EPHÈSE

Au fond de l'un des golfes dentelés que la mer Egée creuse au
promontoire d'Asie Mineure, à l'embouchure, alors ouverte et
favorable, du Caystre, Éphèse était, au temps de Paul, la capitale de
cette région «aux 500 villes», que les Romains nommaient: la province
d'Asie. Elle se trouvait à 320 stades (environ 60 km.) au Sud de
Smyrne, dont la prospérité nouvelle ne lui portait point encore
ombrage, et presque à la même distance au Nord de Milet, la reine de
l'Ionie, la métropole aux cent colonies, alors amoindrie et dépassée.
Elle existait depuis un millier d'années. Mêlée aux luttes intestines
des Grecs et à leurs guerres contre les Perses, elle échappa maintes
fois à la ruine, et recouvra souvent son indépendance, grâce à
l'habileté de ses diplomates. Alexandre le Grand la reconnut ville
libre; mais soumise par ses successeurs, elle changea plusieurs fois
de maîtres, en l'espace de deux siècles, jusqu'au moment où elle
tomba sous le joug des Romains. Sa prospérité s'accrut dans la paix.
Un lac en communication avec le Caystre lui faisait un port
admirable: le Panormus. On y avait adjoint un port artificiel, creusé
en pleine terre, et relié au Panormus par un canal de 2 km. Les
navires pouvaient arriver jusqu'au centre des affaires, non loin de
l'immense agora entouré de colonnes, et du puissant amphithéâtre, au
pied des collines où s'étageait la ville. Patrie d'Héraclite et
d'Hermodore, Éphèse avait ses écoles de philosophes et de rhéteurs.
Le poète Hipponax, les peintres Apelle et Parrhasios l'avaient rendue
célèbre. C'était, à l'époque romaine, un des centres les plus
brillants de la culture hellénistique.

Le principal renom d'Éphèse ne venait pourtant point de là, où
d'autres cités l'égalaient ou la dépassaient, mais du culte de Diane,
et de son temple, l'une des sept merveilles du monde. L'édifice
primitif fut bâti sur les plans de Ctésiphon. La construction dura
deux cent vingt ans. Il avait 140 m. de long sur 60 de large; la nef
était soutenue par 127 colonnes de 20 m. de haut, Ce fut le premier
chef-d'oeuvre de l'ordre 10nique. Un homme de naissance obscure,
Érostrate, l'incendia pour être célèbre, la nuit même où naquit
Alexandre le Grand; la loi qui défendit de prononcer son nom ne fit
que le répandre. Le temple fut rebâti, plus magnifique, et des
richesses immenses, venues de tous les coins du monde, y affluèrent.
Les fidèles les plus fervents de la déesse étaient des Orientaux. Les
Grecs, plus éclairés, s'entendirent admirablement à spéculer sur les
pèlerinages qui attiraient à Éphèse des milliers d'étrangers. Ils
fabriquèrent des souvenirs pieux, des talismans: miniatures du
temple, statues de la déesse, figurines en marbre, en filigrane
d'argent, en or massif, etc. Toute une population vivait de ce
travail (Ac 19:23 et suivants).

L'Artémis des Éphésiens (fig. 84) n'avait primitivement rien de
commun avec la Diane chasseresse, la vierge au croissant d'or. On
trouve à l'origine de son culte celui d'une pi?rre noire tombée du
ciel, d'un aérolithe. Elle devint la déesse de la fécondité, aux
multiples mamelles, comme Cybèle, la Grande Mère. Ses innombrables
prêtres, tous Asiatiques, étaient des eunuques, fourbes et cupides.
Les fêtes sacrées, Éphésiaques ou E pkésies, dégénéraient en
orgies, dans le tumulte et les cris. Une foule de magiciens,
d'astrologues, de charlatans de toute espèce, exerçaient leurs
travaux lucratifs. Leurs formules étaient consignées dans des livres,
et leur savoir-faire était si proverbial que l'adjectif «éphésien»
devint synonyme de magique dans l'expression: «lettres, formules
éphésiennes» (ephesia grammata, litteroe ephesioe). Paul eut à
lutter à Éphèse contre des exorcistes et des magiciens (Ac
19:13-20). Le pouvoir merveilleux que l'on attribuait à son linge
est peut-être caractéristique de la superstition éphésienne (Ac
19:11).

L'apôtre passa à Éphèse en allant de Corinthe à Antioche, en 52.
Il y revint par voie de terre, vers la fin de 54, pour y rester
jusqu'au printemps de 57 (dates avancées de deux ans dans Chronol. du
N.T., II, parag. 3). Il travailla d'abord parmi les Juifs, très
nombreux (Ac 18:19 et suivant 19:8), puis parmi les païens; il
se fit des amis même chez les Asiarques (Ac 19:31), les
magistrats qui présidaient aux jeux sacrés. Il dut quitter la ville à
la suite de l'émeute fomentée par Démétrius (Ac 19:23 et
suivants
). Le travail de Paul à Éphèse fut considérable (Ac
20:19-21), comme aussi son succès (1Co 16:9). Mais il eut
également de graves difficultés; il est même probable qu'il fut
emprisonné, et sous la menace de l'atroce condamnation ad
bestias
(1Co 15:32). Une tradition locale, d'ailleurs peu
sûre, désignait sa prison; le prologue marcionite de Col mentionne un
emprisonnement de l'apôtre à Éphèse. Paul y a peut-être eu également
une grave maladie (2Co 1:8,voir 2 Corinthiens, I, préamb.).
Ces épreuves expliquent partiellement l'évolution de son eschatologie
et la belle expérience mystique de vie exprimée dans 2Co
4:18-5:1. Paul coupa son séjour à Éphèse par un voyage à Corinthe
(voir 1 Corinthiens, III).

L'Église d'Éphèse, rendue célèbre par Paul, son fondateur, le fut
plus tard par Jean. La tradition le fait travailler et mourir à
Éphèse, ainsi que Marie-Madeleine et Marie, mère de Jésus. Le village
actuel d' Ayassoulouk (hagios theologos?) rappellerait son
souvenir. Dans Ap 2:4 et suivant, le Christ reproche à l'Église
d'Éphèse d'avoir abandonné son premier amour et la menace de lai ôter
sa lumière. L'Église n'existe plus et la grande cité n'est
aujourd'hui que ruines. H. Cl.

Sur l'emplacement du grand théâtre de 24.500 places (I er siècle
av. J.-C.) ont été dégagés les restes importants d'un théâtre
analogue (fig. 83).