168 - PROFITS ET PERTES.
« Que servirait-il à un homme de gagner le monde entier, s’il venait à perdre son âme ? » (#Mr 8:36).
BIEN des négociants ont fait
banqueroute pour n’avoir pas tenu leurs livres en règle. Cependant, on
n’a rien à perdre à calculer le coût, à connaître sa dépense et à tenir
son débit et son crédit à peu près en équilibre. Ce qui a ruiné bien
des maisons de commerce, ce sont les tentatives et les spéculations
suggérées par l’ardent désir du gain, la négligence des affaires de
détail, et surtout une complète ignorance de la position financière.
Spirituellement parlant, tout homme est un grand négociant. Il trafique
en vue de son bonheur, et son trafic l’intéresse pour le temps et pour
l’éternité. Il tient deux comptoirs : le premier est dirigé par un
commis subalterne — être grossier et
matériel, — qui se nomme le corps ; l’autre comptoir,
dont les affaire sont infiniment plus étendues et plus importantes, est
tenu par un être, intelligent et spirituel, qui s’appelle l’âme. Ce
directeur ne s’attache pas à trafiquer sur les choses de petite
valeur ; les marchandises qu’il exploite, ce sont les grandes
réalités de la vie éternelle, et les places avec lesquelles il opère
ses transactions sont, ni plus ni moins, que le ciel et l’enfer. Un
négociant qui, dans une pareille position, se consacrerait
exclusivement aux intérêts mesquins de son comptoir le moins important,
et qui négligerait pour cela les affaires de sa maison principale,
serait bien dépourvu de sens. Cette négligence deviendrait même
incompréhensible, si, tout en lésinant sur les dépenses les plus
minimes de son intérieur, il abandonnait au hasard de la fortune telle
entreprise considérable confiée à son habileté.
Telle est cependant la folie dont
la majorité des hommes se rendent coupables ! Ils comptent
soigneusement les prétendus profits qu’ils réalisent dans cette petite
boutique du coin qui s’appelle le corps, et ne comptent que trop
rarement les pertes qu’ils essuient en délaissant les intérêts de l’âme
dans la grande affaire du salut. Mes frères, tandis que vous prenez
soin du corps, — ce qui est très bien, vu que le corps est
pour le croyant le temple du Saint-Esprit, — permettez que je
vous supplie de prendre beaucoup plus de soin de vos âmes. Ne perdez
pas votre temps à décorer l’habitation, tandis que vous laissez
l’habitant mourir de faim. Ne vous amusez pas à peindre le vaisseau,
tandis que l’équipage va périr faute de vivres. Prenez soin de votre
corps, mais prenez soin surtout de votre âme. Jouissez de la vie, mais
cultivez-en la source.
Ah ! Pourquoi les hommes ne
veulent-ils pas dresser le bilan des affaires de leur âme, afin de
connaître leur véritable situation devant Dieu ! Plaise au
Seigneur que vous consentiez tous à vous examiner ! Si vous y
consentiez, si vous tous qui m’entendez vous vouliez examiner le fond
des choses, combien se trouveraient en pleine faillite ? Quant au
corps, vos profits sont assez nets ; vous êtes en train de faire
une jolie petite fortune et tout paraît aller au gré de vos désirs.
Votre enveloppe mortelle, qui sait, est peut-être toute florissante
d’embonpoint et de santé et n’a aucune plainte à formuler contre l’être
qui y habite ; mais demandez à votre âme comment elle se trouve,
et vous verrez que ses affaires vont mal, qu’elle est presque toujours
en perte. Laissez-moi vous déclarer solennellement que si votre âme est
au-dessous de ses affaires, vous êtes bien malade, quelque grands que
soient, du reste, vos profits quant au corps, et permettez que je vous
pose au nom de Jésus-Christ cette question : « Que
servirait-il à un homme de gagner le monde entier, s’il vient à perdre
son âme ? »
Nous aurons à considérer ici en
premier lieu le profit que l’homme ferait s’il venait à gagner le monde
entier, et secondement l’immense perte qu’il subirait en perdant son
âme. Nous terminerons ces réflexions par quelques mots d’application.
I.
Et d’abord, quel serait le profit d’un homme qui parviendrait à
posséder le monde entier ? Bien des personnes chrétiennes, qui
manquent parfois de sens commun, croient que l’on peut trancher cette
question en deux mots et qu’il n’y a qu’à répondre qu’un tel homme
n’aurait rien gagné du tout. Elles peuvent avoir raison au fond ;
seulement, je me demande si elles croient sérieusement ce qu’elles
affirment. Il en est qui calomnient d’une façon injuste et ridicule les
biens de cette terre, et qui se plaisent à appeler, par exemple, les
pierres précieuses de brillants hochets et l’or un vil métal. Souvent
j’ai admiré avec quel sang-froid certaines personnes de ma connaissance
parlaient de l’or comme d’une vile poussière, et je m’étonnais qu’elles
ne se hâtaient pas de la balayer soigneusement et de la jeter au
fumier. Pour ma part, je n’aurais pas hésité à venir la ramasser,
d’autant plus que nous en aurions grand besoin en ce moment pour élever
un temple au Seigneur.
Ah ! Plusieurs qui affectent
de mépriser les richesses sont précisément ceux qui y tiennent le plus.
Je suppose qu’ils en reconnaissent le danger pour autrui, et que, pour
lui éviter des tentations, ils lui cachent leurs propres trésors.
Grande est leur sollicitude ! Mais elle nous touche peu. Elle nous
paraîtrait bien moins contestable, s’ils voulaient consentir de temps à
autre à nous faire part de leurs biens. Vous les entendez disant
volontiers que « l’argent est la racine de tous les maux ».
J’aimerais bien qu’on ait la complaisance de me montrer ce texte dans
la Bible. Il ne s’y trouve pas. Je me souviens, il est vrai, d’avoir lu
que « l’amour des richesses est la racine de tous les
maux » ; mais, quant à ce qui concerne les richesses, j’ai
peine à voir ce qu’elles ont de si mauvais. Pourvu qu’on soit disposé à
en faire un bon usage, elles me paraissent être un talent que Dieu
confie à ceux qu’il enrichit, et je ne pense pas que les talents de
Dieu puissent être mauvais. Mes frères, il est absurde de prétendre
qu’on soit indifférent aux biens de cette terre, car tout le monde y
tient plus ou moins, et chacun est bien aise d’en avoir sa part.
Posséder en ce monde une certaine fortune est une chose qui a sa
valeur, — c’est un profit, — et je ne veux pas
essayer de le nier ni de réduire à néant tous les biens terrestres,
pour vous prouver ensuite que vous êtes en perte sur tous les points.
Non, je suis prêt à vous faire toutes les concessions que vous voudrez
quant aux profits que ce monde vous procure. Si ces profits vous
paraissent considérables, je veux admettre qu’ils le soient ; si
vous pensez qu’au total ce monde forme un ensemble désirable, je vous
l’accorderai, si vous voulez ; mais, ces concessions faites, je
vous demanderai : trouverez-vous votre compte à gagner le monde
entier, dans le sens le plus étendu du mot, si vous venez à perdre
votre âme ?
Voyons un peu ! Je vais
tâcher de faire vos additions et d’établir votre bilan. Supposons un
cas, qui doit être bien rare, ou qui, du moins, ne s’est jamais
présenté. Jamais un homme n’a gagné le monde entier. Certains monarques
ont possédé parfois presque tout le monde connu de leur temps ;
mais, si vous regardez une carte de l’ancien monde, vous serez frappés
de la petitesse, de leurs empires, quand on les compare avec la
totalité du globe terrestre. Après tout, le plus grand, de ces anciens
empires valait à peu près nos grands empires modernes. Le monde connu
des Anciens n’était qu’une petite partie du monde que nous connaissons,
et néanmoins nul ne parvint jamais à le posséder en entier. Mais, afin
de placer la discussion sur un terrain qui la rende possible, nous
admettrons, jusqu’à un certain point, qu’il y a eu trois ou quatre fois
dans l’histoire ancienne des hommes qui ont, pour ainsi dire, possédé
le monde entier.
1. Ainsi, quand un homme est parvenu à exercer sa puissance sur de
vastes empires, on peut dire en un sens qu’il a gagné le monde entier.
Prenons ALEXANDRE LE GRAND, si vous voulez. On ne peut pas citer un
meilleur exemple en fait d’hommes ayant possédé à peu près le monde
entier. Quoique son empire ait, sans doute, ses limites quelque part,
il les ignorait lui-même, et aurait été embarrassé de nommer toutes les
nations sur lesquelles il régnait. Il pouvait faire des milliers de
lieues sur son territoire sans, en rencontrer les frontières. Il avait
sous la main des millions d’hommes armés, prêts à le venger de ses
ennemis et à défendre ses drapeaux. Il était invincible dans les
batailles ; dans ses conseils, sa volonté était la loi
suprême ; quand des milliers de soldats mouraient dans les
combats, d’autres milliers, sur un ordre de sa bouche, se levaient et
venaient prendre leur place. Ô Alexandre ! Je viens t’interpeller
maintenant. Quelle est ta pensée ? Trouves-tu que ce soit chose
bien profitable que de gagner le monde entier ? Ce sceptre est-il
un talisman de félicité ? Cette couronne t’a-t-elle procuré la
paix et la joie?… — Voyez ! voyez les larmes qui
jaillissent de ses yeux ! Alexandre pleure ! …
Oui, il pleure de ne pas avoir un autre monde à conquérir. Ô ambition
humaine, que tu es insatiable ! Ce n’est donc pas assez que
d’avoir gagné le monde entier ! Travailler à devenir le monarque
universel, c’est donc travailler à devenir universellement
misérable !
Peut-être pensez-vous qu’il y a
une jouissance extrême à posséder une grande puissance. C’est possible.
Je suis assuré qu’un homme qui exerce un certain empire sur ses
semblables ne niera pas que cet empire flatte sa vanité d’être dèch t
[NDE: Mot illisible dans l’original]. S’il en était autrement, comment
expliquer que les hommes politiques y attachent un si grand prix,
qu’ils se donnent tant de peine, nuit et jour, pour l’obtenir et qu’ils
usent toute leur vigueur en incessants débats ? Il doit y avoir
une jouissance à dominer, mais cette jouissance est achetée au prix de
bien des anxiétés. La popularité dont la tête se cache dans les nues ne
pose ses pieds que sur un sable bien mouvant, et tandis que le front
d’un homme touche aux étoiles, il tremble pour ses
pieds. — Anxiété pour augmenter son influence ; anxiété
pour la conserver. Triste, jouissance que celle qu’on ne goûte qu’avec
un continuel tourment d’esprit ! — Bacon avait raison de
comparer ceux qui se meuvent dans les hautes sphères aux corps célestes
qui brillent d’un vif éclat mais ne se reposent jamais. Un homme sage
n’a pas besoin d’en faire la triste expérience ; son bon sens lui
fait comprendre que la puissance n’est qu’un vêtement couvert d’or, qui
éblouit celui qui le contemple, mais qui écrase celui qui le porte. Je
crois vraiment qu’au point de vue de la puissance le gain du monde
entier laisse un si faible profit, que nous pouvons balancer ce compte
et dire que le solde est peu de chose. Nous le pouvons, car Alexandre
lui-même en était réduit à envier le paysan sous son chaume, et à
reconnaître qu’il y avait plus de bonheur, parmi les bergers de la
plaine que dans son palais regorgeant d’or et d’argent.
Ô chers amis, si j’allais
maintenant comparer ce mince profit avec la perte de l’âme, vous auriez
certainement de quoi être foudroyés. Mais je laisse à l’âme le soin de
faire son compte. Je me borne à conclure que le gain du monde entier ne
laisse qu’un bien médiocre profit, surtout pour des êtres pécheurs et
condamnés de Dieu. Bien plus, s’il est vrai que l’empire du monde
entraîne de si effroyables responsabilités qu’il faille renoncer au
sommeil et au repos du cœur ; — s’il est vrai que
cette puissance, en permettant à l’homme d’accomplir des crimes
gigantesques, l’expose à se voir poursuivi jusque dans ses nuits
d’insomnie par des visions menaçantes et de redoutables fantômes, j’ose
dire que le gain du monde entier au lieu d’être un profit, est une
perte, même à part toute autre considération.
2. Il est une autre manière de gagner le monde entier, non plus par la
puissance, mais par quelque chose qui s’en rapproche bien, à savoir les
richesses. CRESUS sera ici mon exemple. Il avait amassé, vous le savez,
un monde de richesses, car ses biens dépassaient toute estimation
possible. L’or et l’argent à ses yeux n’avaient plus de valeur, et ses
pierres précieuses étaient sans nombre. Il était si riche, si riche,
qu’il pouvait acheter un empire et dépenser encore autant après cela.
Peut-être pensez-vous qu’il y a un grand gain à être énormément
riche ; mais je crains, quant à moi, qu’un tel bonheur soit peu
désirable après tout. Demandons-le à Crésus. En mourant, il
s’écriait : « Ah ! Solon ! Solon ! » Et
quand on lui demanda ce qu’il voulait dire, il répondit que Solon lui
avait dit une fois que nul ne pouvait être déclaré heureux avant sa
mort. Voilà pourquoi il criait : « Ah ! Solon !
Solon ! » C’est que la mort misérable qu’il allait subir
avait totalement effacé et anéanti toutes les joies de sa vie.
L’esclavage des richesses est si dur, — les anxiétés qui les
accompagnent sont si vives, -l’avarice qu’elles engendrent d’ordinaire
est si grande, que l’homme riche est souvent en perte à cause de sa
richesse, même à part la perte qu’il fait de son âme. Que de riches qui
auraient été mille fois plus heureux en vivant pauvres et couverts de
haillons qu’en parcourant dans leurs brillants équipages les rues de la
capitale ! Le malheur, dit-on, va plus souvent en voiture qu’à
pied, et le poète a eu raison de dire :
« Si tu es riche, tu es pauvre,
Car, tel qu’un âne chargé de lingots,
Tu succombes sous le poids de ton or
Pendant ta vie, et la mort
Vient t’alléger. »
Supposons qu’un homme ait acquis
frauduleusement ses richesses : je déclare que ses biens seront
pour lui une terrible malédiction, indépendamment de toute vie future.
Mes amis, quelque grand que soit le prix que vous attachiez à l’or, je
vous assure bien que si, d’autre part, cet or vous fait perdre votre
âme, votre perte sera toujours effroyable. Toutefois, même en dehors de
cette considération, je prétends que le gain d’une immense fortune
constitue au fond une perte, du moins pour la majorité des hommes. Bien
peu seraient assez habiles pour manœuvrer l’esquif de leur bonheur au
milieu d’une mer si remplie d’écueils. Moins un homme possède, mieux
cela vaut en général, parce que ses désirs alors se renferment dans des
limites raisonnables. Agur avait raison quand il disait :
« Ne me donne ni pauvreté ni richesse ». L’abondance des
biens est rarement un gain.
3. Mais il est un autre homme qui gagna le monde dans un sens plus
élevé ; ce fut SALOMON. Ses trésors ne consistaient pas tant dans
les richesses et dans la puissance (quoiqu’il ait possédé l’un et
l’autre), mais principalement dans sa sagesse et dans tout ce qui peut
flatter les sens. Salomon possédait tout ce qui peut charmer l’esprit,
plaire à la vue et satisfaire les jouissances corporelles. Il n’avait
qu’un mot à dire, et aussitôt des voix harmonieuses psalmodiaient les
plus douces mélodies d’Israël ; il n’avait qu’un signe à faire, et
des armées se levaient pour le conduire à la victoire et pour jeter à
ses pieds les trésors des nations. Les vins les plus délicats
étincelaient dans sa coupe, et des jeunes filles choisies parmi les
plus belles de la terre étaient soumises à ses moindres commandements.
Il était roi et maître sur la terre. Toutes les joies, toutes les
félicités, tous les plaisirs étaient pour lui. Il possédait en
surabondance tout ce que la chair appelle bonheur, tout ce que
l’imagination peut rêver. Tout ce qu’un homme peut essayer, Salomon l’a
essayé ; il a mis le monde au pillage pour trouver des joies. Il
était rempli de sagesse : il savait où trouver le bonheur
terrestre et il en a joui. — Dis-nous donc ce que tu as
trouvé, ô prédicateur de la sagesse ! Ouvre ta bouche et
parle. — Vanité des vanités ! tout est vanité !
répond le sage. — Ainsi donc, mes, amis, quand nous
posséderions tous les plaisirs que la chair peut désirer, je doute que
leur possession soit un profit pour nous ; mais une chose demeure
certaine, c’est que, s’il fallait la payer de la perte de l’âme, nous
serions horriblement en perte. Si nous pouvions nous livrer à toutes
les jouissances corporelles dont l’homme est susceptible, nous
détruirions notre corps et nous détruirions par cela seul notre
félicité. Bien des personnes ont perdu les plaisirs qu’elles
recherchaient pour les avoir recherchés avec trop d’ardeur ; bien
des lutteurs ont perdu le prix de la lutte pour avoir combattu avec
trop de fougue ; plusieurs auraient pu prolonger bien davantage
leurs jouissances, — même leurs jouissances
corporelles, — s’ils avaient su y apporter plus de
modération. C’est une folie que de vouloir griller une livre de beurre.
C’est ce qu’essaie cependant de faire le libertin ; il se consume
lui-même en voulant jouir trop vite et il abrège sa vie jusqu’à ce
qu’elle s’éteigne et qu’il n’en reste plus rien. Ah ! Quand on
vous donnerait tous les plaisirs et toutes les joies sensuelles du
monde entier, quand on y ajouterait toute la sagesse des hommes, sans
vous donner la grâce de Dieu qui seule pourrait vous modérer dans vos
jouissances, je crois que vous vous déclareriez bientôt en pleine
faillite. Je pense donc pouvoir affirmer que mon texte a raison de
demander : « Que servirait-il à un homme de gagner le monde
entier, s’il vient à perdre son âme ? »
Vous le voyez, déjà dans ce monde,
tous ces grands gains ne sont que de faibles profits. Ils paraissent
considérables de loin, mais ils se réduisent à peu de chose quand on
veut les saisir avec la main. Ce monde est comme le papillon que
poursuit l’enfant (amusant délassement !) et qu’il écrase entre
ses doigts lorsque, dans son ardeur, il parvient à le saisir. Il a
serré la main et n’a trouvé dedans … qu’une déception.
Mais, si ces grands gains ne sont
déjà dans cette vie qu’un très mince profit, — et j’ai parlé
cependant des gains les plus extraordinaires, — que
servira-t-il à un homme de ne pas gagner le monde et de perdre son
âme ? Nous pouvons même poser cette question plus clairement, et
dire : que servira-t-il à un homme de perdre ce monde et le monde
à venir ? Que servira-t-il à un homme de ne gagner qu’une très
petite partie de ce monde — puisque c’est tout ce qu’il peut
espérer — et de perdre son âme ? J’ai souvent fait, à
l’égard de l’homme riche, cette réflexion : « Cet homme a sa
portion dans cette vie ». Mais, quant au pauvre, je ne vois pas ce
qui peut ici-bas le rendre heureux, s’il n’a l’espoir de rencontrer le
bonheur après la mort. J’ai souvent vu l’homme aux mains
calleuses — le triste enfant du travail — gémissant
sous celui qui l’opprime, et je me suis écrié : « Ô
malheureux ! si tu ne peux espérer une autre vie, tu es le plus
misérable des hommes ! Rien dans ce monde, rien dans
l’autre ! Tu te traînes péniblement comme une vieille bête de
somme, sans pouvoir seulement fixer tes espérances sur un lieu de
repos ! » — Le riche, privé de la grâce et de toute
part dans l’éternité, se tire encore d’affaire en ce monde, quelque
petite que soit sa portion de bonheur terrestre ; mais le pauvre
est privé de toute part quelconque, et, pour comble, échangera bientôt
sa misère contre la damnation, — sa maigreur contre la
perdition, — son hôpital et ses haillons contre les flammes
de l’enfer. — Quelle horrible existence, et quelle destinée
plus horrible encore ! Mener en ce monde une vie de privations, et
découvrir que tout cela n’est que la préface et le prélude d’une vie
plus affreuse et plus torturante ci-après. — Oh ! Que
vous servirait-il vraiment de gagner une petite parcelle de ce monde et
de perdre votre âme ?
Jusqu’ici, comme vous le voyez,
nous n’avons arrêté les comptes qu’à cette vie seulement, et maintenant
que servira-t-il à un homme, au moment de sa mort, de gagner le monde
entier, s’il vient à perdre son âme ? — Le voilà sur sa
couche ; il se meurt. Il n’a pas un Dieu qui le console.
Apportez-lui donc ses sacs remplis d’or. Eh ! quoi ? Cela ne
suffit-il pas à apaiser les angoisses de son cœur ? Quoi !
Tes sacs d’or ne peuvent-ils pas t’aider à traverser les eaux du
Jourdain ? Comment, ô homme, tu n’as vécu que pour ces monceaux de
brillantes pièces, est-ce qu’elles ne veulent plus rester auprès de
toi ? Ne veux-tu pas les emporter avec toi dans le
ciel ?… — Non ! — Il branle
douloureusement la tête, car les richesses les plus grandes ne peuvent
pas secourir l’homme qui s’en va mourir. — Vous connaissez
l’histoire de ce matelot qui, en apprenant que le vaisseau allait
sombrer, se précipita dans la cabine, fracassa le bureau de son
capitaine et en tira tout l’argent qu’il put, se l’attacha autour du
corps dans une ceinture, sauta ensuite dans la mer et
disparut, — pour, paraître aussitôt devant son Créateur avec
le témoignage accusateur de son crime autour de ses reins. Ah !
C’était une triste manière de mourir que d’emporter de l’or gagné de la
sorte ! Et croyez-vous que l’or puisse vous être de quelque
utilité, comme que vous l’ayez gagné, quand vous serez à votre dernière
heure ? Non ! Non ! Malgré toutes vos richesses, il vous
faudra courber la tête devant la mort, et, quand vous auriez remporté
les applaudissements et les louanges de toute l’humanité, qu’en
ferez-vous au lit de mort ?
« Jésus seul peut rendre un lit de mort
Aussi doux qu’un lit de plumes légères. »
Ah ! Quand vous sentirez
approcher votre dernier soupir, comme les applaudissements vous
paraîtront chose ridicule ! Je me prends à considérer parfois
combien nous sommes insensés de nous estimer nous-mêmes en proportion
de ce que les autres nous estiment. Quand notre tour de partir sera
venu, nous ferons bien peu de cas du retentissement et de la gloire qui
nous auront suivis pendant notre vie. Que seront à nos yeux l’honneur
et la grande renommée, quand nous en serons à cet
article ? — Des bulles de savon ! Ces bulles
peuvent-elles nourrir une âme ? Non ! — Nous
mépriserons alors ces. vanités. Nous dirons : « Ô renommée,
dépose ta trompette ; laisse-moi mourir tranquille, car bientôt il
me faudra entendre le son de la trompette de l’archange. Renommée, tu
ne sais ce que tu vas disant ! Tu ne fais que troubler mes
derniers assoupissements et me tourmenter sur mon lit de
mort. — Hélas, le profit sera mince, en vérité, si nous avons
gagné des richesses, du pouvoir, des grandeurs ou de la renommée. Ces
choses ne nous seront d’aucun avantage quand nous arriverons à la mort,
si, avec cela, nous venons à perdre notre âme.
Et que servira-t-il à un homme, au
jour du jugement, d’avoir gagné le monde entier, s’il vient à perdre
son âme ? Le voici qui vient devant le tribunal de Dieu, revêtu de
pourpre et un diadème sur le front. Je vois des nuées d’hommes
assemblés autour du trône de Dieu ; mais, monarques et esclaves,
tous sont là pêle-mêle. Les paysans et les princes sont au même rang,
et toutes les distinctions ont disparu. Dieu dit : « Allez,
maudits ! » Et le monarque est damné. Ou bien Il dit :
« Venez, vous les bénis ! » Et le monarque est sauvé.
Mais la même voix leur parle à tous le même langage. S’ils sont enfants
du royaume, il se fait un cri de joie qui les enlève aussitôt et les
transporte dans leurs bienheureuses demeures, et s’ils sont perdus, il
se fait un cri d’horreur qui les précipite dans l’éternelle damnation.
Ah ! L’homme ne tirera aucun profit de tout ce qu’il aura fait,
quand il comparaîtra devant Dieu. Supposez qu’il s’avance et qu’il dise
à son Créateur : « Seigneur, j’avais sur la terre une grande
réputation ; on avait placé une statue sur une haute colonne, où
elle recevait toutes les tempêtes ; la populace et les curieux la
regardaient avec admiration, et on appelait cela de la gloire.
Enverrais-tu donc à la perdition, ô Seigneur, un homme aussi
célèbre ? » — « Ah ! » répond la
Suprême Justice, « que me fait ta statue, si ton âme n’est pas
sauvée, — si tu n’es pas en Christ ? Avec ta statue et
avec toute ta gloire, tu descendras dans
l’abîme. » — Toutes ces vanités ne serviront de rien au
jour du jugement ; tous les hommes seront là sur le même pied
d’égalité ; et si Christ a été notre Sauveur ici-bas, nous serons
sauvés ; mais si nous sommes trouvés hors de Christ, quelque
grands, ou, quelque puissants que nous ayons été, nous serons frappés
de la même sentence que le pauvre.
Encore un mot. Que servira-t-il à
un homme d’avoir gagné le monde entier quand il descendra en enfer,
s’il vient à perdre son âme ? — Ce que ça lui
servira ? … Comment ! mais, bien au contraire,
cela aggravera sa position. — Il y a bien longtemps, un
monarque descendit en enfer. Lorsqu’il entrait jadis dans une ville,
les nobles venaient lui rendre hommage et les monarques lui
témoignaient de la considération ; mais quand il arriva en enfer,
tous les réprouvés l’y attendaient déjà. Chaque monarque qu’il avait
enchaîné à son char de triomphe se trouvait là dans sa cellule ardente.
Là se trouvaient les hommes qu’il avait massacrés et dont il avait
détruit le pays. Lorsqu’il arriva donc en enfer, chacun de ces damnés
se dressa sur son séant, dans son lit de flamme, et, le regardant avec
mépris, se mit à hurler : « Ah ! ah ! Te voilà
enfin devenu comme l’un de nous ! » Il se trouva donc que
plus sa gloire avait été grande sur la terre, plus sa torture était
cuisante en enfer, et que si, comme tout pécheur ordinaire, il avait
gagné sa damnation, — comme pécheur extraordinaire, les
damnations se multipliaient pour lui comme les vagues d’un océan
furieux. Sa grandeur passée avait servi à empirer son malheur.
Va donc, méchant riche !
amasse tes trésors. Un jour, qui sait, tout cela se transformera en
soufre et tu seras obligé de l’avaler tout brûlant. — Va
donc, homme célèbre, sonne ta trompe ou commande qu’on la sonne pour
toi : le souffle de ta renommée servira à allumer les charbons de
la vengeance divine. — Va donc, homme puissant, enveloppe-toi
de ta dignité. Plus tu te seras élevé, plus ta chute sera terrible,
lorsque la main du Tout-Puissant t’abattra dans la poudre et t’écrasera
sous la perdition. Après avoir tout gagné, il se trouvera que tu
n’auras rien gagné du tout !
II.
Nous voici à la fin de notre premier point. Nous avons vu ce que c’est
que de gagner le monde entier ; — c’est au fond, se
constituer en perte, à part toute considération de vie éternelle. Il
nous reste à voir maintenant ce que c’est que de perdre son âme.
Je vous demande toute votre
attention, car je serai bref. — Perdre son
âme ! … perdre son âme ! … Comment
donner même une faible idée de ce que cela signifie ? Il est trois
points de vue qui peuvent nous amener à concevoir cette perte
effroyable. Le premier est celui de la valeur intrinsèque de
l’âme ; le second, celui de ses capacités, et le troisième, celui
du sort qui l’attend si elle est perdue.
1. Vous pouvez concevoir combien la perte d’une âme est une catastrophe
inouïe, en considérant sa valeur intrinsèque. Une âme est un être qui,
à lui seul, vaut dix mille mondes ; des millions de mondes
amoncelés les uns sur les autres comme les grains de sable de la mer ne
sauraient en payer la valeur. Quand chaque gouttelette d’eau qui
compose l’Océan se transformerait en une planète d’or, toute cette
richesse ne pourrait en compenser la perte. Comprenez bien que l’âme a
été créée à l’image de son Créateur, car il est dit : « Dieu
créa l’homme à son image ». L’âme est douée de l’immortalité,
comme Dieu. C’est là ce qui en fait le prix immense. Oh ! Combien
il doit être terrible, par conséquent, de la perdre ! Considérez,
d’autre part, combien l’âme doit être précieuse, puisque Dieu et le
diable se la disputent. — Vous n’avez jamais entendu dire que
le diable travaille à obtenir un royaume. Non. Pas si fou ! Il
sait bien que cela n’en vaut pas la peine. Il n’y pense même pas. Mais
une âme, c’est bien autre chose ! Il y travaille sans
cesse. — Vous n’avez jamais entendu dire non plus que Dieu
ambitionne une couronne. Oh ! Non. Il pense peu aux empires. Mais
une âme c’est bien autre chose ! Il y travaille sans relâche. Son
Saint-Esprit cherche ceux qui sont siens, et Christ a donné sa vie pour
eux. Et pensez-vous que ce que l’enfer désire si ardemment obtenir et
ce que le Ciel fait de si grands sacrifices pour acquérir soit donc
sans valeur ? — Enfin, nous parvenons à comprendre le
prix de l’âme par le prix que Jésus a payé pour la racheter. Il nous a
rachetés, non avec de l’or et de l’argent, mais au prix de son sang et
de sa chair. Ah ! Si, pour sauver une âme, Jésus a donné sa vie,
combien la perte de cette âme doit être une chose épouvantable !
2. Mais l’âme est précieuse aussi parce qu’elle est immortelle ;
ce qui m’amène à parler de ses capacités. — Voyez-vous
là-haut cette couronne de brillantes étoiles ? Voyez-vous ce trône
étincelant avec cette palme ? Voyez-vous cette ville éternelle aux
portes de perle, avec sa lumière plus resplendissante que le
soleil ? Voyez-vous ces rues pavées d’or pur et ces habitants
trois fois heureux ? Il est un paradis que jamais œil n’a vu, qui
dépasse en beauté tous les plus beaux rêves de l’imagination ;
mais si l’âme est perdue, tout cela est perdu ! — Nous
voyons bien des objets perdus signalés dans les journaux. Si un homme a
perdu son âme, permettez que je signale aussi l’objet qu’il vient de
perdre. Il a perdu une couronne ; il a perdu une harpe ; il a
perdu un trône ; il a perdu un ciel ; il a perdu une éternité
de bonheur ! Quand je considère la félicité dont une âme est
susceptible, il me semble que la perte de cette âme est une perte si
grande qu’aucune parole ne peut plus l’exprimer. On gagnerait après
cela un monde : qu’est-ce qu’un monde contre une âme perdue ?
Dans le fait, ces deux choses sont si disproportionnées, que toute
comparaison est impossible. C’est comme si je comparais les Alpes à une
motte de terre. Comment pourrais-je vous exprimer la grosseur de la
terre, si vous ne me donniez pour point de comparaison qu’un grain de
poussière ? Je ne puis pas davantage vous donner la valeur du
ciel, si vous ne me donnez pour point de comparaison qu’un monde.
Ah ! Par cela seul que l’âme est capable de posséder le ciel, sa
perte est quelque chose qui dépasse toute conception.
3. Considérez enfin où devra se rendre toute âme perdue. Il est un lieu
qui est autant au-dessous de toute conception que le ciel est
au-dessus, — un lieu d’épaisses ténèbres, où des flammes
livides font seules apercevoir l’obscurité, — un lieu où des
lits de feu sont la seule couche réservée aux esprits
damnés, — un lieu sur lequel Dieu vomit de sa bouche une
malédiction qui descend en pluie de charbons ardents et de soufre sur
les âmes réprouvées. — Il est un lieu où le regard ne
rencontre de toutes parts que des scènes de terreur et d’horrible
désespoir, — un lieu (je ne sais où il est ; il est
quelque part, non dans les entrailles de la terre, j’espère, car se
serait une triste chose de penser que ce monde porte l’enfer dans ses
flancs ; mais quelque part, dans quelque monde éloigné). Oui, il
est un lieu où la seule musique possible est une affreuse et
discordante symphonie de pleurs et de gémissements qui s’élèvent de la
foule des damnés ; où les sanglots, les cris de douleur, les
lamentations, les hurlements et les grincements de dents forment un
effroyable concert. Il est un lieu où, rapides comme l’éclair, les
démons volent brandissant dans leurs mains, des fouets de cordes
métalliques, nouées et rougies au feu ; où la langue, rendue
ardente par l’excès de l’agonie, brûle le palais et force à crier pour
une goutte d’eau qui ne sera jamais accordée. Il est un lieu où l’âme
et le corps souffriront ensemble tout ce que la colère infinie peut
infliger de torture à l’être fini ; où les condamnations
prononcées par la Justice éternelle, accableront l’âme et flagelleront
la chair, où l’urne de la colère déversera sans interruption sur l’âme
les ardeurs les plus terribles, et où les coups d’épée du courroux de
Dieu trancheront profondément dans les chairs de l’homme intérieur. Ô
hommes qui m’entendez, je ne puis dépeindre ce lieu ; mais avant
qu’une heure se soit écoulée quelqu’un d’entre vous pourrait bien le
voir de ses yeux. Si le voile de votre vie se déchirait en deux, tel
d’entre vous pourrait bien se trouver face à face avec les
réprouvés … Alors, vous sauriez ce que c’est que de perdre
son âme ; mais vous ne le saurez qu’alors, car je ne puis vous en
donner la moindre idée. Toute parole est impuissante ; tout ce que
je dis est trop au-dessous de la réalité. Je ne puis esquisser un
tableau si épouvantable, car la terre ne possède pas de couleurs assez
sombres, assez brûlantes pour en reproduire les horreurs. Ah !
Pécheur, si tu savais ce que signifie le mot enfer, tu saurais aussi ce
que c’est que perdre son âme !
III.
Quelle sera donc LA LEÇON PRATIQUE par laquelle je dois terminer ?
Si — comme ce sera immanquablement le cas, même dans les
circonstances les plus favorables, — si le pécheur fait une
perte déjà immense en gagnant le monde entier, mais en perdant son âme,
qu’elle est donc grande en tous temps la folie de celui qui vend son
âme pour peu de chose ! Voici un homme qui a vendu son âme pour
dix francs. — Quand ? Comment ?
Demandez-vous. — Ah ! Qu’il le dise lui-même ! Ils
sont nombreux ceux qui consentent à faire un pareil
marché. — L’un dit : « Je crois que je gagnerais
deux ou trois francs en laissant ma boutique entr’ouverte le dimanche
et en vendant quelque peu ». — Ah ! Oui, en vérité,
jolie récompense que deux ou trois francs par semaine pour vendre son
âme ! — Un autre dit : « Je crois que
j’obtiendrai telle ou telle bonne place, si je ne m’enrôle pas avec ces
fanatiques », — et le voilà qui cesse d’aller à la
maison de Dieu et devient un homme raisonnable, ayant une piété plus à
la mode, plus moderne. -Parfait ! Excellente spéculation, à coup
sûr ! Ruiner son âme pour l’éternité, en vue d’une bonne place,
c’est certainement une bonne affaire ! La jolie place que vous
aurez gagnée pour plus tard !
Il est étonnant de voir pour quel
minime profit un homme peut vendre son âme ! Je me souviens d’une
anecdote. — Je la crois véritable ; j’allais presque
dire : « J’espère qu’elle l’est ». — Un
pasteur, en traversant les champs, rencontra un campagnard et lui
dit : « Hé bien ! Mon ami, nous avons un temps
magnifique ! » — « Oui, Monsieur,
magnifique ! » — Puis, après avoir un peu causé sur
les beautés de la nature, le pasteur reprit : « Combien nous
devrions être reconnaissants de tant de bienfaits ! J’espère que
vous ne sortez jamais de chez vous sans
prier ? » — « Prier, monsieur ! »
dit le paysan ; « mais je ne prie jamais, je n’ai rien à
demander. » — « Quel homme étrange ! »
dit le pasteur. « Et votre femme, ne prie-t-elle pas non
plus ? » — « Elle prie, si elle
veut. » — « Et vos enfants, ne prient-ils
pas ? » — « Je n’en sais rien, je ne m’en
inquiète guère. » — « Allons, voyons, continua le
pasteur, puisque vous me dites que vous ne priez pas, je vous donne
trois francs, si vous me promettez de ne jamais prier de toute votre
vie. » — « Très bien ! » reprit le
paysan, « seulement je n’en vois pas du tout la nécessité »,
et il prit les trois francs. — De retour chez lui, cet homme
fut frappé d’une pensée : « Qu’ai-je fait-là ? » se
dit-il. Et une voix lui disait : « Allons, Jean, tu mourras
peut-être bientôt, et tu auras alors besoin de prier ; il te
faudra comparaître devant ton Juge, et si tu n’as pas prié, cela ira
mal. » Ces pensées et d’autres du même genre se fixèrent dans son
esprit et commencèrent à le rendre extrêmement malheureux ; plus
il y pensait, plus il était angoissé. Sa femme lui demanda ce qu’il
avait. Pendant longtemps il n’osa rien avouer ; enfin il confessa
qu’il avait fait accord pour trois francs de ne jamais prier de toute
sa vie, et que c’était là ce qui le rongeait. Le malheureux était
persuadé que celui qu’il avait vu dans les champs n’était autre que le
diable. — « Ah ! Jean, fit la femme, pour sûr
c’était le diable, et tu lui as vendu ton âme pour trois
francs ! » — Pendant plusieurs jours, le pauvre
homme fut incapable de travailler et son angoisse devint insupportable.
Il était convaincu d’avoir vendu son âme au démon.
Cependant, le pasteur s’était tenu
au courant de ce qui se passait. Près de là était une chaumière où il
devait aller prêcher. Il pensa que le paysan ne manquerait pas d’y
venir pour apaiser les terreurs de sa conscience, et, en effet, il y
était, et des premiers. Quel fut son étonnement en voyant le même homme
qui lui avait donné les trois francs prendre pour son texte :
« Que servirait-il à un homme de gagner le monde entier, s’il
venait à perdre son âme ? » — « Ah ! oui
vraiment, se disait le paysan, que servira-t-il à un homme qui a vendu
son âme pour trois francs ? » Aussitôt il se lève en
criant : « Tenez, Monsieur, tenez ! Reprenez vos trois
francs ! » — « Hé bien !
qu’est-ce ? » fit le pasteur, « ne me disiez-vous pas
que vous aviez besoin de cet argent, mais que vous n’aviez pas besoin
de prier ? » — « Mais, Monsieur, c’est qu’il
faut que je prie, autrement je suis
perdu ! » — Après quelques paroles échangées, le
pasteur reprit ses trois francs et l’homme se mit à genoux et pria.
Ainsi, cette singulière circonstance fut le moyen dont Dieu se servit
pour le convertir et le sauver. Maintenant, je ne me propose pas de
refaire cette tentative si originale, mais je vous renvoie chez vous
avec cette pensée que plusieurs d’entre vous, sans le vouloir sans
doute, se sont vendus à Satan en consentant à quelque chose de mal en
vue de leur avantage matériel, et qu’à cause de cela seul ils perdront
leur âme.
Y a-t-il quelqu’un ici qui désire
savoir comment son âme peut être sauvée ? Voici ma réponse :
« Croyez au Seigneur Jésus, et vous serez sauvés », et que
celui d’entre vous qui se reconnaît pécheur accepte pour sa consolation
cette parole : « Jésus est venu dans le monde pour sauver les
pécheurs, même le plus grand des pécheurs ». Emporte cette
déclaration, ô le plus grand des pécheurs, et réjouis-toi, car c’est
toi que Jésus est venu sauver. — Que Dieu accompagne ces
paroles de bénédiction, au nom de Jésus-Christ.
JÉSUS, CRÉATEUR ET SAUVEUR.
CANTIQUE.
« La Parole était au
commencement, la Parole était avec Dieu, et cette Parole était Dieu.
Toutes choses ont été faites par elle, et rien de ce qui a été fait n’a
été fait sans elle » (Jean 1:12).
Oui, ces étoiles d’or dont l’espace étincelle,
Ces perles de la nuit, calices de lueur ;
Ces feux du firmament, que le soir nous révèle,
Sont l’œuvre de ce Dieu dont le regard fidèle
Voit chaque bon désir qui naît dans notre cœur !
Oui, cette mer mobile, où le vent se balance,
Avec son bruit tonnant ou son vague soupir ;
Cet abîme sonore, éblouissant, immense,
Est l’œuvre de ce Dieu dont la douce clémence
Recueille chaque pleur de notre repentir !
Oui, ces monts couronnés d’une neige éclatante,
Au sommet desquels seul l’aigle intrépide a fui,
De même que la fleur délicate et tremblante,
Sont l’œuvre, de ce Dieu dont la bonté constante
Veut guider chaque effort tenté pour être à Lui !
Oui, ces vastes forêts, redoutables parages,
Où retentit la foudre aux échos solennels ;
Ces troncs majestueux qu’assaillent les orages,
Sont l’œuvre de ce Dieu qui reçoit les hommages
Et les vœux bégayés aux pieds de ses autels !
Oui, ces masses d’azur, de rameaux, de lumière,
Ces plaines, ces torrents, ces aspects radieux ;
Ces beautés, ces grandeurs de la nature entière,
Sont l’œuvre de ce Dieu qui descendit sur terre,
Pour nous donner sa vie et son sang précieux !
Oui, c’est Jésus qui fit le ciel, la terre et l’onde.
L’éternelle Puissance est l’éternel Amour !
Celui qui le créa vint racheter le monde ;
Celui qui contient tout, ô charité profonde !
Se laissa contenir en un triste séjour !
Sa frêle humanité vint orner une étable ;
Il vécut méprisé, sujet à nos langueurs ;
Il mourut sur la croix, dans un deuil lamentable ;
Et c’était le Dieu fort ! … Et pour moi, vil coupable,
Le Roi des rois souffrit tant d’amères douleurs ! …
Ô mon âme ! Devant ce mystère sublime,
Avec un cri d’amour, abaisse, abaisse-toi !
Adore, en le louant, ton Sauveur magnanime,
Et t’offre à Lui sans cesse en sacrifice intime,
Humble, saint et brûlant de tendresse et de foi !
Émilie Reynaud.