,22,Eph 2:16).

Justice de Dieu et amour de Dieu ne sont pas deux qualités qui
s'opposent, qui entrent en lutte dans la pensée ou l'action divines.
Par la croix du Christ, Dieu fait confiance à l'homme qui, au nom du
Christ, s'approche de lui; Dieu sait que le pardon gratuit ne sera
pas une cause de démoralisation et il justifie le pécheur. Le Christ
est l'intermédiaire, le garant par lequel la sainteté de Dieu, sans
pactiser avec le péché, tient le péché pour aboli en l'homme et entre
en contact avec le croyant. L'homme qui croit en Jésus est mis au
bénéfice de la sainteté de Jésus; celui-là a rompu en principe avec
le péché et en pratique rompt chaque jour davantage avec le péché. La
mort sur la croix, acceptée comme la conséquence du péché
volontairement porté jusqu'au sacrilège, a brisé la puissance
universelle du mal et consacré l'invincible puissance de la sainteté
de Jésus. La sainteté de Jésus, réalisée pour l'homme, à la place de
l'homme, rétablit l'union entre l'humanité et Dieu. L'homme qui croit
en Jésus est considéré par Dieu comme participant à la sainteté de
Jésus, comme réalisant la condition posée à la race humaine pour que
la vie divine devienne sa vie.

Selon l'évangile de Jean, le Christ, au terme de sa vie
terrestre, allait retrouver «la gloire qu'il avait avant que le monde
fût» (Jn 17:5); selon l'épître aux Philippiens, «parce que le
Christ a été obéissant jusqu'à la mort, Dieu l'a souverainement
élevé» (Jn 2:9); l'épître aux Hébreux, en accord avec la
christologie johannique et paulinienne, déclare que le Christ, «mis
pour quelque temps au-dessous des anges, a été couronné de gloire et
d'honneur...par ses souffrances pour les hommes, Dieu lui a donné la
perfection» (Jn 2:9 a). Cette perfection n'est pas seulement la
perfection morale de la personne, c'est-à-dire la sainteté que le
Christ historique possédait déjà; elle implique un but atteint, comme
l'indique le terme teleïôsis ; elle est la plénitude que rien ne
saurait plus compléter ou achever, et qui concerne l'oeuvre de Jésus
comme la personne de Jésus; elle marque d'un caractère absolu le
Sauveur et le Salut. Jésus savait qu'une joie spéciale lui était
réservée à la fin de sa tâche; cette certitude l'a soutenu dans les
jours de lutte: «en vue de la joie placée devant lui, il a souffert
la croix et méprisé l'ignominie» (Heb 12:2). Une joie purement
personnelle s'accorderait mal avec l'amour que le Christ a eu pour
les hommes; la joie vers laquelle regardait le Christ c'est la
victoire de son amour, c'est le fait que venu parmi les hommes pour
les sauver, il pourrait sauver quiconque croirait en lui. Les données
diverses de l'épître montrent que, selon la volonté de Dieu, l'oeuvre
de salut accomplie par Jésus se résume dans l'abolition du péché.

Comment le péché a-t-il été aboli? L'auteur, pour l'expliquer, se
place sur le terrain de ses lecteurs, Juifs devenus chrétiens, mais
hésitant à accepter pleinement, uniquement, le christianisme: il part
de l'Ancienne Alliance pour démontrer que, sur celle-ci, la Nouvelle
Alliance l'emporte de toutes manières et infiniment. L'oeuvre de
Jésus s'est achevée par la croix. Dieu a permis ce fait, il l'a voulu
puisque rien n'arrive sans que Dieu le permette. La mort du Messie
accomplit le salut selon la grâce de Dieu, comme les sacrifices
lévitiques accomplissaient la propitiation selon la loi de Moïse.
Mais comparer n'est pas égaler, car, à considérer le sanctuaire, le
sacrificateur, la victime, le sacrifice, le culte chrétien apparaît
comme la réalité définitive dont le culte juif était la simple
préparation. Pourquoi un disciple de Moïse s'étonnerait-il que les
disciples de Jésus saluent le Messie dans le Crucifié? Ne sait-il pas
que, d'après la loi «presque tout est purifié avec du sang, et sans
effusion de sang il n'est pas de pardon»? (Heb 9 22) Du point de
vue de l'Ancienne Alliance, au lieu de douter de Jésus à cause de la
mort sur la croix, il faudrait croire en Jésus. Certes, l'auteur sait
bien que pendant son ministère le Fils de l'homme avait le pouvoir de
pardonner les péchés et qu'il a maintes fois usé de cette autorité
souveraine; mais le sacrifice de la croix étend à tous les êtres et à
tous les siècles ce qui a été, du vivant de Jésus, l'exceptionnel
privilège de quelques croyants. Par sa mort, Jésus est devenu, pour
l'humanité entière, le Sauveur unique; il a tout résumé et achevé
dans ce dernier renoncement: «Ce n'est pas avec le sang des boucs et
des veaux, mais avec son propre sang que Jésus est entré une fois
pour toutes dans le lieu très-saint, et il a acquis une rédemption
éternelle. Car si le sang des boucs et des taureaux, si la cendre
d'une génisse jetée sur ceux qui sont souillés, sanctifient quant à
la pureté de la chair, combien plus le sang du Christ, qui, par son
esprit éternel, s'est offert lui-même sans défaut à Dieu,
purifiera-t-il des oeuvres mortes votre conscience, pour le service
du Dieu vivant!» (Heb 9:12-14). Dans ce paragraphe, le plus
notable de l'épître, le sacrifice de Jésus, sacrificateur et victime
tout à la fois, semble déborder l'histoire et se rattacher au
sacrifice initial du Christ préexistant; il serait sans exemple, dans
le N.T., de parler de «l'esprit éternel» d'un être de la terre. Sur
la croix, la mort est une offrande que Dieu agrée et qui, en retour,
vaut aux hommes la miséricorde de Dieu. Dans les livres mosaïques, le
sacrifice est essentiellement une offrande; il est uniquement cela
dans l'épître aux Hébreux. L'auteur le rappelle à propos des
fonctions du grand-prêtre (Heb 5:1 8:3 9:9). Jésus, parce qu'il
est saint, offre à Dieu un sacrifice d'une valeur infinie; sa mort
est l'apogée de la consécration que fut sa vie terrestre et de la
sainteté qui fit de cette vie un parfait accomplissement de la
volonté de Dieu; la vie sainte donne son prix inestimable à la mort;
l'acceptation de la mort est le fait capital de la vie, le fait
rédempteur d'où résulte le pardon divin.

Plus loin, en un langage dont aucune traduction ne rend l'ampleur
et la majesté, l'auteur écrit: «Vous vous êtes approchés de la
montagne de Sion, de la cité du Dieu vivant, de la Jérusalem céleste,
des myriades des anges, de l'assemblée des premiers-nés inscrits dans
les cieux, de Dieu le juge de tous, des esprits des justes parvenus à
l\a perfection, de Jésus le médiateur de la Nouvelle Alliance et du
sang de l'aspersion qui parle mieux que celui d'Abel» (Heb
12:22-24). C'est l'oeuvre historique de Jésus qui fonde l'Alliance
Nouvelle, c'est la mort de Jésus qui est le gage éternel de la
réconciliation avec Dieu, c'est l'oeuvre et la mort ensemble qui
permettent au croyant cette communion surnaturelle avec la personne
et la vie même de Dieu et des créatures unies à Dieu. La loi est
dépassée, périmée; son rôle de pédagogue a pris fin quand le Maître
est apparu (Ga 3:24); il n'est de salut qu'en Jésus, qui a vécu
pour les hommes et qui est mort pour eux.

La pensée est analogue dans 1Pi 2:21,24 où est librement
transposée la grande prophétie de Ésaïe 53. La vie de Jésus est
l'exemple inspirateur de la vie chrétienne; la sainteté--lui qui n'a
point commis de péché--, la patience--outragé il ne rendait pas
l'outrage--, la confiance en Dieu--il s'en remettait à Celui qui juge
justement--, en sont les traits saillants; elle est vécue pour les
hommes comme la mort est soufferte pour eux: «Il a porté nos péchés
en son corps sur le bois afin que morts au péché nous vivions pour la
justice.» Les péchés de l'homme ont conduit le Christ à la mort après
l'avoir conduit à la souffrance; venu pour délivrer l'homme, Jésus,
pendant sa vie terrestre, a vaincu le péché, et il l'a porté sur la
croix pour achever de le détruire. Avec plus de netteté dans les
termes l'épître redit: (1Pi 3:18) «Christ est mort, lui juste
pour des injustes, afin de nous amener à Dieu.» C'est toujours le
même but, le but suprême voulu dès l'origine et atteint dans les
tragiques conditions imposées par le péché: permettre aux fils
prodigues de rompre avec le mal qui les asservit, pour retourner au
Père qui les attend.

Les autres livres du N.T. reprennent l'enseignement des livres
examinés, et dans ces livres les autres textes se ramènent aux textes
interrogés. Les points de vue divers et les expositions multiples,
rebelles peut-être à une rigoureuse et complète unification,
s'accordent en tout cas, la note personnelle de chaque auteur
s'harmonisant avec les autres notes en un choeur sans dissonance,
s'accordent pour déclarer que la réconciliation entre l'homme et Dieu
est opérée par Jésus-Christ, seul médiateur, seul Sauveur, par
l'oeuvre de Jésus-Christ, par la croix de Jésus-Christ.

III

A cet ensemble de témoignages, les thèses des docteurs du Moyen
âge ajoutent certains éléments et de cet ensemble elles négligent
certains éléments. Le grand principe de la doctrine d'Anselme:
«culpam poena absolvit, la peine absout la faute», n'a pas de
point d'appui dans le N.T.; il amènera à une trop exclusive
insistance sur les souffrances matérielles de Jésus; quelques
théologiens établiront même une sorte d'équivalence mathématique
entre les douleurs de Gethsémané et de Golgotha et les tourments
mérités par les pécheurs. Or la mort de Jésus a toujours et surtout
une valeur spirituelle, résultant du fait que le Christ qui offre ce
suprême sacrifice est saint, et non du fait que la Passion comporte
tel ou tel degré de souffrance. Par contre, la vie de Jésus qui
satisfait la volonté créatrice de Dieu, l'enseignement de Jésus qui
contient la révélation définitive, passent à l'arrière-plan,
deviennent très secondaires si on limite la rédemption à une punition
supportée pour les hommes. La notion du péché est plus juridique
qu'évangélique dans les formules de la scolastique. Le péché paraît
se réduire, le plus souvent, à un fait matériel entraînant une
conséquence matérielle, un châtiment; or il est essentiellement un
mal moral entraînant une conséquence morale, la séparation de l'homme
et de Dieu. La réconciliation, dans le dualisme poussé à l'extrême,
entre la justice divine et l'amour divin, pourrait parfois être prise
pour une réconciliation de Dieu avec lui-même, les attributs opposés
étant unis par la croix. Et on a vu plus haut que Paul entend par
réconciliation la réconciliation de l'homme avec Dieu, et non la
réconciliation de Dieu avec l'homme, Dieu, dans sa miséricorde, ayant
sans cesse cherché, appelé l'homme, et la venue de Jésus étant la
suprême tentative de la grâce du Père.

Telle que l'ont conçue et léguée à la théologie Anselme et Thomas
d'Aquin, l'expiation paraît trop étroite, trop négative, en regard du
N.T.; le concept même d'expiation est trop limité pour exprimer
l'oeuvre rédemptrice de Jésus-Christ, pour dire tout le «comment» de
la réconciliation de l'homme avec Dieu. C'est le concept de la
substitution qui le dit et qui garde à la personne du Sauveur toute
sa grandeur, toute son ampleur à son sacrifice. Du point de vue
historique, la substitution commence, bien avant la Passion, avec
l'activité publique de Jésus, quand après trente ans de silence, de
prières, animé de l'Esprit divin, Jésus se révèle comme l'envoyé de
Dieu parmi les hommes. Et elle commence bien avant toute, activité
terrestre si l'on s'en rapporte à Paul et à Jean, pour lesquels le
renoncement du Christ préexistant domine et permet l'oeuvre du Christ
historique; elle commence quand, devant l'impuissance définitive de
la race humaine de comprendre, et à plus forte raison de réaliser la
vocation à laquelle le Créateur l'avait appelée, c'est-à-dire de
vouloir et de vivre la sainteté qui devait faire l'homme «semblable à
Dieu», le Christ, renonçant à l'existence divine, entre dans
l'existence humaine (Php 2:7) et vient, à la place de l'homme,
faire ce que Dieu avait voulu que l'homme fasse. Elle s'affirme dans
la vie où le Fils de l'homme n'a jamais cherché sa propre
gloire (Jn 8:50), ni voulu autre chose que la volonté de
Dieu (Jn 4:34), ni lutté pour autre chose que pour le salut des
hommes (Mt 18:11,Lu 19:10). Elle se termine à la mort par la
croix, à l'abaissement suprême auquel le péché des hommes qui ne
veulent pas se repentir contraint Jésus et dont Jésus fait la suprême
victoire de sa sainteté et de son amour, l'évidente preuve que tout
est accompli pour le salut.

Du point de vue moral, la substitution est plus qu'un fait
négatif, acceptation d'une peine ou paiement d'une dette; elle est un
fait essentiellement positif, une réalisation du plan de Dieu, une
création nouvelle. En ce sens, elle est une expiation qui expie plus
profondément que l'expiation proprement dite. Le péché, qui a
entraîné dans le désordre le monde entier en séparant l'humanité de
Dieu, qui a opposé un perpétuel obstacle aux desseins du Créateur,
n'est pas vraiment réparé s'il est seulement puni; la punition ne
fait pas ce qui n'a pas été fait, ne refait pas ce qui a été défait.
La réparation vraie c'est la reprise du plan divin et c'est son
accomplissement. Jésus, le deuxième Adam, selon l'appellation
inspirée de l'apôtre, recommence l'épreuve humaine à la place de
l'homme et réalise la vie que Dieu demandait à l'homme. Parti de
l'innocence, le deuxième Adam touche à la sainteté. Par lui le péché
est vaincu. Par lui une ère nouvelle s'ouvre pour Dieu et pour
l'homme, parce que, dans la vie de Jésus, Dieu voit réalisée sa
volonté créatrice, c'est-à-dire la sainteté humaine librement voulue
et librement acquise, et parce que l'homme, dans la vie de Jésus,
voit accomplie la destinée de sa race et atteint le but à sa race
assigné, c'est-à-dire la sainteté qui fait de l'homme un fils de
Dieu. La Passion, dernière tentation et dernière lutte du péché, met
sur cette vie le sceau de l'absolu; la mort sainte et la vie sainte,
inséparables l'une de l'autre, ne se comprennent pas l'une sans
l'autre.

Du point de vue religieux, la substitution, dressant la mort sur
le piédestal de la vie sainte, met en un relief à nul autre pareil la
gravité du péché de l'homme, l'infinité de l'amour de Dieu, la
gratuité du pardon en Jésus-Christ. Que le juste qui affirmait: «le
prince de ce monde vient, mais il n'a rien en moi» (Jn 14:30),
ait dû mourir par le péché des hommes après être apparu au milieu des
hommes pour les affranchir, qu'il ait fallu que le Fils de l'homme
montât sur la croix après avoir révélé Dieu comme le Père céleste,
fondé le Royaume que Dieu voulait établir sur la terre, après être
redevenu le Fils de Dieu par sa sainteté avant de le redevenir par sa
gloire, il y a là un fait qui dévoile le péché comme un abîme sans
fond et atteste la démoniaque puissance qu'il exerce dans le monde.
Devant ce péché, l'homme prend conscience qu'il est lié par un
adversaire invincible, qu'il ne peut rien, qu'il est perdu.

Mais c'est la substitution du Saint au pécheur qui se continue et
s'achève sur la croix, qui va ainsi jusqu'à la «folie» et jusqu'au
«scandale», et la mort de Jésus est, si l'on veut reprendre la
formule du Moyen âge, «le prix infini de l'expiation entreprise». Que
l'amour du Christ ait voulu cela, que l'amour de Dieu ait accepté
cela, il y a dans ce fait la démonstration, l'évidence que l'amour
divin surpasse toute connaissance.

Or cet amour divin offre à l'homme le pardon; l'homme, devant la
croix où «tout est accompli» pour que le pardon soit possible,
contemple son salut; par Jésus-Christ qui a vécu et qui est mort pour
l'homme, par Jésus-Christ seul, sans autre intermédiaire, sans autre
oeuvre que la sienne, l'inexpiable péché est effacé, l'incurable
impuissance est transformée, la réconciliation avec Dieu est
certaine, la grâce de Dieu pose dans le coeur et dans la vie du
racheté un commencement nouveau. L'homme qui, par la foi, s'unit à
Jésus-Christ, participe à sa vie sainte et reçoit de cette communion
la force de vouloir, la force de faire; et Dieu sait qu'une telle
rémission du péché, parce qu'elle lie au Sauveur l'être pardonné,
fait de cet être une création nouvelle répondant à son plan éternel.
And. A.