CHRONOLOGIE DU NOUVEAU TESTAMENT (2)

II CHRONOLOGIE DES TEMPS APOSTOLIQUES.

1.

LA PRIMITIVE ÉGLISE.

On célébrait la Pentecôte cinquante jours après le 16 nisan, jour où
se faisait l'offrande de la gerbe d'épis nouveaux. S'il y a eu
coïncidence du 15 nisan et du sabbat, l'année de la mort de Jésus, la
Pentecôte de cette année a dû être un dimanche, comme l'entend la
tradition chrétienne. L'envoi du Saint-Esprit aux apôtres a fait
d'une vieille fête de la moisson le jour de naissance de l'Église.
Nous parlerons maintenant des dates qui comptent pour l'histoire de
la communauté judéo-chrétienne de Jérusalem, en réservant les
questions de chronologie paulinienne pour les deux paragraphes
suivants.

La persécution que l'Église eut à souffrir de la part d'Hérode
Agrippa I er (Ac 12:1)peut être datée assez exactement.
Ce prince, petit-fils d'Hérode le Grand, avait obtenu de
la faveur de Caligula, lors de l'avènement de celui-ci (mars 37),
l'ancienne tétrarchie de Philippe, celle de Lysanias, puis vers 40
celle dont Hérode Antipas s'était vu déposséder. Après l'assassinat
de Caligula (janvier 41), il reçut encore de Claude la Samarie et la
Judée, et se trouva ainsi à la tête de tous les États qui avaient
formé le royaume de son grand-père. Lorsque la mort le surprit, nous
dit Josèphe (Ant., XIX, 8:2;G.J., II, 11:6), il régnait
depuis trois ans accomplis sur toute la Judée (ici Judée signifie
Palestine). Cela nous porte à l'année 44. La persécution ne peut pas
être antérieure à 41, puisque c'est alors seulement que la Judée fut
incorporée au royaume d'Agrippa. Elle semble, d'après les Actes, ne
pas avoir précédé de beaucoup la fin cruelle du persécuteur, revenu
de Jérusalem à Césarée (Ac 12:19). Si l'on en croit Josèphe,
Agrippa fut frappé du mal qui devait l'emporter au moment où il
donnait un spectacle en l'honneur de l'empereur. Nous savons que le
retour de Claude, qui était parti en 43 pour la Grande-Bretagne, fut
célébré à Rome par des jeux au commencement de l'année 44 (Dion
Cass., LX, 23). En admettant que cet exemple a été suivi par Agrippa
à quelques mois de distance, on peut faire de la Pâque pendant
laquelle Pierre fut arrêté celle de la même année. Quoique mentionnée
dans les Actes avant la persécution, la famine prédite par
Agabus (Ac 11:27 et suivants) doit se placer un peu plus tard.
L'auteur sacré note qu'elle arriva sous Claude (Ac 11:28), ce
qui ne signifie pas que le fléau sévit dans tout l'empire en même
temps, car dans ce cas on n'aurait pas pu se venir en aide d'une
province ou d'une ville à l'autre. Nous savons par les historiens
profanes qu'il y eut en effet de grandes disettes pendant le règne de
cet empereur (Tacite, Ann., XII, 43; Suétone, Claud., 18;
Dion Cass., LX, 11), et par Josèphe (Ant., XX, 5:2) que la Judée
fut atteinte à l'époque du procurateur Tibère Alexandre, peut-être
déjà sous son prédécesseur Cuspius Fadus, mais de toute façon en 45
au plus tôt. C'est après la mort d'Agrippa I er que le régime
procuratorien fut rétabli et cette fois étendu à la Palestine entière
(Ant., XIX, 9:2; G.J., II 11:6). Il semble que Luc, après
avoir rassemblé dans sa notice d'Actes Ac 11:19-30 tout ce qu'il
avait à dire de la fondation de l'Église d'Antioche, du travail de
Barnabas et de Paul dans cette Église, de la prophétie d'Agabus et
des mesures prises par les chrétiens d'Antioche pour secourir leurs
frères de Jérusalem, revienne un peu en arrière pour raconter comment
ceux-ci furent persécutés par le roi hérodien, peu de temps avant sa
mort. Les derniers mots du ch. 12 reprennent le fil de la chronologie
en signalant le retour des deux porteurs du secours envoyé à la
communauté-mère.

Agrippa avait fait mettre à mort un des apôtres, «Jacques frère
de Jean» (Ac 12:2). Certains critiques voudraient nous persuader
que le texte portait primitivement: «Jacques et Jean son frère». Il
suivrait de là que la conférence dont Paul parle au ch. 2 des Galates,
et à laquelle Jean prit part, devrait forcément avoir eu lieu
avant 44. C'est pourquoi nous avons à toucher un mot d'une opinion
qui intéresse surtout ce qu'on appelle le «problème johannique». La
trace du précoce martyre de Jean aurait été soigneusement effacée du
récit des Actes à une époque où l'on croyait déjà que le disciple
bien-aimé était mort à Éphèse après une longue vieillesse. Le
principal appui de cette thèse subversive est un texte attribué à
Papias et ainsi conçu: «Jean le théologien et Jacques son frère
furent tués par les Juifs.» Mais ce texte n'a pour témoin que la
citation qui en est faite dans une compilation historique du V e
siècle, connue elle-même par des extraits qui datent de 600 à 800,
puis dans un des manuscrits, d'une chronique du IX e siècle (ici sous
cette forme: «Jean fut tué par les Juifs»). Il s'agit donc d'une
notice dont le vrai contexte est inconnu, la teneur primitive
douteuse, et dans l'histoire de laquelle une confusion entre
Jean-Baptiste et Jean l'apôtre pourrait bien avoir joué un rôle,
comme aussi l'idée que la parole de Jésus aux fils de Zébédée (Mr
10:39) avait dû s'accomplir par la mort violente des deux frères.
Les. compilateurs de qui nous tenons ce problématique fragment, tout
en le rapportant à Jean l'apôtre, ne songent point à y voir la preuve
d'une fin si prompte de sa carrière. Et si saint Irénée et ses
contemporains, qui possédaient l'ouvrage de Papias. aujourd'hui
perdu, y avaient lu l'énoncé d'un fait aussi inconciliable avec la
tradition relative au séjour et à l'activité de Jean en Asie, comment
cette tradition aurait-elle pu s'accréditer? Irénée n'aurait pas pu
dire que Papias (né au plus tôt dans les années 70!) avait été un des
auditeurs, de l'apôtre. Et surtout Eusèbe ne se serait pas abstenu,
dans le chapitre où il conteste cette affirmation d'Irénée (H.E.,
III, 39), de recourir à l'argument péremptoire que Papias lui-même
lui aurait fourni par sa prétendue mention du double, martyre de
l'an 44. Il convient donc d'écarter sans hésitation une hypothèse qui
ajoute indûment à un passage bien clair des Actes ce que voudraient.
y trouver les négateurs de l'authenticité de l'évangile de Jean (voir
ce mot). D'après Josèphe (Ant., XX, 9:1), Jacques le frère du
Seigneur fut lapidé par ordre du grand-prêtre Ananos, fils de celui
que le N.T. appelle Annas (Anne), et cela pendant le temps qui
s'écoula entre la mort du procurateur Festus et l'arrivée de son
successeur Albinus. Un autre récit de Josèphe (G.J., VI, 5:3)
noua, apprend qu'Albinus était à son poste lors de la fête des
Tabernacles de l'année 62. C'est donc cette année au plus tard, et
assez probablement cette année même,--la mort de Festus ne pouvant
guère être antérieure,--que Jacques aurait été exécuté. Cependant
Hégésippe, qui fait de ce martyre un récit détaillé (conservé par
Eusèbe, H.E., II, 23), en rapproche la date de celle de
l'investissement de Jérusalem par Vespasien.

C'est en 66 qu'éclata la grande guerre juive. La ruine du temple
et de la ville sainte, annoncée par Jésus, se consomma dans les mois
d'août et septembre 70. La communauté judéo-chrétienne, avertie
d'En-haut d'avoir à fuir la cité condamnée, et se souvenant des
instructions du Seigneur (Mr 13:14 et suivants et parallèle),
s'était retirée à Pella, en Pérée, avant le commencement du siège
(Eusèbe, H.E., III, 5:3). Elle ne fut pas atteinte par la
catastrophe, et ceux de ses adhérents qui voulurent ensuite revenir
en Judée ne furent pas empêchés., de le faire. Mais le temps de sa
primauté était fini.

2.

SAINT PAUL DEVANT GALLION.

Il y a, dans la chronologie paulinienne, un point fixe qu'il faut
marquer d'abord, et à partir duquel on peut ensuite compter, soit en
arrière, soit en avant.

Nous savons par Ac 18:12 qu'étant à Corinthe, le grand
apôtre eut à comparaître devant Gallion, proconsul d'Achaïe. Une
inscription de Delphes, publiée en 1905 par M. E. Bourguet, permet
d'établir avec assez d'exactitude la date de ce proconsulat. Cette
inscription est mutilée, mais ce qui reste du texte laisse voir
qu'elle reproduit une lettre de l'empereur Claude aux Delphiens. A la
ligne 6, Junius Gallion est nommé avec le titre de proconsul. Le
chiffre de 26, qu'on lit à la ligne 2, ne peut être que celui des
acclamations impériales de Claude: vingt-six fois déjà, il avait été
salué empereur à la suite de victoires des armées romaines. Ce
renseignement permet de dater la lettre avec une précision
suffisante. Voici comment. L'inscription de l' Aqua Claudia, à
Rome, atteste que lorsque fut inauguré l'aqueduc qui porte son nom,
Claude en était à sa 27 e acclamation impériale. Or, cette
inauguration eut lieu le I er août 52 (Frontin, De Aquis, I, 13).
Ainsi, la lettre aux Delphiens est sûrement antérieure à ce jour.
D'autre part, une inscription de la ville de Kys, en Carie, porte la
mention de la 26 e acclamation de Claude avec celle de la 12 e année
de sa puissance tribunitienne, laquelle va du 25 janvier 52 au 25
janvier 53. Il y a donc coïncidence d'une partie au moins de cette
année et du temps où le nombre des acclamations s'élevait à 26.
Le terminus ad quem que nous venons d'établir (1er août 52)
demeurant acquis, il se pourrait que Claude eût reçu pour la 26 e
fois le titre d 'imperator avant d'entrer dans la 12 e année de
son tribunat. Mais cette supposition est rendue extrêmement
improbable par d'autres textes épigraphiques, où l'on voit la 22 e,
puis la 24 e acclamation figurer dans la titulature de Claude au
cours de sa II e année de pouvoir tribunitien. La vingt-troisième est
naturellement supposée, et il faut encore réserver un intervalle pour
la 25 e. Donc la lettre de Claude a dû être écrite pendant un temps
qui a pour limite certaine, d'un côté, le I er août de l'année 52, et
pour limite très probable, de l'autre, le commencement de cette
année, ou plutôt la fin de l'hiver 51 à 52, puisque les opérations
militaires n'étaient guère reprises avant le retour du printemps.

Cela étant, de quelle date à quelle autre Gallion a-t-il exercé
ses fonctions proconsulaires en Achaïe? Les gouverneurs de provinces
sénatoriales, qui portaient tous le titre de proconsul, étaient
nommés pour une année. Le cas exceptionnel d'une prorogation peut
d'autant moins être envisagé ici que Gallion supportait mal le climat
de la Grèce (Sénèque, Ep. mor., 104:1). Tibère avait décidé que
les magistrats chargés d'un gouvernement provincial auraient à
quitter Rome avant le I er juin, date à laquelle Claude substitua le
I er avril, puis le milieu du même mois, ou plus exactement le 13,
jour des ides d'avril (Dion Cass., LVII, 14; LX, 11 et 17). C'est à
cette dernière disposition que Gallion a dû se conformer. On peut
donc admettre qu'il était à son poste vers le milieu de mai. De
quelle année? Il a été proconsul de 51 à 52 suivant les uns, de 52 à
53 selon les autres. La première opinion nous paraît être la bonne.
Il est assez clair que ce proconsulat n'était pas à son début quand
le rescrit impérial fut communiqué aux Delphiens. En effet, si
Gallion y est nommé, c'est sans doute parce qu'il avait eu à
s'occuper des affaires de Delphes et probablement parce qu'il en
avait fait rapport à l'empereur. Cela suppose des pourparlers et une
correspondance qui ne trouvent pas bien leur place entre la venue du
nouveau proconsul, entré en charge au printemps, et l'expédition de
la lettre impériale, car enfin le I er août est un terme extrême: ce
n'est pas la date même de la 27 e acclamation, mais une date où
celle-ci était chose faite. Par contre, si Gallion a quitté son poste
en mai 52, rien n'empêche que son nom figure sur une pièce officielle
dont la date soit de peu antérieure à la fin de son gouvernement.

Reste à savoir à quel moment de l'année 51 à 52 Paul a comparu
devant le magistrat romain. La façon même dont Luc introduit le récit
de cette affaire (Ac 18:12) donne à penser qu'il s'agit d'un
nouveau proconsul. C'est parce que Gallion est nouveau venu que les
Juifs espèrent lui arracher une sentence contre l'apôtre. C'est parce
que la magistrature de Gallion ne touche pas alors à sa fin que Paul
peut ensuite rester à Corinthe un temps assez long (Ac 18:18)
sans être inquiété. Ces considérations nous invitent à placer
l'accusation juive à un moment peu éloigné de l'entrée en charge du
proconsul, en juin par exemple ou au commencement de juillet 51, et
l'embarquement de Paul pour la Syrie en automne, avant la mauvaise
saison qu'évitaient autant que possible ceux qui se proposaient de
naviguer. Ainsi on a l'espace voulu, quelque chose comme trois mois,
entre sa comparution et son départ. Tirons maintenant parti du texte
qui dit que Paul demeura à Corinthe un an et six mois (Ac
18:11). Si ces dix-huit mois comprennent la totalité du séjour,
ainsi qu'on l'admet en général, il en résulte que Paul est arrivé à
Corinthe au printemps de l'année 50. S'ils se rapportent seulement à
la partie du séjour qui a précédé l'épisode de Gallion, c'est depuis
le milieu de l'année 51 qu'il faut compter en remontant, et l'arrivée
de Paul coïncide avec le début de 50. L'écart est de peu d'importance.

Ce résultat reçoit une confirmation qui n'est pas à négliger.
Paul fit à Corinthe, dans les premiers temps de son séjour, la
connaissance d'Aquilas et de Priscille, Juifs du Pont chassés de Rome
par un édit de Claude (Ac 18:2), le même dont la mention se
trouve dans Suétone (Claud., 25). Un historien chrétien du V e
siècle, Orose (Hist. adv. paganos, VII, 6), donne pour date à cet
édit la 9 e année de Claude (25 janv. 49-25 janv. 50). Il est vrai
qu'il dit emprunter cette indication à Josèphe, et qu'elle ne figure
pas dans les oeuvres de cet auteur. Mais quelle que soit l'origine du
renseignement, il prend une valeur singulière par son accord avec la
conclusion à laquelle on est amené par une tout autre voie. Si c'est
en 49 qu'un décret d'expulsion a obligé Aquilas et Priscille à
quitter Rome, ils devaient être, comme le disent les Actes, établis
depuis peu à Corinthe quand Paul y arriva, trois mois au plus tard
après le début de l'année 50.

3.

LES PRINCIPALES ETAPES DE LA CARRIERE DE SAINT PAUL.

Les dix-huit mois (si ce n'est plus) du premier séjour de Paul à
Corinthe sont compris dans ce qu'on est convenu d'appeler son
deuxième voyage missionnaire (Ac 15:36-18:22). Pour juger du
temps écoulé entre le départ d'Antioche et l'arrivée à Corinthe, il
faut tenir compte et de la longueur de l'itinéraire parcouru et de
l'importance des travaux accomplis; il faut compléter le récit des
Actes à l'aide des lettres adressées aux Églises de Galatie et de
Macédoine, dont la fondation date d'alors; il faut noter, par
exemple, que Paul s'arrêta à Thessalonique assez longtemps pour y
recevoir par deux fois les dons des nouveaux chrétiens de
Philippes (Php 4:16). L'intervalle doit bien être d'une douzaine
de mois. Paul s'est donc mis en route vers le commencement de 49 ou
la fin de 48, dans ce dernier cas assez tôt pour pouvoir franchir les
défilés du Taurus avant le gros de l'hiver.

De toute façon, c'est en 48 que nous placerons la conférence de
Jérusalem, ainsi que le conflit d'Antioche, qui apparemment l'a
suivie de près. Entre Ga 2 et Ac 15, il y a des différences
qui ne sont pas toutes faciles à expliquer; mais les concordances
l'emportent: même question, traitée entre les mêmes hommes, et pour
l'essentiel même accord. Ce sont bien deux récits du même événement.
On ne peut sans arbitraire identifier le voyage à Jérusalem dont
parle Ga 2 avec celui qui est mentionné Ac 11:30 et Ac
12:25. Là, les circonstances sont tout autres: Barnabas et Paul ne
vont à Jérusalem que pour porter un secours de la part de l'Église
d'Antioche, et ce secours est remis aux anciens; les apôtres ne sont
même pas nommés. En outre, le silence de l'épître aux Galates sur la
grande réunion racontée Ac 15 ne s'expliquerait que dans le cas
où cette épître daterait d'avant cette réunion. Et alors, il faudrait
admettre qu'elle a pour destinataires les habitants de la Pisidie et
de la Lycaonie évangélisés lors du premier voyage de Paul (Ac 13
et Ac 14). Ces contrées faisaient partie, c'est vrai, de la
Galatie au sens administratif, de la province romaine de la Galatie.
Mais il vaut mieux ne pas avoir à chercher là les Galates auxquels
Paul s'adresse dans son épître (3:1), car cette hypothèse
«sud-galatique» se soutient mal. Les habitants de Lystre ou
d'Antioche de Pisidie auraient été plutôt surpris de s'entendre
appeler du même nom que les descendants des envahisseurs celtes fixés
à Ancyre, Pessinonte et Tavium, sous prétexte qu'ils étaient
gouvernés par le même légat propréteur. Nous ne croyons pas non plus
à la possibilité de rapprocher Ga 2 de Ac 18:22. Dans ce
dernier texte, les mots «étant monté et ayant salué l'Église»
paraissent bien indiquer une visite de Paul à Jérusalem. Mais à cette
époque il s'était séparé de Barnabas (Ac 15:39). Et rien ne
donne à penser que cette visite ait marqué dans l'histoire de ses
relations avec les premiers apôtres.

C'est donc en remontant à partir de 48, date du concile
apostolique (Ga 2 =Ac 15), qu'il faut compter les quatorze
ans après lesquels Paul dit être allé à Jérusalem avec
Barnabas (Ga 2:1). La traduction «après» ou «au bout de»,
communément admise ici pour la préposition dia avec le génitif,
est rejetée par M. Ch. Bruston. Selon lui, Paul écrirait avant le
concile apostolique; il voudrait dire que «pendant» les quatorze ans
écoulés entre sa première venue à Jérusalem et le moment où il écrit,
il y est retourné une fois, une seule, à savoir dans la circonstance
rapportée par Ac 11:30. Mais lorsque la même préposition, suivie
aussi d'une indication numérique de durée, a le sens de «pendant»,
«en l'espace de» (Ac 1:3,Mt 26:61), on veut parler d'une action
qui se poursuit ou se répète durant tout le temps indiqué, et non
d'une action qui tomberait à un moment donné de cette période. Le
sens «après un intervalle de» est classique (Hérodote, VI, 118,
«après vingt ans»); ici c'est le seul qui convienne.

La vraie difficulté est celle-ci: Paul compte-t-il dix-sept ans
ou seulement quatorze, entre sa conversion et la conférence de
Jérusalem? Après la phrase relative à la conversion et à ses suites
immédiates (Ga 1:15 et suivants), viennent trois «ensuite» qui
s'enchaînent: «ensuite, trois ans après, je montai à
Jérusalem» (Ga 1:18); «ensuite, je me rendis dans les régions de
la Syrie et de la Cilicie» (Ga 1:21); «ensuite, au bout de
quatorze ans, de nouveau je montai à Jérusalem» (Ga 2:1). Le
deuxième marque la succession des faits, mais n'entre pas dans le
compte des années. Le troisième, numériquement déterminé comme le
premier, introduit le récit d'une nouvelle entrevue des apôtres.
Cette indication reporte donc plus naturellement le lecteur à la
mention de la première entrevue qu'au point de départ de
l'énumération. Aussi admettrons-nous, quoique l'autre manière de
compter ne puisse être péremptoirement exclue, que les quatorze ans
de Ga 2:1 ne doivent pas comprendre les trois ans de Ga
1:18, mais s'y ajouter. Nous aurions donc 3 + 14 =17, et 48--17 =
31, date de la conversion. Il convient cependant de remarquer que
l'usage des anciens permettait de dire «après trois années» du moment
qu'on en était à la troisième selon le calendrier, et alors même
qu'une seule des trois, celle du milieu, se trouvait entière, les
deux autres n'étant représentées que par des fractions. Quand il
s'agit de la résurrection de notre Seigneur, dont le corps devait
rester dans le tombeau du vendredi soir au dimanche matin, «après
trois jours» (Mr 8:31 9:31 10:34) ne signifie pas autre chose
que «le troisième jour». Ainsi, dans le cas qui nous occupe, la date
qu'on obtient en soustrayant 17 de 48 correspond à un maximum
possible d'intervalle. Mais on a des chances de serrer la réalité de
plus près, en diminuant d'une unité, comme le font certains
chronologistes, chacun des deux chiffres cités par l'apôtre, en
comptant donc deux ans au lieu de trois, treize au lieu de quatorze,
et quinze en tout au lieu de dix-sept; ce qui ferait remonter la
conversion de Paul non pas à 31 ap. J.-C, mais seulement à 33.

Ni les Actes ni les épîtres ne nous fournissent le moyen de
préciser davantage. Si l'apparition qui a converti Saul de Tarse est
mise par saint Paul à la suite de celles qui avaient été accordées à
ses prédécesseurs dans l'apostolat (1Co 15:5,8), il n'en résulte
pas nécessairement qu'elle doive avoir eu lieu à une date très
rapprochée de la mort du Christ. Les événements racontés dans les
premiers chapitres des Actes, y compris la mort d'Etienne, la
persécution qui suivit, et l'évangélisation de la Samarie par les
disciples que la persécution avait dispersés, paraissent plutôt
réclamer un intervalle assez long. Le Sauveur ayant été crucifié au
printemps de l'an 30, ce n'est qu'à la rigueur qu'on peut dater de
l'année suivante la conversion de Saul le persécuteur. Pour la placer
en 31, plus précisément en automne de cette année, on s'est appuyé
sur un passage de l'Ascension d'Ésaïe, pseudépigraphe dont la partie
chrétienne date du II e siècle. On y lit (9:16) que le Fils de
l'homme restera 545 jours (dix-huit mois) dans ce monde après sa
résurrection. Irénée a recueilli la même donnée chez les gnostiques
(Adv. hoer., I, 3:2, 30:14). Suivant une hypothèse adoptée par
Harnack, cette croyance proviendrait de ce qu'il s'était écoulé
dix-huit mois entre la résurrection et l'apparition à Paul, envisagée
comme la dernière de celles du Christ ressuscité. C'est peut-être
faire bien de l'honneur à une telle tradition que de lui attribuer
une origine historique. Nous nous bornerons donc à maintenir la
possibilité de la conversion en 31, tout en donnant la préférence à
la manière de compter qui retarde cet événement d'un à deux ans.

Mais on invoque souvent, en faveur d'une date plus tardive
encore, un argument tiré de l'épisode de la fuite de Damas (Ac
9:23,25,2Co 11:32 et suivant). Selon notre estimation, cet épisode,
à la suite duquel Paul vint à Jérusalem pour la première fois après
sa conversion, se placerait en 34 (trois ans après 31) ou mieux en 35
(deux ans après 33). Mais la mention de «l'ethnarque du roi Arétas»,
dans le texte de 2 Cor., est interprétée par bien des auteurs comme
établissant que ce roi nabatéen (Arétas IV, père de la première femme
d'Hérode Antipas) était alors en possession de la ville de Damas. On
juge peu vraisemblable qu'il ait pu s'en emparer de force, mais on
suppose-qu'il l'aurait reçue amiablement de l'empereur Caligula.
Ainsi l'évasion dans la corbeille serait postérieure à la mort de
Tibère (37), et la conversion de Paul devrait être retardée en
conséquence. Mais il n'y a d'autre preuve de cette prétendue cession
que l'absence de l'effigie de Caligula et de celle de Claude dans la
série des monnaies de Damas. Preuve trop négative pour appuyer
suffisamment une telle hypothèse. Nous ignorons du reste la nature
exacte des pouvoirs que possédait ledit ethnarque, comme aussi la
nature exacte des circonstances qui ont rendu possible l'organisation
du guet-apens auquel Paul n'échappa qu'à si grand'peine. Si l'on veut
que cette affaire soit en rapport avec une éclipse de l'autorité
romaine à Damas, pourquoi ce phénomène, d'assez peu de durée pour que
les historiens n'en disent mot, ne se serait-il pas produit à une
date antérieure à 37? Tout ce qu'on peut conclure, au point de vue
chronologique, du bref passage où Paul évoque cette périlleuse
aventure des premiers temps de son apostolat, c'est qu'elle date
d'avant la mort d'Arétas, qui survint en 40. Et cette conclusion
n'est guère utile pour nous, car nous n'avons pas besoin d'autant de
marge qu'elle nous en laisse.

Nous avons parlé plus haut de la famine prédite par Agabus. C'est
en 45 ou en 46 que Barnabas et Paul ont dû venir à Jérusalem avec
l'offrande fraternelle de l'Église d'Antioche. Nombreux sont les
critiques qui nient ce voyage, le considérant comme exclu par les
déclarations de l'épître aux Galates. Il est vrai que Paul ne
mentionne qu'une visite faite par lui aux apôtres entre sa conversion
et la conférence apostolique. Mais s'il prend Dieu à témoin de
l'exactitude de son dire (Ga 1:20), ce n'est point pour assurer
que l'énumération de ses voyages à Jérusalem sera complète. Il veut
prouver qu'il tient son mandat de Dieu et non des hommes (Ga
1:11 et suivant). Cette preuve est faite puisqu'il n'a vu Pierre et
Jacques que trois ans après s'être converti, et qu'il n'a pas attendu
leur approbation pour prêcher l'Évangile. Cependant les «colonnes de
l'Église» ont expressément reconnu la validité de sa mission, et il
veut aussi qu'on le sache. C'est pourquoi il parle ensuite de
l'entrevue de 48. Mais quand il dit: «Je montai de nouveau à
Jérusalem» (Ga 2:1), rien ne force à croire que ce de
nouveau
signifie pour la seconde fois. Il ne serait guère utile
à son dessein de noter qu'on l'a vu une fois à Jérusalem dans
l'intervalle, à un moment où Pierre n'y était probablement pas. (cf.
Ac 12:17) S'il mentionne sa promesse d'intéresser les Églises
des Gentils au sort de la communauté primitive, c'est que cette
promesse, à laquelle il n'a pas manqué de faire honneur (Ga
2:10), a la valeur d'un gage d'union. Il n'est pas obligé pour cela
de rappeler que déjà auparavant il était venu avec Barnabas, comme
délégué de l'Église d'Antioche, alors qu'il ne s'agissait que de
secourir des frères durement éprouvés.

De 45/46 à 48, on a le temps voulu pour le voyage missionnaire
raconté aux ch. 13 et 14 des Actes, et pour le séjour de quelque
durée que Paul et Barnabas firent à Antioche (14:28) avant de se
rendre à la conférence de Jérusalem. Après les nouvelles
pérégrinations qui remplissent l'année 49, vient l'important séjour à
Corinthe dont on peut, grâce au synchronisme que nous avons étudié,
faire le pivot de la chronologie paulinienne, et qui s'étend selon
nous du début ou du printemps de 50 à l'automne de 51. De retour à
Antioche, Paul y resta un «certain temps» (Ac 18:22),
c'est-à-dire sans doute y séjourna pendant l'hiver de 51 à 52. Puis
il se remit en route et parcourut la Galatie et la Phrygie,
«fortifiant tous les disciples» (Ac 18:23). On ne nous dit pas
combien cette tournée apostolique prit de mois, mais il nous paraît
excessif de la faire durer jusqu'au printemps de l'année suivante.
Disons seulement que l'année 52 devait être à son déclin quand, des
hautes régions de l'Asie Mineure, Paul arriva à Éphèse.

Le séjour qu'il fit dans cette ville fut long, riche en travaux
et en combats (Ac 19,1Co 15:32 16:9,2Co 1:8 et suivants), et
coupé par un voyage à Corinthe (2Co 2:1 12:14 13:1 et suivant).
Dans son discours de Milet, adressé aux anciens de l'Église d'Éphèse,
il évalue à trois ans la durée de son ministère au milieu
d'eux (Ac 20:31). L'auteur des Actes indique trois mois de
prédication à la synagogue (Ac 19:8) et deux ans d'enseignement
à l'école de Tyrannus (Ac 19:10). Mais il est possible que ces
deux chiffres n'embrassent pas la totalité du séjour: il faudrait y
ajouter le temps que Paul resta en Asie après avoir envoyé Timothée
et Éraste en Macédoine (Ac 19:22). D'autre part, en disant
«trois ans», l'apôtre peut arrondir son total. On ne doit pas être
loin de compte en admettant que cette période éphésienne a commencé
en 52 (automne) et s'est terminée en 55 (printemps), ce qui fait deux
années et demie.

En Macédoine, où il passa ensuite après un arrêt à Troas,
(Ac 20:18,2Co 2:12 et suivant) Paul paraît avoir déployé une grande
activité, malgré le tourment d'esprit que lui causait la crise
corinthienne et malgré les difficultés que lui suscitaient comme
partout les ennemis de son oeuvre (2Co 7:5). Il s'occupa de la
collecte en faveur des saints de Jérusalem, à laquelle les Églises de
Macédoine contribuèrent généreusement (2Co 8:1 et suivants). Il
travailla aussi parmi les païens: c'est alors, semble-t-il, qu'il
porta l'Évangile jusqu'aux confins de l'Illyrie, sinon jusqu'à
l'intérieur de ce pays (Ro 15:19). Rejoint entre temps par Tite,
qui lui apportait des nouvelles rassurantes de Corinthe (2Co
7:6 et suivant), il l'y renvoya (2Co 8:6), probablement avec la
lettre que nous appelons la seconde aux Corinthiens. A la fin de
l'année, il se rendit lui-même en Grèce, c'est-à-dire sans doute à
Corinthe, et y séjourna trois mois (Ac 20:2 et suivant), qui
doivent correspondre à l'hiver de 55 à 56. Revenu en Macédoine, il
s'embarqua à Néapolis, port de Philippes, «après les jours des
azymes» (Ac 20:6). Si l'on était certain que ce départ eut lieu
le lendemain même du 21 nisan, dernier jour des solennités pascales,
on pourrait, en tenant compte des cinq jours de traversée de Néapolis
à Troas, puis des sept jours d'arrêt dans cette ville, remonter à
partir du lundi, jour où Paul quitta Troas (verset 7), jusqu'au jour
où la Pâque avait été célébrée cette année; et l'astronomie pourrait
intervenir pour déterminer de quelle année il s'agit, avec toutes les
réserves qu'appelle le caractère peu rigoureux des observations
lunaires sur lesquelles se fondait le comput juif. Mais rien ne
prouve que l'apôtre et ses compagnons ne se soient pas embarqués
quelques jours seulement après la fin de la fête. On n'est pas
absolument sûr, d'ailleurs, de la façon dont les cinq et les sept
jours d'intervalle doivent être comptés. Il est question plus loin de
la hâte de Paul, qui voulait être à Jérusalem avant la Pentecôte.
Cette hâte se comprend d'autant mieux si d'abord il ne s'était pas
autrement pressé--c'est bien ce que semble indiquer son séjour d'une
semaine à Troas--, ou avait été retardé par les circonstances. Qu'il
soit ou non arrivé à temps, son arrestation dut suivre d'assez près
son arrivée (Ac 21:17 et suivants, 27 et suivants). Elle se
placerait donc aux environs de la Pentecôte de l'an 56.

Paul était prisonnier depuis deux ans quand le procurateur Félix
fut remplacé par Festus (Ac 24:27). Si nos estimations sont
justes, ce changement a eu lieu en 58. Mais plusieurs chronologistes,
pour les raisons que nous allons dire, croient devoir le mettre à une
date antérieure, et avancer en conséquence celle de l'emprisonnement
de Paul. Josèphe raconte (Ant., XX, 8:9) que Félix, rappelé à
Rome et accusé par les Juifs devant Néron, fut acquitté à cause du
crédit dont jouissait son frère Pallas. Le retour de Félix aurait
ainsi précédé la disgrâce de Pallas, qui se produisit peu avant le 13
février 55, jour où Britannicus devait avoir quatorze ans
(Tacite, Ann., XIII, 14:15; Suétone, Claud..
Mais comme le règne de Néron a commencé le
13 octobre 54, on ne voit pas la possibilité
de faire tenir entre cette date et le milieu de février tous les
événements qui se sont passés en Palestine après la mort de Claude,
puis le rappel du procurateur, son voyage à Rome, son procès. Il faut
croire que Pallas avait gardé assez d'influence, même après sa chute,
pour pouvoir aider l'un des siens à se tirer d'une mauvaise affaire.
A moins encore que son intervention n'ait été imaginée pour expliquer
un non-lieu dont les Juifs avaient dû être extrêmement mortifiés. Ce
que dit Josèphe du rôle de Pallas dans le procès de Félix ne saurait
donc nous obliger à reporter plus tôt les événements de cette partie
de la vie de Paul.

Mais on en appelle aussi à la Chronique d'Eusèbe, dont
l'édition latine, due à saint Jérôme, donne pour date au remplacement
de Félix par Festus la 2 e année de Néron (la date encore plus hâtive
indiquée par la version arménienne de la Chronique, à savoir la
14 e année de Claude, est contredite par Eusèbe lui-même, H.E.,
II, 22:1). Il s'agirait alors de l'année 55 /56, et l'arrestation de
Paul se trouverait remonter à la Pentecôte de 54. Voici cependant qui
nous empêche de nous fier ici à Eusèbe. Au moment où Paul fut arrêté,
le tribun crut avoir affaire à un Égyptien qui s'était mis quelque
temps auparavant à la tête d'une révolte (Ac 21:38). Josèphe
raconte la tentative de cet aventurier (Ant., XX, 8:6; G.J., II, 13:5);
il la place après l'avènement de Néron, donc pas avant
octobre 54. Conséquence: Félix ne peut avoir été remplacé en 55 /56.
car si tel était le cas, Paul, deux ans plus tôt, aurait été pris
pour l'auteur d'une sédition qui n'avait pas encore éclaté. Ce n'est
pas tout. L'entrée en charge de Félix peut être fixée assez
exactement à l'année 52. Josèphe (Ant., XX, 7:1) la mentionne
juste avant de noter l'achèvement de la 12 e année du principat de
Claude (janvier 53). D'après Tacite (Ann., XII, 54), Félix avait
déjà gouverné une partie de la Palestine du temps de Cumanus; mais
Josèphe, ici plus précis et plus circonstancié, le fait venir de Rome
seulement après la révocation de son prédécesseur (que Tacite raconte
aussi comme un des événements de l'année 52). Dès lors est-il
possible que Paul, comparaissant devant Félix en 54, lui ait dit
qu'il gouvernait la nation juive «depuis plusieurs années»? (Ac
24:10) Même si c'est là une formule de politesse, elle se comprend
mieux deux ans plus tard.

Quelques-uns admettent cependant qu'Eusèbe est en retard d'une
année et compte l'année 56/57 pour la 2 e de Néron. L'emprisonnement
de Paul tomberait alors en 55, date qui se rapprocherait déjà
davantage des vraisemblances historiques. Seulement le synchronisme
de Gallion empêche de faire commencer le troisième voyage avant
l'année 52; et ce voyage, ou plutôt cette grande période d'activité
qui comprend le séjour à Éphèse, ne peut pas se réduire à trois ans
et une fraction. Une année de plus est nécessaire. Il est à peu près
sûr, d'un autre côté, que le rappel de Félix n'est pas postérieur
à 60. En effet, il ne faut pas compter moins de deux ans pour les
événements qui se sont passés sous le successeur de Félix, Festus. Et
c'est en 62 au plus tard que celui-ci mourut, puisque Albinus, qui
lui succéda, était déjà en Palestine en automne de cette année. Comme
les fonctions de Félix ont débuté en 52, et qu'on doit bien leur
attribuer une longueur totale d'au moins six ans, le flottement se
limite entre 58 et 60. Ceux qui optent pour la date moyenne de 59
doivent mettre l'arrestation en 57. C'est possible en comptant trois
années pleines pour le séjour à Éphèse, et en allongeant de quelques
mois, soit le voyage d'Antioche à Éphèse (Ac 18:23 et Ac
19:1), de manière que Paul n'arrive dans cette ville qu'au
printemps de 53, soit la phase Troas-Macédoine (2Co 2:12,13,Ac
20:1-2), qui aurait commencé en 55 et rempli presque toute
l'année 56. La supputation à laquelle nous nous sommes arrêté nous
paraît avoir l'avantage de ne pas trop distendre les intervalles,
sans toutefois avoir l'inconvénient de les resserrer trop.

Le départ de Paul pour Rome, décidé dès que Festus, nouvellement
entré en charge, l'eut entendu en appeler à César (Ac 25:12),
eut lieu dans l'automne de la même année, qui est pour nous
l'année 58. Le jeûne de Kippour était passé quand le navire qui
portait l'apôtre et ses compagnons toucha à Beaux-Ports, sur la côte
méridionale de l'île de Crète (Ac 27:8 et suivant). Les trois
mois de séjour à Malte après la tempête et l'échouage, puis le voyage
de Malte à Syracuse et de Syracuse à Rome (28:1,15), nous amènent à
la fin de février ou au commencement de mars de l'année 59. Et deux
ans après, en 61, s'achève le temps pendant lequel Paul fut gardé à
domicile par un soldat (Ac 28:16,30).

La tradition très ferme de l'ancienne Église est que les apôtres
Pierre et Paul ont subi tous deux le martyre à Rome, sous Néron. Il
n'y a aucune raison valable d'en douter, mais la date de leur mort ne
peut pas être fixée avec certitude, et quand Denys de Corinthe (cité
par Eusèbe, H.E., II, 25:8) déclare qu'ils ont rendu témoignage
«dans le même temps», on n'est pas sûr que cette simultanéité doive
s'entendre à la lettre.

Une opinion qui s'exprime souvent est que Paul a été condamné et
exécuté au bout de ses deux ans de captivité mitigée. Mais si la
carrière de l'apôtre s'était terminée à ce moment-là et de cette
façon, l'auteur des Actes l'aurait su, puisqu'il parle de ces deux
ans comme d'une période close et révolue. Et il n'aurait pu moins
faire que d'indiquer d'un mot ce dénouement tragique, qu'on ne
pouvait espérer cacher en le taisant, à supposer qu'on en eût envie.
Selon toute apparence, Luc se proposait de reprendre dans un autre
livre son récit interrompu. On ne sait ce qui l'a empêché de donner
cette suite à son ouvrage, mais c'était une bonne manière de
l'amorcer que de dire brièvement comment Paul, arrivé à Rome, y vécut
en attendant l'issue de son procès. Seulement, si ce procès--le
premier--n'avait pas abouti à un élargissement suivi d'une nouvelle
phase d'activité missionnaire, il n'eût pas été raisonnable de
laisser en suspens une histoire qui allait toucher à sa fin. La
mention du voyage en Espagne, qui se trouve dans l'épître de saint
Clément aux Corinthiens sous la forme d'une périphrase d'ailleurs
assez claire (V, 7), puis en termes exprès dans le fragment de
Muratori, ne doit pas reposer uniquement sur le texte où Paul annonce
son intention de se rendre dans ce pays (Ro 15:24,28). Aurait-on
même conclu à tort du projet formé au projet exécuté, il n'est guère
croyable que cette conclusion eût pu être tirée et se faire accepter
si l'on n'avait su que l'apôtre, libéré après une première captivité,
était parti pour de nouveaux voyages. Enfin, les épîtres pastorales
apportent en faveur de cette libération un témoignage dont toute la
valeur ne dépend pas, quoi qu'on en dise, de la question préalable de
leur authenticité; car si ces lettres étaient l'oeuvre d'un
faussaire, il les aurait mieux accréditées en les mettant en rapport
avec des circonstances réelles et connues qu'en leur donnant un cadre
historique fictif.

Resterait à savoir si Paul, revenu à Rome, est mort dans la
persécution qui suivit l'incendie de juillet 64, ce que beaucoup
d'auteurs admettent pour lui comme pour Pierre, ou s'il faut songer à
une autre date. Clément romain parle d'abord du martyre des deux
apôtres (V, 3-7), puis de celui d'une «grande foule d'élus» qui vint
s'adjoindre à eux (VI, 1,2). Il est clair que, par cette foule,
l'évêque de Rome entend les victimes de l'horrible exécution
collective dont l'incendie fut le prétexte (Tacite, Ann., XV,
44). Mais son langage n'est pas de nature à ce qu'on en puisse tirer
des conclusions précises au sujet de l'époque de la mort des apôtres.
Et quand il fait allusion au témoignage rendu par Paul «devant ceux
qui gouvernent», ces expressions font penser à un jugement régulier
plutôt qu'à des supplices où les chrétiens furent conduits en masse.
On considérera aussi le texte de Caïus (cité par Eusèbe, H.E.,
II, 25:7), qui atteste vers 200 la localisation distincte des
tombeaux apostoliques, et encore la tradition relative à la manière
dont Pierre et Paul auraient péri: le premier crucifié, le second
décapité, comme un condamné dont la qualité de citoyen romain aurait
été reconnue. Tout cela donne quelque consistance à l'idée que Paul
au moins serait mort à une date postérieure à la persécution de 64;
non pas antérieure, car on ne voit pas qu'auparavant la «superstition
nouvelle» (Suétone, Nero, 16) ait été un motif de condamnation.
Signalons la date indiquée par Eusèbe (Chronique, éd.
hiéronymienne): 14 e année de Néron (67/68). Mais il en fait à la
fois celle du double martyre de Pierre et de Paul et celle de la
persécution néronienne qu'on rapporte d'après Tacite à l'année 64.
Néron étant mort le 9 juin 68, nous nous bornerons à dire que la fin
glorieuse des deux apôtres ne peut se placer ni avant 64, ni après 68.


Tableau récapitulatif.

Nativité: 7 ou 6 av. notre ère.

Début du ministère public: 27 ou 28 ap. J.-C.

Passion de notre Seigneur: 30.

Conversion de saint Paul:(31) 33.

Premier voyage de Paul à Jérusalem: (34) 35.

Persécution d'Hérode

Agrippa: 44.

Secours apporté par Barnabas et Paul à Jérusalem: 45 ou 56.

Conférence de Jérusalem: 48.

Paul à Corinthe: 50-51

Comparution devant Gallion: été 51.

Paul à Éphèse: 52-55.

Arrestation à Jérusalem: 56.

Captivité à Césarée: 56-58.

Arrivée à Rome: 59.

Fin du récit des Actes: 61?.

Mort des apôtres Pierre et Paul: entre 64 et 68.

Ruine de Jérusalem: 70.


BIBLIOGRAPHIE

--On a pris le parti de ne mentionner ici, à quelques exceptions
près, que des ouvrages, articles et monographies qui ont paru ou ont
été réédités depuis 1900 (pour la chronologie paulinienne: depuis
1905, date de la publication de l'inscription de Delphes). Et encore,
parmi les très nombreuses publications postérieures qui intéressent
la chronologie du N.T., s'est-on borné à faire un choix, soit pour
compléter l'indication des références utilisées dans le présent
article, soit pour signaler des travaux d'une importance particulière.

-Ch. Babut, Le proconsul Gallion et saint Paul. Rev. d'hist. et
de litt. relig., II, 1911.

-A. Brassac, Une inscription de Delphes et la chronologie de saint
Paul.
Rev. bibl. internat., X, janv. et avril 1913.

-Ch. Brusïon, Les dates principales de la vie de saint Paul, de sa
conversion à sa première épître
(et autres et. de chronol.
paulin.). Rev. Montaub., XXII, 1913.

-E. Cavaignac, Chronologie, 1925.

-A. Deissmann, Paulus, 1911.

-J.K. Fotheringham, Astronomical Evidence for the date of the
Crucifixion.
Journ. of theol. Stud., XII, oct. 1910.

-F. Godet, Introd. N.T., 2 vol., 1893-1897; Comment, sur l'év.
de saint Jean,
3 vol., 4 e éd., 1901-1903.

-JYI Goguel, Essai sur la chronol. paulinienne. RHR, LXV, 1912;
Notes d'hist. évangélique. Le problème chronologique. Ibid.,

LXXIV, 1916; Introd. N.T. (en cours de publication depuis
1922;voir en particulier le chap. de chronologie paulinienne du t.
IV, 1re part., p. 81ss); Jean-Baptiste, 1928.

-E. Jacquier, Introd. au Nouv.T., 4 vol. (chacun rééd. plusieurs
fois); Les Actes des apôtres, 1926.

-M.-J. Lagrange, Du Sinaï à Jérusalem, Rev. Bbl., oct. 1897
(voir p. 618); Évangile selon saint Marc, 4 e éd., 1929
(et Comment., sur Matthieu Luc Jn .chacun rééd. plusieurs fois); Ép. aux
Galates,
2 e éd., 1926; L'Évangile de J.-C, 1928.

-A. Loisy, Les livres du N.T., 1922 (aperçu chronol., p.
16-17;voir aussi Comment, du même auteur).

-A.J. Maclean, Art. Chronol. of the N.T., DB, 6 e éd., 1924.

-Th. MoilM-sen, Le droit public romain, trad. franc, (voir t.
III, p. 274SS, sur les gouverneurs de provinces; t. V, p. 6oss, sur
l'année: impériale tribunitienne).

-F. Prat, La chronologie de l'âge apostolique. Recherches de
science religieuse, III, 1912; La théologie de saint Paul, t. I,
13 e éd., 1927 (Note A: La chronologie de l'apostolat de P.)

-CH. Turner, Chronol. of the N.T., HDB, t. I, 1898.

-A. Westfhal, Jésus de Nazareth D'après les témoins de sa vie,
2.vol.,. 1914; Les apôtres, 1918.