154 - LA NOUVELLE NAISSANCE.

Si un homme ne naît de nouveau, il ne peut voir le royaume de Dieu
(Jean 3:3).

       Dans la vie ordinaire, l’homme se préoccupe naturellement le plus des choses qui sont les plus nécessaires à son existence. C’est ainsi que dans un temps de grande disette, personne ne trouve mauvais que le prix du pain fasse le sujet de toutes les conversations ; chacun sent que c’est là une question d’un intérêt vital pour les masses ; aussi ne songe-t-on pas à se plaindre, bien qu’on doive écouter de continuelles déclamations et lire dans les journaux d’interminables articles sur la matière. J’ai une excuse de la même nature à vous présenter, mes chers auditeurs, pour venir vous entretenir aujourd’hui du sujet si souvent traité de la nouvelle naissance. C’est là, en effet, un sujet d’une importance sans égale ; c’est la clef de voûte de l’Évangile ; c’est un point sur lequel s’accordent tous les chrétiens vrais et sincères sans exception. Dans un sens, on peut dire que la régénération ou la nouvelle naissance (ce qui désigne une seule et même chose) est le fondement même du salut ; sur elle reposent nos espérances pour le ciel ; et de même qu’un architecte ne saurait veiller avec trop de soin à ce que l’édifice qu’il construit soit solidement assis sur sa base, de même nous devons tous examiner diligemment si nous sommes réellement nés de nouveau et si, par conséquent, nous sommes en sûreté pour l’éternité. Beaucoup d’âmes se flattent d’être régénérées, et qui, en réalité, ne le sont point. Il convient donc à chacun de s’examiner fréquemment sous ce rapport, et il est du devoir de tout ministre de l’Évangile de revenir souvent sur un sujet, si propre à porter les enfants des hommes à s’éprouver sérieusement eux-mêmes, si propre à leur faire sonder leurs cœurs et leurs voies.

       J’entre de suite en matière.

       Si un homme ne naît de nouveau, il ne peut voir le royaume de Dieu. Avant tout, je donnerai QUELQUES EXPLICATIONS SUR LA NOUVELLE NAISSANCE ; en second lieu, je dirai ce QU’IL FAUT ENTENDRE PAR LE ROYAUME DE DIEU ; j’examinerai ensuite avec vous POURQUOI UN HOMME QUI N’EST POINT NÉ DE NOUVEAU NE SAURAIT ENTRER DANS LE ROYAUME DE DIEU ; enfin avant de terminer, et en ma qualité d’ambassadeur de Christ, JE PLAIDERAI CONTRE VOUS-MÊMES LA CAUSE DE VOS ÂMES IMMORTELLES.

I.

En premier lieu, je voudrais vous faire bien comprendre, mes chers amis, ce qu’est LA NOUVELLE NAISSANCE. Observez la figure qui est employée dans mon texte ; il est dit qu’un homme doit naître de nouveau. Évidemment, il est ici question de toute autre chose que de ces réformes extérieures et incomplètes dont la vie de presque tous les hommes nous offre des exemples. Pour mieux faire ressortir la différence essentielle qui existe entre un changement de cette espèce et le changement radical de la nouvelle naissance, permettez-moi d’avoir recours à une sorte de parabole : si vous la suivez avec soin, je crois que vous saisirez parfaitement ce que j’ai à cœur de vous démontrer.

       Supposons que dans une contrée de l’Europe, en Angleterre, par exemple, il existe une loi stipulant que nul ne pourra être admis à la cour, occuper les emplois publics ou jouir des privilèges appartenant à la nation, s’il n’a reçu le jour sur le sol anglais. Supposons que ce soit là une condition sine qua non, une condition que rien ne saurait remplacer, en sorte que si un homme n’est point né sur le territoire britannique, possédât-il d’ailleurs tous les avantages et toutes les qualités imaginables, il est par cela seul privé à tout jamais du titre et des droits de citoyen anglais. Supposons maintenant qu’un étranger, un indien rouge, si vous voulez, arrive en Angleterre et qu’il veuille à tout prix se faire naturaliser. Il connaît pourtant la loi du royaume ; il sait qu’elle est formelle, absolue, immuable ; n’importe, il cherche à l’éluder. Il dit : « Je suis prêt à faire toutes sortes de concessions. Et d’abord je changerai de nom. Dans ma tribu, je portais un nom sonore ; on m’appelait Fils du vent d’orient, ou quelque chose de semblable ; mais désormais je me ferai appeler comme l’un de vous, je porterai un nom chrétien, je veux être sujet anglais. » Cet homme réussira-t-il ainsi à échapper aux exigences de la loi ? Voyez-le s’approchant de la porte du palais et demandant d’être admis à la cour. — « Es-tu né sur le sol anglais ? » Telle est la première question qu’on lui adresse. « Non, répond-il, mais j’ai pris un nom anglais. » — « Que nous importe, lui réplique-t-on ; la loi est positive ; puisque tu n’es point né dans ce pays, quand même tu porterais le nom des princes du sang, tu ne seras jamais admis ici. »

       Mes chers auditeurs, ceci s’applique à chacun de vous. Tous ou presque tous du moins, vous faites profession de christianisme. Vivant dans une contrée soi-disant chrétienne, vous considéreriez comme un déshonneur de ne pas vous dire chrétiens. Vous n’êtes ni païens ni infidèles ; vous n’êtes ni juifs ni mahométans. Vous estimez que le nom de chrétien est un nom, recommandable ; en conséquence, vous le portez. Toutefois, ne vous y trompez point : on n’est pas chrétien par le simple fait qu’on s’intitule tel ; et le fait que vous vous rattachez, extérieurement à la religion de l’Évangile parce qu’elle est la religion dominante de votre pays, ne vous servira absolument de rien, si vous ne remplissez la condition sans laquelle nul, ne verra le royaume de Dieu, en d’autres termes, si par la nouvelle naissance vous n’avez été faits les sujets de Jésus-Christ.

       Mais, continue notre Indien rouge, je suis prêt à renoncer aussi au costume de ma race ; j’adopterai les vêtements européens ; je me soumettrai s’il le faut, aux exigences les plus capricieuses de la mode ; l’œil le plus exercé ne découvrira rien en moi qui trahisse mon origine. Voyez : ces plumes, je les jette au vent ; cette hache d’armes, je ne la brandirai plus ; ce mocassin, je l’abandonne pour toujours, Désormais, je suis anglais par mon costume aussi bien que par mon nom. Ainsi paré d’habits de cour et vêtu selon toutes les règles de l’étiquette, ne puis-je point me présenter devant Sa Majesté ? » En parlant ainsi, notre Indien frappe de nouveau à la porte du palais ; mais, vain espoir ! L’accès lui en est encore interdit ; car la loi exige que ceux qui y entrent soient anglais de naissance, et toute la recherche, toute l’élégance de son costume ne saurait racheter l’absence de cette condition.

       Ainsi en est-il d’un grand nombre de ceux qui m’écoutent. Vous ne portez pas simplement le nom de chrétiens : vous vous conformez aussi aux coutumes chrétiennes, Vous fréquentez assidûment la maison de Dieu ; vous allez le dimanche à vos églises ou à vos chapelles ; vous veillez à ce que certaines formes de la religion soient observées dans votre famille ; peut-être même vos enfants vous entendent-ils quelquefois prononcer le saint nom de Jésus. Jusque-là, c’est bien, c’est très bien, et à Dieu ne plaise que je vous blâme à ce sujet ; toutefois, souvenez-vous que ces choses, bonnes en elles-mêmes, deviennent mauvaises si vous n’allez pas plus loin. Souvenez-vous que malgré tous ces dehors de piété, vous serez exclus du royaume de Dieu, à moins que vous n’y ajoutiez la chose essentielle, la chose qui donne du prix à tout le reste, c’est-à-dire la nouvelle naissance. Oui, mon cher auditeur, drapez-vous tant qu’il vous plaira dans les robes magnifiques d’une dévotion extérieure ; ornez votre front des brillantes fleurs de l’appartenance et faites de l’intégrité la ceinture de vos reins ; mettez à vos pieds la chaussure de la persévérance et traversez la vie en homme loyal et droit. Mais sachez-le, sans la nouvelle naissance, tout cela aux yeux de Dieu est comme rien : ce qui est né de la chair est chair, et si vous êtes demeuré étranger à l’opération régénératrice du Saint-Esprit, en vérité, je vous le dis, les portes du ciel resteront à jamais fermées pour vous.

      « Mais, reprend notre indien, je ferai plus que changer de nom et d’habits, j’apprendrai votre langage. Je renonce au dialecte de mes pères. Les sons étranges dont je faisais naguère retentir la forêt vierge ou la sauvage prairie ne passeront plus mes lèvres. J’oublierai le ShuShuhgah et tous ces noms bizarres par lesquels je désignais mes oiseaux ou mon cerf. Je parlerai comme vous parlez, j’agirai comme vous agissez, Non seulement j’emprunterai votre costume, mais je m’appliquerai soigneusement à reproduire vos manières, votre ton, votre accent, votre voix. Je parlerai votre langue avec une correction, une pureté sans égales ; en un mot, je ressemblerai à s’y méprendre à un Anglais de naissance ; ne pourrai-je point alors me présenter à la cour ? » — « Jamais, répond le garde du palais, quoi que tu fasses, ton admission ici est impossible ; car si un homme n’est pas né dans ce pays, il ne peut franchir le seuil de cette porte. »

       Tel est le cas de plus d’un d’entre vous, mes chers auditeurs. Vous parlez absolument comme les chrétiens, vous avez à la vérité un peu trop de faconde religieuse ; vous, vous êtes étudiés à copier si minutieusement les gens pieux, que vous avez fini par exagérer votre modèle ; et vos moindres paroles sont tellement confites en dévotion qu’un œil clairvoyant ne tardera pas à y découvrir une contrefaçon. Toutefois, en général, on vous considère comme un chrétien de bon aloi. Vous avez lu des biographies de croyants distingués, et parfois vous empruntez à ces ouvrages de longues tirades sur les expériences de l’enfant de Dieu, que l’on pense être de vous. Vous avez vécu avec des chrétiens, et vous avez appris à parler comme eux ; il se peut même que vous ayez adopté certaines formules consacrées, certaine phraséologie puritaine auxquelles les âmes simples se laissent prendre. Par le fait, il semble que vous ne différiez en rien de la masse des croyants. Vous êtes membres de l’Église ; vous avez été baptisés ; vous participez à la cène du Seigneur ; peut-être êtes-vous anciens ou diacres. En somme, vous avez tout du vrai chrétien, tout, sauf le cœur. Ah ! Sépulcres blanchis, bien ornés au-dehors, mais pleins au-dedans de toute sorte de pourriture, prenez garde ! Prenez garde ! Il est surprenant de voir à quel point un peintre habile peut donner l’expression de la vie à une toile insensible et inanimée ; mais il est une chose plus surprenante encore : c’est qu’une âme irrégénérée puisse reproduire aussi fidèlement l’image du chrétien. Quoi qu’il en soit, la règle contenue dans mon texte demeure inflexible : si un homme ne naît de nouveau, il ne peut voir le royaume de Dieu ; et malgré ses grands airs de dévotion, malgré les vains oripeaux de sa prétendue piétée, malgré le pompeux étalage de ses soi-disant expériences personnelles, tout homme qui ne remplira point cette condition sera repoussé sans miséricorde des portes du ciel.

       Mais j’entends des voix qui me crient : « Prédicateur de l’Évangile, tu manques de charité ! » Peu m’importe, mes amis, ce que vous pensez à ce sujet ; je n’ai aucun désir d’être plus charitable que Christ. Je n’ai rien dit de mon chef ; Christ a parlé et je répète ses paroles. Si vous les trouvez dures, allez en demander raison à mon Maître ; quant à moi, je ne suis pas l’auteur de cette vérité ; j’en suis simplement l’interprète.

       Il est écrit en toutes lettres : si un homme ne naît de nouveau, il ne peut voir le royaume de Dieu. Supposez que votre domestique ayant transmis mot pour mot un message dont vous l’aviez chargé, s’entende apostropher et accabler d’injures par la personne à qui ce message était adressé. Son premier mouvement ne serait-il pas de se récrier : « Mais, monsieur, ne m’insultez pas, je suis innocent ; je ne puis que vous rapporter ce que mon maître m’a dit ; s’il y a faute, elle est à lui et non à moi ». Il en est exactement de même du serviteur de Dieu qui vous parle. Si vous trouvez qu’il manque de charité, ce n’est pas lui que vous accusez : c’est Christ. Ce n’est pas au messager que vous devez vous en prendre : c’est au message. Encore une fois, il est écrit : si un homme ne naît de nouveau, il ne peut voir le royaume de Dieu …  Je n’ai ni le temps ni le désir de discuter avec vous ; je me bornerai à vous redire que cette déclaration vient de Dieu. Rejetez-la ou acceptez-la, à votre choix ! Mais souvenez-vous que si vous la rejetez c’est à vos risques et périls, car ce n’est point impunément qu’on refuse de croire à une parole sortie de la bouche du Très-Haut.

       Mais de quelle manière la nouvelle naissance peut-elle s’obtenir ? C’est là une question qu’il importe de résoudre. Je me flatte qu’il n’est dans cette assemblée personne d’assez ignorant ou d’assez aveugle pour croire à la vertu régénératrice du baptême. Je penserais en vérité faire injure à mes auditeurs en supposant qu’il pût y avoir parmi eux un seul homme assez peu éclairé pour ajouter foi à une semblable doctrine. Cependant, comme cette doctrine, aussi contraire au plus simple bon sens qu’aux enseignements de l’Écriture, n’est que trop répandue dans le monde, je ne puis me dispenser d’en dire quelques mots.

       Il y a des gens qui soutiennent fort gravement que les quelques gouttes d’eau répandues sur le front d’un enfant par un ministre du culte font de cet enfant un être nouveau, un être Régénéré … eh bien, je vous l’accorde.

       Mettons qu’il en soit ainsi ; mettons que par je ne sais quelle influence magique, la cérémonie du baptême produise nécessairement la nouvelle naissance. Mais, en retour de cette concession, permettez-moi de vous montrer vos soi-disant régénérés quelque vingt ans plus tard.

       Voyez-vous ce jeune homme qui dissipe les meilleures années de sa vie dans les plus coupables débordements ? …  C’est un de vos régénérés, car il a reçu les eaux du baptême : or, si le baptême régénère, ce jeune homme est régénéré tout comme un autre. Tendez-lui donc une main sympathique et recevez-le comme un frère dans le Seigneur. — Entendez-vous cet impie qui jure et blasphème contre Dieu ? Son langage profane vous indigne et cependant qui le croirait ? Il est régénéré ; le ministre de la religion a versé sur son front les eaux sacramentelles : reconnaissez donc en lui un homme nouveau et un héritier du royaume de Dieu. Regardez cet ivrogne qui chancelle dans nos rues ; il est une plaie pour ses alentours ; il se querelle avec tous ses voisins ; il maltraite ; sa malheureuse compagne ; il est pire que la brute. Toutefois, ô prodige ! Cet homme, ce misérable auquel vous rougiriez d’adresser la parole, il est régénéré ! Oui, vous dis-je, il l’est tout autant que vous pouvez l’être, car il a été baptisé en bonnes formes. — Un dernier exemple. Voyez-vous cette foule qui se presse dans les rues ? La potence est dressée. Un grand coupable, un assassin, un empoisonneur, dont le nom restera dans les fastes du crime comme un type de la perversité la plus noire, va subir sa sentence (allusion au Dr Palmer, médecin anglais, qui fut exécuté à Londres en 1856 pour avoir empoisonné sa femme, en lui administrant pendant plusieurs mois de la strychnine en petites doses). Eh bien, voilà encore un de vos régénérés ! À moins d’être en désaccord avec vous-mêmes, vous ne pouvez lui refuser ce titre, car lui aussi a été baptisé dans son enfance. Il était régénéré quand il préparait la coupe empoisonnée ; régénéré, quand il l’administrait jour après jour à sa victime ; régénéré, quand il la voyait se débattre dans l’agonie et mourir dans les tortures ! …  Régénéré, vraiment ! Mais, à ce compte, qui voudrait, je vous prie, de votre régénération ? Si telle était la régénération de l’Évangile, en vérité je serais le premier à dire que l’Évangile encourage le vice et la licence ! Si l’Écriture enseignait que des hommes qui vivent dans le péché, sont régénérés, et par conséquent en état de grâce, j’affirme qu’il serait du devoir de tous les honnêtes gens de réunir leurs efforts pour faire disparaître au plus tôt de ce monde un livre aussi pernicieux ; car il renverserait les principes les plus élémentaires de la morale publique, et prouverait par là qu’il vient, non de Dieu mais du diable.

       Et ce que je dis du baptême des enfants, je le dis également du baptême des adultes. Pas plus que le premier, le second ne peut, nous faire naître de nouveau. S’il est ici des personnes qui pensent autrement, je n’y puis rien : si elles veulent garder leur opinion, qu’elles la gardent. En tous cas il me semble que l’histoire de Simon le magicien doit déranger singulièrement leur système. En effet, Simon fut baptisé dans les circonstances les plus favorables ; il fut baptisé en pleine connaissance de cause, après avoir fait une profession publique de sa foi ; et pourtant, bien loin d’avoir été régénéré par son baptême, il s’attire presque aussitôt, de la part de l’apôtre Pierre, cette sévère censure : je vois que tu es dans un fiel très amer et dans les liens de l’iniquité (#Ac 8:23). Mais à quoi bon prendre la peine de réfuter une erreur aussi manifeste ? Il devrait suffire, semble-t-il, d’énoncer une pareille doctrine pour que tout homme intelligent la rejetât avec mépris ; toutefois, l’on comprend sans peine que les amateurs d’une religiosité élégante et frivole, qui veulent une piété toute de formes et d’apparat, et qui n’apprécient un culte qu’au point de vue de l’art et de la poésie, se fassent les défenseurs de cette doctrine. Car ils ont cultivé leur goût aux dépens de leur cerveau, et ils ont oublié que ce qui n’est pas en accord avec la saine raison d’un homme impartial et droit, ne peut être d’accord non plus avec la Parole de Dieu (ce paragraphe et le précédent s’appliquent surtout, dans la pensée de l’auteur, aux puseyistes d’Angleterre. Néanmoins nous avons cru utile de les reproduire, car sans parler d’une communion étrangère à la nôtre, où la doctrine de la régénération par le baptême est pour ainsi dire un article de foi, n’y a-t-il point, au sein même de nos Églises évangéliques, beaucoup de personnes qui, à, leur insu peut-être, partagent à quelque degré les vues et les tendances combattues ici par l’auteur ? — note du traducteur).

       L’homme ne saurait obtenir la nouvelle naissance par le baptême : voilà donc un premier point établi. Examinons maintenant s’il pourra l’obtenir par ses propres efforts. J’affirme que non. Sans doute, un homme peut réformer sa vie, et il est très bon qu’il le fasse : plût à Dieu que tous travaillassent dans ce sens ! C’est ainsi que l’on peut se corriger de certains vices, renoncer à certaines convoitises et triompher de certaines habitudes mauvaises qui vous maîtrisaient autrefois ; mais quant à se régénérer, c’est absolument impossible. On aurait beau lutter, combattre, s’efforcer : jamais on n’y parviendra, par la raison toute simple que c’est là une chose au-dessus du pouvoir de l’homme.

       Et en supposant même (ce qui est une absurdité) que quelqu’un pût réussir d’une manière ou d’une autre à se faire naître de nouveau, observez qu’il ne serait pas encore propre à entrer dans le ciel, car il y aurait toujours une condition qu’il ne saurait remplir, Si un homme ne naît DE L’ESPRIT, est-il dit expressément dans un des versets qui suivent mon texte, il ne peut entrer dans le royaume de Dieu. Or, je le demande, tous les efforts de la chair ne sont-ils pas frappés d’impuissance en face de ce grand but à atteindre : la nouvelle naissance par le Saint-Esprit ?

       Comment donc un homme peut-il naître de nouveau ? Le voici, mes bien-aimés. Il faut que Dieu le Saint-Esprit, par une action surnaturelle, c’est-à-dire plus que naturelle — (car remarquez que je prends ce mot dans son acception à la fois la plus simple et la plus absolue) — il faut, dis-je, que le Saint Esprit opère sur le cœur des hommes, et par ce travail divin, les hommes sont régénérés. Mais si Dieu le Saint-Esprit, qui produit en nous le vouloir et le faire selon son bon plaisir, n’agit point ; s’il n’opère point sur notre volonté et sur notre conscience, la nouvelle naissance, je le dis hardiment, est une impossibilité, et par conséquent le salut l’est aussi. — « Comment, s’écrie quelqu’un, voudriez-vous réellement nous faire accroire qu’une intervention directe, de la Providence soit nécessaire pour qu’un homme naisse de nouveau ? » Oui, mon cher auditeur, je l’ai dit et je le maintiens. Pour qu’une âme soit sauvée, il ne faut rien moins qu’une manifestation de la puissance divine, qui vivifie le pécheur, dompte la volonté rebelle, attendrit la conscience endurcie, de telle sorte que celui qui naguères méprisait Dieu et repoussait Christ, est conduit à se jeter, contrit et humilié, aux pieds de Jésus. On dira peut être que cette doctrine est du fanatisme, du mysticisme, de l’illuminisme ; peu m’importe : c’est une doctrine scripturaire, et cela me suffit. Si un homme ne naît de l’Esprit, il ne peut entrer dans le royaume de Dieu, ce qui est né de la chair est chair, et ce qui est né de l’Esprit est esprit. Si ces déclarations ne sont pas de votre goût, je vous l’ai déjà dit, prenez-vous en à mon Maître et non à moi. En affirmant que pour entrer dans le royaume de Dieu, il vous faut quelque chose que vous n’obtiendrez jamais par vous-mêmes, j’expose simplement une vérité révélée par le Seigneur. Je le répète, une opération divine est indispensable pour produire la nouvelle naissance : appelez cette opération miraculeuse, si vous voulez ; elle l’est en effet, dans un certain sens. Il faut que Dieu intervienne en votre faveur ; il faut qu’un travail divin s’accomplisse dans votre âme. Que vous soyez placé sous une divine influence, sans quoi, mon cher auditeur (faites d’ailleurs ce qui vous plaira),  —  vous périrez infailliblement. Si un homme ne naît de nouveau. Il ne peut voir le royaume de Dieu : c’est là une règle qui ne souffre point d’exception. Et notez bien que cette nouvelle naissance est une transformation radicale ; elle nous donne une nouvelle nature, nous fait aimer ce que nous haïssions et haïr ce que nous aimions ; elle ouvre devant nous un chemin nouveau, de nouvelles perspectives ; elle rend nos habitudes différentes, nos pensées différentes, nos paroles différentes. Elle nous rend différents en particulier, différents en public, en sorte que cette parole de l’Apôtre est accomplie en nous : si quelqu’un est en, Christ, il est une nouvelle créature, les choses anciennes sont passées, voici, toutes choses sont devenues nouvelles (#2Co 5:17).

II.

Passons au second point de notre sujet. J’espère avoir expliqué ce que l’on doit entendre par régénération ou nouvelle naissance, de manière à être compris par tout le monde. Demandons-nous maintenant ce que signifie cette expression : VOIR LE ROYAUME DE DIEU.

       Elle signifie deux choses, mes bien-aimés.

       Voir le royaume de Dieu sur la terre, c’est être membre de l’Église mystique de Jésus-Christ ; c’est jouir des privilèges et de la liberté des enfants de Dieu ; c’est pouvoir répandre avec confiance son âme dans la prière, vivre en communion avec Christ, recevoir les communications du Saint-Esprit et porter, à la gloire de Dieu, ces fruits excellents et bénis qui sont les effets de la nouvelle naissance. Voir le royaume de Dieu dans la vie à venir, c’est être admis dans le ciel ; c’est contempler le Seigneur face à face, c’est être fait participant de ces rassasiements de joie qui sont à la droite de Dieu pour jamais. Ainsi, lorsque Jésus-Christ déclare dans les paroles de mon texte, que si un homme ne naît de nouveau, il ne peut voir le royaume de Dieu, il veut dire que cet homme ne peut ni goûter les dons célestes ici-bas, ni jouir des biens célestes dans l’éternité.

III.

Je crois qu’il n’est pas nécessaire que je m’étende davantage sur ce point. Je vais donc passer outre et rechercher avec vous POURQUOI UN HOMME QUI N’EST POINT NÉ DE NOUVEAU NE SAURAIT VOIR LE ROYAUME DE DIEU.

       Pour être plus bref, je restreindrai mes remarques au royaume de Dieu dans le monde à venir.

       Et d’abord, un homme irrégénéré ne saurait voir le royaume de Dieu, par la raison bien simple qu’il serait hors de sa place dans le ciel. Il y a dans sa nature une incompatibilité complète avec les joies du paradis. Vous pensez peut-être, mes chers amis, que le ciel consiste simplement en ces murailles de pierres précieuses, en ces portes de perles et en ces rues pavées d’or fin dont nous parle l’Apocalypse. Détrompez-vous. Toutes ces magnificences ne sont, pour ainsi dire, que l’enveloppe extérieure du ciel. Le ciel proprement dit est toute autre chose. C’est un état d’âme qui doit commencer ici-bas, que l’Esprit de Dieu peut seul produire en nous, et à moins que cet Esprit n’ait entièrement renouvelé notre être moral en nous faisant naître de nouveau, il est impossible que nous jouissions des choses du ciel. Qui de nous ne voudrait jamais croire qu’un pourceau pût faire un cours d’astronomie ou qu’un limaçon pût bâtir une ville ? Évidemment, il y a dans ces deux cas impossibilité physique, impossibilité absolue : or, j’affirme qu’il y a impossibilité tout aussi grande à ce qu’un pécheur irrégénéré ne jouisse jamais du ciel. Et il ne faut pas un grand effort d’esprit pour le comprendre. Aucun des goûts de l’homme naturel ne serait satisfait dans le ciel ; il n’y trouverait rien de ce qu’il aime. Si on le transportait au milieu des délices de la sainte Jérusalem, il y serait profondément malheureux. Il s’écrierait : « De grâce, de grâce, laissez-moi, sortir ! Je ne puis supporter l’ennui de ce lieu. » J’en appelle à vous-mêmes, mes auditeurs inconvertis : n’est-il pas vrai que bien souvent le sermon vous semble trop long, le chant des louanges de Dieu fatigant et insipide, et l’obligation de venir chaque dimanche à la maison de Dieu un fardeau insupportable ? Que feriez-vous donc, je vous le demande, si vous étiez tout d’un coup transporté dans un lieu où le Seigneur est loué nuit et jour ? Puisqu’une courte prédication suffit aujourd’hui pour vous ennuyer, qu’éprouveriez-vous, en entendant les éternels entretiens des rachetés, discourant de siècle en siècle des insondables merveilles de l’amour rédempteur ? Puisque la compagnie des justes vous est antipathique ici-bas, comment pourriez-vous passer l’éternité avec eux ? … 

       Ah ! Mes amis, il y en a beaucoup parmi vous, je le crains, qui préfèrent chanter toute autre chose que des psaumes, qui trouvent la Bible mortellement ennuyeuse et qui ne prennent aucun intérêt aux choses d’en haut. Qu’on donne aux uns la coupe enivrante, aux autres les voluptés de la vie, à ceux-ci les folies et les joies du siècle : voilà leur ciel. Mais un tel ciel n’existe pas encore que je sache. Le seul qui existe, c’est le ciel des êtres spirituels, le ciel de la louange, le ciel de l’adoration, le ciel de l’adoption par le Bien-Aimé, le ciel de la communion avec Christ. Or, vous ne comprenez rien à ces choses ; vous traitez de visionnaires ceux qui vous en parlent ; il y a plus : si vous les possédiez, vous n’y prendriez aucun plaisir, car la faculté de les apprécier vous manque.

       Ainsi, par le seul fait que vous n’êtes point nés de nouveau, vous êtes vous-mêmes le premier obstacle à votre admission dans le ciel ; et en supposant que Dieu vous ouvrît la porte toute grande et qu’il vous criât : « Entrez ! », je le répète, vous ne pourriez pas, vous ne voudriez pas y habiter, car si un homme ne naît de nouveau, il est impossible, moralement impossible qu’il puisse voir le royaume de Dieu. S’il y avait ici des personnes complètement sourdes et que je disse qu’elles ne peuvent jouir de nos chants sacrés, avancerais-je une chose étrange, ou malveillante, ou cruelle ? Eh ! Non, sans doute : je constaterais leur inaptitude à entendre, voilà tout. De même, quand Dieu vous dit que vous ne pourrez voir son royaume, il constate votre entière inaptitude à jouir du ciel, et par conséquent à y entrer.

       Mais ce n’est pas tout ; il y a d’autres raisons qui ferment les saintes portes du paradis à l’homme irrégénéré. Interrogeons les intelligences célestes qui sont devant le trône de Dieu. — « Ô vous esprits bienheureux et purs, anges, principautés et puissances, dites-nous, je vous prie, si des âmes qui n’aiment point Dieu, qui ne croient point en Christ, qui ne sont point nées de nouveau, seraient les bienvenues parmi vous ?… » Il me semble voir des milliers de lances s’élever par-dessus les murailles du paradis et des milliers de chérubins, au visage flamboyant, nous regarder avec surprise du haut du ciel. « Non, jamais ! » s’écrient-ils tous d’une voix ; « jadis nous avons combattu le dragon et nous l’avons précipité dans l’abîme parce qu’il nous incitait à la révolte ; et maintenant comment admettrions-nous le méchant au milieu de nous ? Non, non ! Ces murs d’albâtre ne doivent pas être ternis par le contact de doigts impurs et pleins de convoitise ; ces rues pavées d’or ne doivent pas être foulées par les pieds des profanes et des ouvriers d’iniquité ; et aussi longtemps que ces bras auront de la force et ces ailes de la puissance, le pêché n’entrera point ici ! » — Repoussé par les anges, je m’adresse aux élus glorifiés, aux esprits des justes rachetés par la grâce souveraine. « Enfants de Dieu, consentiriez-vous à ce que les pécheurs entrassent dans le ciel tels qu’ils sont, sans être nés de nouveau ? Vous aimez les hommes ; vous êtes amour comme votre Dieu : dites, dites, dites, voudriez-vous que les enfants du monde fussent confondus avec vous ?… » Je vois le saint homme Lot qui se lève et qui s’écrie d’une voix frémissante : « Quoi ? N’ai-je point été assez longtemps affligé de la conduite des abominables ?… » Je vois Abraham qui s’avance à son tour et qui dit : « Non, nous ne voulons point que les méchants habitent parmi nous. Pendant mon séjour sur la terre, je n’ai que trop vécu dans leur compagnie ; leurs mauvaises paroles et leurs railleries, leurs discours profanes et leur vaine manière de vivre ont cruellement attristé mon âme. Jamais nous ne souffrions qu’ils entrent ici. » Et tout célestes qu’ils sont, tout remplis d’amour que sont leurs esprits, il n’est pas un seul des saints glorifiés qui ne repoussât avec une juste indignation le pécheur assez téméraire pour oser se présenter à la porte du ciel sans que son âme ait été entièrement renouvelée au moyen de la nouvelle naissance.

       Mais tout cela ne serait encore rien. Si les remparts du ciel n’étaient défendus que par des anges, nous pourrions peut-être les prendre d’assaut, et si les portes du paradis n’étaient gardées que par des saints, nous pourrions peut-être les ouvrir de vive force. Mais le Tout-Puissant a dit : si un homme ne naît de nouveau, il ne peut voir le royaume de Dieu. Quoi, pécheur ? Oserais-tu tenter d’escalader les créneaux du ciel quand DIEU lui-même est prêt à te précipiter en enfer ? Aurais-tu l’inconcevable insolence de vouloir lui résister ? Dieu l’a dit, de cette voix qui fait trembler la terre :

       « Vous ne verrez point mon royaume ! » Peux-tu lutter avec le Souverain ? Peux-tu combattre la toute-puissance ? Donneras-tu le démenti au Très-Haut ? Ver de la poudre ! T’élèveras-tu contre ton Créateur ? Insecte d’un jour, qui tremble lorsque l’éclair sillonne la nue, feras-tu la guerre au Dieu fort ? Essaieras-tu de lui tenir tête ? Ah ! Pauvre insensé, comme l’Éternel se rirait de toi ! De même que la neige se fond au soleil et que la cire se fond au feu, ainsi te fondrais-tu en sa présence, si seulement sa fureur s’enflammait tant soit peu ! Ne te berce donc point d’une vaine espérance. Dieu a scellé contre toi les portes du paradis, et jamais tu n’y entreras tel que tu es. « Je ne récompenserai point le méchant avec le juste », a dit le Dieu de la justice ; « je ne souffrirai point que rien de souillé ternisse la pureté sans tache de mon saint paradis. Si le pécheur se convertit, j’aurai compassion de lui, mais s’il ne se convertit pas, je suis vivant, dit l’Éternel, que je le mettrai en pièces comme le vase d’un potier, et il n’y aura personne qui le délivre ! » Eh bien ! Pécheur, que comptes-tu faire ? Veux-tu t’élancer contre le bouclier du Roi des rois ? Veux-tu à toute force pénétrer dans son ciel, alors que son arc est tendu contre toi et que sa flèche va percer ton cœur ? Quoi ! Lorsque son épée est déjà levée sur ta tête, oseras-tu bien le braver en face ? …  Va, infime pot de terre, va, si bon te semble, contester avec tes pareils ! Chétive sauterelle, va guerroyer contre des sauterelles comme toi ; mais de grâce, ne songe pas à te mesurer avec le Tout-Puissant ! Il l’a dit, et jamais — non jamais — aucune âme vivante n’entrera dans son royaume, à moins d’être née de nouveau. — Si cette doctrine vous déplaît, mes chers auditeurs, je vous le dis encore, accusez mon Maître et non pas moi, car je ne fais que répéter ses enseignements ; et si je vous parle aujourd’hui en son nom, oh ! Croyez-le, c’est par amour pour vos âmes immortelles ; c’est de peur que, faute d’avoir connu la vérité, vous ne périssiez dans les ténèbres et que vous ne couriez, les yeux bandés, à votre perdition éternelle.
IV.

Et maintenant, je désire en finissant PLAIDER CONTRE VOUS LA CAUSE DE VOS ÂMES.

       J’entends une personne qui se dit : « Oui, c’est vrai ; la nouvelle naissance est nécessaire pour entrer au ciel ; aussi j’espère qu’après ma mort, je naîtrai de nouveau ». Oh ! Pécheur qui te tranquillise de la sorte, laisse-moi te dire que tu es le plus insensé des hommes ! Une fois morte ne sais-tu pas que le sort des humains est irrévocablement fixé ? Au-delà de la tombe, la conversion n’est plus possible : il est trop tard. Notre vie est comme de la cire qui s’amollit à la chaleur du feu ; la mort y pose son funèbre cachet ; puis la cire se refroidit et l’empreinte ne peut être changée. Chacune de nos âmes est semblable à du métal en ébullition qui se précipite de la chaudière dans des moules : la mort refroidira ce métal bouillant et nous serons moulés pour l’éternité. J’entends la voix inflexible du destin qui crie sur les morts : que celui qui est saint se sanctifie encore davantage, que celui qui est injuste soit encore injuste, que celui qui est souillé se souille encore ! (#Ap 22:11). Les damnés sont perdus sans retour ; ils ne sauraient naître de nouveau. Toujours maudits et toujours maudissant ; toujours luttant contre Dieu et toujours écrasés sous ses pieds ; toujours blasphémant son nom et toujours couverts d’un opprobre éternel ; toujours se révoltant contre sa puissance et toujours torturés par les pointes aiguës du remords, ils n’ont d’autre perspective que de voir se renouveler d’âge en âge leurs péchés et leurs tourments. Non, de l’autre côté du tombeau, il n’est plus de régénération possible.

       « Quant à moi, dira un autre, je ferai en sorte d’être régénéré lorsque je serai à l’article de la mort. » Et toi aussi, ô homme, tu n’es qu’un misérable insensé ! Comment sais-tu, je te prie, que tu vivras un jour de plus ? As-tu donc pris un bail pour ta vie comme tu l’as fait pour ta maison ? Peux-tu assurer le souffle de tes narines, comme tu assures tes meubles ou tes récoltes ? Peux-tu dire avec certitude qu’un autre rayon de lumière n’atteindra jamais ton œil ? Et sais-tu bien si ton cœur dont les battements sont comme la marche funèbre qui t’accompagne vers le sépulcre, n’en battra pas bientôt la dernière note ? …  Si tes os étaient de fer, tes muscles d’airain et tes poumons d’acier, alors je concevrais, ô homme, que tu comptasses sur l’avenir. Mais tu es formé de la poudre de la terre ; tu es pareil à la fleur des champs ; ta vie est vacillante comme une lampe qui s’éteint ; tu peux mourir d’un instant à l’autre …  Ô mort ! Je te vois au milieu de cette grande assemblée, aiguisant ta faux sur la pierre du temps. Aujourd’hui — aujourd’hui tu vas la lever sur quelques-uns de nous ; et demain — demain — le jour suivant, tu continueras ton œuvre de destruction ; tu faucheras l’herbe de la terre et nous tomberons les uns après les autres ! Il faut, IL FAUT mourir : telle est la loi fatale qui pèse sur les enfants d’Adam. Comme un torrent impétueux, comme un navire entraîné par un tourbillon, comme une pièce de bois descendant le courant et se précipitant vers une cataracte, ainsi nos jours se précipitent vers l’éternité. Il n’est pas de puissance capable d’arrêter aucun de nous dans sa course rapide. En cet instant même, nous mourons, nous sommes en voie de mourir ! Et cependant, ô inconcevable folie ! Tu oses dire, mon cher auditeur, que tu prendras soin de naître de nouveau au moment de comparaître devant Dieu ! Ah ! Ce n’est point du temps à venir qu’il s’agit : es-tu régénéré maintenant ? Voilà la question. Si tu ne l’es pas aujourd’hui, demain il peut être trop tard ; demain tu peux être en enfer, demain tu peux être perdu sans retour ! … 

       Mais j’entends une autre voix qui s’écrie dédaigneusement : « Pour ma part, il m’importe fort peu de naître de nouveau, car je ne crois pas que je perde beaucoup en étant exclu du paradis ». Ah ! Pécheur, tu parles de la sorte parce que tu ne comprends rien à ces choses. Maintenant les vérités les plus solennelles te font sourire, mais un jour viendra, sache-le, où ta conscience sera tendre, ta mémoire fidèle, ton jugement éclairé, et tes idées bien différentes de ce qu’elles sont aujourd’hui. En enfer, les pécheurs ont beaucoup plus de sens commun qu’ils n’en ont sur la terre ; en enfer, ils ne rient plus des flammes éternelles ; ils ne méprisent plus la fournaise ardente de feu et de soufre. Dès que le ver qui ne meurt point commence à leur ronger le cœur, ils perdent à l’instant même leur verve et leur audace. Aujourd’hui vous pouvez à votre aise vous moquer du serviteur de Dieu qui vous parle en son nom, mais, soyez-en sûrs, la mort mettra fin à vos moqueries. Oh ! Mes chers auditeurs, s’il ne fallait qu’encourir voire mépris, Dieu sait que je m’y soumettrais de bon cœur ! Méprisez-moi, oui, méprisez-moi tant qu’il vous plaira ; mais, je vous en conjure, au nom de vos intérêts éternels, ne vous méprisez pas vous mêmes ! Oh ! Ne soyez point assez stupides, assez dépourvus d’intelligence pour courir en sifflant au feu éternel et en riant à la perdition ! Lorsque vous serez en enfer vous reconnaîtrez, mais trop tard, que c’est un lieu dont on ne doit point se jouer. Lorsque vous verrez les portes du ciel se fermer devant vous, il ne vous sera plus aussi indifférent d’être exclu du paradis. Vous êtes venus pour la plupart m’entendre prêcher aujourd’hui, comme vous, seriez allés à l’opéra ou au concert : vous espériez, sinon que je vous amuserais, du moins, que je vous procurerais quelques distractions. Ah ! Dieu m’est témoin que tel n’a point été mon but. Je suis venu ici ce matin résolu, s’il le fallait, à faire usage de paroles dures, à ne point ménager le pécheur, et cela dans son propre intérêt, afin qu’il ne périsse pas, mais qu’il vive. Je suis venu aussi pénétré du sentiment de ma responsabilité, et pressé de vous avertir solennellement, afin qu’au dernier jour je sois trouvé net du sang de vous tous. Et maintenant, s’il est une seule âme parmi vous qui se perde, ce ne sera point faute d’avoir connu la vérité. Hommes et femmes qui m’écoutez, souvenez-vous que si vous périssez, mes mains sont lavées dans l’innocence, car je ne vous ai point caché le sort qui vous attend. Encore une fois, je vous crie : repentez-vous, repentez-vous, repentez-vous, car si vous ne vous repentez, vous périrez tous sans exception ! Si un homme ne naît de nouveau, il ne peut voir le royaume de Dieu.

       Mais ici je prévois une nouvelle interruption. « Naître de nouveau ? Naître de nouveau ? Dira quelqu’un ; quel mystère ! Je ne puis le comprendre. Ministre de l’Évangile, explique-le moi, je te prie. » — Mon frère, mon frère, tu es fou, complètement fou ! … Vois-tu ce feu ?

       Il est minuit, nous sommes réveillés en sursaut ; nous nous élançons hors de nos lits ; une lueur sinistre illumine nos fenêtres ; nous nous précipitons dans la rue. Elle est déjà envahie par la foule. On va, on vient, on se heurte, on se presse ; c’est à qui atteindra le plus tôt le foyer de l’incendie. Les pompiers sont à l’œuvre ; des torrents d’eau sont lancés sur la maison enflammée. Mais écoutez, écoutez ! Dans cette maison il y a un homme ; il est à l’étage supérieur, il n’a que tout juste le temps de s’échapper. On lui crie de toutes parts : « Au feu ! Au feu ! Vite, descendez ! » Mais il ne donne pas signe de vie. Voyez : une échelle est placée contre le mur, elle atteint le rebord de la fenêtre, une main vigoureuse enfonce le Châssis … et le malheureux, que fait-il pendant tout ce temps ? Est-il attaché à son lit ? Est il infirme, ou bien quelque mauvais esprit l’étreint-il de sa main de fer et l’a-t-il cloué au plancher ? Non, non, non, rien de tout cela. Il sent les planches s’échauffer sous ses pieds ; la fumée le suffoque, les flammes envahissent sa chambre ; il sait qu’il n’y a pour lui d’autre moyen de salut que cette échelle qui est là sous sa fenêtre. Et il ne bouge pas ! Et il ne s’émeut pas ! Mais au nom du ciel, que fait donc cet homme ? — Ce qu’il fait ? J’ose à peine vous le dire, car vous ne pourrez croire à tant de Folie … il est tranquillement assis au milieu de la chambre et se parle ainsi à lui-même : « L’origine de ce feu est bien mystérieuse ; je ne puis me l’expliquer ; comment faire pour la découvrir ? » Tu ris de ce malheureux, mon cher auditeur, et tu as raison, mais en riant de lui, sache que tu ris de toi-même. Oui, ta folie est non moins grande que celle de cet homme. Tu cherches une réponse à telle question et encore à telle autre, et cela tandis que ton âme est menacée de la mort éternelle ! Oh ! Quand tu seras sauvé, tu pourras à ton aise poser toutes les questions qu’il te plaira ; mais tant que tu es dans la maison embrasée, en danger de périr d’un moment à l’autre, est-ce bien le temps, je te le demande, de chercher à sonder les mystères, de t’embarrasser du libre arbitre, de l’élection de grâce, de la prédestination absolue ou d’autres sujets du même genre ? Toutes ces questions sont fort bonnes à leur place, et ceux qui sont déjà sauvés font très bien de s’en occuper. Qu’après l’incendie et lorsqu’on est en lieu sûr, l’on se mette à discuter sur la cause probable du sinistre, rien de mieux ; mais quant à présent, ô pécheur irrégénéré, l’unique question qui doit te préoccuper est celle-ci : « Que faut-il que je fasse pour être sauvé ? Comment échapperai-je à la grande condamnation qui pèse sur moi ? »

       Mais, hélas ! Mes amis, je ne puis vous parler comme je le voudrais ! …  Il me semble que j’éprouve en ce moment quelque chose de pareil à ce que dut éprouver le Dante en écrivant son Enfer. Les contemporains du grand poète disaient de lui que sûrement il avait visité les régions infernales, tant il les décrivait avec solennité et puissance. Ah ! Plût à Dieu que je pusse vous parler ainsi ! Encore quelques jours, quelques années tout au plus, et nous nous rencontrerons face à face devant le tribunal de Dieu. « Sentinelle, sentinelle, dira une voix, as-tu averti ces âmes de fuir la colère à venir ? » Que répondrez-vous ? Pourrez-vous dire que je ne l’ai point fait ? Non, je sais que vous ne le pourrez pas. Je sais que tous, même le plus impie d’entre vous, serez contraints dans ce grand jour de répondre au souverain Juge : « Oh ! Seigneur, nous nous sommes ris de ton ministre, nous nous sommes égayés à ses dépens, nous n’avons point pris garde à ses paroles ; mais nous ne pouvons le nier, il nous a parlé avec sérieux, il nous a avertis de notre danger, il nous a exposé clairement toute la vérité ; il a fait son devoir à l’égard de nos âmes ! »

       Une dernière remarque et je vous quitte.

       Plusieurs de vous ont des parents au ciel, n’est-il pas vrai ? Peut-être des êtres aimés vous ont-ils dit, en pressant votre main dans leur main défaillante : « Adieu ! Au revoir là-haut ! » Mais, ne vous y trompez point : si vous ne naissez de nouveau, vous ne les reverrez jamais, car vous n’entrerez pas dans le royaume de Dieu. « Quoi, s’écriera l’un, ma mère dort là-bas dans le cimetière ; je visite souvent sa tombe et je me plais à l’orner de fleurs, en souvenir de celle qui me porta. Oh ! C’était une sainte femme que ma mère ; elle mourut en priant pour moi. Et dois-je donc renoncer à toute espérance de la revoir ? » Oui, mon frère, oui, te dis-je, à moins que tu ne naisses de nouveau. — Pauvres mères affligées, vos petits enfants sont maintenant dans le ciel ; vous chérissez la pensée de les retrouver un jour devant le trône de Dieu ; toutefois, je vous le déclare, jamais, non, jamais vous ne les reverrez si vous ne naissez de nouveau. — Oh ! Mes bien-aimés, voulez-vous donc à cette heure dire un éternel adieu aux esprits des justes parvenus à la perfection ? Vous résignerez-vous à être séparés pour toujours de ceux de vos amis qui sont maintenant dans la gloire ? Il le faut, à moins que vous ne vous convertissiez, il n’y a point d’autre alternative. Ou bien il faut que vous couriez à Christ, que vous vous confiez en lui, que vous le suppliez de vous renouveler par la vertu de son Saint-Esprit, ou bien il faut qu’élevant les yeux vers le ciel, vous disiez : « Chœur des bienheureux, je n’entendrai jamais vos célestes accents ! Parents vénérés, tendres soutiens de mon enfance, vous qui m’entourâtes de tant de soins et de tant d’amour, je chéris votre mémoire ; mais entre vous et moi, il y a un abîme ! Vous êtes sauvés et je suis perdu… »

       Oh ! Je vous en supplie, mes chers amis, réfléchissez à ces choses, et ne soyez point de ces auditeurs oublieux qui écoutent toujours et ne retiennent jamais. Si ce que je viens de vous dire a produit sur vos âmes la moindre impression, gardez-vous d’étouffer cette impression : c’est peut-être le dernier appel que Dieu vous adressera. Oh ! Que votre responsabilité sera grande si vous périssez après avoir entendu annoncer la vérité ! Que votre sort sera terrible si vous êtes perdus avec les sons de l’Évangile retentissant encore à vos oreilles ! …