DOGME

Grec dogma, du verbe dokeîn: ce qui paraît (par opposition à
la réalité), ou ce qui semble vrai, juste, bon après réflexion ou
examen. Chez les Grecs, et plus tard chez les Latins, ce mot désigne
tantôt les opinions et tantôt les décrets. On l'emploie pour parler
des doctrines distinctives des écoles philosophiques. En ce sens, le
mot dogma se trouve, par un rapprochement piquant, le synonyme du
mot haïresis dont on a fait: hérésie (voir ce mot). Enfin on
en vint à l'opposer--tel un axiome--aux manières de voir
personnelles et changeantes., Le dogme est ainsi une opinion revêtue
d'une autorité qu'on ne discute pas. A Rome, le décret du Sénat
[senatus consul-tum) était un dogme.

Dans le N.T. le mot dogme est employé dans le sens de décret ou
édit (voir ces mots), qu'il s'applique soit aux ordonnances de
Moïse (Eph 2:15,Col 2:14), soit aux édits de César (Lu 2:1,
cf. Ac 17:7), soit aux décisions du Synode de Jérusalem (Ac
16:4). Dans Col 2:20, le verbe dogmatizesthaï (être dogmatisé)
signifie: se laisser imposer des prescriptions
(légalistes). Jamais le mot dogme n'est employé lorsqu'il s'agit de
la doctrine chrétienne, désignée chez les auteurs du N.T. par les
molS-: évangile, prédication, parole (de Dieu).

Les Pères de l'Église appliquèrent ce terme dès la fin du II e
siècle à l'ensemble de la doctrine et de la morale chrétiennes: «le
dogme du Seigneur et des apôtres» (Ignace), «le dogme divin» (Clém.
d'Alex.). Plus les siècles avancent et plus le dogme prend un sens
restreint. Le dogme c'est la doctrine, par opposition à la morale
(Cyrille de Jér., IV e siècle), ou encore l'enseignement
systématique, par opposition à la prédication populaire (Basile de
Césarée). Enfin, le langage ecclésiastique s'empare du mot dogme pour
désigner «les vérités crues et officiellement enseignées dans
l'Église, par opposition aux opinions particulières des docteurs et
aux fausses doctrines de l'hérésie» (F. Bonifas); ex.: le péché, la
rédemption, la divinité de J.-C, la justification par la foi, etc. On
voit apparaître ici le double caractère du dogme ecclésiastique. Il
tient à la Bible par les faits et les affirmations doctrinales de la
révélation--la grâce et la foi qui sauvent--, et il tient à l'Église,
laquelle fournit les formules par lesquelles les vérités de la
révélation biblique sont expliquées scientifiquement et exposées
systématiquement suivant les lumières de l'époque.

Par la révélation biblique, le dogme a un élément de vérité
éternelle; par la science de l'Église, le dogme a un élément humain,
changeant; il est mis à l'épreuve du temps qui l'appelle, par la loi
du progrès, à se transformer, quelquefois même à devenir désuet. Tel
dogme qui passionnait les anciens conciles et qui fit des martyrs
nous laisse aujourd'hui indifférents. Pourquoi? Parce que dans la
formule humaine de ce dogme la vérité éternelle mal comprise avait
été mal rendue, lésée, trahie. Ceci nous avertit qu'une Église ne vit
pas par ses dogmes, dont la formule n'est pas dans la Bible, mais par
le soin qu'elle met à rester fidèle aux faits et aux doctrines qui
constituent la révélation biblique. Rejeter tout dogme, sous prétexte
que le christianisme se présente à nous comme une vie, une puissance
spirituelle de régénération, est une erreur, car la vie chrétienne
n'est pas indépendante des faits et des doctrines que nous présente
la révélation biblique. Mais se camper sur un dogme formulé par telle
Église ou par tel parti et excommunier les chrétiens qui n'en peuvent
admettre la formule est une erreur non moins grave, car on méconnaît
par là l'élément humain du dogme, on nie la légitimité du
développement dogmatique, on s'inscrit en faux contre une réalité
sans cesse démontrée par les faits, à savoir qu'il est difficile de
trouver pour toutes les vérités chrétiennes une formule dogmatique
qui puisse satisfaire tous les esprits et tous les tempéraments.

Dans la mesure où les dogmes lui sont nécessaires, l'Église doit
éviter de les multiplier et se borner à exprimer par eux, sobrement,
les faits fondamentaux ou les vérités essentielles que la Bible
enseigne clairement et qui forment ensemble les éléments constitutifs
de la religion chrétienne.

Quand l'Église, tout en se tenant sur le fondement des Écritures,
prétend définir théologique-ment dans des dogmes les mystères de la
révélation biblique, tout expliquer scientifiquement, et formuler
l'ineffable (ex.: la nature de la divinité de Christ, de ses rapports
avec le Père, du Saint-Esprit, etc.), au lieu de préciser la vérité
elle la déforme, elle engendre des divisions en confondant la
théologie et la religion, et devient persécutrice en confondant
l'Église avec l'État (voir la situation de l'Église après le concile
de Nicée 325 et celui de Constantinople 381).

Quand l'Église, abandonnant le fondement des Écritures, bâtit des
dogmes sur les données de la tradition, elle égare la chrétienté
(voir les décisions dogmatiques du concile de Trente 1545-1560, et du
concile du Vatican 1870). Les Princes de l'Église sentent si bien la
responsabilité encourue qu'ils s'efforcent de présenter les dogmes
nouveaux comme implicitement contenus dans les dogmes anciens; le
raisonnement est ici d'une remarquable subtilité (cf. Ecclesia,
1927, p. 105): le dogme nouveau, dit-on, n'est que l'épanouissement
d'une vérité déjà renfermée dans le dépôt de la révélation.
Seulement, il lui a fallu généralement passer par quatre phases:

la phase de l'obscurité: la vérité est
enveloppée, supposée par certaines pratiques, elle n'est vue
distinctement de personne ou presque personne;

la phase de la controverse: la vérité se fait
jour, mais elle est niée, contredite, elle crée une époque de
confusion;

la phase de la croyance universelle: la vérité
fait des progrès, gagne des partisans, finit par être reconnue par
tous;

la phase de la définition solennelle:
«l'autorité supérieure la proclame comme un dogme de la foi»
(Immaculée Conception, infaillibilité du pape, etc.), «et dès lors,
un chrétien ne peut plus la nier opiniâtrement sans être rejeté de
l'Église». C'est ainsi que le chrétien qui veut rester fidèle aux
affirmations de la Bible et s'y tenir, se trouve, de par le dogme de
l'Église, constitué hérétique et excommunié.

Le fait que des chrétiens que la même formule dogmatique ne peut
réunir manifestent tous les jours dans leur vie qu'ils ont eu part à
la même régénération, devrait rappeler aux uns et aux autres que
l'Église de Jésus-Christ ne vit pas de la proclamation de tel ou tel
dogme, mais de l'esprit de son Chef, qui déborde toutes les formules
et sait fort bien, au besoin, se passer de toute spéculation
théologique. Pour savoir ce que vaut un dogme et pour être fixé sur
la nécessité de son maintien dans l'Église, il faut l'examiner en
fonction de l'Évangile «puissance de salut pour quiconque
croit» (Ro 1:16). En effet, «c'est un caractère de tous les
dogmes clairement révélé dans l'Évangile, de tendre tout directement
à la pratique...Aucune des vérités révélées dans l'Évangile n'est
oisive et de pure spéculation: tout y est pour l'homme, tout y est
calculé pour le régénérer, pour le redonner à Dieu» (Vinet).

Dans le langage courant, le mot dogme, comme le mot doctrine,
désigne tantôt un point de vérité estimé fondamental et certain, et
tantôt, collectivement, l'ensemble des vérités qui forment la
croyance de telle philosophie ou de telle religion.

Dogme chrétien et doctrine chrétienne ont un objet semblable;
toutefois la doctrine relève de la théologie biblique et le dogme de
la théologie systématique. On appelle Dogmatique la discipline
théologique qui s'occupe de la systématisation progressive de la
vérité chrétienne, des formules où l'Église a exprimé les faits et
les doctrines de la révélation biblique. Les fondements de la
dogmatique sont: l'exégèse, la critique et la théologie biblique.
Elle trouve aussi dans la philosophie des ressources qui lui ont
souvent permis de briller d'un vif éclat, mais qui l'ont aussi
fréquemment égarée en l'engageant dans des spéculations où la pensée
grecque se substituait aux notions hébraïques et à la révélation des
deux Testaments.
L'Histoire des dogmes est la science qui nous raconte les
développements de la dogmatique à travers les siècles; bien étudiée,
elle doit nous rendre prudents dans nos jugements et larges dans nos
convictions, car nous y voyons par combien de tâtonnements s'est
accomplie jusqu'ici la systématisation des vérités chrétiennes et
combien souvent l'Église, dans ses dogmes, est devenue elle-même
hérétique, obligée par la suite de se ressaisir et d'être, réformée
pour revenir aux articles de foi essentiels à son développement
spirituel. Cette Histoire doit enfin nous mettre en garde contre
l'abus des formules abstraites, les dangers d'une scolastique où des
mots prétentieux et vides prennent la place de l'expérience de la
foi, et où s'accomplit, dans un vain bruit de vivre,
l'intellectualisme d'une orthodoxie morte. Voir Bible (Commentaires
sur la), Critique, Doctrine. Alex. W.