PARABOLE CHEZ LE MENUISIER
Pasteur Adrouchan
PETRAKIAN
Une vive dispute venait dĠclater dans lĠatelier du
menuisier.
Les outils destins travailler ensemble dans une
harmonie parfaite, lĠun compltant lĠautre, sĠtaient mis se critiquer
mutuellement.
JĠaffirme, dit le docteur VILEBREQUIN, savant renomm
pour ses recherches profondes, jĠaffirme que le frre RABOT, fait de lĠouvrage
trs superficiel. A le voir travailler, on dirait quĠil accomplit beaucoup, et
on se laisse facilement tromper par lĠabondance de copeaux qui sont le fruit de
son ouvrage ; mais hlas, il ne touche que la surface. Ah, il
mĠimpatiente ! Il faut aller au fond des choses, voil mon principe
moi È.
Je mĠincline devant votre sagesse, et jĠadmire
infiniment votre pntration, rplique le zl prdicateur MARTEAU, mais vous
conviendrez, cher frre, que votre influence ne sĠtend que sur un fort petit
cercle.
Ecoutez, matre MARTEAU, sĠcria matre CLOU dĠune
voix pointue, on vous entend de loin, cĠest incontestable ; mais je sais
par exprience que toute votre bruyante loquence ne touche que la tte.
Deux vieilles SCIES se mirent causer dĠun air
boudeur, et lĠune dĠelle grommela travers ses dents brches :
Il y a longtemps, bien longtemps, que je suis
mcontente de lĠtat des choses dans notre boutique. De mon temps, on disait
toujours : Ç qui va piano va sano È.
Moi, je nĠai jamais essay de nĠemployer que quelques minutes pour convertir
une planche en un tas de petits morceaux de bois. JĠallais et je venais
travers une planche, jusquĠ ce quĠune fibre aprs lĠautre et cd devant moi.
Oui, cĠtait un travail pnible, et long. Mais maintenant ! É On a des
machines et des arrangements de toutes sortes, des scies rondes qui tournent
sur place, et voil quĠen moins de rien on accomplit une besogne qui, si tout
allait selon les rgles, aurait exig au moins une heure de travail
consciencieux.
Allons donc, ma bonne Madame SCIE, dit lĠami CISEAU,
nous connaissons fort bien vos plaintes et vos regrets, mais permettez-moi de
vous dire quĠil sĠagit avant tout de constater quelle mthode est la plus
pratique et produit le plus de rsultats. Monsieur MARTEAU a t svrement
critiqu ; mais jĠavoue, et je parle par exprience, car jĠai travaill
pendant des annes sous sa direction, jĠavoue que son langage dcisif a une
influence extraordinaire. Chaque coup quĠil porte produit le rsultat voulu. On
peut en dire autant des outils nouveaux.
FER A CHEVAL, membre dĠune autre commune, se trouvait
par hasard dans lĠatelier et crut devoir se mler la conversation. Je
reconnais entirement dit-il toute la puissance quĠexerce Monsieur MARTEAU,
mais cĠest par Notre Prdicateur, lĠillustre Monsieur SOUFFLET DE FORGE, que jĠai
reu le plus de bien. Ah ! LĠardeur, voil ce quĠil nous faut ! Elle
sait fondre les cÏurs qui ont rsist la force. Que serais-je, moi, si ce
grand orateur nĠavait anim, de son haleine brlante, le feu qui mĠa
renouvel !
A ces mots, on entendit de part et dĠautre un murmure
dĠapprobation : Ç Oui, lĠardeur, voil ce qui nous manque ! Donnez-nous
de lĠardeur, et cela suffira È.
Le vnrable professeur LA MEULE avait t occup
jusquĠalors aiguiser quelques jeunes haches, et ne sĠtait pas ml la
conversation. Mais ce moment, il se retourna lentement et dit :
Ç Non, messieurs, lĠardeur ne suffit pas ! Si vous voulez assurer
votre travail un succs permanent, il vous faut quelque chose de plus encore
que de la ferveur. Oh ! JĠai fait beaucoup dĠexpriences, et jĠai vu bien
des tincelles qui se sont vite teintes, ou qui nĠont allum quĠun feu
destructeur. LĠexactitude, le jugement aiguis, lĠducation dans le sens le
plus absolu de ce terme, voil ce qui est indispensable pour tout instrument
qui veut accomplir quelque chose qui vaille et qui dure.
Pendant ce discours, bien des regards significatifs se
portrent sur lĠexcellent frre ETAU ouvrier quelque peu rude, mais tout fait
sincre, et dont le travail nĠtait pas demeur sans fruit.
Ç Quant moi, dit celui-ci dĠun ton simple et naturel,
je mĠefforce de bien saisir tous ceux que je rencontre, et une fois entre mes
mains je ne les lche pas de sitt. De cette manire, jĠai obtenu plus dĠune
fois des succs rjouissants. È
Les amis COMPAS et EQUERRE avaient gard jusquĠ ce
point un silence absolu ; mais la fin eux aussi se sentirent pousss
adresser leurs camarades une parole dĠexhortation srieuse. Ils exprimrent
la crainte quĠun zle outr ne puisse entraner lĠun ou lĠautre dĠentre eux
des prilleux extrmes. Ç Ceux-l seuls russissent, dirent-ils qui
marchent droit sur les lignes distinctement traces par le Modle È.
Ç Et cependant jĠai plant bien des clous sans
aucun dessin pralable È murmura MARTEAU, oubliant entirement pour le
moment la main qui lĠavait guid.
A ce moment la porte sĠouvrit et LE FILS DU
CHARPENTIER entra dans son atelier. Soudain la clameur cessa, et lĠon sĠaperut
que durant le long dbat entre les outils, il ne sĠtait fait aucun ouvrage. En
prsence du Matre il y eut harmonie et paix.
Le Matre tait occup construire le modle dĠun
temple. Sous sa main exerce le travail
avana rapidement, et chaque outil se mit accomplir joyeusement la tche
laquelle il tait destin. SCIE et MARTEAU, RABOT et VILLEBREQUIN, MEULE ET
ETAU, chacun fut employ son tour. Ils abandonnrent toujours leurs dissensions
gostes et se cdrent la place lĠun lĠautre, selon
le que progrs de lĠouvrage le demandait. Ainsi, sous la direction du Matre
incomparable, lĠÏuvre fut accomplie, et le jour vint o le temple lui-mme fut
achev la gloire de lĠEternel.
Pasteur Adrouchan
PETRAKIAN