169 - LE LEVAIN DES PHARISIENS.
« Gardez-vous du levain des pharisiens, qui est l’hypocrisie » (#Lu 12:1).
Notre siècle est plein
d’hypocrisie. Jamais les vaines prétentions ne furent plus en vogue que
de nos jours. Bien peu de personnes, je le crains, aiment la vérité
toute nue ; nous la supportons à peine dans nos maisons, et vous
ne voudriez guère trafiquer avec quelqu’un qui la dit toujours. En vous
promenant dans les rues d’une grande ville, ne dirait-on pas, à les
voir, que toutes les boutiques sont construites en marbre et que toutes
les portes sont faites d’acajou ou d’ébène ? Mais bientôt vous
découvrez que c’est à peine si vous rencontrez çà et là quelque peu de
ces précieux matériaux : tout n’est que mauvais bois ou mauvaise
brique que l’on a soigneusement recouverts de vernis et de peintures.
Je ne blâme pas cela, mais j’y vois une image du mal qui existe
intérieurement. Ce qui se voit dans nos rues se retrouve partout. En
morale et en religion aussi, on emploie force vernis et force peinture.
La contrefaçon en toutes choses est devenue si générale et s’est
perfectionnée à tel point, qu’on ne peut plus la distinguer que fort
difficilement de la réalité. La peinture imite si bien la nature, que
le regard de la sagesse a besoin d’une lumière extraordinaire pour
découvrir la différence entre le vrai et le faux. Et c’est en religion
surtout que l’illusion est facile. Il fut un temps où régnait une
intolérance bigote, — un temps où l’on pesait soigneusement
chaque homme dans la balance et où on le livrait aux flammes, pour peu
qu’il ne soit pas du poids exigé par l’orthodoxie du jour. Mais, dans
notre siècle de charité et de charité si bien entendue, la contrefaçon
est devenue une monnaie courante, et nul ne parait douter que la simple
apparence extérieure puisse avoir moins de valeur que la réalité
intérieure. S’il est donc une époque où l’on doive répéter cette
parole : « Gardez-vous du levain des pharisiens, qui est
l’hypocrisie », c’est bien la nôtre. Un pasteur n’a pas besoin de
prêcher sur ce texte dans les temps de persécution, quand les bûchers
se dressent et quand la roue est en pleine activité : peu d’hommes
songent alors à être hypocrites. Les supplices et les tortures sont les
plus sûrs moyens de découvrir l’imposture. De simples chrétiens de
parade ne s’exposeront jamais aux souffrances et à la mort pour l’amour
de Christ. Mais, de nos jours, où l’on nage dans la soie et le
velours, — de nos jours, où la religion est à la mode, où il
est d’une haute convenance d’honorer quiconque fait profession de
christianisme, — où la piété rapporte certain intérêt, il est
doublement urgent que le ministre du Seigneur élève sa voix et fasse
retentir la trompette d’alarme contre ce péché dominant :
« le levain des pharisiens, qui est l’hypocrisie ».
Je suis bien sûr que tout enfant
de Dieu doit parfois se prendre à douter de lui-même et à suspecter
jusqu’à sa propre foi.
« Celui qui ne douta jamais de son état,
Pourrait bien, hélas ! … en douter
Un jour, mais trop tard ! »
Toutefois, le chrétien
n’appartient pas à cette classe. Il peut être fort alarmé par moments,
et craindre que sa piété ne soit, après tout, qu’un beau semblant et sa
profession une vaine apparence. Celui qui est sincère se méfiera
quelquefois de lui-même et s’accusera de fausseté, tandis que celui qui
vit de fausseté se drapera invariablement dans une parfaite confiance
en lui-même. Mes bien-aimés frères en Christ, si vous doutez de vous en
ce moment, les vérités que je vais prononcer vous aideront, je
l’espère, à examiner le fond de vos cœurs et à éprouver vos moelles et
vos reins. Vous ne m’en voudrez pas, je le sais, d’être trop sévère,
mais vous direz plutôt : « Monsieur ; j’aime mieux
traiter les intérêts de mon âme d’une manière rigoureuse. Dites-moi
franchement et fidèlement quels sont les caractères de l’hypocrisie,
afin que je les cherche attentivement dans mon propre cœur, pour voir
si, par hasard, j’en posséderais quelques-uns. Je serai heureux de
pouvoir sortir de ce creuset comme un or épuré. »
Nous aurons donc à examiner
d’abord les caractères de l’hypocrite ; — en second
lieu, nous essaierons de lui régler son compte, pour apprécier ce qu’il
gagne et ce qu’il perd ; — enfin, nous offrirons un
remède contre l’hypocrisie, qui, si nous le portons partout avec nous,
nous préservera certainement de tromperie. Le remède est contenu dans
ces paroles qui suivent notre texte : « Il n’y a rien de
caché qui ne doive être découvert, ni rien de secret qui ne doive être
connu. Les choses donc que vous aurez dites dans les ténèbres seront
entendues dans la lumière, et ce que vous aurez dit à l’oreille dans
les chambres sera prêché sur les maisons. »
I.
Voyons d’abord les caractères de l’hypocrite. Le chapitre 22 de saint
Matthieu nous le décrit d’une manière détaillée, et je ne puis mieux le
dépeindre qu’en reprenant les paroles mêmes de Jésus-Christ.
On peut reconnaître l’hypocrite à
ceci : que ses paroles sont en flagrante contradiction avec ses
actions. « Ils disent et ne font pas », comme s’exprime le
Seigneur. L’hypocrite peut parler comme un ange ; il peut citer
une armée de textes ; il peut discourir sur toutes les matières
religieuses, — doctrines théologiques, questions
métaphysiques, difficultés expérimentales. À son propre jugement, il en
sait long, et quand il se lève pour parler vous vous sentirez peut-être
humilié de votre propre ignorance et effrayé de son grand savoir. Mais
examinez ses œuvres : que trouvez-vous alors ? Tout le
contraire de ce qu’il a si bien exprimé par ses paroles. Il dit aux
autres d’obéir à la loi : s’y conforme-t-il lui-même ?
Ah ! Non. Il déclare aux autres qu’ils doivent éprouver telle ou
telle chose, puis telle autre, et après cela telle autre encore, et il
leur décrit admirablement la marche ascendante de leurs expériences
chrétiennes, mieux que ne le ferait peut-être un chrétien véritable.
Mais y touche-t-il du bout du doigt ? Oh ! Non, en aucune
façon. Il veut bien dire aux autres ce qu’ils doivent faire ; mais
se souviendra-t-il de ses propres enseignements ? Non pas !
Suivez-le dans sa maison ; allez avec lui sur la place du
marché ; voyez-le à sa boutique, et si vous tenez à réfuter sa
prédication, vous n’avez qu’à prendre sa propre vie. — Cher
auditeur, est-ce là ton cas ? Tu es membre d’une église, tu es
diacre, ancien, pasteur peut-être : est-ce là ton histoire ?
Ta vie est-elle le rebours de tes paroles ? Tes mains
témoignent-elles contre tes lèvres ? Comment marches-tu ?
Nous sommes tous obligés de confesser avec la rougeur au front qu’en
quelque degré notre vie est en désaccord avec notre profession
chrétienne. Nous en rougissons et nous nous en humilions en gémissant.
Mais j’espère qu’il y en a ici quelques-uns qui peuvent dire :
« Malgré bien des infirmités, j’ai cependant essayé de tout mon
cœur de marcher dans la voie de tes commandements, ô mon Dieu ! Et
je n’ai jamais prononcé intentionnellement quelque chose avec mes
lèvres sans être bien déterminé à le mettre en
pratique. » — Ah ! Croyez-moi, chers auditeurs, il
est facile de dire, mais difficile de marcher. Tout homme peut parvenir
à bien parler ; il n’est pas si aisé d’agir. Pour que notre vie
soit sainte, il faut que la grâce descende dans nos cœurs, tandis que
cette grâce n’est plus nécessaire pour obtenir la piété des
paroles. — Le premier caractère de l’hypocrite, c’est donc la
contradiction qui existe entre ses discours et ses actes. Quelqu’un
s’est-il déjà reconnu à ce trait ? S’il en est un seul, qu’il se
considère comme déjà convaincu d’hypocrisie, qu’il baisse la tête et
qu’il confesse son péché !
Un autre caractère de l’hypocrite,
c’est que s’il fait bien quelque chose, c’est afin d’être vu des
hommes. L’hypocrite fait sonner la trompette devant ses aumônes et
préfère pour son lieu de prière le coin des rues. Pour lui, une vertu
qui se déploie dans les ténèbres est presque un vice ; il ne lui
trouve quelque attrait que lorsque tout le public peut la
contempler ; alors seulement il l’estime quelque peu. Semblable au
rossignol, le vrai chrétien ne chante guère que la nuit ; mais
l’hypocrite chante au grand jour, à l’heure où tous peuvent l’entendre
et le voir. Une conversation louangeuse lui est un véritable élixir, et
lorsqu’on le vante, l’adulation lui est plus douce que le vin le plus
délicat. Si on blâme quelque action vertueuse qu’il allait approuver,
il change aussitôt de manière de voir, car son thermomètre, c’est
l’opinion des hommes, — sa loi, c’est la recherche de sa
propre gloire. Il n’est vertueux que parce qu’il en retire de l’honneur
et de l’estime, et si demain le vice était mis à prime, il serait aussi
vicieux que tous les autres. Que de gens qui ne recherchent que
l’approbation ! Ils se soucient peu de toute piété secrète et ne
vivent que pour être vus des autres. Est-ce là notre cas ? Soyons
sincères vis-à-vis de nous-mêmes. Quand nous donnons aux pauvres,
aimons-nous à le faire secrètement, de manière à ce que nulle langue ne
puisse le dire ? Aimons-nous à présenter nos prières dans le
secret du cabinet, où Dieu, qui entend les cris que l’on pousse à
l’écart, prête l’oreille à nos supplications ? Oserons-nous dire
que nous ne modifierions pas notre conduite, si tous les hommes
devenaient à la fois aveugles, sourds et muets ? Oserons-nous
prétendre que l’opinion de nos semblables ne soit pas notre guide, et
que nous ne servons absolument que notre Dieu et notre
conscience, — que la flatterie ne peut rien nous faire faire
de mal, — ou que la peur du blâme n’est jamais le mobile qui
nous pousse à une bonne action ? Prenez garde ! Car quiconque
n’a pas, pour se bien conduire, de motif plus élevé que le désir de
l’approbation des hommes, risque extrêmement de n’être qu’un
hypocrite ; tandis que celui qui persiste à faire le bien
contrairement à l’avis de tout le monde, et par cela seul qu’il le
croit bien et qu’il se sent approuvé de Dieu, n’a guère à craindre
d’être un hypocrite. Il serait, en tout cas, un hypocrite d’une espèce
toute nouvelle. Les hypocrites font leurs bonnes œuvres pour être
approuvés. En est-il ainsi de vous ? Si tel est le cas, soyez
sincères, et autant vous seriez prompt à convaincre de ce péché votre
prochain, autant soyez-le de vous en convaincre vous-même.
Encore un caractère. L’hypocrite
aime les titres, les honneurs et les marques de considération. Rien ne
dilatait davantage le cœur du pharisien comme de s’entendre appeler
Rabbi ; jamais il ne jouissait mieux de sa grandeur que lorsqu’il
était huché sur le siège le plus élevé de la synagogue. Comment n’être
pas le meilleur des hommes, quand on a une place aussi éminente ?
Mais le vrai chrétien ne fait aucun cas des titres. C’est un des
caractères de la piété sincère que de considérer les titres de mépris
comme les seuls dignes d’être acceptés. — Il fut un temps où
le titre de méthodiste était une injure. Que firent les hommes pieux
que l’on désignait ainsi ? Ils dirent : « Vous nous
appelez méthodistes, comme pour nous insulter, n’est-ce pas ? Hé
bien ! Ce sera là notre titre. » — Le titre de
momier a été de tous le plus injurieux ; c’est celui
qu’employaient les buveurs et les jureurs pour désigner un homme pieux.
« Hé bien ! » a dit l’homme pieux, « appelez-moi
momier ; si c’est là un nom injurieux, je
l’accepte ». — Ainsi ont toujours fait partout et en
tout temps les chrétiens ; ils ont accepté le nom que leurs
ennemis leur donnaient par malice. Telle n’est pas la tactique de
l’hypocrite. Il prend les titres les plus honorables ; il veut
appartenir à la secte la plus respectable et y occuper la charge la
plus élevée. Hé bien ! Pouvez-vous dire, la main sur la
conscience, qu’en religion vous ne recherchez pas les honneurs et les
titres ? — Que vous mettez tout cela sous vos pieds, et
que vous ne voulez d’autre distinction que celle de pécheur sauvé par
grâce, — que celle de vous asseoir aux pieds de Jésus et
d’apprendre de Lui ? Êtes-vous résignés à être les adeptes
méprisés du Fils du charpentier, comme l’étaient les pêcheurs du lac de
Galilée ? S’il en est ainsi, vous n’êtes guère hypocrite, je
pense ; mais, si vous ne le suivez que parce que les hommes vous
en savent gré, ne songez plus à la sincérité de votre religion. Vous
êtes un hypocrite démasqué, et je vous signale comme tel devant cette
assemblée.
Mais l’un des caractères les plus
saillants, c’est celui-ci : L’hypocrite coule le moucheron et il
avale le chameau. De nos jours, les hypocrites ne nous en veulent pas
si nous mangeons sans nous être lavé les mains ; mais ils nous
attaquent si nous omettons certains détails cérémonials. La stricte
observance du sabbat a fourni à l’hypocrisie un de ses plus utiles
refuges. L’accomplissement d’actes de première nécessité est devenu
pour la parfaite sainteté pharisienne un objet de profonde horreur, et
les œuvres de charité, ainsi que les sourires de la joie, sont devenus
aux yeux des hypocrites des péchés mortels, par le seul fait que les
chrétiens s’y livraient le dimanche. Peu satisfaits de voir que notre
Père travaille sans cesse, que Jésus travaillait aussi, et quoique les
devoirs de la sympathie, de la miséricorde et de l’amour soient des
œuvres obligatoires en tout temps, ils ont accusé le chrétien qui s’y
appliquait le dimanche d’infraction coupable contre la loi de Dieu. La
moindre déviation des cérémonies religieuses est considérée par
l’hypocrite comme un péché de la plus haute gravité. Mais ce pauvre
homme qui vous blâmera sévèrement pour une faute de ce genre et qui en
cela coulera le moucheron, sera justement celui que vous surprendrez
trichant à la vente, fraudant ses marchandises, mentant, exagérant et
exploitant les pauvres. J’ai toujours observé que ceux qui s’en vont
minutieusement à la recherche des plus petites choses et qui essaient
sans cesse de partager, comme on dit, le cheveu en quatre, sont
précisément ceux qui négligent les choses les plus importantes de la
loi, et qui, tout en étant très stricts pour la dîme de la menthe, de
l’aneth et du cumin, font une effroyable contrebande des choses les
plus importantes et en remplissent hardiment leurs greniers et leurs
coffres-forts. Méfiez-vous, de vous-même toutes les fois que vous vous
sentirez plus attachés au soin des petites choses qu’à celui des
grandes. Si vous vous apercevez qu’il vous pèse davantage de manquer
une occasion de prendre la cène que de tromper une veuve, soyez
persuadé que cela va mal. Il est certain homme qui ne se fait aucun
scrupule de tuer tout ce qu’il rencontre ; mais si une goutte du
sang de ses victimes vient à rejaillir sur ses lèvres, il court chez le
prêtre de la tribu et lui confesse qu’il a commis un grand péché :
le sang a rejailli sur ses lèvres ! Que va-t-il faire pour que ce
péché lui soit pardonné ? — Or, il y a bien des gens de
cette force parmi nous. S’ils ont fait le moindre ouvrage le vendredi
saint ou le jour de Noël, juste ciel ! C’est un crime
épouvantable ; mais s’ils ne sont que paresseux pendant les six
jours de la semaine, ce n’est pas un péché. Soyez sûr que l’homme qui
coule un moucheron et qui avale un chameau est un trompeur.
Comprenez-moi bien ! J’aime qu’on coule le moucheron ; ce
n’est point cela que je blâme ; seulement, n’avalez pas ensuite le
chameau. Soyez aussi sévère que vous voudrez pour les petites
choses ; si vous croyez que telle bagatelle est un mal, elle est
péché pour vous. « Tout ce qui n’est pas de la foi est un
péché. » Si vous croyez qu’il soit mal de la faire, alors même
qu’un autre qui n’y met pas la même importance se la permettrait, ne
vous la permettez pas. Coulez le moucheron tant que vous voudrez ;
les moucherons gâteraient votre vin, et vous faites fort bien. Mais
alors n’ouvrez pas la bouche jusqu’aux oreilles pour avaler aussitôt
après un chameau ; car, si vous le faites, vous prouvez que vous
n’êtes pas enfant de Dieu, mais un infâme hypocrite.
En examinant ce chapitre de saint
Matthieu, vous y verrez encore que les hypocrites négligent tout ce que
la religion a d’intérieur, pour n’observer que la partie purement
extérieure. « Ils nettoient, comme disait Notre Seigneur, le
dehors de la coupe et du plat, mais au dedans ils sont pleins de rapine
et d’intempérance. » Il est bien des livres supérieurement reliés
qui ne contiennent rien qui vaille ; et il est des gens qui ont un
extérieur spirituel magnifique, mais dont le cœur est complètement
vide. N’en connaissez-vous point de semblables ? — Qui
sait ? Si vous vous connaissiez vous-même, vous en connaîtriez
un. — Ne connaissez-vous personne de strictement ponctuel et
méticuleux en religion, qui, pour rien au monde, ne manquerait un seul
moyen d’édification, qui parcourt le rituel, la liturgie et toutes les
cérémonies, sans en omettre un iota, et qui ne s’écarterait pas de
l’épaisseur d’un trait de lettre dans aucune de ses pratiques
religieuses ? Aux yeux du monde, de telles gens passent pour
éminemment pieux, parce qu’ils sont exacts et assidus dans tous leurs
devoirs extérieurs ; mais, avec tout cela, ils négligent
entièrement l’intérieur. Pourvu qu’ils aient reçu le pain et le vin,
ils ne s’inquiètent pas de savoir s’ils ont mangé la chair et bu le
sang de Christ ; pourvu qu’ils aient été baptisés d’eau, ils ne
s’inquiètent guère de savoir s’ils ont été ensevelis avec Christ dans
la mort par le baptême. Pourvu qu’ils se soient présentés en chair et
en os dans le temple de Dieu, c’est tout ce qu’il leur faut ;
quant à savoir s’ils ont été ou non en communion avec Christ, cela ne
les préoccupe nullement. Non, ils sont contents pourvu qu’ils aient la
coquille de la noix et ne tiennent pas à la noix elle-même. Que le blé
aille où il voudra, pourvu que la paille, le chaume soient là :
ils leur suffisent. Il est beaucoup de personnes semblables à ces
auberges qui ont pour enseigne un ange, tandis qu’un diable habite dans
l’intérieur. Ces gens-là prennent grand soin d’avoir à l’extérieur une
très belle enseigne ; il faut que tout le monde sache bien qu’ils
sont très pieux. Mais, quant au dedans — ce qui est la partie
la plus importante, — ils sont remplis de malice et de
méchanceté. J’en ai rencontré un grand nombre qui se méprenaient et
disaient : « Ah ! Oui, le pauvre homme ! C’est un
ivrogne achevé, vraiment ; mais, au fond, c’est un bien bon
cœur. » Or, n’est-ce pas une chose parfaitement étrange, comme
disait Rowland Hill, qu’on vienne vous dire d’un homme qu’il est
mauvais, mais que cependant il est bon au fond ? Jamais les
marchands de fruits qui s’en vont au marché ne feront croire à leurs
chalands que s’ils ont des pommes pourries dans le haut de leurs
paniers, celles du fond seront excellentes. La conduite extérieure de
chacun vaut toujours un peu mieux que son cœur. Ils ne sont pas
nombreux les négociants qui vendent dans l’intérieur du magasin de
meilleure marchandise que celle qu’ils exposent à la vue. Ne vous
méprenez donc pas sur mon dire : quand je prétends que nous devons
faire plus attention à l’intérieur qu’à l’extérieur, ce n’est pas à
dire que je veuille vous voir négliger l’extérieur. « Nettoyez
l’extérieur de la coupe et du plat », nettoyez-le le mieux que
vous pourrez, mais prenez garde que l’intérieur soit aussi
approprié ; commencez même par là. Posez-vous des questions telles
que celles-ci : « Suis-je né de
nouveau ? — Suis-je passé des ténèbres à la
lumière ? — Ai-je été transporté du royaume de Satan
dans le royaume du Fils de Dieu ? — Est-ce que je vis en
communion intime avec Jésus et sous son doux
regard ? — Puis-je dire que mon âme ait soif du Dieu
vivant, comme le cerf altéré brame après les eaux courantes ? Car
si je ne puis pas répondre affirmativement, quelle que soit ma vie
extérieure, je trompe les autres et je me trompe moi-même ; la
malédiction de l’hypocrite retombe sur moi. J’ai nettoyé le dehors de
la coupe et du plat, mais le dedans est rempli de péché. » Ce
langage convient-il à quelqu’un d’entre vous ? Trouvez-vous que je
fasse ici des personnalités ? Si telle est votre impression, Dieu
en soit loué ! Puisse la vérité donner la mort à toutes vos
illusions !
Vous pouvez reconnaître
l’hypocrite à cet autre signe : que sa religion est intimement
liée à certains lieux et à certaines heures. Il se lève, je suppose, à
sept heures, et vous le verrez être religieux pendant un quart d’heure,
parce qu’il « fait ses prières » à cette heure matinale.
Après cela, vous le verrez redevenir religieux pendant une
demi-heure — au moment de son culte de famille ; mais,
dès que les affaires ont commencé et qu’il donne des ordres à son
monde, je ne garantis pas qu’il obtienne votre admiration. Si l’un de
ses domestiques a fait quelque maladresse, je crains bien que vous ne
lui entendiez proférer des paroles inconvenantes et pleines de colère.
Vous vous apercevrez aussi, quand il se présentera une pratique un peu
innocente aux affaires, qu’il la « mettra dedans ». Vous
verrez que s’il trouve pendant le courant de la journée une bonne
occasion, il ne se gênera pas, malgré sa piété, de « jouer quelque
mauvais tour ». Le matin, c’était un saint, parce qu’il n’y avait
rien à perdre ; mais sa religion est élastique ; les
affaires, pour lui, sont les affaires, et il met sa religion de côté,
sauf à étirer sa conscience selon les besoins, car rien n’est si souple
que l’étoffe dont la sienne est construite. Vers le soir, cependant, sa
religion lui reviendra, à moins qu’il ne soit en voyage, dans quelque
lieu où ni sa femme, ni sa famille, ni son église ne puissent le
voir, — au théâtre, par exemple. Il n’y paraîtrait pas pour
peu que la chose risque de parvenir à la connaissance de son
pasteur ; car, dans ce cas, il serait excommunié. Mais si
personne, parmi ses connaissances, ne peut le savoir, il se sent tout à
fait libre d’y aller, et il y va. Les beaux habits font les beaux
messieurs, et les beaux lieux font les beaux hypocrites. L’homme, au
contraire, qui est fidèle à son Dieu et à sa conscience, est religieux
toute la journée, toute la nuit et en tous lieux. « Quand vous
rempliriez ma maison d’or et d’argent, vous dira-t-il, je ne ferais pas
une action malhonnête ; quand vous me donneriez les étoiles et
toutes les richesses de tous les empires, je ne consentirais jamais à
faire ce qui déshonore mon Dieu ou discrédite ma
profession. » — Placez le chrétien dans une position où
il puisse pécher et où, en péchant, il puisse obtenir une grande somme
d’approbation humaine, il ne péchera pas. Il ne hait pas le péché par
égard pour ceux qui l’entourent, mais il le hait à cause de lui-même.
Il dit : « Comment pourrais-je commettre un si grand péché en
présence de mon Dieu ? » Vous trouverez sans doute en lui un
homme faillible, mais non pas un homme faux. Vous découvrirez en lui
une foule d’infirmités, mais jamais de souillures préméditées ou
d’iniquités volontaires. Comme chrétiens, en effet, vous devez suivre
Christ à travers le bourbier comme à travers les prairies ; vous
devez marcher avec Lui par la pluie comme par le beau soleil ; il
vous faut affronter l’orage et le suivre alors aussi bien que par un
ciel serein. Celui-là n’est pas chrétien qui ne peut pas demeurer avec
Christ, même dans la misère, même sous des haillons, même à travers
l’opprobre. Celui-là est hypocrite qui ne peut le suivre qu’en
pantoufles brodées d’or et qui le quitte dès qu’il faudrait marcher
nu-pieds. La piété de l’hypocrite est comme le caméléon ; elle
change de couleur suivant la lumière qu’elle reçoit, tandis, que celle
du chrétien est toujours la même. — Ceci est-il vrai de
quelqu’un de nous ? Pouvons-nous dire que nous désirions
sincèrement être toujours les mêmes ? Ou bien changeons-nous
suivant la compagnie dans laquelle nous nous trouvons et suivant les
temps ? S’il en est ainsi, nous sommes de fieffés
hypocrites ; convenons-en devant Dieu, et que Dieu veuille nous
rendre sincères !
Il est encore un signe auquel on
peut reconnaître l’hypocrite, et cette fois les étrivières vont frapper
mes épaules et celles de la plupart d’entre nous. Les hypocrites, ainsi
que d’autres gens aussi, sont en général sévères envers autrui et très
charitables envers eux-mêmes. N’avez-vous jamais entendu un hypocrite
se décrire lui-même ? Moi je le définis en lui disant : vous
êtes un homme avare et mesquin. — « Non pas, répond-il,
je suis économe et prudent. » — Je lui dis : vous
êtes un tricheur, un voleur. — « Non pas, répond-il, je
suis adroit et fin, selon la nécessité des
temps. » — Vous êtes orgueilleux et
vantard. — « Oh ! Non pas, mais je cherche à
conserver ma dignité et ma respectabilité. » — Vous êtes
un vil flatteur, un homme bas et rampant. — « Non pas,
non pas, répond-il toujours, mais je me fais tout à
tous. » — Il trouve toujours moyen de transformer ses
vices en vertus ; mais, dès qu’il s’agit des autres, il suit la
règle contraire. Montrez-lui un chrétien vraiment humble ; il vous
dira : « J’ai en abomination son air rampant ».
Montrez-lui un chrétien courageux, qui ose tout pour la gloire de son
Maître : « C’est un impudent, s’écrie-t-il, et un
orgueilleux ! » Montrez-lui un chrétien généreux, qui fait
des sacrifices pour la cause de Christ et qui paie de sa
personne : « C’est un imprudent et un vaniteux, dit-il, un
extravagant, un fou ! » Montrez-lui, en un mot, une vertu
quelconque, et il y verra un vice. Avez-vous observé l’hypocrite
lorsqu’il se transforme en docteur et qu’il condescend à morigéner les
autres ? Il a une magnifique poutre dans son
œil, — assez grosse pour priver son âme de toute lumière du
ciel ; mais cela ne l’empêche pas d’être habile oculiste. Il se
rend vers l’un de ses malheureux frères dont l’œil est légèrement
irrité par la présence d’un grain de poussière tellement petit, que,
pour le voir, il faut se mettre en plein soleil. Voyez notre homme avec
sa poutre ; il s’approche d’un air entendu et dit :
« Permets, mon ami, que je te délivre de ce grain de sable ».
Ô hypocrite ! Ôte d’abord la poutre qui est dans ton œil, et après
cela tu y verras clair et tu pourras ôter la paille qui est dans l’œil
de ton frère ! Il ne manque pas de ces gens qui transforment en
vices toutes les vertus d’autrui, et en vertus tous leurs propres
vices. — Or çà, si tu es chrétien, je vais te montrer quel
esprit doit t’animer. Tu seras mu par une impulsion diamétralement
opposée ; tu trouveras toujours des excuses pour autrui et tu n’en
accepteras jamais pour ton propre compte. Quand un vrai chrétien
s’aperçoit qu’il pèche, il s’humilie et déplore sa faute ; il la
prend au grand sérieux et s’en alarme. Il dit à son frère :
« Oh ! Je me trouve un si grand pécheur ! » Et son
frère lui répond : « En vérité, je ne vois pas en quoi vous
l’êtes ; je ne vois guère de péché en vous. Ah ! Combien je
voudrais être aussi fidèle que
vous ! » — « Non, reprend l’autre, je suis
rempli d’infirmités et de faiblesses. » — Jean Bunyan
représente Miséricorde et Chrétienne avec les enfants au moment où ils
sortent du bain et reçoivent le sceau éternel ; ils sont beaux et
pleins de grâce, et l’une commence à dire à l’autre : « Tu es
plus belle que moi ! » Et l’autre lui répond : « Tu
es plus pure que moi ! » Chacune ensuite se met à déplorer
ses propres taches et à exalter la beauté des autres. Voilà l’esprit du
chrétien ! Mais celui de l’hypocrite est tout contraire. Il juge,
condamne et punit autrui sans miséricorde, et, pour lui, il est
toujours exempt, il est roi, il est au-dessus de toute loi ; sa
conscience endormie lui permet de persister en paix dans les mêmes
péchés qu’il reprend sans pitié chez ses frères. Ce caractère est l’un
des plus saillants et des plus constants chez les hypocrites, et je
pense que nous avons probablement tous quelques reproches à nous faire
sur ce point.
II.
Maintenant nous allons régler le compte de
l’hypocrite. — Allons, Monsieur, apportez-nous votre
grand-livre, que nous y jetions un coup d’œil ! Vous êtes un
hypocrite. Voyons ce qui figure à votre crédit ? Les articles sont
nombreux, j’en conviens ; vous avez gagné de l’honneur et de la
considération. Si vous alliez dire à tout le monde brusquement et
franchement : « Tu es un voleur, tu es un ivrogne, tu
blasphèmes le nom de Dieu aussi bien que tout autre », et si le
monde recevait de votre part des compliments de cette nature, vous
n’auriez acquis ni honneur ni considération. Mais, comme vous avez fait
bonne profession de christianisme ; comme le pasteur vous aime
beaucoup ; comme les anciens et les diacres vous ont en grande
estime, vous voilà un homme très honorable et très respectable. Vous
arrivez à pas comptés à votre place dans le temple, avec votre Bible et
votre livre de cantiques, et tout le monde dit : « Voilà un
vrai modèle de christianisme ! » Les parents frappent
doucement sur la tête de leurs enfants, et disent :
« Puisses-tu grandir et devenir un homme de bien, comme Monsieur
un tel ! »
Un autre article avantageux qui
figure à votre avoir, c’est la parfaite tranquillité de conscience dont
vous jouissez. Le pasteur prêche souvent des sermons solennels et
remuants contre le péché. Vous vous en tirez sans la moindre émotion.
Vous n’êtes pas pécheur ; ce n’est donc pas pour vous qu’il tonne
du haut de sa chaire. Pour vous ? … Ah ! Certes
non ! Qui pourrait vous soupçonner de péché ? Qui
oserait ! … Vous êtes l’un des hommes les plus saints
que la terre ait portés ; c’est presque dommage que vous n’ayez
pas été au nombre des Douze. Il y en avait un parmi eux qui vous valait
presque … , et vous ferez peut-être la même fin que lui. Vous
échapperez à toutes les terribles menaces de la loi ; votre
conscience demeure imperturbable, et tout ce qui fait trembler les
vrais enfants de Dieu ne fait qu’augmenter votre orgueil et votre
sécurité. Ce qui l’humilie, ce qui le convainc de péché, est justement
ce qui contribue le plus à vous élever dans votre propre estime. Le
soleil de l’Évangile qui fond la cire durcit toujours davantage votre
cœur de terre, et tout ce que vous entendez de plus effrayant ne fait
que vous confirmer dans votre propre justice. Or, c’est là, selon vous
(je pense), un grand avantage et un immense profit. Cela fait votre
éloge, et ce n’est pas le dernier de vos gains, car, voyez comme votre
petit commerce a prospéré par ce moyen ! Cet article de vos
bénéfices est probablement celui auquel vous êtes le plus sensible.
Depuis le jour où vous avez fait profession de piété, tous ceux qui
vont à votre temple ou à votre chapelle ne vous ont-ils pas donné leur
pratique ? Certes, les choses n’auraient pas si bien marché, il
s’en faut, si on s’était douté le moins du monde de ce qui se passe au
fond de votre cœur et de ce que vous êtes en réalité. Mais ce beau
manteau, ce bel habillement de sainteté que vous avez endossé, a opéré
merveilleusement pour votre prospérité. Quelle jolie petite somme ronde
vous avez pu mettre de côté, n’est-ce pas ? Tout ceci, c’est le
côté brillant de votre affaire ; et ce n’est pas tout encore.
Voyez les honneurs dont votre église vous a comblé ! On vous a
nommé diacre, puis ancien ; qui sait ? On a fini par vous
appeler au pastorat. Comme c’est agréable ! … Et vous
vous rengorgez et vous jouissez. « Quel homme je
suis ! » vous dites-vous avec admiration ;
« puisque tous m’estiment si fort, il faut bien que je le mérite.
Je dévore, à la vérité, les maisons des veuves ; je ne regarde pas
de trop près à toutes mes transactions ; mais les pasteurs, les
diacres et les anciens, — tout le monde trouve que je suis un
homme de bien et l’on me couvre d’applaudissements. Ils ne peuvent pas
être tous dans l’erreur ; je dois donc être un homme d’une
sainteté exceptionnelle. »
Voilà quels sont les profits nets
à votre avoir. Voyons un peu le débit, — la page de gauche.
Hum ! Je crains bien, Monsieur, que lorsque nous ferons les
additions, le côté le plus fort ne soit pas celui des profits.
D’abord, je trouve ici un article
de perte assez considérable ; à savoir : que certaines gens
n’ont pas aussi bonne opinion de vous que vous le pensez. La pauvre
veuve spoliée ne fait guère votre éloge. Vous aurez à être bien
attentif pour éviter que vos vilenies ne viennent aux oreilles de tout
le monde. Je vois figurer ensuite une crainte continuelle qu’on ne
vienne à découvrir votre hypocrisie. Vous auriez eu la moitié moins de
peine et d’inquiétude à être honnête et sincère. Celui qui a l’habitude
de dire toujours la vérité n’a pas besoin d’étudier ses paroles, ses
gestes, ni le son de sa voix. Il peut dire ce qu’il pense, tandis que
l’homme qui ment doit toujours prendre garde ; il lui faut une
excellente mémoire pour se rappeler tous ses mensonges, de crainte de
se démentir lui-même. Il en est ainsi de vous, mon ami ; votre
piété est une piété du dimanche, et vous avez besoin de faire tous vos
efforts pour que vos œuvres du lundi se taisent, tandis que le coq
chantera le plus haut possible sur celles du sabbat. Rude tâche !
Je ne voudrais pas être à votre place et avoir toutes les inquiétudes
qui vous tourmentent. J’aimerais mieux être franchement mondain que
d’être toujours menacé comme vous de me voir démasqué, moi et toutes
mes iniquités, aux yeux de toute l’église. Mais voici un article pire
encore ; voici une continuelle inquiétude de conscience. Les
hypocrites peuvent paraître tranquilles, mais ils ne peuvent pas l’être
en réalité. Le chrétien sincère — le véritable enfant de
Dieu — peut dire, au moins quelquefois : « Je sais
que Jésus a lavé mes péchés ». L’Esprit de Dieu lui donne une
sainte assurance qui calme ses craintes et il peut se reposer sur
Christ. Mais l’hypocrite a beau s’armer de présomption, il ne peut
jamais atteindre à ce sentiment de calme que le Seigneur fait naître
dans le cœur des siens. Celui-ci peut se coucher, peut même se coucher
dans sa tombe en paix ; mais l’hypocrite a peur de son ombre, il
s’enfuit quand personne ne le poursuit. Enfin, Monsieur l’hypocrite, je
vois figurer un dernier article que vous oubliez souvent, à
savoir : qu’en dépit de votre profession Dieu vous abhorre. S’il
est un homme dont la seule odeur soit nauséabonde pour Dieu, c’est bien
toi, — oui, toi, malheureux avec tes prétentions
chrétiennes ! Tu auras parmi les damnés une place réservée.
Imagine, ô homme, combien grandes seront ta honte et ta misère, quand
tes œuvres les plus secrètes seront lues et proclamées à haute voix, en
présence de toutes les nations de la terre et de tous les habitants de
l’éternel séjour ! — quand les anges et les hommes
feront éclater ensemble un cri universel et unanime d’horreur et de
réprobation ! Que feras-tu quand on t’arrachera le masque, quand
la mascarade de tes hypocrisies sera terminée, et quand, mis à nu et
tout couvert de ta honte, tu seras livré au mépris et à l’abomination
de toutes les créatures ? Qu’en dis-tu ? Faudra-t-il que tu
quittes ton titre de pasteur, d’ancien ou de diacre, et que tu ailles
en enfer parmi les démons ? Faudra-t-il que tu quittes la coupe du
sacrement pour aller boire à la coupe de la colère, — pleine
de feu et de soufre ? Faudra-t-il que tu échanges les hymnes du
sanctuaire et la maison de prière contre la demeure des révoltés et les
hurlements des réprouvés ? — Oui, oui, il le
faudra ! Aussi certainement que cette Bible est la vérité, il le
faudra, si tu continues à vivre dans cette hypocrisie. La mort saura
bien te trouver et la condamnation sera ta part, car l’espérance de
l’hypocrite est comme la toile d’araignée promptement anéantie par un
coup de balai ; et que deviendra-t-il lui-même lorsque Dieu lui
aura ôté toute espérance ?
Voilà donc le compte de
l’hypocrite réglé par un déficit énorme ! …
irréparable !
III.
Voyons maintenant le remède contre l’hypocrisie. Quel accueil lui
réservez-vous ? Ô chers auditeurs ! je sens qu’en parlant de
l’hypocrite comme je viens de le faire, j’ai essayé d’être
sévère ; mais je sais aussi que je n’ai pas pu atteindre vos cœurs
comme je l’aurais désiré, car l’homme est ainsi fait que l’hypocrisie
est de tous les péchés le dernier dont nous consentions à nous
reconnaître coupables, et, de tous, celui dans lequel nous tombons le
plus facilement. Que de fois je me suis agenouillé dans mon angoisse,
en m’écriant : « Seigneur, rends-moi sincère ! Si je me
fais illusion, désillusionne-moi. » Et je ne crois pas qu’on
puisse être chrétien sans avoir souvent de semblables doutes et sans
être appelé à s’examiner soi-même avec angoisse. Permettez-moi donc de
m’adresser à tous en ce moment, et que nul d’entre vous ne s’exempte de
prendre mes paroles pour lui-même. Il se peut que vous ayez fait
pendant bien des années profession d’appartenir au Seigneur, et que,
durant tout ce temps, vous n’ayez été que des hypocrites. Souvenez-vous
qu’il y avait un hypocrite parmi les apôtres, et que par conséquent il
peut y en avoir aujourd’hui parmi les pasteurs. Il y avait des
trompeurs au milieu des églises apostoliques ; à combien plus
forte raison peut-il y en avoir dans les nôtres. Ne cherchez pas autour
de vous pour les trouver, — ceci, c’est l’affaire de Dieu, et
non la vôtre ; — mais regardez à vous-même pour savoir
si vous en êtes un. — Comme je passais en voiture, l’autre
jour, dans un chemin, par un vent violent, je vis tomber d’un arbre une
branche presque à mes pieds. Je remarquai qu’elle était pourrie, et je
me demandai combien de temps elle avait pu rester sur cet arbre tout en
étant vermoulue. Alors je pensai : « Ah ! Si le vent de
la persécution venait à souffler sur l’Église, viendrais-je à tomber
aussi comme une branche pourrie ? Un grand nombre de mes auditeurs
ne tomberaient-ils pas ainsi ? Ils ont paru pendant longtemps unis
à Christ, ils ont parlé en son Nom ; ils ont peut-être prêché en
son Nom ; mais si le temps de l’épreuve qui doit venir sur la
terre venait nous visiter, combien parmi nous résisteraient à l’effort
de la tempête ? »
Ô chers auditeurs, ne vous
contentez pas d’une religion toute faite ou de seconde main ; ne
traitez pas cette affaire à la légère. Ne pensez pas que, parce que
vous m’avez vu, moi et mes anciens, vous considérer comme chrétiens,
tout soit terminé. Nous nous sommes trompés bien souvent ; il est
si facile de tromper un cœur charitable ! J’ai regardé certains
d’entre vous en cherchant à lire dans leurs yeux leur pensée intime, et
cependant je me suis trompé. J’ai vu des larmes dans leurs paupières,
tandis qu’ils faisaient profession d’aimer le Sauveur, et, malgré cela,
ils se sont trouvés, après tout, être des trompeurs et m’ont
complètement déçu. Plus, en effet, un homme est bien disposé, plus la
nature humaine sera prompte à lui imposer. J’ai pris tous les soins
imaginables pour écarter de mon église tous ceux qui étaient suspects
d’hypocrisie, et je me propose d’être toujours plus sévère à cet égard.
Mais, je vous en supplie, examinez-vous vous-mêmes. Je ne veux pas vous
envoyer tête baissée en enfer, si je puis l’éviter ; je ne désire
pas être dans l’erreur moi-même, et je ne vous y laisserai pas, si je
puis l’empêcher. Oh ! Si vous n’êtes pas réellement chrétiens,
cessez de faire une profession quelconque ; si l’édifice de votre
foi n’est pas solide, démolissez-le incontinent. Mieux vaut que votre
maison s’écroule maintenant que si l’on attend que la pluie descende,
que les torrents débordent et que le vent la renverse pour l’éternel
malheur de votre âme. Oh, non ! J’aime mieux vous renvoyer tous
chez vous le trouble dans le cœur que de risquer de laisser l’hypocrite
tranquille sur son banc. J’aimerais mieux blesser le véritable enfant
de Dieu que de laisser échapper le pharisien.
Mais, comment le guérir, cet
hypocrite ? Que ferons-nous pour nous guérir de l’hypocrisie qui
se trouve peut-être encore dans nos cœurs ? D’abord,
souvenons-nous qu’avec la meilleure volonté nous ne pouvons rien faire
qui demeure secret. Que notre conscience se livre à la puissance du
Dieu qui voit toutes choses, et sa seule présence tuera tout germe
d’hypocrisie en nous. Comment penserais-je à tromper autrui quand Dieu
me voit ? Il m’est impossible d’avoir double face et de nourrir
une arrière-pensée quand je songe que je suis en présence du Très-Haut,
qu’il lit mes pensées et qu’il voit les plus secrets mouvements de mon
cœur. Pour que l’hypocrite puisse être hypocrite, il faut
nécessairement qu’il oublie l’existence de Dieu. Souvenons-nous en
donc ! Où que je me trouve, soit dans ma chambre, soit sur ma
couche, Dieu est là ! Chaque parole intime que je murmure à
l’oreille d’un ami est entendue de Dieu. J’aurais beau choisir pour le
théâtre de mon péché la partie la moins fréquentée de la ville, Dieu
est là ! J’aurais beau m’abriter sous les voiles de la nuit, Il
est là encore et Il me regarde. Le sentiment de la présence de Dieu, si
nous le réalisions véritablement, suffirait à lui seul pour nous
préserver de tout péché. Nous croyons faire en secret bien des choses,
mais rien n’est caché aux yeux de Celui avec lequel nous avons affaire.
Le jour vient où tous les péchés que nous avons commis seront lus et
publiés. Oh ! Quelle rougeur empourprera le visage de l’hypocrite,
quand le Seigneur lira le récit journalier de ses iniquités ! Ô
vous qui faites comme moi profession de christianisme,
croyez-moi ! Pesons toutes nos actions en vue de ce grand jour où
tous les secrets seront révélés. Arrêtez-vous avant de faire quoi que
ce soit et demandez-vous : « Comment supporterais-je
d’entendre crier ce que je fais à son de trompe ? » Mieux
encore ! Obéissez à un motif meilleur, et dites :
« Puis-je faire cela ? » en répétant ces paroles :
« Toi, ô Dieu ! Tu me vois ». Vous pouvez tromper les
autres hommes et vous tromper vous-même, mais jamais, non jamais vous
ne pourrez tromper Dieu. Vous pouvez mourir avec le nom de Christ sur
les lèvres, et les hommes peuvent vous enterrer avec l’assurance
parfaite que vous ressusciterez glorieusement ; mais Dieu ne se
laissera tromper ni par votre profession, ni par la bonne opinion que
les hommes ont eue de vous. Il vous mettra sur la balance, et si vous
n’êtes pas de poids, il prononcera votre condamnation. Si vous ne
portez pas alors l’anneau de la grâce à votre doigt, Il vous déclarera
faussaire ; Il vous arrachera votre masque. La vertu la moins
recouverte d’ornements est, au fond, la mieux ornée. Vous serez donc
mis à nu, et tout habillement, toute sorte de voile vous sera arrachée,
afin que votre fausseté soit mise à découvert. Comment supporterez-vous
cette opération ? Vous creuserez-vous une retraite dans les
profondeurs de la terre ? Plongerez-vous dans la mer pour trouver
quelque issue ? Appellerez-vous les montagnes à votre aide pour
qu’elles tombent sur vous et vous cachent ? … C’est en
vain que vous crieriez. Le Dieu qui voit tout lira le fond de vos
pensées, publiera tous vos secrets, révélera tout ce que vous aurez
caché le plus soigneusement, et Il proclamera à la face de l’univers
que, quoique vous ayez mangé et bu dans ses rues et quoique vous ayez
prêché en son nom, Il ne vous a jamais connu, — que vous
étiez un ouvrier d’iniquité et que vous devez être chassé de sa
présence pour jamais !
Venez et réfléchissons encore une
minute à ceci : que bientôt nous allons nous trouver à notre
dernière heure. Encore quelques mois, et nous aurons, vous et moi, à
rencontrer la mort, ce terrible et cruel tyran. Il ne sera pas aisé de
faire l’hypocrite à ce moment ; quand le pouls s’affaiblira, quand
les yeux deviendront hagards, quand la langue s’attachera au palais, il
sera vain alors de faire l’hypocrite. Oh ! Que Dieu vous rende
sincère ; car si vous mourez en faisant une profession mensongère
de christianisme, vous mourrez véritablement. De toutes les morts, la
plus mauvaise, je pense, doit être celle de l’hypocrite, et de tous les
réveils après la mort, le plus terrible sera bien celui dont le premier
moment sera consacré à lire son éternelle condamnation. Ah ! Ne
bandez pas vos plaies à la légère. Que Dieu vous donne une foi
véritable et sincère, afin que nous puissions nous rencontrer dans les
cieux ! Telle est l’ardente prière de mon cœur.