BETE

 

Animal dénué de raison, destiné au service de l'homme et à l'ornement de l'univers. Dieu créa, au commencement, les poissons de la mer et les oiseaux du ciel, le cinquième. jour du monde (Ge 1 :20-23); il créa ensuite les animaux de la terre, et l'homme le sixième jour (Ge 1 :24,26,31). Enfin il amena à Adam les oiseaux du ciel et les animaux de la terre, afin qu'il leur imposât leurs noms (GE 2 :19), et qu'il commençât par là l'exercice du domaine que Dieu lui avait donné sur tous les animaux (Ge 1 :28). Le Seigneur bénit l'homme, les oiseaux, les poissons et les bêtes de la terre; leur commanda de se multiplier et leur donna pour leur nourriture tous les fruits et les herbes de la terre (Ge 1 :29). Il n'accorda à l'homme l'usage de la viande que depuis le déluge (Ge 9 :3), et encore lui défendit-il l'usage du sang, en le menaçant de punir l'effusion du sang par une peine pareille, et de châtier même les bêtes qui auraient répandu le sang humain (Ge 9 :5).

 

En effet, dans la loi de Moïse, l'animal qui aura tué un homme (Ex 21 :28,29), ou qui aura servi d'instrument à un crime abominable (Le 20 :15,16), est puni de mort. Les villes coupables d'apostasie sont dévouées au feu, avec leurs habitants et leurs animaux (De 13 :15). Lorsque Noé sort de l'arche avec ses enfants et les animaux qu'il avait conservés avec lui, Dieu dit qu'il fait alliance avec Noé, avec sa famille, avec leurs descendants et avec tous les animaux qui sont sortis de l'arche, et qu'il s'engage envers eux de ne plus envoyer de pareil déluge sur la terre (Ge 9 :9). Dieu ordonnant le repos du Sabbat (Ex 23), déclare qu'il entend que les animaux, de même que les esclaves, se reposeront ce jour-là. Dieu frappa dans l'Egypte les premiers-nés des hommes et des animaux et pour mémoire de ce qu'il avait épargné les Hébreux, il ordonne qu'ils lui consacrent les premiers-nés des hommes et des animaux (Ex 22 ; Ex 23).

 

Eve s'entretient avec le serpent (Ge 3 :1), sans s'étonner de l'entendre parler et raisonner. Balaam parle de même à son ânesse et lui répond comme il aurait fait à un homme raisonnable (Nu 22 :28). Après la chute d'Adam et d'Eve, Dieu parle au serpent, le maudit, le punit, lui prédit son malheur (Ge 3 :14), comme il fait à Adam et à Eve. Moïse remarque que le serpent était le plus fin des animaux de la terre, et le Sauveur nous ordonne d'avoir la prudence du serpent et la simplicité de la colombe (Mt 10 :16); le Sage renvoie le paresseux à la fourmi (Pr 6 :3), et nous décrit ces animaux comme composant une petite république pleine d'activité et de prévoyance (Pr 30 :25). Dans les prophètes, Dieu menace d'exterminer les peuples et les animaux des pays qui ont encouru son indignation (Jer 50 :51 Eze 14 :1 Sop 1 :1). Jonas ayant prêché à Ninive, que le Seigneur était près de faire éclater sa colère contre la ville, les Ninivites se convertirent (Jon 3 :5,6), se couvrirent de sacs, depuis le plus petit jusqu'au plus grand ; le roi même descendit de son trône, et défendit que ni les hommes, ni les bêtes, ne bussent, ni ne mangeassent. Pourquoi faire jeûner les bêtes, si elles ne sont pas capables de raison, ni de mérite ou de démérite? Et lorsque Dieu touché de l'humiliation des Ninivites, eut remis leur péché, et que Jonas se plaignit de l'indulgence du Seigneur, il lui fut dit (Jon 4 :11) : Pourquoi ne pardonnerai-je pas à cette ville, dans laquelle il y a un si grand nombre d'hommes qui ne savent pas distinguer leur main droite de la gauche, et un si grand nombre de bêtes? Comme si cette multitude d'animaux était un motif pour pardonner à Ninive.

 

Les Egyptiens, parmi lesquels les Hébreux ont demeuré si longtemps, adoraient les animaux, et par conséquent les croyaient non-seulement raisonnables, mais aussi supérieurs à l'homme: Les Israélites étaient aussi apparemment dans les mêmes principes, puisqu’ils rendirent leur culte au veau d'or dans le désert, et que, depuis le schisme de Jéroboam, ils continuèrent à adorer de pareilles divinités.

 

Le dogme de la métempsycose; si commun dans tout l'Orient et même parmi les Hébreux, ce dogme dont on voit des vestiges dans les Israélites du temps de notre Sauveur (Voyez MÉTEMPSYCOSE), et même dans les apôtres avant qu'ils eussent reçu le Saint-Esprit, ce sentiment suppose manifestement que les animaux sont raisonnables, puisque les mêmes âmes qui ont animé les hommes les plus sages et les plus éclairés passent successivement dans le corps des animaux.

 

Ces sentiments ne sont ni nouveaux, ni rares parmi les Juifs : on les remarque, quoique avec quelques variétés, dans Philon et dans les plus célèbres rabbins.

 

Plusieurs prétendent que les oiseaux ont entre eux une espèce de langage. Porphyre, rapporte que Thrésias et Apollonius deThyane entendaient ce langage; et il y a encore aujourd'hui des gens dans l'Arabie qui se vantent de le savoir. Ils disent que cette science leur est connue depuis le temps de Salomon et de la reine de Saba, lesquels avaient un oiseau nommé huddud, qui est la huppe, pour messager de leurs amours. Quelques auteurs arabes ont cru qu'il y avait des éléphants musulmans et qui adoraient Dieu; Pline et d'autres après lui ont écrit que les éléphants étaient capables de religion, qu'ils adoraient le soleil et la lune.

 

La plupart des philosophes de l'antiquité, Etnpéducles, Pythagore, Galien, Cléante, Eudoxe, Porphyre, Elien, Pline, ont cru que les bêtes raisonnaient. Diogène de Laerce dit qu'Eudoxe, philosophe pythagoricien, avait traduit de l'Egyptien en Grec un dialogue des chiens. Enfin presque tout le monde, philosophes et autres, croyaient, en Europe, que les bêtes raisonnaient, avant que Descartes eût inventé son système des machines. Il est vrai qu'avant lui un médecin espagnol, tiommé Gosnesius Pereira, avança que les bêtes n'étaient que des machines. Il fut trente ans à composer son livre, et il le fit paraître en 1554 ; mais on y fit si peu d'attention, qu'on ne daigna pas le réfuter. Le révérend père Pardies, jésuite, a fait un livre de la Connaissance des bêtes, pour montrer qu'elles ne sont destituées ni d'intelligence, ni de sentiment. Thomas Willis a fait aussi un Traité de l'âme des brutes; il y a aussi un Traité de M. le Grand, sur le même sujet; et un livre intitulé de l'Ame des bêtes, imprimé à Lyon en i676, composé par Antoine d'Illy, prêtre d'Embrun.

 

Salomon, dans le livre de l'Ecclésiaste, soit qu'il propose ses propres sentiments, ou les sentiments des philosophes et des esprits forts de son temps, s'exprime d'une manière à faire croire que les bêtes ont de l'intelligence et une âme raisonnable (Ecc 3 :18-21) : J'ai dit dans mon coeur que Dieu éprouve les enfants des hommes, et qu'il fait voir qu'ils sont semblables aux bêtes; car les hommes meurent comme les bêtes, et leur condition est semblable : comme l'homme meurt,la bête meurt, aussi; les uns et les autres respirent de même, et l'homme n'a rien plus que la bête... Qui suit si l'âme des enfants des hommes monte en haut, et si l'âme des bêtes descend en bas? L'Ecriture parle de la mort des animaux comme de celle des hommes (Ps 103 :30) : Vous retirerez leur esprit, et ils mourront, et ils rentreront dans la poussière, d'où ils sont tirés. Et Job (Job 34 :14) : Si Dieu retire son souffle et son esprit, toute chair tombera dans la défaillance.

 

Mais il ne faut pas pousser trop loin les Conséquences de ces passages, et l'on n'en doit pas inférer que la bête soit en tout égale à l'homme qu'elle raisonne comme lui, qu'elle soit capable de religion, de connaître Dieu, de parvenir à la béatitude, d'agir par des vues surnaturelles : les connaissances, les raisonnements, les désirs, les vues de la bête sont bornés à la connaissance et au discernement de ce qui peut contribuer à sa béatitude temporelle, et à la conservation de son corps, et à la multiplication de son espèce. Son âme peut, bien juger et discerner entre le chaud et le froid, entre l'utile et le dangereux pour sa santé; mais elle n'ira pas jusqu'à distinguer le bien du mal moral, entre le juste et l'injuste, le licite et l'illicite: Elle sera, si l'on veut, immortelle et éternelle, puisqu'enfin, si elle pense, elle est nécessairement spirituelle; mais c'est un privilége qui lui est commun avec les corps et avec la matière, dont l'essence est indéfectible et dont la nature ne peut pas périr. La matière peut changer de figure, de situation, être en repos ou en mouvement ; mais elle ne peut être anéantie, ni cesser d'être, à moins que Dieu ne cesse de la conserver : et en ce sens, les anges mêmes et l'âme de l'homme ne sont pas plus privilégiés que la matière.

 

Mais que devient l'âme de la bête séparée de la matière? Nous n'avons sur cela aucune réponse à faire, parce que nous n'avons aucun principe qui puisse nous le faire connaître : ni la révélation, ni l'expérience, ni le raisonnement par les effets ni par les causes, ne nous fournissent sur cela la moindre lumière. Nous savons que Dieu a créé toutes choses pour sa gloire, que l'âme de la bête est incapable de s'élever jusqu'à la connaissance et à l'amour de son Créateur : il faut donc qu'il en soit glorifié par quelque autre manière qui ne nous est pas connue. Pourquoi vouloir sonder les secrets de sa sagesse et porter nos jugements au delà de nos connaissances?

 

Nous savons la grande objection que l'on tire de saint Augustin contre l'âme des-bêtes : Sous un Dieu juste, dit ce Père, nul ne peut être malheureux qu'il ne le mérite. Or, si les bêtes ont du sentiment et du raisonnement, elles sont malheureuses : elles ont donc mérité de l'être. Elles ne peuvent l'avoir mérité que par le péché : or, si elles ont péché, elles sont donc capables de religion, d'amour et de connaissance de Dieu, ce qui est contraire, à tout ce que l'on a dit ci-devant. Qu'elles soient malheureuses, on n'en peut pas disconvenir, puisque l'homme les tue, les mange, les assujettit, aux travaux les plus durs et les plus outrés, les frappe, les maltraite, les poursuit, sans autre raison que sa volonté, son bon plaisir ou son divertissement. Si les bêtes avaient une âme capable de raison et de sentiment, aurait-il donné sur elles, à l'homme pécheur un domaine si entier et si absolu?

 

On peut répondre que Dieu étant maître absolu de sa créature, en peut disposer à sa volonté, sans être obligé de rendre compte à personne de sa conduite. Le potier de terre n'est-il pas le maître de faire de son argile tout ce qu'il juge à propos : un vase d'honneur, ou un vase destiné à des usages honteux (Ro 9 :21 Sap 15 :7,8)? Dieu a créé les animaux pour l'homme, il a donné à l'homme un empire absolu sur les animaux : ce sont des vérités connues. Il a permis à l’homme de manger, et par conséquent de tuer les animaux. L'homme use de ce pouvoir et de cette liberté jusque-là tout est dans l'ordre. De quoi se peut plaindre la bête, que je suppose raisonnable? Dira-t-elle à Dieu : Je suis innocente, et vous m'assujettissez à un homme pécheur, brutal, insensé, qui abuse manifestement du pouvoir et du domaine que vous lui avez donné sur moi? L'enfant malheureux et pécheur, fils de colère et d'indignation né pour le travail et pour la misère, dira-t-il à son père : Pourquoi n'avez-vous engendré? et à sa mère : Pourquoi m'avez-vous mis au monde (Es 45 :9,10)? L'argile dira-t-elle au potier : Que faites-vous? votre ouvrage n'a rien d'une main habile.

 

Ne voyons-nous pas, dans Job, que Dieu punit quelquefois les justes quoique innocents (Job 9 :17). Et ailleurs Dieu dit au démon (Job 2 :2) : Tu m'as porté à agir contre lui, en l'affligeant sans sujet. Et dans l'Evangile (Jn 9 :2), les disciples, ayant vu un aveugle-né, demandérent à Jésus-Christ si c'étaient les péchés de cet homme ou ceux de ses parents qui lui avaient mérité cette disgrâce. Il répondit : Ce n'est ni l'un ni l'autre; mais c'est afin de manifester en lui les ceuvres de Dieu. Nous savons que la sainte Vierge et saint Jean Baptiste ont vécu dans l'innocence, et n'ont pas même apporté au monde le péché originel; et cependant le Saint-Esprit nous apprend que le glaive de douleur perça le coeur de Marie (Lu 2 :35), et que saint Jean, après avoir beaucoup souffert dans la prison, mourut enfin par le fer des méchants (Mr 14 :10) ; les innocents et les justes ne sont donc pas toujours exempts de peine et de souffrance. Et pour revenir aux bêtes, Dieu use envers elles de son souverain pouvoir; il use de son droit de père et de Créateur, il ne fait injustice à personne : il était maître de créer les bêtes ou de les laisser dans le néant. Elles lui ont une obligation infinie au indien de leur malheur, puisque enfin elles tiennent de lui l'être, la vie, l'action et tout ce qu'elles ont de bien.