DIVINATION
Comme un aveugle perdu dans la forêt prête l'oreille aux bruits
extérieurs dans l'espoir de retrouver son chemin, l'humanité déchue,
privée de révélation directe, s'est efforcée, par tous les moyens, de
percevoir les directions célestes. De tous ces moyens, le plus
répandu et le plus populaire fut, dans l'antiquité, la mantique
ou divination. Cet art de découvrir les choses cachées se retrouve
chez tous les peuples, et il était pratiqué sous les formes les plus
variées parmi les nations qui entouraient Israël: Cananéens, Syriens,
Caldéens, Égyptiens, etc. La Bible, surtout l'A.T., nous présente la
divination sous de nombreux aspects. En voici trois réunis dans le
même texte: (Eze 21:28) «Le roi de Babylone s'est arrêté au
carrefour où se partage la route, pour faire de la divination. Il
agite les flèches; il interroge les théraphim; il examine le foie.»
1.
Les flèches.
Ce procédé consiste à mettre des flèches dans un carquois, après
avoir écrit dessus des noms ou y avoir marqué des signes. On agite
ensuite les flèches, puis, après avoir invoqué son dieu, on retourne
le carquois. La première flèche qui tombe est celle qui fixe le sort.
Dans l'exemple de Eze 21, la première flèche qui tomba portait
«Jérusalem». Le roi devait donc d'abord mettre le siège devant la
capitale de Judée. Os 4:12 montre qu'Israël s'adonnait aussi à
ce genre de divination. Quand les apôtres, avant que la Pentecôte
leur eût donné l'esprit de discernement, tirent au sort pour savoir
qui doit remplacer Judas (Ac 1:26), ils agissent dans la
simplicité de leur coeur après avoir prié Dieu de les diriger. Il
n'en demeure pas moins qu'ils font entrer dans les moeurs chrétiennes
un usage qui remonte à la plus lointaine divination.
2.
Le foie.
L'hépatoscopie donnait lieu chez les Babyloniens à toute une science
(voir Foie). Les aruspices, qui examinent le foie ou les entrailles
(voir ce mot), et de façon générale tous les devins étaient tenus en
grand mépris par les prophètes d'Israël, d'abord parce que leurs
prédictions étaient vagues et trompeuses (Jer 14:14 27:9 29:8,Mic
3:7); ensuite parce qu'avec leur fausse science, ceux-ci
battaient monnaie effrontément. Michée accuse les faux prophètes de
trafic avec la divination (Mic 3:5-11, cf. No 22:7).
3.
Les théraphim.
L'usage des théraphim ou dieux pénates dans la pratique divinatoire
paraît fort ancien. Aben-Esra suppose que Rachel déroba à Laban ses
théraphim afin que celui-ci fût privé du moyen de connaître dans
quelle direction ses filles avaient fui avec Jacob (Ge 31:19).
Dans l'histoire de Mica (Jug 17 à Jug18) les théraphim sont liés
à l'éphod et l'on sait que l'éphod était en Israël, avec l'Ourim et
le Toummim, un moyen de divination (voir Éphod).
Osée, parlant d'un temps où tout moyen de consulter Dieu sera
retiré à Israël, dit: «Les enfants d'Israël resteront longtemps sans
éphod et sans théraphim» (Os 3:4). Zacharie déclare: «Les
théraphim disent de fausses prophéties, les songes mentent» (Za
10:2). Josias, dans sa réforme, avait détruit du même coup ceux qui
invoquaient les esprits, ceux qui prédisaient l'avenir et les
théraphim (2Ro 23:24). Nous ne savons pas de quelle manière on
faisait parler les théraphim. Il est probable que c'était par un
procédé semblable à celui de l'Ourim et Toummim, l'agitation de dés
ou d'osselets portant oui et non et qu'on faisait jouer après avoir
formulé la question devant la divinité. Les derniers textes cités
mettent en cause deux autres procédés de divination: les songes et
l'évocation des morts.
4.
Les songes.
Il s'agit ici des hiérogrammates, des scribes sacrés, des sages, des
disciples du dieu Thot en Egypte, dont l'action s'était répandue dans
tout le Proche Orient asiatique. Ces sages ou devins possédaient
toutes les formules d'incantations et les livres magiques dont les
recettes étaient destinées tantôt à provoquer des songes et tantôt à
les interpréter. Par les songes, le dieu faisait connaître sa volonté
et orientait les actions des hommes. La supériorité de Joseph sur les
hiérogrammates de son temps était que ceux-ci n'avaient pu expliquer
au pharaon ses songes à l'aide de leurs formules, tandis que Joseph,
par inspiration directe et sans le secours d'aucun livre, avait tout
expliqué au souverain (Ge 41:8-44). Ce fut la même supériorité
qui établit l'autorité de Daniel sur les devins de son temps, appelés
aussi «Caldéens» (Da 2-4). On sait le rôle que le songe et son
interprétation ont joué dans l'histoire profane, on en trouve des
exemples frappants dans la littérature classique. La Bible mentionne
les songes tantôt comme occasions d'égarement (Jer 23:32 29:8),
tantôt comme moyens mis par Dieu au service de sa providence (Ge
20:3 31:24 37:19,Jug 7:13,Job 33:14-18,1Ro 3:5-15,Mt 1:20,24
2:12,13,19,22 etc.). Voir Songe.
5.
L'évocation des morts.
La nécromancie appartient plutôt à la magie qu'à la divination;
cependant l'évocation des morts, surtout lorsqu'elle est accompagnée
de ventriloquie, (cf. Esa 29:4: «sons étouffés, voix sortant de
terre») n'a guère d'autre but que d'obtenir la révélation de l'avenir
ou l'interprétation de faits du passé. C'est ainsi qu'on voit Saül,
après avoir chassé les évocateurs de morts, s'adresser à une
nécromancienne, «la pythonisse d'Endor». (cf. 2Ro 21:6,Esa 8:19)
6.
L'ophiomancie.
Le texte de Esa 8:19 fait allusion à un autre procédé de
divination: il s'agit ici de l'art de proférer des oracles par le
sifflement ou par des soupirs. L'enchantement de Balaam (No 24;
voir surtout le No 24:4 dont les termes, dans l'hébr.,
caractérisent la transe), et ceux dont il est parlé dans 2Ro
17:17 relèvent, du moins en partie, de cette sorte de pratique, car
le verbe hébreu (au mode piel) employé ici, nâkhach, signifie
«faire entendre un chuchotement sourd», «siffler comme le serpent»
(rapprocher de ce passage le nebôn-lâkhach, «l'habile enchanteur»
de Esa 3:3 et les lekhâchim ou amulettes de Esa 3:20,
qui peuvent avoir été des serpents porte-bonheur); le même verbe dans
Le 19:26,2Ro 21:6 montre qu'en Israël on pratiquait aussi la
divination qui consistait à observer les serpents pour en tirer des
pronostics. On a voulu voir dans nâkhach l'augure, celui qui
pratique la divination en observant le vol des oiseaux. Mais cette
pratique, courante chez les Grecs et les Romains, ne paraît pas avoir
existé en Orient avant l'invasion des moeurs' helléniques et nous ne
la trouvons nulle part mentionnée dans la Bible, où il est seulement
question, semble-t-il, du cours des nuages (Le 19:26,2Ro 21:6).
Mais ce point est incertain.
On trouve un curieux emploi du terme nâkhach dans l'histoire
de Joseph (Ge 44:5-15). Il s'agit dans ce passage de la
«culicomancie» ou pratique divinatoire par le moyen d'une coupe (voir
ce mot). On jette dans une coupe pleine des fragments de métal ou de
pierre précieuse, et les figures produites par ces objets au fond de
la coupe servent à révéler les choses cachées. «Consulter la coupe»
est encore en usage dans le Proche Orient, en Egypte, en Perse; il
existe même en Chine une pratique analogue.
Notons encore la «lécanomancie» ou divination.au moyen d'un
bassin de métal. Dans les premiers siècles du III e millénaire av.
J.-C, on connaissait déjà chez les Sumériens la pratique de verser de
l'huile sur l'eau pour connaître la volonté des dieux et il fallait
payer pour cela sept sicles d'argent au clergé, dont un sicle pour le
devin qui dirigeait la cérémonie.
7.
Le délire sacré.
L'ophiomancie et le délire sacré ont une parenté rendue évidente par
l'histoire. L'oracle de Delphes était gardé par un serpent
gigantesque, le python, qu'Apollon mit à mort; d'où le nom
d'Apollon-Pythien et la faculté pour Apollon d'inspirer la pythie.
L'esprit de python est celui qui accorde la divination aux devins,
aux nécromanciens, à tous les vaticinants, depuis le ventriloque,
assimilé par Plutarque aux pythons, jusqu'aux faux prophètes ou aux
prophétesses démoniaques, telle la jeune fille de Ac 16 qui
procurait un grand profit à ses maîtres en devinant et qui poursuivit
Paul et Silas en clamant: «Ces hommes-là sont des serviteurs du Dieu
Très-Haut, ils vous annoncent la voie du salut.» Les faux prophètes
avaient aussi un autre moyen de se mettre dans le délire sacré et
d'en imposer par l'exaltation visionnaire: c'était non plus les
vapeurs capiteuses qui enveloppent le trépied des oracles, mais
l'usage des spiritueux, des stupéfiants (voir Dionysos). Quand le
cycle dionysiaque eut fait fortune chez les Aryens occidentaux, le
terme bacchos servit chez les Grecs pour caractériser la
puissance de divination, et le terme baccheueïn désigna le diseur
d'oracles, en latin bacchari =se livrer aux transports de
l'inspiration:
immanis in antro Bacchatur vates... (Virgile, En., VI,
77.)
Par le délire sacré, les prophètes d'Israël rejoignaient la
inantique courante. Comp. Jer 23:9 à propos des faux prophètes;
l'accusation des Juifs lors de la Pentecôte: «Ils sont pleins de vin
doux» (Ac 2:13), et les avertissements de saint Paul: «Soyez
remplis non de vin, mais d'Esprit saint» (Eph 5:18, cf. Esa
29:9).
8.
L'astrologie.
Dès les temps les plus reculés, les Mésopotamiens attribuèrent la
plus grande importance à l'observation des astres. Ils étaient
persuadés que la vie d'ici-bas n'était qu'une réplique de la vie dans
les étoiles peuplées de dieux. Savoir regarder le ciel, étudier les
phénomènes célestes, c'était lever le voile qui couvre le mystère du
présent et cache l'avenir au commun des mortels. Celui qui savait voir
dans les étoiles était appelé «voyant». On sait que les
prophètes d'Israël portaient à l'origine le nom de «voyants» (1Sa
9:9). L'influence des voyants en Syrie, en Babylonie, fut immense.
Les astrologues formaient des corporations puissantes à qui des
siècles d'observations, consignées dans des codes, donnaient une
autorité incontestée pour interpréter les événements de la vie, pour
guérir les maux et pour orienter les rois. Daniel les mentionne à la
cour de Caldée (Da 1:20 2:27 4:7 5:7,11).
La loi mosaïque interdisait toutes les pratiques de la divination
qui auraient eu pour effet de mettre les Hébreux dans la dépendance
religieuse des peuples qui les entouraient et où les devins
pullulaient (Le 19:26,31 20:6,De 18:10 et suivant). Israël
devait regarder à Jéhovah seul et marcher par la foi: «L'enchantement
ne peut rien contre Jacob ni la divination contre Israël; au temps
marqué, il sera dit à Jacob et à Israël ce que Dieu veut
accomplir» (No 23:23). Les hommes de Dieu suscités par Jéhovah
au sein de son peuple, les vrais «voyants», parce qu'ils ne sont pas
livrés aux incertitudes et aux égarements humains, sont là pour
découvrir à Israël la volonté divine et pour lui révéler ce qu'il a
besoin de savoir. Tout recours aux artifices de la divination
vulgaire est une trahison du commandement: «Tu n'auras point d'autres
dieux devant ma face.» Esa 8:19 et suivant formule la règle à
laquelle Israël doit se tenir sous peine de disparaître: «Si l'on
vous dit: Consultez les nécromanciens, les devins, ceux qui poussent
des sifflements et qui chuchotent, répondez: Un peuple ne doit-il pas
consulter son Dieu? A la loi et au témoignage! Sinon pas d'aurore!»
On pourrait nommer encore bien d'autres procédés secondaires de
la divination, apparentés à la magie (à laquelle appartient tout ce
qui est de l'ordre des «Jugements de Dieu», ordalie, etc.) ou à la
sorcellerie (voir ces mots). La traduction des qualificatifs hébreux
est d'ailleurs ici difficile, et nos versions françaises les rendent
souvent avec imprécision. Mais nous croyons en avoir assez dit pour
montrer qu'il y avait en cette matière ample occasion de profits pour
ceux qui, dans le monde antique, s'entendaient à exploiter la
crédulité. Toutefois, condamner en bloc la divination comme
superstition ou supercherie est bientôt dit. Ceux qui promulguent ce
jugement tranchant oublient que nous savons bien peu de chose des
ressources du monde spirituel, de ses attaches avec la nature et des
possibilités de l'action psychique au sein de l'humanité. En l'état
de nos connaissances, le plus prudent et le plus équitable est de
reconnaître qu'à côté de procédés mensongers et parfois criminels, la
divination antique renferme des éléments qui ont contribué
puissamment à tenir le front de l'humanité levé vers les réalités
invisibles et à entretenir dans les âmes l'inquiétude de Dieu,
portique de la révélation de Dieu. Et pourquoi le Maître de toutes
les forces de la nature, Dieu, qui aime tous les hommes, qui
récompense tous les efforts sincères et qui parle à chacun sa langue,
ne se serait-il jamais servi de la divination pour orienter les
peuples non bibliques, alors que nous voyons dans la Bible qu'il n'a
point dédaigné de se servir de l'Ourim et Toummim pour parler à
Israël, de songes pour soustraire l'enfant Jésus aux vengeances
d'Hérode ou pour ouvrir l'Europe à l'action missionnaire, du sort
pour élever Matthias, à la dignité d'apôtre et du langage des étoiles
pour conduire les mages d'Orient jusqu'à la crèche de Bethléhem?
Alex. W.
Voir Mage, Magie, Étoile, Sorcellerie.