CANON DU N.T.

La religion chrétienne a toujours eu un livre canonique, c-à-d.
contenant la règle de la foi et de la vie et possédant, en vertu de
son inspiration divine, une autorité souveraine pour tous les
croyants.

Pour Jésus, ce livre saint était la Bible de son peuple. Nous ne
savons pas au juste de quels ouvrages celle-ci se composait, car
l'A.T. hébreu n'a été définitivement clos qu'après l'ère chrétienne.
Jésus parle avec la plus grande vénération et une entière confiance
de la «Loi» et des «Prophètes», et s'il entend les Écritures d'une
manière nouvelle, plus profonde et vraiment spirituelle, s'il les
interprète avec originalité, c'est, dans son intention, pour leur
restituer leur pleine signification et les rétablir dans leur
véritable dignité. Au reste, Jésus puisait ses convictions
religieuses ailleurs encore que dans l'A.T. Il les trouvait dans une
certaine intuition de Dieu qui lui était propre et qui constitue
l'adorable mystère de sa personne unique. Dieu lui parlait
directement et c'est au nom de cette parole intérieure qu'il savait,
dans la Bible, noter ce qui est éternel et ce qui est
transitoire (Mt 5:21,46) et faire le départ entre ce qui est de
Moïse et ce qui est de Dieu (Mr 10:1-9).

Jésus n'a jamais pensé que là Bible telle qu'il la possédait fût
insuffisante et dût être complétée. Il n'a pas écrit une ligne pour y
ajouter quoi que ce soit et il n'a jamais ordonné à ses disciples
d'accomplir un tel travail.

Les chrétiens de la génération apostolique ont, sur ce point,
partagé entièrement l'opinion de leur Maître. Il ont cru à la Bible,
l'ont lue dans leurs cultes, l'ont méditée et y ont trouvé la
confirmation de leur foi. Seulement, lorsque le christianisme passa,
peu après sa naissance, du milieu juif dans le monde gréco-romain, la
Bible qui fit loi ne fut plus l'hébraïque, mais la grecque: celle des
LXX C'est elle qui est presque exclusivement citée dans le N.T. Elle
était plus longue que la nôtre (qui est traduite de l'hébr.) et
possédait peut-être même des livres ou des fragments qui ont
totalement disparu. (cf. 1Co 2:9,Eph 5:14,Jude 1:9)

Les Douze et l'apôtre Paul n'eurent pas plus que Jésus l'idée de
composer des oeuvres dignes d'être mises au même niveau que les
écrits bibliques. Les ép. de Paul sont des lettres tout
occasionnelles, adressées à des lecteurs bien déterminés. Elles sont
en quelque mesure des commentaires et des applications de
l'enseignement biblique, mais ne veulent nullement s'égaler à l'A.T.
Paul demande sans doute qu'on le lise avec la déférence que l'on doit
à tout homme qui s'exprime au nom de Dieu, en qualité d'ambassadeur
du Christ (2Co 5:20) --prétention que tout chrétien authentique
a le droit d'émettre--mais il est le premier à confesser que sa
connaissance est limitée et n'a rien d'infaillible (1Co 13:12);
et lorsque, sur telle ou telle question, il ne peut recourir à une
parole formelle des Écritures ou du Christ, il se borne à donner
modestement un conseil ou un avis (1Co 7:25). Si quelqu'un lui
avait dit qu'il était un autre Ésaïe ou un autre Moïse, il aurait vu
dans ce propos une flatterie qui l'eût sûrement scandalisé. Parmi
tous les charismes qu'il énumère, il ignore celui de composer des
ouvrages sacrés destinés à parachever la Bible.

A l'égard de la Bible, les Juifs avaient exactement la même
attitude de soumission respectueuse que les chrétiens, et pourtant
ceux-ci les tenaient pour des mécréants incapables de comprendre leur
propre Livre (2Co 3:14-16). C'est que les chrétiens
reconnaissaient encore une autre autorité, égale et semblable en
droit à celle de la Bible, puisque toutes deux procédaient du même
Saint-Esprit, mais en fait supérieure: la parole et la vie du Christ,
ou, comme ils disaient: le Seigneur. Ce que le Seigneur avait dit
était la vérité même et ne se discutait pas. Lorsque Paul se fondait
sur une parole du Seigneur, il donnait non plus des conseils, mais
des ordres (1Co 7:10). On méditait les grands événements de la
vie de Jésus et on se pénétrait de son exemple (1Co 11:23,Ga
3:1,Php 2:5-8). Ce qui avait trait à son histoire et à son
enseignement formait la matière d'une tradition non encore écrite,
qui passait de bouche en bouche et que l'on conservait
pieusement (1Co 15:3).

C'est à la lumière de leur foi au Christ que les croyants
lisaient l'A.T. Celui-ci s'éclairait dès lors pour eux d'un jour
nouveau et leur découvrait des profondeurs insoupçonnées des Juifs. A
chaque page, les fidèles s'ingéniaient à discerner des prophéties ou
des préfigurations de ce que Jésus avait dû accomplir, de sorte que
la Bible devenait à leurs yeux un livre de moins en moins juif et de
plus en plus chrétien. Ils pratiquaient sans scrupule la méthode
d'interprétation allégorique dont les Juifs avaient usé avant eux et
qui consiste à ôter aux mots ou aux faits leur sens naturel et
habituel pour leur en donner un nouveau, symbolique ou spirituel,
accessible aux seuls initiés (ex. d'interpr. allég.: 1Co 10:24,Ga
4:21-26).

Dans la période suivante, c-à-d. approximativement entre la mort
de Paul et 140, nous retrouvons les deux autorités que nous avons
notées dans l'âge apostolique et nous en voyons paraître une
troisième. Les Écritures sont lues avec une ferveur qui ne se
refroidit point (2Ti 3:16). On note que Jésus les a accomplies
jusque dans les moindres détails. (Tout Matthieu, Jn 19:28, etc.).
L'interprétation allégorique se développe et légitime les exégèses
les plus ingénieuses. (ex.: Heb 6:20-7:28; ép. de Barnabas;
Dialogue avec Tryphon)

D'autre part, l'autorité du Seigneur grandit encore si possible.
Comme les témoins de sa vie vieillissent et disparaissent et que la
fin du monde, qu'on avait crue imminente (1Th 4:17), tarde à
venir, on éprouve le besoin d'assurer aux générations futures la
connaissance du Christ, de sa doctrine et de son histoire. On
commence donc à consigner par écrit le trésor de la tradition orale.

Ce sont d'abord des collections plus ou moins considérables de
paroles du Maître, puis des ébauches d'évangiles (Lu 1:1,4) et
enfin nos évangiles. Mais, tout comme dans la période précédente,
ceux qui se mettent à composer des ouvrages chrétiens n'ont nullement
la prétention de donner au monde des textes divins, sous l'ordre et
la dictée de l'Esprit, en vue d'enrichir la Bible. Le prologue de
l'évangile de Luc n'exprime rien d'autre que les sentiments d'un
historien chrétien voulant à la fois faire oeuvre de vérité et
glorifier son Sauveur. L'auteur du 4 e évangile renonce à entrer dans
plus de détails, non parce que l'inspiration lui fait soudainement
défaut, mais parce que, très humainement, il estime en avoir assez
dit pour provoquer chez ses lecteurs la foi en Jésus (Jn 20:30
et suivant). L'auteur de l'Apocalypse, il est vrai, réclame une
adhésion entière à ce qu'il écrit (Ap 22:18 et suivant). Mais
cette impérieuse intransigeance est nécessairement celle de tout
prophète. Quiconque a conscience de parler par mandat spécial de Dieu
pour transmettre une révélation, a le droit d'être écouté et cru
comme Dieu lui-même. Toutefois, nous ne trouvons rien, ni dans
l'Apocalypse, ni dans les fragments que nous possédons de l'
Apocalypse de Pierre , ni dans le Pasteur d'Hermas , qui nous
autorise à penser que leurs auteurs avaient l'ambition d'ajouter leur
oeuvre à la Bible. Celle-ci demeure toujours l'unique et intangible
autorité scripturaire.

Dans les évangiles, ce qui est sacré, c'est le Seigneur dont ils
sont remplis. Mais on sait encore fort bien distinguer entre le
contenant et le contenu. C'est le contenu qui fait la valeur du
contenant, et non l'inverse, ainsi que ce sera le cas lorsque les
évangiles seront devenus canoniques.

Bien des recueils de paroles du Christ ou de récits de sa vie
sont nés et ont disparu après une existence éphémère, remplacés par
d'autres plus complets. On ne se fait alors nul cas de conscience de
corriger l'évangile qu'on a entre les mains, d'y ajouter quelque
détail, d'y introduire telle parole du Sauveur que l'on connaît par
la tradition orale ou par quelque autre écrit (texte amplifié du II e
siècle, représenté en particulier par le Codex Cantabrigiensis). Les
Pères du II e siècle citent les évangiles avec une liberté qui montre
que, pour eux, le fond importe encore plus que la forme, et que la
lettre des livres chrétiens n'a pas encore été divinisée. Papias,
évêque de Hiérapolis en Phrygie, à qui nous devons les plus anciens
renseignements que nous possédions sur quelques-uns de nos évangiles,
déclarait, dans la première moitié du II° siècle, préférer la
tradition orale aux évangiles écrits (voir Évangile Synopt.).

Mais, à côté de l'autorité de l'A.T. et du Seigneur, nous en
voyons, vers la fin du I er siècle, surgir une troisième qui
désormais ne fera que grandir et aura une fortune singulière: celle
des Apôtres.

D'emblée, et comme de juste, les Apôtres jouirent dans l'Église
d'une considération toute spéciale. Choisis par le Christ, témoins de
sa vie, héritiers de sa pensée, continuateurs de son oeuvre, premiers
missionnaires, il était fort légitime qu'ils fussent hautement
estimés. Toutefois, au début du christianisme, ils étaient encore des
hommes. Leur titre n'avait pas encore auréolé leur personnalité au
point que leur personnalité ne comptât plus. Ce qu'ils étaient en
tant qu'hommes contribuait pour le moins autant a leur prestige que
leur qualité d'apôtres. C'est pourquoi quelques-uns d'entre eux
passèrent au premier plan, tandis que d'autres demeurèrent
extrêmement effacés et ne laissèrent aucun souvenir. Au siècle
apostolique, c'est l'homme plus que la fonction qui faisait la valeur
de l'apôtre. Il arriva même que Paul, p. ex., oublia la fonction pour
ne voir que l'homme. C'est ainsi qu'il résista en face à Pierre et le
réprimanda «parce que, écrit-il, son attitude le condamnait
et...Qu'il ne marchait pas droit selon la vérité de
l'Évangile» (Ga 2:11,14).

Dans les générations suivantes, il n'en va plus de même. On ne
voit plus les petites ombres, les côtés trop humains. On ne se
souvient plus qu'il y eut des différends entre les apôtres et qu'ils
ne furent pas toujours d'accord. On ne sait désormais qu'une chose,
c'est que le Seigneur a fait d'eux les dépositaires de la vérité
chrétienne, qu'ils ont organisé l'Église selon ses directions et que
c'est à leur message qu'on doit la certitude du salut. De même que le
Christ est le médiateur indispensable entre Dieu et les hommes, les
Apôtres sont les intermédiaires entre le Seigneur et l'humanité. S'ils
n'avaient pas parlé et s'ils n'avaient pas écrit, comment
connaîtrait-on le Fils et l'Évangile? Les évangiles insistent sans
doute sur les faiblesses et l'inintelligence des disciples, mais cela
doit montrer toute l'efficacité de l'action merveilleuse que l'Esprit
exerça ensuite en eux pour faire d'eux les apôtres qu'ils devinrent.
Plusieurs textes évangéliques (d'entre les moins primitifs) exaltent
leur dignité sans pareille et leur rôle incomparable (Mr 4:11,Mt
28:16-20, cf. Ap 21:14).

Après avoir consacré un premier livre à Jésus, l'auteur du 3 e
évangile n'hésite pas à en écrire un second sur les Apôtres. La
légende ne tarde pas à s'emparer de leur personne et à leur attribuer
une stature surhumaine. On assiste au II e siècle à toute une
floraison d' «Actes» des divers Apôtres, tous plus merveilleux les
uns que les autres et plus chargés de miracles que l'histoire des
plus illustres héros de l'A.T. Donc, là où est l'Apôtre, là aussi le
Christ est sûrement. C'est ainsi que les Apôtres deviennent pour les
chrétiens la troisième autorité canonique. On trouve exprimée cette
triple autorité qui régira désormais la chrétienté dans l'ouvrage le
moins ancien du N.T., 2Pi 3:2: «pour que vous vous souveniez des
prédictions faites par les saints Prophètes, et du commandement de
notre Seigneur et Sauveur, transmis par vos Apôtres» (cf. ép. de
Polycarpe 6:3).

On ne se soucie pas encore de déterminer au juste quels ouvrages
ont vraiment les Apôtres pour auteurs. Cette préoccupation ne viendra
que plus tard et donnera lieu à un travail de triage qui exigera
beaucoup de temps et de peine. A l'époque où nous en sommes, il
suffit à l'Église de savoir que ce sont les Apôtres qui l'ont fondée
conformément aux indications du Seigneur, qu'ils sont donc le canon
de sa constitution et qu'ils lui ont transmis les paroles du
Seigneur, qui sont le canon de sa foi et de sa morale.

C'est dans ces conditions que ne tarda pas à se former toute une
littérature chrétienne: nos évangiles et d'autres, plus ou moins
fragmentaires, dont certains ne nous sont plus connus que de nom,
lettres de Paul, Apocalypses, petits traités de piété, de controverse
ou de morale rédigés sous forme épistolaire (ép. cathol.), Actes
divers d'Apôtres, lettres de chrétiens contemporains justement
vénérés.

Les Églises rassemblaient autant qu'elles pouvaient de cette
littérature qui leur était précieuse, et l'utilisaient dans leurs
cultes en en faisant la lecture, à côté de celle de la Bible. Ces
ouvrages, lus dans les milieux les plus divers, perdaient--les ép. de
Paul en particulier--ce qu'ils avaient eu de spécial et d'occasionnel
à leur origine. Chacun les considérait comme écrits pour lui et
s'adressant à lui. C'est alors sans doute que se produisirent des
interpolations très antiques, comme celle de 1Co 1:2 où Paul
salue, non seulement ses lecteurs, mais aussi «tous ceux qui, en tout
lieu, invoquent le nom du Seigneur Jésus». Échappant ainsi aux lois
de la contingence historique, tous ces écrits constituaient les
éléments de ce qui allait devenir le nouveau livre sacré des
chrétiens. Si l'on veut donner déjà à ces ouvrages le nom de N.T., il
faut alors reconnaître qu'il n'y a pas eu un N.T. primitif, mais
qu'il en exista un grand nombre, collections plus ou moins abondantes
dont on ne peut dire que l'une fût plus légitime et plus véritable
que l'autre.

La première trace d'un recueil canonique chrétien se rencontre
chez Justin Martyr (100?-165?). Lorsqu'il parle de «nos Livres», il
n'entend pas seulement l'A.T. ni toute la littérature chrétienne, y
compris ses propres ouvrages, mais bien un certain nombre d'écrits
constituant la charte du christianisme authentique. Ce qui fait leur
autorité, selon Justin, et les met à part, c'est qu'ils ont été
inspirés par le Saint-Esprit et composés par des Apôtres. Dans sa 1
re Apologie (67:3), il rapporte qu'aux cultes de son temps on lisait
chaque dimanche les «Mémoires des Apôtres» (les évangiles) et les
«Prophètes», plaçant--est-ce fortuitement?--lesdits «Mémoires» au
premier rang.

Ce canon scripturaire de Justin comprenait les évangiles; comme
il ne les désigne pas par leur nom particulier, mais se contente de
produire des textes comme appartenant à l'évangile, et comme d'autre
part il cite très librement, il est difficile de déterminer avec
précision quels évangile il connaissait et déclarait canoniques.
C'étaient fort probablement nos quatre évangiles et peut-être encore
un cinquième, que certains pensent avoir été celui de Pierre. Il
comprenait aussi l'Apocalypse. Justin utilise aussi quelques ép. de
Paul, Héb., Act.; mais pour citer ces ouvrages-là, il n'emploie pas
la formule: «il est écrit» qui était réservée aux textes sacrés et
dont il use couramment quand il s'agit des évangiles. Justin Martyr
nous renseigne sur ce qu'on pensait à Rome vers 150. Mais d'autres
témoignages nous permettent de faire ailleurs des constatations
analogues. Hégésippe, p. ex., entre 173 et 190, raconte dans ses
récits de voyage, qu'Eusèbe nous a conservés, qu'il a trouvé les
Églises unanimes dans la profession de la doctrine qui a pour normes
la Loi, les Prophètes et le Seigneur. Par ce dernier mot, Hégésippe
entend les évangiles, qu'il connaît très bien, «Le Seigneur», c-à-d.
un certain nombre d'évangiles, immédiatement ou médiatement
apostoliques, telle est donc la première forme sûrement attestée du
nouveau canon scripturaire des chrétiens.

Nous en trouvons une seconde forme, beaucoup plus précise, chez
le gnostique Marcion qui sortit vers 140 de l'Église et se dressa
contre elle pour la réformer et la ramener à ce qu'il affirmait être
le véritable Évangile. Il établit une liste des livres sacrés devant
faire loi pour les chrétiens en matière de foi, de culte et de
discipline. Ce canon comprenait aussi «le Seigneur», mais celui-ci
était réduit au seul évangile de Luc, considérablement abrégé. A cette
première partie, Marcion en ajouta une seconde, qu'il nomma
«l'Apôtre» ou «l'Apostolique», composée de dix ép. de Paul (nos
treize ép. moins les ép. pastorales). On ne sache pas qu'il ait donné
un nom à l'ensemble de ces deux parties, qui constituait bien un N.T.
rudimentaire.

Cette introduction par Marcion des ép. dans le canon chrétien
fut-elle une innovation que l'Église n'aurait pas tardé à imiter, ou
bien existait-elle déjà avant que l'illustre hérétique eût établi son
canon particulier? Les avis sur ce point sont divisés. Notons en tout
cas que, si 2Pi 3:16 est postérieur à 140, nous n'avons aucune
preuve de canonisation des ép. antérieures à Marcion; et remarquons
aussi que nul autant que lui n'avait intérêt à canoniser ces épîtres.
Marcion, en effet, rejetait le Dieu des Juifs et l'A.T., livre de ce
Dieu. Il tenait Paul pour l'unique héritier légitime de la pensée de
Jésus et le seul détenteur de la vérité apostolique. Pas plus que ses
contemporains, d'autre part, il ne pouvait concevoir une religion
dépourvue d'un livre saint. Tout cela devait le pousser à faire des
ép. de Paul l'élément central du canon de son Église.

Quoi qu'il en soit, on peut dire que, vers 150, l'Église a et
veut avoir une collection de livres chrétiens répartis en deux
groupes: «le Seigneur», et «l'Apostolique», où les ép. de Paul
occupent presque toute la place.

Pendant la seconde moitié du II e siècle, nous voyons se préciser
le contenu du «Seigneur» et s'enrichir celui de «l'Apostolique». On
arrive assez vite à n'admettre dans «le Seigneur» que nos quatre
évangile canoniques. Il règne cependant encore une certaine liberté
en ce domaine. Plusieurs Églises continuent de lire dans leurs cultes
l'évangile de Pierre. Tatien, disciple de Justin, compose son
«Diatessaron » (harmonie) qui combine en un seul nos quatre évangiles
et qui a un tel succès que, jusqu'au V e siècle, les Eglises de Syrie
le lisent avec prédilection. Vers 175, le prêtre romain Gaïus, qui
est bon catholique, peut combattre le 4 e évangile et soutenir que
celui-ci n'est pas de Jean, mais bien de l'hérétique Cérinthe.
D'autre part, les ép. de Paul prennent une autorité toujours plus
canonique. Athénagore, vers 177, cite des textes de 1 et 2Co comme il
citerait l'A.T.; Théophile d'Antioche, vers 190, présente un
groupement de paroles pauliniennes comme «ordonnances de la Parole
divine».

Une nuance entre «le Seigneur» et «l'Apôtre» subsiste peut-être
encore dans ce curieux passage des Actes des Martyrs de Scillita
(Numidie, juill. 180), où un chrétien répond à un proconsul qui lui
demandait:

«Quels objets avez-vous dans vos armoires?--Nos livres, et en
outre les épîtres de Paul, homme juste.» A côté de ces ép., d'autres
ouvrages, que nous allons voir, viennent prendre place dans
«l'Apostolique».

Vers la fin du II e siècle, un certain nombre de renseignements
montrent combien, en cinquante années, la notion et les contours du
canon se sont précisés. C'est le moment où fleurissent trois grands
théologiens: Irénée de Lyon, Tertullien de Carthage, et Clément
d'Alexandrie, représentant chacun l'une des branches principales de
la chrétienté. Tous trois sont d'accord pour considérer comme seuls
canoniques nos quatre évangiles. Irénée estime même que ce nombre est
providentiel, car il correspond, dans la nature, aux quatre vents,
et, dans la Bible, aux quatre animaux fantastiques de la vision de
Eze 1:6-12 (origine des symboles évangéliques). Au sujet de
«l'Apostolique», leur unanimité est moins parfaite. Ils reconnaissent
les uns et les autres la canonicité des treize ép. de Paul, Apoc,
Act., 1Pi et 1Jean. Par contre, à propos de Héb., Jacq., Jude, 2 et
3Jean, leurs opinions divergent. Irénée ne connaît ni Jude, ni 2 et
3Jean et il ne tient pas Heb et Jacques pour des écrits sacrés. Avec
Tertullien, Jude fait son entrée dans le canon, mais il n'est pas
certain que Tertullien ait admis Jacq.; quant à Héb., il la cite une
fois comme oeuvre de Barnabas, disciple des Apôtres. Clément ne
semble pas avoir connu Jacques. Tous ignorent encore 2Pi (qui
n'apparaît comme sûrement canonique que chez des auteurs du III e
siècle: Origène et Firmilien de Césarée en Cappadoce, dans sa lettre
à Cyprien). Ces mêmes théologiens tiennent pour canoniques d'autres
ouvrages qui ne font plus partie de notre N.T.: Irénée, p. ex., cite
comme parole d'Écriture la 1 re ép. de Clément romain et le Pasteur
d'Hermas; Tertullien, du moins dans la partie orthodoxe de sa
carrière, utilise de même le Pasteur d'Hermas; Clément d'Alexandrie
pareillement. Ce dernier emploie avec une égale piété d'autres
ouvrages encore, tels que la 1 re ép. de Clément, l'épître de
Barnabas et la Doctrine des Apôtres.

Il nous reste à mentionner un important document qui appartient à
la même époque. C'est le fragment de Muratori: 85 lignes écrites en
un latin barbare vraisemblablement traduit du grec, provenant sans
doute de Rome et datant d'environ 200. Ce précieux texte, mutilé au
début, contient la liste des livres du N.T. considérés comme
canoniques, avec diverses remarques explicatives. Cette liste
comprend nos quatre évangiles (et ceux-ci sont déjà si généralement
admis à l'exclusion de tout autre que l'auteur ne se donne pas la
peine d'écarter les év. apocr.), les «Actes de tous les apôtres
écrits en un seul livre» (ce qui met de côté les nombreux «Actes»
apocr.), les ép. de Paul (neuf à des Églises et quatre à des
particuliers), Jude, 1 et 2 Jean, l' Apo de Jean et l' Apo de Pierre
(de laquelle il est dit que certains s'opposent à ce qu'on en fasse
la lecture publique). Par contre, Héb., 1Pierre (peut-être par
inadvertance), 2Pierre, Jacques et 3Jean ne sont pas mentionnés. D'autres
livres sont explicitement exclus du canon, tel le Pasteur d'Hermas,
ou même vivement combattus, p. ex. l'épître aux Laodicéens et celle
aux Alexandrins, faussement attribuées à Paul.

Voilà donc le livre des chrétiens dûment constitué. Pourquoi
l'Église s'est-elle ainsi, entre 150 et 200, donné un nouveau recueil
canonique? Il y a lieu de distinguer, sur ce point, entre les raisons
des théologiens et des chefs et celles des simples fidèles. Ceux-ci,
nous l'avons vu, avaient accordé aux Apôtres une place tout à fait à
part dans l'humanité et les égalaient aux plus grandes figures de
l'A.T. Que leurs écrits parussent à la foule des croyants aussi
divins et aussi intangibles que ceux de la Bible, n'a rien qui doive
nous surprendre; d'autant moins qu'on lisait ces écrits dans les
cultes, à côté de ceux de l'A.T., et que les auditeurs y trouvaient bien
plus distinctement, plus immédiatement accessibles à chaque
conscience droite, la doctrine et la morale évangéliques. Comment
n'eût-on pas divinisé des ouvrages où l'on éprouvait si nettement
l'action de Dieu? Les âmes tenaient en singulière vénération les
livres qui les faisaient vivre, sans trop se soucier de leur origine
et sans faire preuve a leur égard de la moindre défiance critique.

Les théologiens et les évêques, eux, avaient à défendre l'Église
contre les entreprises des hérétiques. A tous ces hommes qui
prétendaient représenter un christianisme supérieur et qui les
accusaient d'infidélité, ils devaient pouvoir opposer les documents
certains du christianisme des Apôtres. De même, dans leurs polémiques
contre les Juifs et surtout contre les philosophes païens, dans leur
activité missionnaire, dans les apologies de leur foi qu'ils
présentaient à l'Empire persécuteur, il leur fallait pouvoir produire
un code authentique de leur doctrine, de leur morale et de leur
discipline.

Le canon chrétien fut donc tout ensemble un instrument
d'édification, d'organisation, de défense et de combat, et il naquit
d'un compromis entre les habitudes du peuple chrétien et la science
de ses conducteurs. On le voit bien quand on lit les explications du
canon de Muratori (comme du reste celles d'Irénée, de Tertullien et
de Clément d'Alexandrie), où c'est tantôt le fait qu'un ouvrage est
lu dans toutes les Églises, tantôt l'orthodoxie de son contenu,
tantôt son origine apostolique, qui le rend canonique. Il est
cependant juste de dire qu'en principe et en intention l'Église ne
voulut conférer la canonicité qu'aux livres écrits par les Apôtres ou
sous leur garantie.

A partir de 200, la tâche que l'Église aura à accomplir dans le
domaine du Canon et dont elle s'acquittera avec une pleine conscience
du but à atteindre, sera triple:

supprimer les différences existant dans les divers
milieux au sujet des livres canoniques;

réunir dans «l'Apostolique» tout ce qui est digne
d'y figurer;

rejeter de cet «Apostolique» les ouvrages qui
n'ont pas le droit d'en faire partie. Voyons brièvement comment elle
accomplit cette oeuvre.

D'abord l'Église latine. Comme cette Église avait déjà le besoin
d'unité, l'esprit de discipline et le sens juridique qui la
caractérisent et que, d'autre part, elle possédait de moins grands
savants que l'Église d'Orient, la formation de son canon n'offre pas
les nuances et les complexités que nous rencontrons dans l'Église
grecque. Elle n'a jamais mis en doute l' Apo de Jean et c'est grâce à
sa ténacité que ce livre fut finalement canonisé aussi par la
chrétienté orientale.

Le groupe des sept ép. cathol. ne s'est constitué que lentement.
Cyprien de Carthage (Mort en 258) ne cite que 1Jean et 1Pi; Hilaire
de Poitiers (Mort en 366) semble ne reconnaître que Jas; Ambroise de
Milan (Mort en 397) ne paraît pas encore accepter Jacq., Jude,
2Pierre, 2Jean et 3Jean. Nous possédons deux canons latins du IV e
siècle: le canon de Mommsen, où ne sont mentionnés comme canoniques
que 1 et 2Pi et 1, 2, 3Jean, et le Catalogus claromontanus, qui
contient nos sept ép. cath.; seulement il n'est pas certain que ce
dernier soit d'origine occidentale. L'ép. aux Heb n'a pas été admise
sans difficulté dans le canon latin. Le schismatique Novatien, à
Rome, vers 255, la tenait pour canonique et l'attribuait au «très
saint Barnabas». Mais ce n'est que dans la seconde moitié du IV e
siècle que nous la voyons apparaître, en qualité d'ép. paulinienne et
canonique, chez les théologiens occidentaux.

Quant aux livres plus ou moins anciens, mais non apostoliques,
dont plusieurs étaient et restèrent longtemps utilisés par l'Église
grecque, le catholicisme latin se montra très vite fort défiant à
leur égard et paraît n'avoir eu guère de peine à les exclure (sauf
peut-être la pseudo-ép. aux Laodicéens qu'on retrouve, même au Moyen
âge, dans certains manuscrits latin, parfois à la place de l'épître
aux Héb., et qui se rencontre jusque dans quelques manuscrits de la
Vulgate). Un des motifs qui furent allégués contre Priscillien et le
firent condamner finalement à mort (385), fut précisément sa
prédilection coupable pour ce genre d'écrits.

En 382, sous le pape Damase, un synode tenu à Rome établit le
nombre des ouvrages chrétiens canonisés par l'Église catholique. Ces
ouvrages sont, selon ledit décret: quatre év., quatorze ép. de Paul
dont, au dernier rang, Héb., Apoc., Act., sept ép. cathol. Cette
décision constitue une date à retenir, car, si l'ordre des livres
qu'elle canonise variera encore, ces livres eux-mêmes sont ceux dont
sa compose notre N.T. Grâce à l'influence d'Augustin, l'Afrique du N.
adopta le canon romain dans les synodes d'Hippone (393) et de
Carthage (397 et 419).

C'est le Concile de Trente qui, en 1545, a officiellement et
définitivement fixé le canon de l'Église catholique, en décrétant
l'égalité parfaite des vingt-sept livres qui le composent, en les
classant dans l'ordre où nous les possédons aujourd'hui et en mettant
l'autorité de la Vulg, (texte latin) au-dessus de celle du texte
original.

En passant à l'Église grecque, nous entrons dans une histoire
beaucoup plus complexe. Ici, «l'Apostolique» est extrêmement riche et
touffu, et l'on n'arrivera à en arrêter le contenu qu'au prix de
longs efforts et de laborieuses amputations. Durant tout le III e
siècle, p. ex., les théologiens emploient couramment le Pasteur
d'Hermas comme canonique, et Méthodius d'Olympe (Mort en 311) place
dans son canon l' Apo de Pierre. Deux hommes s'appliquèrent à mettre
de l'ordre dans cette confusion. Ce furent Origène (185-254) et
Eusèbe de Césarée (260?-340?). Origène établit trois catégories de
livres chrétiens en prenant pour norme l'opinion générale de la
chrétienté:


Les ouvrages reconnus de tous pour apostoliques et canoniques
(homologoumènes), à savoir: quatre évangiles, Act., Apoc, 1Pi.,
1Jean, les ép. de Paul (il n'en précise pas le nombre, sachant que
l'Occident ne veut pas de l'épître aux Heb qu'il tient, lui, pour
canonique).

Les ouvrages contestés (antilégomènes), qui
sont Heb, 2Pi, 2 et 3Jean; plus bas dans ce groupe: Jude
et Jacq., et plus bas encore, peut-être Hermas.

Les ouvrages décidément inauthentiques et par
conséquent à rejeter (pseudê), qu'il énumère parce qu'ils étaient
encore connus et utilisés dans son milieu et qu'il s'agissait de les
combattre. Eusèbe reprend, en la modifiant un peu, la classification
de l'illustre maître qu'il admire. Comme lui il croit que l'épître
aux Heb est paulinienne. Ce qu'il y a de nouveau dans son canon,
c'est qu'il relègue décidément Hermas au rang des livres à repousser
et qu'il place l' Apocalypse soit parmi les livres de la première catégorie
(il se souvient du jugement d'Origène), soit parmi ceux de la
troisième (il songe à l'opinion défavorable de l'Église d'Orient).

Les sept ép. cathol. reçurent peu à peu droit de cité dans le
canon. Leur nombre sacré de 7 dut contribuer à les faire admettre en
bloc. Ce n'est qu'à propos de l' Apo que l'accord avec l'Église
romaine fut lent à s'établir. Nous possédons un assez grand nombre de
listes des livres canoniques grecs datant de la fin du IV e siècle;
toutes, à part (sauf erreur) celle d'Athanase (367), comptent
vingt-six livres dans le N.T., c-à-d. n'y comprennent pas l' Apo Il
n'y a plus de place dans ces listes pour les livres douteux. Ou bien
un ouvrage est canonique, ou bien il ne l'est pas. Quoique Athanase
fît minorité, la considération dont il jouissait était si grande que
ce fut pourtant son opinion au sujet de l' Apo et son désir de
réaliser dans le domaine du canon l'unité avec l'Occident qui
finirent par prévaloir. A partir de 400, le nombre des partisans de
l' Apo en Orient se mit à croître. Vers 500, André de Césarée publia
le premier commentaire grec sur ce livre. Toutefois, la liberté
relative des premiers siècles subsista plus longtemps que dans le
catholicisme romain. De très importants manuscrits des IV e et V e
siècle contiennent encore dans le N.T. des ouvrages tels que l'épître
de Barnabas, le Pasteur d'Hermas et les ép. de Clément. Jusqu'au X e
siècle, nous trouvons des manuscrits du N.T. qui n'ont pas l'Apoc,
tandis que celle-ci se rencontre dans des manuscrits théologiques.

Ce n'est qu'en 1672, au synode de Jérusalem, que le canon de
l'Église orthodoxe fut solennellement clos avec ses vingt-sept livres
et en tout semblable (moins la question du texte) à celui de l'Église
romaine.

L'Église nationale de Syrie (nationale depuis le baptême de son
roi Abgar IX, vers 200), qui parlait le syriaque et avait pour centre
non pas Antioche, ville cosmopolite, mais Édesse (aujourd'hui Ourfa),
eut un développement à part et une histoire à elle. Dès
170, elle posséda, au lieu des quatre évangiles, une combinaison de
ceux-ci en langue syriaque: le Diatessaron de Tatien. Jusqu'après
400, c'est sous cette forme presque exclusivement qu'elle voulut
connaître et commenter la vie et l'enseignement de Jésus. Il existait
bien depuis 200 une traduction des quatre évangiles, des «séparés»
ainsi qu'on les nommait, mais elle ne parvint pas à gagner la faveur
publique au point de supplanter le Diatessaron. Ce n'est qu'au V e
siècle, et non sans luttes, que celui-ci fut mis hors d'usage.

Une liste découverte au Sinaï et datant du IV e siècle (Can.
Sin.) nous renseigne sur le canon de l'Église syriaque à cette
époque. Il comprenait, outre les quatre évangiles, les ép. de Paul,
parmi lesquelles Héb., en bonne place, non à la fin, et Actes. Il ne
renfermait donc ni l'Apoc, ni les ép. cathol.; il s'y trouvait par
contre une ép. attribuée à Paul (3e aux Cor.) et la réponse des
Corinthiens à Paul.

A partir des premières années du V e siècle, une partie de
l'Église nationale syrienne se rapprocha de l'Église d'Orient. C'est
alors que parut, vers 430, la première «Peschitto» (la simple) du
N.T. Celle-ci, au cours de ses révisions diverses, admit
successivement les sept ép. cathol., que tous les chrétiens syriens
furent du reste loin d'adopter unanimement. L' Apo ne fut reçue que
des siècles plus tard, surtout dans les milieux monophysites. Par
contre, les Nestoriens, qui se séparèrent de l'Église et, chassés de
Syrie, se réfugièrent en Perse, conservèrent le canon de la 1 re
Peschitto (quatre évangiles, Act., quatorze ép. de Paul, Jacq., 1Jean,
1 P.).

Lors de la Renaissance, les humanistes, Érasme en particulier,
n'ignorèrent pas l'histoire du canon et les doutes qu'elle fait
naître au sujet de l'apostolicité et donc de l'autorité de certains
livres du N.T. Mais ils étaient prudents et ne voulaient pas avoir
d'affaires avec l'Église, aussi ne poussèrent-ils pas très loin leurs
recherches dans ce domaine.

Pour les protestants, la question du canon constitua un problème
délicat. Ils se fondèrent sur les Écritures pour élaborer leur
doctrine, confirmer leur foi et combattre le catholicisme. Mais,
pouvait leur répondre ce dernier, et il ne s'en fit pas faute, ces
Écritures que vous invoquez pour vous soustraire à mon autorité,
elles sont miennes, c'est moi qui les ai choisies, moi qui les ai
canonisées; que vous le vouliez ou non, vous acceptez la loi d'un
livre catholique! Pour ne plus rien devoir au catholicisme, Luther
essaya d'élaborer un nouveau canon. Identifiant le christianisme avec
la proclamation du salut par la foi, il déclara que les livres
enseignant le salut par la foi étaient seuls apostoliques et par
conséquent canoniques et, dans sa traduction du N.T., il modifia
l'ordre catholique des vingt-sept livres, reléguant à la fin ceux
dont l'apostolicité lui était suspecte, pour des raisons non
d'histoire, mais de sentiment: Héb., Jacq., Jude, Apo. C'était là une
norme toute subjective qui ne pouvait avoir de lendemain, car elle
eût permis à chaque protestant de se faire son canon personnel, ce
qui, a cette époque, eût paru inouï. Carlstadt, dans son Libellus
de canonicis scripturis
(1520), tenta de constituer un canon fondé
sur l'histoire. Il arrivait ainsi à distinguer trois catégories de
livres: de suprême autorité, d'autorité seconde, et de troisième
autorité et moindre célébrité. Mais ce canon nuancé, produit d'une
science humaine toujours révisable, n'avait pas l'autorité massive
que les fidèles réclamaient; et puis, cette histoire que Carlstadt
invoquait pour ou contre tel ou tel livre, c'était en définitive
l'histoire de ce que l'Église, par ses théologiens, ses papes et ses
conciles, en avait pensé.

Le protestantisme a donc renoncé très vite à se donner un nouveau
canon. Négligeant le fait--à vrai dire peu important--que les
Nestoriens ont un N.T. qui ne compte que vingt-deux livres, et que
l'Église éthiopienne d'Abyssinie en a trente-cinq dans le sien (nos
vingt-sept livres plus les huit livres des «Constitutions
apostoliques»), il a considéré que les Églises chrétiennes unanimes
reconnaissaient pour sacré et canonique le N.T. de vingt-sept livres,
et il l'a, lui aussi, reconnu pour tel, sans y changer quoi que ce
soit. Et comme Dieu leur avait parlé par le N.T. et qu'en eux le
Saint-Esprit rendait témoignage à la valeur souveraine et à la
vérité de ses pages, comme d'autre part le N.T. leur semblait
condamner radicalement l'Église dont il était l'oeuvre, les
protestants s'attachèrent à lui avec une ténacité et une ardeur sans
pareilles et ne voulurent s'inspirer que du Livre de la chrétienté
pour s'appliquer à construire une chrétienté meilleure.

Indiquons-en terminant que canon a pour sens primitif: règle,
limite, norme. C'est dans ce sens qu'il est employé dans le
N.T (Ga 6:16,2Co 10:13,15,16). Appliqué aux livres de la Bible,
vers 350, ce terme apparaît d'abord comme adjectif (un décret du
Concile de Laodicée, en 363, parle de livres canoniques), ou
comme participe (Athanase, en 367, emploie l'expression de livres
canonisés). Canon, synonyme de Bible, recueil des livres
canoniques, se trouve pour la première fois, à notre connaissance, en
380, chez Priscillien: «Qui est ce prophète, écrit-il, que nous ne
lisons pas dans le canon?»

J. Br.

Révision Yves Petrakian 2005