DIEU (les noms de)

La Bible est le livre de Dieu. Non pas seulement en ce sens qu'elle
rapporte l'histoire et l'enseignement des révélateurs qui ont parlé
de la part de Dieu: les prophètes, Jésus-Christ, les apôtres, mais
aussi parce que toute la Bible est dominée par la croyance en Dieu,
par la préoccupation de raconter ce que Dieu a fait pour l'homme. Ce
qui fait l'unité des pages de la Bible, c'est que d'un bout à l'autre
elle a été écrite à la gloire de Dieu. La Bible ne démontre pas Dieu,
elle le montre dans sa personnalité agissante. L'Ecclésiaste
lui-même, qui est revenu de tout, ne met pas en doute l'existence et
le gouvernement de Dieu. Un seul texte de la Bible parle de la
négation de Dieu, et c'est pour y voir une marque de folie,
d'imbécillité (Ps 14:1 =Ps 53:1). Encore ne s'agit-il
peut-être, dans ce texte, que des négateurs de la Providence, de ceux
qui prétendent dans leur orgueil impie que Dieu n'intervient pas dans
les choses humaines et ne punit pas les méchants (Ps 10:4,13).
Cette méconnaissance de l'action divine est d'ailleurs, elle aussi,
qualifiée par la Bible de pure stupidité. «J'étais à ton égard comme
les bêtes» (Ps 73:22).

I Mais si Dieu est partout dans la Bible, s'il est la raison
d'être de la Bible, il s'en faut que les hommes de la Bible aient eu
en tout temps la même opinion sur lui. La révélation a été
progressive; l'enseignement divin a dû s'adapter aux capacités de
compréhension de l'homme en marche vers la vérité, depuis la nuit
païenne jusqu'à la pleine lumière de la Pentecôte. (cf. Heb 1:1,Mr
4:33,1Co 3:2) Les étapes successives de cette révélation sont
marquées d'une façon bien suggestive par les noms donnés dans la
Bible à Dieu.

1.

Adonaï, Adôn =Seigneur.

Ce nom exprime avant tout le sentiment de dépendance d'un serviteur
vis-à-vis de son maître, d'un sujet vis-à-vis de son roi, d'une femme
vis-à-vis de son mari. Appliqué à la divinité, il marque le sentiment
de dévotion de l'adorateur vis-à-vis de son dieu-patron. Pas plus que
Baal, qui signifie aussi Seigneur (Tu ne m'appelleras plus mon Baal;
cf. Os 2:16), Adôn n'était originairement un nom propre. Adonis,
dieu phénicien, n'était peut-être à l'origine qu'une appellation du
dieu-soleil. Il est curieux de constater que, de ces deux termes
jumeaux, l'un, Baal, est devenu dans le langage religieux comme le
symbole du paganisme, tandis que l'autre, sous la forme d'Adonaï, a
été adopté comme le mot classique pour qualifier le vrai Dieu et
l'obéissance qu'on lui doit (1Ro 18:21,voir ci-après, parag. 3).

2.

El.

Nom des temps primitifs, à l'origine obscure, qui appartient, sous
des formes diverses, aux peuples sémitiques et qui semble signifier à
la fois celui qui marche devant et celui qui est fort: le chef divin.
Nos liturgies, pour marquer l'idée de force, traduisent généralement
dans le Décalogue: «Je suis l'Éternel, ton Dieu, un Dieu fort et
jaloux», alors que le texte hébreu porte seulement: «Je suis Jéhovah,
ton Élohim, un El jaloux», expression dont le sens est exactement
celui-ci: «Je suis l'Éternel, ton dieu-patron, Dieu jaloux (c-à-d.
exclusif), qui punis...» (Ex 20:5,De 5:2). On retrouve El en
hébr., surtout dans la littérature poétique et dans les noms de
personne ou de lieu: Samu-El, Beth-El. Il est employé aussi dès la
Genèse dans la composition des vocables où la divinité est à la fois
nommée et qualifiée: El-Chaddal =Dieu-Puissant, le Dieu
d'Abraham. Quand on traduit: le Tout-Puissant (LXX, pantohratôr),
on va plus loin que le texte. El-Béthel (Ge 31:13), El-Éliôn
=DieuTrès-Haut, Dieu de Melchisédec, divinité
cananéenne. L'épithète Élion fut plus tard appliquée au Dieu
d'Israël. El-Élion =El-Chaddaï (No 24:16, cf. Da 3:26 4:2,
etc., Mr 5:7,Ac 16:17,Heb 7:1, où l'on voit de façon suggestive
ce que la typologie fait de l'histoire). El-Élohé-Israël,
expression qui prouve que le terme El s'appliquait aux dieux
étrangers aussi bien qu'à celui d'Israël (Ge 33:20).

3.

Élohim, Éloah.

Nom employé en hébreu au pluriel pour désigner la divinité. Le
singulier, Éloah, n'est pas d'un usage courant, sauf dans Job et dans
la littérature tardive. Par sa racine le mot Élohim évoquerait la
crainte inspirée par un supérieur; cette crainte est exprimée
directement dans Ge 31:42,53. Élohim s'employait pour désigner
les hommes revêtus de pouvoirs temporels ou de mandat divin: (Ex
4:16 7:4 21:6 etc.) Moïse, Samuel, le roi d'Israël sont appelés
des Élohim. De façon générale, Élohim est appliqué aux divinités
païennes: «Ils craignaient JHVH, mais ils servaient en même temps
leurs Élohim» (2Ro 17:33). Quand, dans le langage courant, le
mot Élohim désigne le Dieu d'Israël, le verbe est au singulier;
Élohim serait donc soit un pluriel emphatique, comme on en trouve en
hébr., soit un souvenir de l'ancien polythéisme des Hébreux. Dans ce
cas on pourrait voir dans ce pluriel une notion de plénitude: le Dieu
unique d'Israël, révéré au temps où furent rédigés nos plus anciens
documents bibliques, était considéré comme réunissant en lui-même
toutes les qualités glorifiées autrefois dans la diversité des dieux.

4.

JHVH =langage classique
Jéhovah,
critique moderne Yahvé
Prononciation incertaine. Cité par les anciens auteurs chrétiens:
Origène, Théodoret, Clément d'Alexandrie, sous les formes: Iaô,
Iaou, Iaouaï, laouê, Iabé
(prononc. samaritaine), I a; cette
dernière forme se retrouve dans des noms propres et dans le mot
Alléluia. Élohim était un nom commun désignant la divinité; JHVH est
le nom propre du Dieu d'Israël; nom révélé, solidaire de la
manifestation où Dieu fit de Moïse le libérateur, l'organisateur,
l'animateur religieux du peuple élu. Ce nom était tenu pour sacré au
point qu'il était interdit de le prononcer chez les Juifs de
Palestine, impressionnés sans doute par le troisième commandement, et
par une interprétation fautive de Le 24:16. On l'indiquait
seulement dans les textes par la transcription de ses consonnes =le
Tétragramme JHVH. Partout où le tétragramme paraissait dans les
textes, on lisait: «le Seigneur». Quand, à une date tardive, les.
Massorètes ont ajouté dans la Bible hébraïque les voyelles aux
consonnes, ils ont cru devoir, pour consacrer l'usage, mettre au
tétragramme JHVH les voyelles du mot hébreu Seigneur =Adonaï. Ce qui
incita les premiers hébraïsants chrétiens à faire sonner les
consonnes d'un nom avec les voyelles de l'autre, et à lire: Jéhovah.
Les Juifs hellénistes d'Egypte, mieux avisés, au lieu de
transcrire dans leur traduction (LXX) les lettres du tétragramme, les
avaient partout remplacées par l'équivalent grec d'Adonaï = Kurios.
C'est ainsi que le Dieu de la Bible, le Dieu révélé à
Moïse, s'est appelé en grec Kurios, puis en latin Dominus, en
anglais Lord, en allemand Herr, en français Seigneur,
vocables qui ne font que substituer un qualificatif de révérence au
vrai nom divin tenu pour ineffable. Déjà employé au XIII e siècle, le
nom de Jéhovah est entré au XVI e siècle dans les langues classiques
de l'Europe. Il y a été consacré par l'usage dans l'Église et par des
chefs-d'oeuvre en littérature. La critique moderne lui a substitué le
vocable Yahvé qui est certainement un redressement scientifique, mais
on n'a pas la preuve que cette forme soit la véritable. Le fait que
les Juifs d'Éléphantine écrivaient Jahou autorise à penser que la
vocalisation du nom propre du Dieu d'Israël garde encore son secret.

Ce qui importe plus que sa prononciation, c'est sa signification.
Or, celle-ci n'est pas douteuse. Qu'on rende sa racine par respirer,
être, ou procurer la vie, on se retrouve toujours en face des idées:
vivant et vivifiant. Que l'on rende l'expression un peu énigmatique
de Ex 3:14 par «Je suis celui qui est» ou «Je suis celui qui
(peut dire) je suis», il n'en demeure pas moins que, lorsque JHVH
répond à la perplexité de son mandataire: «Tu répondras aux enfants
d'Israël (s'ils te demandent quel est mon nom): «Je suis »
m'envoie vers vous, JHVH, le Dieu de vos pères...Voilà mon nom pour
l'éternité», le Dieu d'Israël entend affirmer sa personnalité en tant
que Dieu et l'affirmer comme une existence réelle, évidente,
agissante, vivifiante, et cela en contraste avec le néant des autres
divinités. Le Dieu qui est, voilà l'originalité propre de celui
qui a pris en main la cause des Hébreux. Nous sommes ici tout proches
de la définition que Jésus donnera de son Père: «Celui qui a la vie
en lui-même» (Jn 5:26). Et comme le mot nom appliqué à Dieu
et au Christ a, de façon courante, dans la Bible le sens de
«puissance» (notre aide soit au nom de Dieu; ce que vous
demanderez en mon nom), on peut traduire en même temps que «voici
mon nom pour l'éternité», «voici ce qui, pour l'éternité, fait ma
puissance, c'est que je suis le Dieu qui existe». Nous trouvons le
développement de cette théologie-là chez les prophètes hébreux et son
épanouissement dans le livre du 2 e Ésaïe qui développe
magnifiquement l'opposition entre JHVH, le Dieu vivant, et les idoles
de néant (Esa 45,Esa 46 etc.). En traduisant en français le
tétragramme par le mot l'Éternel, on a bien donné au Dieu de la
Bible le nom qui lui convient le mieux, pourvu, qu'on n'y voie pas
une notion abstraite exprimant l'immutabilité métaphysique, car
l'éternité de Dieu est envisagée avant tout dans les Écritures, et
dès l'origine, sous l'angle de l'immutabilité morale, de la sainteté
absolue: JHVH =le «Saint d'Israël» (Esa 1:4 etc.), et de la
fidélité active (Ex 3:6,8,Ps 36:6 100:5,Esa 46:4 etc.).

Comme l'Éternel agissant, JHVH est appelé
Dieu
ou Seigneur des Armées. Cette expression se trouve près de 300 fois
dans la Bible. Dans quelques cas, il s'agit des armées d'Israël,
surtout au temps des rois (1Sa 17:45 etc.), mais dans la
plupart des occasions, armée désigne soit les puissances
monstrueuses qui ont fait le chaos (voir Cosmogonie), soit les êtres
de la création tirés du chaos par JHVH triomphant: «Ainsi furent
achevés le ciel, la terre et toute leur armée» (Ge 2:1), soit
les astres divinisés, les faux dieux qui disputent à JHVH l'adoration
des hommes (De 17:3 etc.), soit les anges, les esprits, tous
les serviteurs célestes qui font partie de la cour de JHVH (1Ro
22:19,Ps 103:21 etc.). En somme, Dieu des armées signifie Dieu qui
règne sur tout ce qui vit, Dieu qui a créé le monde et qui maintient
l'ordre dans l'univers. On en trouve la plus belle définition dans le
Ps 89:6-12. La vers, grec et la vers, syr., rendant l'esprit
plutôt que la lettre du texte hébr., traduisent volontiers Dieu des
armées par «Dieu qui commande à tous les êtres» ou «Seigneur des
seigneurs». C'est bien ce terme qui rend le mieux la pensée
prophétique. (cf. De 10:17) Voir ÉtErnel des armées.

5.

Père céleste.

Les notions de Dieu et de Père ont été rapprochées plus ou moins
vaguement dès la plus haute antiquité. Le Jupiter des Romains, à
travers le Zeus des Grecs, descend du Dyaus-Pitar, le
père-lumière des anciens Aryens asiatiques. Pitar =Pater =Père. Le
dieu-patron de la ville d'Ur, patrie d'Abraham, était invoqué sous le
nom de «Père Nannar». Par sa révélation de Jéhovah le Dieu unique et
créateur, juste et saint, qui a formé Israël son élu et qui le
protège, l'A.T. précise la notion de paternité divine, la
spiritualise et l'élève fort au-dessus de tout arbitraire moral comme
de tout symbole matériel. Mais, dans la religion hébraïque, la
paternité de Dieu est une notion toujours mêlée de crainte. Dans le
N.T., cette paternité est une expérience entrée dans la vie
individuelle comme dans la vie collective par la révélation de Jésus.
Jésus dit: «Mon Père et votre Père» (Jn 20:17), marquant ainsi
la différence de relations qui l'unit et qui nous unit à Dieu. Mais
il dit aussi: «Nul ne vient au Père que par moi» (Jn 14:6),
rappelant par là que la vie qu'il a reçue du Père, il l'a reçue pour
la communiquer aux hommes et faire de ses rachetés des enfants de
Dieu, héritiers dès ici-bas de la vie éternelle (Jn 5:24 6:40).
La notion de Père céleste n'a atteint dans la religion humaine sa
plénitude et son efficacité que dans l'oeuvre rédemptrice du Christ.
Seul l'homme régénéré par la Pentecôte connaît l'amour parfait qui
bannit la crainte et possède les ressources nécessaires pour
travailler avec succès au programme divin que Jésus nous a donné dans
son modèle de prière: «Notre Père qui es aux cieux» (Mt
6:9). Avec cette appellation filiale l'homme atteint le sommet de ce
qu'il peut comprendre de Dieu et de ce qu'il peut réaliser de
communion avec la divinité.

II Si nous voulons maintenant chercher à établir dans quel
rapport ces principaux noms de Dieu se trouvent avec l'évolution
religieuse du peuple élu, nous devons avant tout nous souvenir:

Que les plus anciens documents que nous possédons
de son histoire sont de quatre cents ans postérieurs à Moïse et que
les auteurs de ces documents n'ont pas échappé à la loi commune qui
veut que les historiens, surtout autrefois, aient prêté les notions
de leur temps aux générations anciennes dont ils racontent
l'histoire. Bien des critiques modernes ont conclu de ce fait que
nous ne pouvons en somme rien savoir de positif sur l'idée que Moïse,
et surtout les patriarches se firent de Dieu,

Que le caractère composite du Pentateuque, les
diverses citations contenues dans ses pages, en particulier la
mention du «livre des Guerres de l'Éternel» (No 21:14) et
surtout les moeurs littéraires des vieux annalistes de l'Orient qui
compilaient les textes, ajoutaient et mêlaient l'ancien au nouveau
comme s'ils n'avaient eu qu'une préoccupation, c'est que rien du
passé ne se perdît, nous autorisent parfaitement à penser que des
récits venant, non seulement du temps de Moïse, mais même de la
longue période patriarcale, nous ont été conservés dans nos livres
actuels, mettant sous nos yeux des faits et d'anciennes coutumes de
nature à nous éclairer sur la foi des temps primitifs.

Cela dit, voici comment, à titre d'hypothèse, on peut se
représenter les choses.

Le vocable A don fut probablement le premier en usage chez les
Hébreux dans le stade initial de leur évolution religieuse, période
de l'animisme où 4 l'être humain, devant l'impuissance de ses
efforts sur les phénomènes alors incompréhensibles» (de Morgan),
accordait sa dévotion aux seigneurs de la nature, esprits des
sources, des bois, des cavernes, de la foudre, etc., dévotion toute
pénétrée d'effroi, car les esprits étaient des dominateurs sans
attache avec l'homme. Écrasés par ces puissances mystérieuses et
hostiles, les hommes devaient être ramenés par leur crainte et aussi
par leur espérance à l'aspiration vers un protecteur surnaturel. De
cette aspiration naquit le pouvoir du mage, du magicien, du sorcier,
du chef de clan. La religion de l'humanité orpheline a commencé dans
la magie. Un témoin de cette première période nous est resté dans le
fait justement observé par S.A. Cook que les chefs, dans la religion
de l'ancien Orient, «possèdent un véritable pouvoir cosmique». Les
travaux de J.G. Frazer sur les pouvoirs magiques exercés par les rois
sont suggestifs à cet égard, et l'étude contemporaine de la religion
des non-civilisés jette une clarté grandissante sur les ténèbres qui
recouvrent l'animisme primitif et l'origine du culte des ancêtres.
Nous ne parlons pas ici du totémisme, parce que le système de
Robertson Smith n'est pas arrivé à établir que les croyances
totémiques aient eu cours à un moment quelconque dans le passé des
Hébreux.

Les éléments de magie et de culte animiste, celui-ci généralement
local, n'ont cessé de coexister en Canaan avec la religion plus
évoluée. Nous en retrouvons les témoins dans les Bâmôt, les
Matsebôt
et les Achêrim contre la survivance desquels
tonnèrent les prophètes. Peut-être même doit-on reconnaître des
traces de la superstition antique dans la mention de certains arbres
ou dans l'érection de monuments rustiques tels que la pierre de
Béthel (Ge 28:18), les douze pierres de Guilgal (Jos 4:2
et suivants), ou le monceau de pierres sur le cadavre d'Acan (Jos
7:26).

Les vocables El et Élohim remontent certainement au moins à
la deuxième étape du développement religieux de l'humanité. C'étaient
des dieux-patrons, ancêtres divinisés, ou autres, que les tribus et
les cités regardaient comme leurs protecteurs. Il est intéressant de
constater à cet égard que l'esprit de Samuel, qui avait été le chef
et le libérateur de son peuple, est appelé par la pythonisse d'Endor
un Élohim.. Ce culte du dieu-patron n'était pas encore le
polythéisme, qui en est en réalité la corruption, c'était
l'hénothéisme. Abraham appartenait à cette phase religieuse lorsqu'il
fut appelé par Dieu. Abraham «crut» et partit sur la foi d'un Élohim
«Puissant» qui protégeait sa vie errante; non pas Dieu unique mais
Élohim supérieur puisqu'il n'était pas ethnique, qu'il n'était lié à
aucune terre, qu'il demandait l'intégrité (Ge 17:1) et qu'il
récompensait par de constantes délivrances la fidélité de ses
adorateurs. Les Abrahamides, tribus d'Israël, eurent, au cours des
siècles suivants, bien des tentations du côté du polythéisme, mais
elles ne s'y abandonnèrent jamais au point d'oublier leur
dieu-patron. Il suffit à Moïse de se présenter au nom de l'Élohim
d'Abraham, d'Isaac et de Jacob pour accréditer son mandat et décider
les Hébreux à l'exode.

Le vocable Jéhovah marque la troisième étape, l'étape décisive en
matière de religion. C'est le vocable qui, dévoluant à un Élohim seul
la réalité et l'activité souveraine, envoie les autres Élohim au
néant. Un des documents du Pentateuque, J, raconte l'histoire des
patriarches comme si leur Élohim s'était appelé Jéhovah; une phrase,
considérée à bon droit par les critiques comme une note marginale
fort postérieure, dit même que l'on commença à invoquer Jéhovah à
partir de Seth, fils d'Adam (Ge 4:26). Il faudrait pour cela
qu'Adam eût parlé l'hébreu. A noter aussi que l'emploi du vocable
JHVH au temps des patriarches n'est accompagné, dans les textes,
d'aucune révélation leur expliquant la portée religieuse de ce terme.
D'autre part, nous constatons que les autres documents du
Pentateuque, E, D, P, et implicitement l'auteur de Job, lequel,
plaçant la scène à l'époque des patriarches, fait employer couramment
aux interlocuteurs le vocable Chaddaï pour désigner Dieu, considèrent
que la révélation de JHVH a été le grand acte inaugural de l'oeuvre
de Moïse et de la constitution du peuple élu. Cette constatation et
le fait que le vocable JHVH n'entre dans la composition d'aucun nom
propre de l'époque des patriarches nous permettent de conclure que le
nom de JHVH n'a été révélé à Israël qu'au temps de Moïse et que si J
l'emploie en parlant des patriarches, c'est uniquement parce que JHVH
était depuis des siècles le nom qui désignait le vrai Dieu.

Le terme même de JHVH pose la question de l'unité de Dieu. Si
JHVH est le Dieu dont le caractère propre est de posséder la vie,
d'avoir une réalité, tous les autres dieux s'évanouissent et
disparaissent. Moïse, révélateur de JHVH, a-t-il considéré le Dieu
d'Israël comme le Dieu unique? La tendance de la critique moderne est
de le nier, de même qu'elle lui refuse la presque totalité des textes
que le Pentateuque lui attribue. Mais si l'on se montre moins radical
vis-à-vis des documents qui présentent son oeuvre, dans les parties
anciennes de l'Exode, du Lévitique et du Deuté-ronome, il paraît
difficile de refuser au libérateur d'Israël la grande proclamation de
De 6:4: «Écoute, Israël: Jéhovah, notre Elohim, est le seul Dieu
vivant (Jéhovah)!»

Les commandements 2 et 3 du Décalogue (voir ce mot), interdisant
à Israël de donner un crédit quelconque à la dévotion animiste et aux
autres Élohim, nous orientent dans le même sens que le mot Jéhovah.
Il serait d'ailleurs surprenant que le fondateur de l'ancienne
alliance, le prophète hors de pair qui était en communication
personnelle avec Dieu et qui a accompli dans l'humanité, par le
souffle régénérateur qu'il a fait passer en Israël, une oeuvre qu'on
ne peut comparer, toute proportion gardée, qu'à l'oeuvre de
Jésus-Christ, ait partagé la croyance de ses contemporains à la
pluralité des dieux. Mais de là à prétendre que Moïse a instauré en
Israël la foi au Dieu unique, il y a loin. Tous les initiateurs
religieux en Israël, et Jésus-Christ lui-même, ont apporté des
révélations incomprises dans leur entourage et dont les bienfaits ne
se sont développés que plus tard. Jusqu'au temps d'Amos, et même au
delà, l'ensemble des Hébreux n'a vu en JHVH que le plus puissant des
Élohim, celui qui les avait délivrés de l'Egypte; le Dieu national qui réside et qui
bénit sur sa terre, et pas ailleurs. Quitter la terre d'Israël c'est perdre sa
part de l'héritage de JHVH (1Sa 26:19). Pour pouvoir élever un
autel à JHVH en Syrie, Naaman se fait donner par Elisée de la terre
du sol de Palestine (2Ro 5:17). Quand on le servait fidèlement,
JHVH assurait la victoire aux siens (Jug 5:23,1Sa 14:37 18:17
23:9 et suivants), mais les Élohim des autres peuples existaient
aussi bien que lui. Pour Jephté, Kamos, le dieu de Moab, existait
aussi bien que JHVH le Dieu d'Israël (Jug 11:24). C'est ce qui
explique que, durant tout le cours de leur histoire politique, les
deux royaumes hébreux aient pu passer si aisément, selon le caprice
de leurs rois, de Jéhovah à Baal et de Baal à Jéhovah. On peut aller
jusqu'à dire que le gros du peuple élu n'a jamais adoré Jéhovah que
comme une façon de Baal. Ésaïe l'avait bien compris quand il
prophétisait au nom de Jéhovah: «Un reste seul sera sauvé» (Esa
1:9 10:22 etc.). L'exil à Babylone a été dans l'histoire du
jéhovisme un filtre providentiel. Mûris par l'épreuve et enseignés
par le monothéisme du deuxième Ésaïe, les «revenants juifs» de l'exil
ont constitué une communauté qui, si elle n'a pas su maintenir - le
spiritualisme des prophètes, a du moins purifié son culte de toute
altération païenne, permettant ainsi à la religion de JHVH de poser
les fondements de la religion de Jésus-Christ.

Représentation de Jéhovah.

Le Décalogue l'interdit formellement, et la critique n'a pas fourni
de raisons suffisantes pour supprimer le deuxième des dix
commandements. Mais il est certain que le spiritualisme de Moïse n'a
pas été sanctionné par les pratiques du peuple toujours plus ou moins
engagé sur ce point dans les moeurs cananéennes. Le taureau d'or est
dressé au pied du Sinaï (Ex 32) et jusqu'au VIII e siècle on a
fabriqué des idoles figurant JHVH (1Ro 12:26 et suivants, 2Ro
18:4, etc.), idoles de métal ou de bois sculpté. L'éphod primitif
n'était autre qu'une statue de JHVH (Jug 8:27 17:4 et
suivant
,voir Éphod). Par contre, on ne doit pas confondre les
statuettes appelées t héraphim
(voir ce mot) avec des images de
JHVH; c'étaient des dieux lares à forme humaine qui ne tenaient à la
religion que par un fil ténu. Renan a cru trouver dans le Néhustan,
serpent d'airain devant lequel les Israélites brûlaient de
l'encens (2Ro 18:4), une image de JHVH, mais il est probable que
nous n'avons affaire ici qu'à un retour à des pratiques cananéennes.
(Voir Image, Idolâtrie.)

Personnalité de Jéhovah.

Quelle que soit l'ingéniosité des hypothèses émises pour représenter
JHVH, originairement, comme un dieu naturiste. Dieu de l'orage, du
tonnerre, de la montagne, etc., aucune d'entre elles ne se présente
avec des bases assez solides pour mériter d'être retenue. (Il en est
de même de l'hypothèse qui voudrait faire de JHVH le Dieu de la tribu
des Kéniens, voisine du Sinaï; c'est en vain qu'on a essayé de
trouver les traces du culte de JHVH avant le ministère de Moïse.) Ce
qui frappe, au contraire, c'est combien la personnalité de Jéhovah se
détache des phénomènes extérieurs qui l'introduisent, libre de tout
tellurisme comme de tout panthéisme. Non seulement Jéhovah ne
participe pas à ces caractères, mais toute sa religion les combat. On
ne saurait prêter assez d'attention à cet égard à la révélation
accordée à Élie en Horeb. (cf. 1Ro 19) Elle complète celle que
reçut Moïse sur les mêmes sommets et en fixe le sens. Sans doute,
Jéhovah «fait des vents ses messagers et des flammes de feu ses
ministres» (Ps 104:4), mais lui-même n'est ni dans le feu, ni
dans la tempête; c'est par un son doux et subtil qu'il manifeste sa
puissance, par la «voix de silence» qui ne s'impose pas par la force,
mais qui pénètre l'âme à l'heure où elle se recueille et qui fait
sentir à la personne humaine prosternée qu'une personne divine lui
parle, la domine par son ascendant moral et l'étreint de son amour
créateur. Jéhovah, c'est quelqu'un qui entre en communication avec
l'homme, quelqu'un de si semblable à l'homme par les qualités de son
être (voir Création) que l'homme ne peut le décrire qu'en se servant
du plus pur anthropomorphisme. Historiens, poètes et prophètes
parlent de son bras, de ses yeux, de sa bouche, le présentent quand
il s'assied et quand il se lève; les plus anciens textes le montrent
quand il marche (Ge 3:8 18:1 et suivants), quand il descend pour
faire une enquête (Ge 11:5), etc. On nous le dépeint mû par des
sentiments d'amour, de repentir, de colère, de jalousie, de clémence.
Son culte s'exprime en des contrats, des alliances comme les hommes
en concluent entre eux, avec cette différence que JHVH est au ciel et
l'homme sur la terre, que JHVH est la personne créatrice et l'homme
la personne créée, que JHVH est saint et l'homme pécheur.
L'anthropomorphisme des prophètes aboutit irrésistiblement à cette
proclamation: tout ce qui s'agite en dehors de Jéhovah n'est que
néant; Jéhovah seul est grand. Jéhovah, c'est la personne parfaite.

Le Père céleste est la révélation suprême apportée par
Jésus-Christ. JHVH était déjà, dans l'ancienne alliance, connu par
Israël comme un père qui appelle, avertit, bénit, châtie, mais ce
père était un Dieu extérieur à l'homme, son Esprit ne reposait qu'à
certaines heures sur ses prophètes. Le père de la nouvelle alliance
manifesté par Jésus-Christ est un Dieu intérieur dont l'Esprit habite
le coeur et même le corps de l'homme: «Votre corps, dit Paul, est le
sanctuaire de l'Esprit-Saint» (1Co 6:19). Les chrétiens ne sont
plus seulement des «hommes de l'Esprit» (Os 9:7), ils sont, par
la Rédemption et la Pentecôte, des «hommes spirituels» (1Co
2:15). Par Jésus l'humanité croyante et rachetée est réintégrée dans
la famille du Père. «Moi en eux, Toi en moi» (Jn 17:20,26).
L'expérience chrétienne porte ainsi à la perfection la notion divine
de la paternité céleste: «Dieu tout en tous» (1Co 15:28).

En somme, les quatre principaux noms donnés par la Bible à la
divinité nous permettent de nous représenter les quatre étapes qui
ramenèrent l'homme de la chute à la filialité divine: aspiration vers
Dieu, relation avec Dieu, révélation de Dieu, vie en Dieu.--(Voir
art. précéd.) Alex. W.