EGLISE

1.

Quelle est l'acception du terme «ekklêsia» dans le N.T.?

Dans le grec classique ce mot désignait l'assemblée plénière des
citoyens appelés à la gestion des affaires publiques, des ehklètoï.
Le terme en gardera un petit air de distinction et de
solennité. Il est vrai que plus tard on l'appliquait aussi à toute
assemblée populaire; même la turbulente réunion publique
d'Éphèse (Ac 19:32,39 et suivant) est appelée ekklêsia. Le
judaïsme hellénistique et les LXX dénomment ekklêsia l'assemblée du
peuple d'Israël sous le regard de Dieu (en hébreu qâhâl, q'hâl
Yahvé).
C'est cette signification religieuse, transposée sur le
plan chrétien, que le N.T. a maintenue. Le terme implique un jugement
de valeur que précisent les épithètes: Église de Dieu (1Co 1:2
10:32 11:22 15:9 Ga 1:13 1Th 2:14,1Ti 3:5,15), Église du
Christ (Ro 16:16), Église du Seigneur (Ac 20:28), Église en
Christ (Eph 3:21). L'ekklêsia est donc le peuple élu de la
Nouvelle Alliance, l'Israël de Dieu (Ga 6:16), la vraie
postérité d'Abraham (Ro 9:7), les douze tribus dans la
dispersion (Jas 1:1), la congrégation des vrais circoncis (Php
3:3), l'assemblée des saints (1Co 14:33), que Dieu a appelée à
se retirer du monde, mais qui n'en a pas moins une mission à remplir
dans l'histoire concrète. C'est l'assemblée à la fois
idéale et empirique dans laquelle Dieu ou le Christ agissent par
les dons de la grâce. Il n'y a qu'une Église (Mt 16:18). Si
néanmoins le terme est appliqué à quelque communauté locale (1Co
1:2, 1Th 1:1,Ro 16:1) ou s'il est parlé d'Églises au pluriel,
(1Th 2:14,Ro 16:4,1Co 7:17 11:16 16:19, 2Co 8:18 et
suivant
) ce ne sont pas uniquement telles communautés
institutionnelles ou telles assemblées cultuelles dont il est
question; mais il s'agit d'Églises concrètes en tant qu'elles sont
diverses expressions tangibles du peuple de Dieu; par suite, l'Église
universelle n'est pas seulement une synthèse de communautés
disséminées, mais une grandeur lumineuse dont les Églises locales ne
sont que le reflet différencié. C'est ce que Ignace d'Antioche (ad
Smyrn.,
8:2) définira dans la formule classique: «Là où est Christ,
est l'Église catholique (universelle)». En tout cas, la congrégation
oecuménique, dénuée de toute détermination corporative, hiérarchique
ou juridique, est le fait fondamental; et la communauté locale n'en
est que l'aspect microcosmique. Cette dernière doit donc aussi peu
être assimilée aux associations cultuelles du paganisme hellénistique
(thiasoï, éranoï) que la primitive Église de Jérusalem, qui se
nommait probablement q'hâl ou k'nichta, voulait être
confondue avec quelque synagogue juive (édah). Il semble bien que
par le terme ekklêsia, désignation profane, mais noble dans le monde
grec, on entendait précisément faire ressortir l'unicité de la
congrégation chrétienne telle que la 1 re ép. de Pierre, tout en
n'employant pas expressément le mot, en déploie pourtant le contenu:
«maison spirituelle, sacerdoce royal, nation sainte, peuple de
Dieu» (1Pi 2:5,9,10).

2.

Jésus a-t-il fondé une ekklêsia?

Il n'y a que deux passages suivant lesquels Jésus aurait expressément
employé le terme d'ekklêsia (Mt 18:15 16:18). Le premier de ces
logia suppose une juridiction établie dans une communauté
chrétienne entièrement organisée; il est peu probable que cette
parole soit sortie de la bouche de Jésus. Quant au second passage:
«Tu es Pierre et sur cette pierre je bâtirai mon Église», on en a
également contesté souvent l'authenticité. Le fait est que son sens a
été faussé par la controverse entre catholiques et protestants.
Luther s'est certainement trompé en ne voulant découvrir dans ce
terme de «pierre» et dans ce nom de «Pierre» que la foi, mais non la
personne du disciple. Il s'agit effectivement d'une primauté de
Pierre. Mais l'Église catholique, de son côté, fait erreur en
assimilant à Pierre ceux qui s'appellent ses successeurs et en leur
reconnaissant une prééminence décernée par le Seigneur en personne.
Si on envisage le sens originaire du passage et si on admet en
particulier l'interprétation que nous venons de donner de la notion
d'ekklêsia, il n'y a aucune raison pour douter de l'authenticité de
cette parole de Jésus et pour nier d'une part la constitution par le
Christ d'une collectivité sacrée et, d'autre part, une espèce
d'investiture de Simon de Capernaüm. Mais alors, qu'entendait Jésus
par cette ekklêsia dont la personne du disciple devait être la pierre
fondamentale? Et d'abord, quelle est l'expression hébraïque ou
araméenne dont Jésus peut s'être servi? S'il a employé le terme
qâhâl
(q'hala en araméen), alors il entrevoyait une
communauté reposant sur une nouvelle alliance entre Dieu et son
peuple, et les disciples, Pierre en tête, en seraient les vrais
représentants, le «reste qui ne périrait point». Si Jésus, comme
l'admet. M. K.-L. Schmidt, a employé le terme araméen k'nichta,
il aurait songé à l'assemblée cultuelle et à la maison de réunion
(«je bâtirai») d'un petit groupement de fidèles. N'ayant pu gagner le
peuple tout entier, Jésus se serait rabattu sur cette infime
minorité. Cette fraction formerait cependant la vraie synagogue, le
noyau de l'Israël idéal, et porterait en soi le germe du Royaume de
Dieu. Si la conscience messianique de Jésus a inspiré cette vision,
la prophétie de Daniel (Da 7:13 et suivant) serait, suivant M.
Kattenbusch, la source (der Quellort) de l'idée de l'Église, le
Fils de l'homme ayant pour mission de rassembler le peuple de Dieu et
le peuple de Dieu devant s'incarner en lui, son maître et son roi.
Alors l'institution de la sainte Cène est l'acte de consécration de
la communauté des disciples de la synagogue de Jésus-Christ, garantie
de l'avènement du Royaume de Dieu; ou, autrement dit, le dernier
repas du Christ est l'acte de fondation de l'ekklêsia. Quoi qu'il en
soit, que Jésus ait parlé de Qâhâl ou de K'nichta, les deux
expressions viennent confirmer ce que nous avons constaté sur le sens
du terme grec: il s'agit d'une communauté messianique et
eschatologique réunissant le peuple des élus, le vrai Israël des
derniers jours, et annonçant le royaume de Dieu.

3.

La conception de la primitive Église.

Aucun document ne nous renseigne directement sur l'idée de l'Église
que se faisaient les premiers chrétiens. Nous ne pouvons qu'émettre
des suppositions à ce sujet en analysant l'état d'âme qui régnait
parmi eux et que les évangiles synoptiques semblent refléter plus
fidèlement peut-être que le livre des Actes. Établissons les faits et
la situation intérieure qui en dérive. Après la mort de Jésus, un
groupe de ses disciples s'est retrouvé à Jérusalem. Comme pour les
Juifs, Jérusalem devait être la Ville sainte pour les chrétiens.
N'était-elle pas un symbole? L'image de la Jérusalem «d'En-haut»
(Ga 4:26, cf. Ap 3:12 21:2,9 22:5) eût été invraisemblable
si la «ville du grand roi» (Mt 5:36) n'avait pas été le siège
effectif de la première communauté et le centre historique d'où
devait rayonner le message du Royaume. C'est là qu'était mort lé
Christ, qui, malgré sa fin honteuse, était le Messie. La foi
messianique
unissait les premiers croyants. Elle reposait sur le
fait de la résurrection de Jésus. Les apparitions du Christ
ressuscité constituèrent le fondement de la primitive Église. Pierre,
ayant été le premier témoin d'une christophanie (1Co 15:5), a
eu, par là même, le privilège d'être le fondateur de l'Église. Il est
indiscutable qu'il jouissait d'un prestige tout particulier. Paul et
les Grecs, malgré certaines incompatibilités, n'ont pas contesté son
autorité morale. (Qu'ils aient consenti à adopter le néologisme
Petros, cela prouve leur déférence à l'égard du premier témoin
oculaire de la résurrection.)

Un autre trait caractérise cependant l'état d'âme de la primitive
Église: l'espérance d'un prochain retour du Messie. C'est encore
à Jérusalem que devait se produire la parousie. C'est là que les
Douze, représentant la communauté eschatologique, régneraient sur
douze trônes (Mt 19:28 et suivant). C'est là que se réaliserait
l'ordre nouveau. Les apôtres devaient donc demeurer dans la Ville
sainte sans se répandre dans le monde. C'est de là que le Royaume des
cieux devait pourtant prendre son envolée. Mais d'autres que les
Douze se chargeraient de la prédication missionnaire: les diacres,
Etienne, Philippe. Il n'était pas étonnant que l'exaltation de
l'attente se traduisît par des manifestations pneumatiques
L'Esprit se répandait sur les élus; l'enthousiasme éclatait; des
extases et des exclamations glossolaliques étaient les signes de
l'irruption des puissances transcendantes dans la sphère chrétienne;
des prophètes et des prophétesses surgissaient; des miracles
confirmaient le message apostolique. Des sacrifices d'ordre
moral,
renoncements et actes de foi audacieux, démontraient la
présence de l'Esprit. Avant chaque réunion cultuelle, les frères se
pardonnaient leurs péchés sept fois septante fois (Mt 18:22). On
attendait avec angoisse l'avènement du Fils de l'homme et le grand
jour du jugement. Les repas eucharistiques ouvraient des perspectives
sur «la table du Seigneur dans son royaume» (Lu 22:30). Toute la
vie religieuse était bouillonnante. L'Esprit et ses charismes
s'adaptaient à des situations qui se renouvelaient sans cesse, et on
trouvait la preuve de l'ingérence divine précisément dans le fait que
rien n'était statique, arrêté, institutionnel.

Quelles conclusions cet état de conscience de la première
génération et cet état de choses dans la primitive Église nous
permettent-ils de donner sur la notion de l'Église qui régnait
dans les milieux apostoliques de Jérusalem? L'Église y était conçue
comme la communauté des justes des derniers jours, comme une
congrégation qui, tout en se distinguant du monde ambiant par sa foi
enthousiaste, ne se détachait aucunement de la tradition du peuple
d'Israël; elle prétendait, au contraire, recueillir toutes les
promesses que l'Éternel avait fait reposer sur la tête de ses
enfants. Cependant, tout en observant les pratiques juives: la
circoncision, les rites de purification, le sabbat, les prières au
temple et les jeûnes, la communauté messianique avait introduit le
baptême au nom de Jésus, ce qui devait finalement conduire au
schisme. Toute l'attitude empirique de la primitive Église nous
permet donc de retrouver la conception idéaliste de l'ekklêsia que
nous ont déjà fait entrevoir notre enquête étymologique et
linguistique ainsi que l'analyse de la parole que Jésus adressa à
Simon Pierre: l'Église, le peuple de Dieu.

Cependant, à la longue, la conception enthousiaste de l'Église ne
s'est pas maintenue à Jérusalem. On peut dire que Paul fut le seul
continuateur de l'idéalisme primitif; il en fut même le défenseur
vis-à-vis de la tendance cléricale qui, peu à peu, s'insinua dans le
cénacle de la Ville sainte.

4.

La hiérarchie naissante et saint Paul.

La seconde génération montait. Selon Ga 2:9, trois hommes «sont
regardés comme les colonnes» non seulement de la communauté de
Jérusalem, mais de toute l'Église: Jacques, Céphas et Jean. Le groupe
des apôtres de Jérusalem fondait son autorité sur les apparitions du
Christ qu'avait accompagnées une vocation spéciale (Mt 28:10,Ac
1:8). Jacques, le frère du Seigneur, quoique n'ayant pas
appartenu dès le début à la congrégation, devait, lui aussi, sa
consécration à une christophanie (1Co 15:7). Son prestige
dépassa bientôt celui des apôtres. Il semble bien avoir été le
directeur de la communauté (Ac 12:17 15:13 21:18). Pierre
lui-même (Ga 2:12) n'ose pas se soustraire à ses injonctions.
Les apparitions du Christ et l'ardeur enthousiaste qu'elles avaient
suscitée ayant touché à leur terme dans l'Ascension, tout l'état
d'âme des fidèles subit une certaine congélation. Il se forme une
tradition reposant sur le souvenir des manifestations tangibles
du Seigneur; ce sont encore les protagonistes de Jérusalem qui en
sont les gardiens et qui, par le témoignage de ce qu'ils ont vu de
leurs propres yeux, garantissent la continuité de l'oeuvre de Jésus.
Ils s'érigent en arbitres pour toutes les questions qui
intéressent l'Église. Ils réclament des droits; ils se font dispenser
de certains services subalternes (Ac 13:5). Une organisation
s'ébauche. Les diacres se chargent de l'assistance publique, d'autres
sont appelés à baptiser les néophytes. Envoyé de Jérusalem, Barnabas
constitue l'Église d'Antioche (Ac 11:22). Un légalisme
rigide s'associe aux nouvelles institutions. Des émissaires venus du
centre religieux «épient la liberté» des communautés pauliniennes en
Galatie (Ga 2:4). A Corinthe, des émissaires se présentent munis
de lettres de recommandation (2Co 3:1). On surveille
l'attachement à la Loi des minorités judéo-chrétiennes disséminées
dans le rayon hellénistique. Pierre prétend ne pas être uniquement
chargé de l'apostolat dans la sphère juive. Enfin la collecte,
que Paul a entreprise dans les Églises de Macédoine et de Grèce «en
faveur des saints» de Jérusalem, est un signe de la suprématie de la
primitive Église. Cette collecte n'est pas un acte de charité
spontanée, mais une contribution officielle analogue au tribut
que les Juifs de la Diaspora étaient tenus d'adresser au
Temple (1Co 16:1 8:4,2Co 9:1-12). Paul la destine aux «pauvres»
(qui sont peut-être identiques aux «saints») en raison «des avantages
spirituels» que toute l'Église doit à «la congrégation
apostolique» (Ro 15:27). Il ne s'agit donc pas seulement d'une
obligation morale, mais d'une espèce de redevance canonique. De même
que toute communauté est chargée d'entretenir le missionnaire qui se
consacre à elle, les Églises pagano-chrétiennes subviennent d'office
aux besoins de la métropole chrétienne. Tandis que dans les premiers
temps on déposait l'argent aux pieds des apôtres, il semble
maintenant exister, en dehors même de l'assistance paulinienne, une
administration financière dûment établie (Ac 11:29 et suivant).
Jérusalem est donc le centre d'une Église qui «s'étend jusqu'aux
extrémités de la terre» (Ac 1:8), le chef-lieu du peuple de
Dieu; mais quoique transcendante dans ses origines, l'Église est
devenue bien empirique dans ses organisations cultuelles,
administratives et doctrinales; prétendant être de droit divin,
l'association théocratique des apôtres s'est donné un couronnement
hiérarchique.
Jacques, se détachant du groupe des trois, peut en
quelque sorte être considéré comme le pontife de la nouvelle Église.
En principe, la notion de l'Église est restée la même qu'au temps
héroïque de l'enthousiasme initial (Ac 11:15). L'Église est
toujours considérée comme l'Israël régénéré, objet des promesses
divines, mais à la congrégation toute libre et spirituelle s'est
substitué un organisme hiérarchique. C'est à cette conception
cléricale que Paul oppose une idée de l'Église encore tout
imprégnée du pneumatisme originaire. Voir Gouvernement de l'Église.

Paul n'a pas développé une doctrine de l'Église. L'épître aux
Romains ne la mentionne même pas. Les spéculations de l'apôtre à ce
sujet sont toutes fortuites. Nous pouvons néanmoins nous faire une
idée très nette de sa conception. En défendant son propre
apostolat--il le faisait lui aussi dériver d'une
christophanie (1Co 15:8) --il défend aussi la notion spirituelle
de l'Église tout en lui imprimant la marque de son génie religieux et
de sa mystique christocentrique. Ce n'est pas sur des personnes
que repose l'Église; quelque distinguées qu'elles fussent par des
révélations divines et quel que fût l'attachement de Paul lui-même à
la Ville sainte, ce n'est pas un endroit tel que Jérusalem et son
temple qui pourrait prétendre à des prérogatives quelconques. Paul,
fidèle à la spiritualité évangélique qu'exprimera Jn 4:24,
affranchit l'Église de toute emprise personnelle et de toute
suprématie topique. C'est le Christ qui occupe la place primordiale
dans l'Église. Il n'est pas seulement celui dont on a vu la
résurrection, mais une puissance toujours présente, vivante,
agissante. Là où est le Kyrios, là où règne son Esprit, là est
l'Église
avec toutes ses promesses. Il en est le chef (Col 1:18
2:19). Il en est le fondement (1Co 3:11). Toute communauté à
laquelle le Christ inspire sa vie devient une Église de Dieu; elle
devient le paradigme local de l'Église universelle dont Jérusalem
n'est que le symbole. La foi chrétienne voit dans chaque assemblée de
chrétiens unis en Christ toute la chrétienté, le reste
d'Israël (Ro 9:27), garant de la rédemption de tout le genre
humain. Chaque communauté est en quelque sorte une bouture gonflée de
la sève même qui pénètre l'Église dans sa totalité. Dans cette notion
de l'Église, la conception ecclésiastique est inséparable de la
conception religieuse. Plus encore: cette mystique ecclésiastique
revêt un caractère sacramentel. L'Église étant le corps du Christ
animé de son Esprit ou de l'Esprit de Dieu, c'est le baptême qui en
réalise l'unité mystique (Ga 3:26 et suivant, 1Co 12:13).
D'autre part la Cène symbolise, elle aussi, la communion au
Seigneur (1Co 12:13 10:16). Ainsi amalgamée, l'Eglise, ne
faisant plus aucune différence de race et supprimant tous les
antagonismes sociaux (Col 3:11,Ga 3:28), sera l' assemblée des
saints,
ce terme ayant perdu son acception étroite et pharisaïque.
La sainteté des saints (voir ce mot) n'est pas, comme pour les
théocrates de Jérusalem, un habitus revêtu une fois pour toutes, une
auréole inhérente à une grandeur historique. Étant donné que dans la
vie chrétienne tout est grâce, la sainteté n'est pas une acquisition
définitive, mais un point de départ. L'Église des saints est la
congrégation des hommes justifiés, dont le salut est réalisé par
l'Esprit et qui, baptisés en la mort du Christ, morts au péché,
s'engagent à mener une vie nouvelle en toute justice et sainteté.
Aussi les saints qui retombent dans le péché s'excluent-ils eux-mêmes
de l'Église (Ro 16:17 et suivant). Autrement dit, la notion de
l'Église s'adapte à la doctrine paulinienne de la justification.
Étant dans ce monde, l'Église des saints n'est pas de ce monde.
D'autre part, surnaturelle, préexistante même (Ga 4:21 et
suivants
, Eph 1:4 et suivants), ayant droit de cité dans le
ciel, elle est pourtant visible, et seules les puissances qui la
régissent, le Christ ou le Pneuma (Esprit), sont invisibles.

Somme toute, la notion primitive de l'Église subsiste dans la
conception de Paul.
Celui-ci n'a jamais contesté le fait que
l'Église chrétienne avait son foyer dans la communauté des premiers
croyants qui, formée autour de Pierre, se fondait sur la foi en la
messianité, la résurrection et la parousie du Seigneur. Les Églises
pagano-chrétiennes, en s'affranchissant de l'emprise de Jérusalem, ne
rejetaient que les exigences théocratiques. Paul estimait qu'au lieu
de vouloir être les directeurs autoritaires d'une institution
oecuménique, les apôtres auraient dû, comme lui, n'avoir qu'une
ambition, celle d'être les «serviteurs» de Christ
(1Co 3:5 4:1 2Co 6:4), ou de remplir les fonctions
«d'ambassadeurs pour Christ» (2Co 5:20), en renonçant à toute
espèce de prestige ou de privilèges (Ga 2:6). Ce ne fut pas
Paul, ce furent les hiérarques de la primitive Église qui furent
infidèles à la pensée originelle de l'Église: peuple de Dieu. Paul
s'en est tenu au principe de la première heure, à l'idée de
l'ekklêsia, qâhâl ou k'nichta: «Si vous êtes à Christ, vous êtes la
postérité d'Abraham, héritiers selon les promesses» (Ga 3:29).

5.

Vers l'Eglise institutionnelle.

Quoique, dans les communautés pauliniennes, l'organisation de la vie
chrétienne fût purement religieuse, l'Esprit seul appelant les
membres à remplir les fonctions voulues, une évolution vers l'Église
institutionnelle s'y annonce. Obligé de réfréner l'exaltation
pneumatique, Paul organise la vie cultuelle à Corinthe: Dieu n'est
pas un Dieu de désordre, mais de paix (1Co 14:32). Parmi les
charismes, il en est qui sont déjà orientés vers un service caritatif
régulier (1Co 16:15,Ro 16:1 et suivants). On discerne la
silhouette de dignitaires ecclésiastiques. Il est question de
directeurs spirituels (1Th 5:12), d'évêques et de
diacres (Php 1:1). Une juridiction religieuse
s'esquisse (1Co 5:3). Pourtant l'idéalisme, l'enthousiasme et la
charité évangélique ne semblent pas avoir été entravés par la
rigidité d'une organisation institutionnelle. Les générations
suivantes changeront d'orientation; elles devront consolider les
fondements terrestres
de l'Église et garantir sa tradition contre
des entreprises sectaires. Dans les épîtres pastorales, les fonctions
de l'épiscope se précisent; son activité directrice est consacrée au
maintien d'une discipline sévère et de la doctrine pure, ainsi qu'à
l'administration des organismes cultuels et sociaux. Peu à peu
l'image de Paul, ouvrier de l'Église de Christ, s'effaça: Corinthe
elle-même vénère en Pierre l'un de ses fondateurs. L'idéalisme
mystique de la conception paulinienne de l'Église s'évapore. L'idée
de l'Église en tant que corps du Seigneur s'épaissit: des velléités
théocratiques du modèle juif et certaines spéculations grecques s'y
sont insinuées. Dès le milieu du II e siècle, il existe une véritable
doctrine de l'Église: l'ekklêsia est le but suprême de la
création et des dispositions salutaires de Dieu. L'idée valentinienne
de l' éon de l'Église, qui se reproduira plus tard dans l'image
de l'Église triomphante du catholicisme, décèle certaines affinités
avec celle que trace l'épître aux Éphésiens (voir art.), oeuvre
deutéro-paulinienne dans laquelle on pressent des spéculations
gnostiques ou mandéennes. L'Église y apparaît comme un organisme
universel, cosmique même (Eph 1:23). Elle repose sur le
fondement apostolique (Eph 2:20), conception qui exigera comme
corollaire celle de la succession sacerdotale. On y trouve des
formules qui marquent énergiquement l'unité de l'Église: une foi,
Alexandrie, patrie d'Apollos un baptême, un Seigneur (Eph 4:4,6); de même, dans
l'évangile de Jean, il est parlé d'un seul berger et d'un seul troupeau
(Jn 10:16, cf. Ap 7:17,1Pi 5:2,Ac 20:29). On désigne
toujours l'Église comme sainte; il ne s'agit pourtant plus de la
foi justifiante des membres, mais d'une qualité inhérente à
l'institution elle-même (Eph 5:26 et suivants, 1Pi 2:5).
Enfin l'Église apparaît déjà comme l'épouse qu'a aimée le
Christ (Eph 5:25). Cette nouvelle notion idéaliste de l'Eglise
ne se rapporte plus aux hommes qu'elle embrasse; on distingue
dorénavant l'idée platonicienne d'une congrégation divine qui ne
comprend que des hommes purs, et, d'autre part, l'assemblée qui
comprend la masse des chrétiens baptisés (2Ti 2:20 et suivants,
cf. Mt 13:47-50). Il ne s'agit donc pas seulement du fait que,
dans les communautés, le ministère fonctionnaire a remplacé le
pneumatisme. Ce qui a été plus important pour le développement
ultérieur, c'est que l'association des croyants, unis au Christ et
unis entre eux, est remplacée par un institut ecclésiastique à base
juridique, voire même de droit divin et, par suite, nimbé d'une
autorité céleste. La résistance du paulinisme contre les tendances
hiérarchiques ayant faibli, l'Église catholique se dresse. Se
prévalant du fait que Pierre et Paul subirent le martyre à Rome,
cette ville s'arroge les prérogatives apostoliques que l'Église
primitive avait déjà fait valoir dans la seconde phase de son
évolution, sous la direction de Jacques. C'est seulement la Réforme
qui songea à rétablir, entre l'idée de la liberté spirituelle et
celle de l'autorité interne, le bel équilibre que Paul, fidèle aux
intuitions de l'Évangile, avait communiqué à sa notion de l'Église.
BIBLIOGRAPHIE
--Hort, The Christian Ecclesia, 1897.
--Batiffol, L'Église naissante et le catholicisme, 1909:3. R.W.