BEL

 

ou BÉLUS, premier roi de Babylone, qui, après sa mort, reçut dans cette ville et dans toute la Chaldée les honneurs divins.

 

On ne sait pas au juste si c'était Nemrod ou Bélus, père de Ninus, ou quelqu'autre de leurs rois, qu'ils adoraient, sous le nom de Bélus ; ou si c'était le soleil, ou Saturne, ou rupiter. Voyez ci-devant l'article de BAAL. Isaïe (Esa 46 :1) menace Bel de le rompre et de le briser. Jérémie (Jer 1 :2) parlant de la ruine de Babylone par les Perses et les Me-des : Babylone est prise, Bel est confondu, Mérodach est vaincu : ses idoles sont dans la confusion, ses faux dieux sont vaincus. Le même prophète dit ailleurs (Jer 50 :44) : Je visiterai dans ma colère Bel dans Babylone ; j'arracherai de sa bouche ce qu'il avait englouti : les nations ne se retireront plus vers lui ; car le mur de Babylone sera renversé. C'est ce que l'on vit exécuté sous Cyrus, sous Darius, fils d'Hystape, et sous les princes qui leur succédèrent.

 

Voyez BABYLONE.

 

Les Babyloniens adoraient Bel comme un Dieu vivant : ils lui attribuaient le don de guérir les maladies et croyaient qu'il buvait et mangeait comme une personne vivante. Baruch (Be 6 :40) dit qu'on lui présentait un muet afin qu'il lui rendît la parole, lui qui était muet et incapable de parler. Et Daniel (Da 14 :2) raconte de quelle manière il découvrit la friponnerie des prêtres de Bel, qui venaient toutes les nuits, par des portes secrètes, manger ce que l'on offrait tous les jours à cette fausse divinité.

 

Hérodote décrit le temple de Bélus à Babylone comme un des plus merveilleux ouvrages qui fût dans le monde. C'était une tour prodigieuse, dont la base était un carré dont chaque côté était d'un stade ou cent vingt-cinq pas, ce qui faisait cinq cents pas de circuit : elle consistait en huit tours bâties l'une sur l'autre. Strabon, dans la description qu'il en fait, l'appelle pyramide, parce qu'elle allait en décroissant de tour en tour, et lui donne un stade de hauteur, c'est-à-dire cent-vingt-cinq pas. On y montait par un escalier qui allait en tournant par dehors. Les huit tours étaient comme Autant d'étages où l'on avait pratiqué plusieurs grandes chambres soutenues par des piliers : tout au haut de la tour était le temple de Bélus, où il y avait plusieurs statues d'or massif, entr'autres une de quarante pieds de haut. Ce temple avec ses richesses subsista jusqu'au temps de Xerxès, qui, au retour de sa malheureuse expédition de Grèce, renversa le temple et enlevé les richesses immenses qui y étaient enfermées, tant en statues d'or qu'en meubles et instruments destinés à leur culte. On peut voir BABEL et TOUR DE BABEL.

 

[M. Raoul-pochette, professeur d'archéologie à la Bibliothèque royale, a décrit, dans son cours de 1835, les ruines de Babylone. Il a consacré sa troisième leçon à la description du temple de Bel ou Bélus, de la statue de ce dieu, des simulacres de quelques, autres divinités babyloniennes, et à des notions sur le culte qu'on leùr rendait; il continue d'exposer ses recherches et ses appréciations dans sa quatrième leçon, et nous allons rapporter ici de l'une et de l'autre des extraits intéressants.]

 

Voici d'abord, en forme de sommaire, les sujets dont il va être question, afin que, comme nous y renverrons de plusieurs articles, on les trouve plus facilement. Les six premiers numéros sont extraits de la troisième leçon ; les VII-IX le sont de la quatrième.

 

I. Origine du temple de Bélus; ce temple a été à tort confondu avec la tour de Babel.

 

II. Chaldéens ; incertitude de leur origine; font la conquête de Babylone et y établissent le centre d'un vaste empire.

 

III. Etat prospère du temple de Bélus sous les rois chaldéens ; sa décadence progressive à partir de la conquête de Babylone par Cyrus.

 

IV. Description de ce temple ; ses dimensions. Habitations des prêtres. Forme de la tour de Bélus, au faîte de laquelle s'élevait le temple. Intérieur de ce temple : chapelle, statues, autels, tables; etc. Autres statues placées sur le faite du temple: Bélus ou Zeus ; Mylitta ou Rhéa ; Cybèle, Astarté ; Héra.

 

V. Observations sur la plate-forme du temple (voyez VII, VIII). Inscriptions, etc. sur les murs. Nombre des prètres; témoignage de Daniet confirmé.

 

VI. Figures d'animaux monstrueux décrites par Bérose; origine des religions et des philosophies grecques (voyez IV, note, et VIII et IX).

 

VII. Principales divinités babyloniennes : Bélus et Mylitta ; leurs statues; témoignages des Grecs, appréciés, rectifiés d'après les récits des prophètes hébreux : Isaie, Jérémie, Baruch, Daniel.

 

VIII. Idée complète des images de Bélus et de Mylitta, et des symboles qui les entouraient. Mylitta se retrouve dans la Diane et la Junon des Grecs.

 

IX. Nabo, autre dieu babylonien, médiateur entre le principe du bien et le principe du mal ; Camillas, Hermès, Mercure. Hercule-Sandès, aussi dieu babylonien.

 

 

I. L'origine de la tour et du temple de Bélus se confond dans les traditions bibliques avec celle de la tour de Babel. Quelques voyageurs modernes ont cru retrouver à la fois les deux monuments dans une seule ruine sur la rive droite de l'Euphrate, mais ces traces évidentes du feu du ciel qu'elle porte encore, et qui indiquent la tour de Babel, sont Mie réfutation suffisante de ce système; [Voyez BABEL] La tour de Bélus, sur le côté oriental du fleuve, fut commencée à une époque très-reculée, mais sa construction ne fut pas terminée, ou du moins était déjà altérée par les siècles, lorsque dans un temps postérieur, sous Nebuchadnézar, le Nabuchodonosor (605;562 avant J.-C. ) de l'Ecriture, elle prit sa forme définitive. Ce prince élevait à la fois sur la rive droite un édifice semblable, sinon par les dimensions, du moins par le plan général.

 

On sait que cette époque est marquée par une grande révolution.

 

II. Un peuple inconnu ; les Chaldéens, descendaient des montagnes, et venaient bouleverser par la conquête les monarchies de l'Orient. Quel est leur origine? Vaste et importante question qui a préoccupé en vain les érudits, et que de nos jours, peut-être, l'archéologie; aidée et vérifiée par les combinaisons et les rapports que la philologie lui présentera, est appelée a résoudre. Tout est incertain chez ce peuple. On ne sait s'il est originaire du Caucase ou du Taurus; ses institutions religieuses et politiques, sa marche, ses progrès, son influence sur les nations qu'il a conquises, sa décadence intérieure, sont autant de mystères. Il est certain cependant que c'est un assemblage de peuples nomades qui, parti des montagnes situées entre la mer Caspienne et le Pont-Euxin, se répandit comme un torrent sur les contrées méridionales, et vint, vers l'an 630 avant J.-C., établir à Babylone le centre d'un vaste empire. Cette domination, qu'un ne saurait comparer qu'à celle des Arabes, au septième siècle de notre ère, prit de rapides accroissements. Sous Nebuchadnézar elle s'étendait jusqu'à la Méditerranée. La Syrie, la Judée, la Phénicie, étaient devenues ses provinces; l'Egypte vaincue, et repoussée avec son roi Nechao, était envahie passagèrement.

 

III. En même temps on fondait à Babylone le grand temple de ce culte, le centre d'où partait la force morale qui animait le peuple tout entier.

 

Comme les Arabes, les Chaldéens recevaient de leur religion leur constitution politique et civile, leur gouvernement et leurs moeurs. Le Sabéisme prêchait le despotisme le plus absolu, l'obéissance la plus servile ; étudiait les sciences les plus hautes et les plus inaccessibles au vulgaire, et confondait dans un même secret ses mystères et ses découvertes, saisissant à la fois l'imagination par la puissance du fanatisme, et par les merveilles de l'esprit humain. La tour et le temple de Bélus étaient son sanctuaire, il fut honoré de tous, enrichi des offrandes des rois, tant que dura la domination des rois chaldéens. Mais après la prise de Babylone par Cyrus, il déchut rapidement; le culte de Mithra l'avait remplacé dans la foi des peuples, comme Persépolis avait succédé à Babylone. Darius osa violer par sa présence le sanctuaire du dieu Xerxès, son fils, pendant sa lutte contre les Grecs, s'empara des richesses que contenait le temple, mais ne le détruisit pas, comme plusieurs savants l'ont pensé; car Hérodote le visita environ trente ans après, et le trouva encore debout : sa description en fait foi. Alexandre (330 avant J.-C.) conçut le projet de prendre Babylone pour capitale, et de rendre au temple de Bélus son antique splendeur. Strabon, qui nous donne ces détails, assure qu'il aurait fallu dix mille hommes pendant plus de deux mois pour déblayer, seulement le temple des ruines qui l'entouraient. Il faut  entendre par ces ruines, non pas les débris mêmes de l'édifice, mais ceux des habitations sacerdotales, comme nous nous en convaincrons bientôt. Cependant le projet d'Alexandre n'eut pas de suite, sa mort vint en arrêter l'exécution, et emporter avec sa dernière pensée, le dernier espoir de Babylone. Après lui, Seleucus Nicator, celui de ses généraux qui resta maître de cette province, Crans- porta les habitants de Babylone dans une ville nouvelle, et peu éloignée, appela Séleucie, de son propre nom. Mais il garda. encore quelque respect pour le temple d'un dieu presque oublié, et permit à ses prêtres d'habiter dans son enceinte, pour conserver ainsi à Bélus ses derniers adorateurs. Pausanias, qui visita Babylone dans le seconds siècle de notre ère, trouva encore le temple de Bélus, qu'il appelle le plus grand reste de la ville, et qui était seul debout avec ses murailles, qu'il compare à celles de Tyrinthe. C'est le dernier auteur de l'antiquité qui nous fournisse des renseignements sur cette ville. Après lui un vaste silence se fait autour de ses ruines, et ce qui était une grande, cité n'est plus qu'un grand désert.

 

IV. Le temple de Bélus était une pyramide carrée par sa base, et qui, suivant Hérodote, présentait un stade de largeur sur chacune de ses faces, et un stade de hauteur, car tel est le véritable sens de ce passage. Ce q'u'il y a de plus difficile dans cet endroit, c'est de déterminer la longueur du stade. Si Hérodote entend ici le petit stade de cinquante toises, chacune des dimensions de l'édifice serait de trois cents pieds. Mais si, au contraire, Hérodote veut indiquer le stade persique, dont il se sert souvent pour les mesures itinéraires de ces contrées, la tour de Bélus a quatre-vingts toises et demie, ou, quatre cent quarante-quatre pieds de largeur et de hauteur, quatre toises de moins que la grande pyramide de Memphis, et cent. pieds de plus que la flèche de Salisbury, l'édifice le plus élevé de l'Angleterre.

 

Le temple de Bélus était isolé au Milieu, d'une enceinte carrée comme lui, et qui présentait deux stades sous toutes ses faces. Cet espace était destiné aux habitations des prêtres; c'est un trait particulier à l'Orient, que cette enceinte consacrée, qui empêchait le temple de toucher à aucun édifice profane. On le retrouve dans l'Area du Birs-Nemrod. Sur ces précieuses médailles de Tarse, qui portent d'un côté le Bélus et de l'autre l’image de son temple, on voit également cette disposition. Il y avait aussi un lieu consacré autour du temple de Jérusalem, dans lequel étaient bâties les trente édicules ou maisons des lévites. La tour de Bélus était composée de huit étages en retrait, genre de construtlion particulier à l'Orient, et dont on trouve encore aujourd'hui des exemples dans les temples de l'Inde. Xénophon, dans sa Retraite des dix mille, dont il fut l'historien et, le héros, a remarqué des temples semblables, qui jouissaient du droit d'asile. Le Birs-Nemrod est aussi élevé en retrait, et trois de ses huit étages subsistent encore. Cette forme, que l'on croyait particulière à la tour de Bélus, a causé l'erreur que nous avons réfutée plus haut. On montait d'un étage à l'autre par des escaliers extérieurs. Au centre de l'édifice était une grande salle, ornée de siéges somptueux et destinée à servir de lieu de repos. Au faîte s'élevait le temple de Bélus, dans lequel il y avait une table d'or et un lit de même métal, mais sans aucun simulacre; la statue du dieu, cachée dans une chapelle intérieure, était d'or, ainsi que les meubles et les autels qui l'entouraient. De ces deux autels, le plus petit servait aux sacrifices d'animaux à la mamelle, et le plus grand à l'immolation des animaux adultes. Outre cette première statue assise, il y en avait une autre debout, un pied devant l'autre, et dans la position d'un homme qui, marche; elle était en or, travaillée au repoussé, et présentait une hauteur de douze coudées. Telles sont les richesses que contenait le temple de Bélus, richesses qui, suivant les calculs d'Hérodote, ne s'élèvent pas à moins de cinquante-quatre millions de francs, et dont les rois Mèdes, successeurs de Cyrus, s'emparèrent successivement. La lettre de Jérémie, qui suit la prophétie de Baruch, nous donne sur ces simulacres les plus précieux détails, et nous apprend que le roi allait les adorer tous les jours (Ba 6 :37). Il est évident qu'il faut entendre par non pas les rois Mèdes, qui professaient une autre religion et qui ne résidaient pas à Babylone, mais les anciens rois Chaldéens.

 

Outre les statues d'or, le temple de Bélus contenait des images de toute forme et de tout métal, et possédait les riches offrandes dont l'avait décoré la piété des fidèles. Diodore prétend qu'il y avait une statue en or, haute de soixante pieds et du poids de quarante talents; mais il semble qu'il est ici l'écho d'une de ces exagérations nationales dont aucun peuple n'est exempt. Sur le faîte de l'édifice étaient placées trois statues d'or battu, de grandes dimensions, qui représentaient des divinités désignées par les Grecs sous les noms de Zeus, Rhéa et Héra. La première, celle de Bel, qui est souvent le symbole du soleil, était debout, un'pied devant l'autre, dans la position de marcher. Cette attitude se retrouve dans une foule d'images des dieux égyptiens, et est reproduite également dans les monuments du premier âge de la Grèce. La seconde, celle de Rhéa, c'est-à-dire de Mylitta, était cette déesse-nature qui, transportée dans la mythologie hellénique, avait sous différents noms des temples à Ephèse, à Paphos, à Perga. Elle était adorée aussi en Syrie, dans le célèbre sanctuaire d'Hiérapolis, dont Lucien, qui était Syrien et de la ville de Samosate, nous donne une description détaillée: on la voyait assise sur son trône avec deux lions. Le même attribut se voit aussi dans: plusieurs images de Cybèle, et la déesse phénicienne Astarté est représentée sur différentes médailles carthaginoises assise sur un livre. Ces trois simulacres semblent avoir la position que les Romains donnaient à leurs dieux dans la cérémonie du lectisternium. Il n'est pas jusqu'à leur situation au sommet de l'édifice, qui ne donne lieu à de nombreux rapprochements. Dans l'Inde, on voit des statues de dieux placées au faîte des temples le point le plus élevé de la grande pyramide de Memphis était, comme on le sait, occupé par un simulacre gigantesque, et les Grecs et les Romains, imitant cet usage, placèrent aussi des images sur le fronton de leurs édifices. Enfin les proportions colossales que, dans la Chaldée comme dans l'Inde et l'Egypte on donnait aux représentations figurées des idoles, répondent à une même idée, la grandeur physique, emblème de la puissance et de la grandeur morale.

 

V. Sur la plate-forme, qui dominait tout le monument, était un observatoire où les prêtres se livraient, suivant les dogmes de leur religion, à l'étude assidue des révolutions célestes. Le résultat de leurs observations, inscrit sur des briques cuites au four, qui lors de la conquête des Grecs remontaient, dit-on, à dix-neuf siècles, fut adressé par Alexandre à Aristote. Les murs des étages inférieurs étaient également couverts d'inscriptions en caractères cunéiformes. Tous les actes de la vie publique, lois, traités, fondations des monuments, et probablement le récit des événements importants, étaient gravés sur les parois des édifices. Les Grecs et les Romains ont emprunté à l'Orient cet usage comme tant d'autres, et tel est le principe des nombreuses inscriptions monumentales qu'ils nous ont laissées. Les prêtres qui desservaient le temple étaient au nombre de soixante-dix, suivant Ie témoignage de Daniel (Da 14 :14). Ils vivaient avec leurs femmes et leurs enfants des présents offerts en nature au dieu, et tous les jours on mettait sur la table d'or dont nous avons parlé, de nombreuses provisions, que les prêtres venaient consommer pendant la nuit. On connatt à cet égard les récits de Daniel, et le moyen dont il se servit pour apprendre au roi la fraude des prêtres. Sans entrer dans la discussion qu'a suscitée l'authenticité canonique de ce passage, nous pouvons le considérer comme incontestablement historique, et ajouter une foi entière aux renseignements curieux qu'il nous transmet. Du reste, ce fait n'est pas sans exemple dans l'antiquité. M. Munter affirme que l'on voit encore sur les ruines du temple de Bélus des traces de ce passage secret. Les voyageurs ne disent rien qui puisse justifier ce fait. Mais on a trouvé dans le temple d'Isis, à Pompéia, une porte cachée, que le simulacre de la déesse devait dérober entièrement aux regards. C'est par cette porte, vraisemblablement, que les prêtres s'introduisaient toutes les fois qu'il fallait faire parler ou agir Isis.

 

VI. Outre les inscriptions dont nous venons de parler, les murs du temple de Bélus présentaient les images d'animaux monstrueux, dont Bérose nous a laissé la description. Il fut un temps, dit-il, où tout était ténèbres et humidité, au sein desquelles se produisirent des êtres monstrueux, sous des formes singulières. C'étaient tantôt des hommes à deux ailes, ou à quatre ailes et à double visage, ou des hommes qui réunissaient les deux sexes, hommes et femmes à la fois. Tantôt d'autres hommes qui avaient des cuisses et des cornes de bouc, ou des pieds de cheval, ou la partie supérieure du corps d'un homme et la partie inférieure d'un cheval, comme des hippocentaures. Il se forma aussi des taureaux portant des têtes humaines, des chiens à quatre corps, qui se terminaient  en poissons, des chevaux à tête de chiens, des hommes avec des têtes et des corps de chevaux ou des queues de poisson, d'autres animaux avec les formes de monstres de toute sorte ; en outre des poissons, des reptiles, des serpents et d'autres bêtes étranges, qui ont changé entre eux de figure. Telles étaient les images consacrées dans le temple de Bélus.

 

Voici les emblèmes bizarres de la religion des Babyloniens, voici les objets de leur culte ; mais au fond de ces écarts de la pensée, nous découvrons une opinion qui a exercé la plus grande influence sur l'histoire de la philosophie grecque. L'eau, l'humidité, considérée comme le principe de toute chose. Dans le chaos, dans cette confusion inerte de tous les éléments, c'est l'eau qui domine, les êtres subsistent en germe, mais informes et mêlés; leurs organes s'assemblent au hasard sans arriver par l'agencement des parties à l'harmonie de l'ensemble. Cette doctrine a été développée à la fois sous ses côtés scientifiques et sous ses côtés religieux, par la philosophie et la mythologie. Comme tant d'autres caractères de la civilisation, elle a passé d'Asie en Europe. Thalès regarde l'eau comme principe de l'univers, et son opinion est suivie par une grande école tout entière, et devient la base d'immenses spéculations. En même temps, nous voyons paraître de toute part ces êtres qui présentent un mélange confus des caractères de différents genres, composés bizarres de l'homme et des êtres qui lui sont inférieurs, ou des animaux entre eux, Janus, hermaphrodite, centaure, triton, sirène, sphinx, satyre, griffon, chimère, cerbère, tragelaphe, et tant d'autres jeux d'une imagination déréglée, que la Grèce au berceau avait reçus de l'Asie. Au siècle de Périclès, lorsque les Athéniens recherchaient avec tant d'avidité ces brillants tissus de la Chaldée, qui portaient sans doute la figure de ces animaux fantastiques, ils ne songeaient peut-être pas qu'ils y trouvaient les indices les plus certains de l'origine de leur religion et de leur civilisation.

 

VII. Les deux principales divinités babyloniennes, celles dont les images se multiplient le plus sur les monuments, sont Bel et Mylitta. On leur consacrait des statues colossales en or, car, dans les idées de ces peuples, l'exagération des formes et la richesse de la matière rendaient visibles la puissance de la grandeur du dieu. tes historiens grecs, pleins des récits des prêtres, et frappés de la magnificence de ces temples, ne craignent pas d'affirmer que ces statues sont d'or massif, et de leur attribuer un poids immense. Ces témoignages ne doivent pas être acceptés sans contrôle. Les écrivains grecs, sous le coup d'un spectacle étrange, exprimaient plutôt une admiration naïve et crédule, que le résultat d'un examen éclairé. Ils racontaient ce qu'ils avaient entendu, sans songer à le vérifier, sans peut-être le pouvoir. Par bonheur, nous avons des contemporains dont les renseignements sont irrécusables, des observateurs que leur position préservait des prestiges d'un spectacle merveilleux, des témoins auxquels leur religion interdisait un enthousiasme irréfléchi, et ces contemporains, ces observateurs, ces témoins, ce sont les prophètes hébreux dont plusieurs ont habité Babylone, et qui regardaient sans extase des divinités qui n'étaient pour eux que des ouvrages d'artistes. Or, ils nous ont laissé, tant sur la fabrication de ces idoles que sur leur conformation, des détails circonstanciés. Isaïe nous raconte par quels procédés et de quelle manière elles étaient faites, et avec l'aide des autres prophètes, nous pouvons compléter ces détails. Nous lisons dans Isaïe (Esa 44 :12-17) :

 

« L'ouvrier en métaux emploie la lime, il forme une idole à l'aide de la flamme et du marteau et opère par la vigueur de son bras...

 

— Le sculpteur étend sa règle sur le bois ; il le polit, il le mesure au compas, il en fait l'image d’un homme orgueilleux qui habite dans les palais. — Il (l'ouvrier) abat un cèdre : choisira-t-il dans la forêt l'aune ou le cyprès? Prendra-t-il le pin qui s'élève à la faveur des pluies? Ces arbres destinés au feu de l'homme, réservés pour l'hiver et pour cuire ses aliments, deviennent les dieux qu'il adore : il en forme une statue, et il s'incline devant elle. — Il a brûlé la moitié de cet arbre, et il en a fait cuire ses aliments, et il s'est rassasié, et il s'est réchauffé et il a dit : J'ai allumé mon foyer, je me suis réchauffé. —Et de ce qui lui reste il fait un dieu et une idole, il s’incline devant lui et il l'adore, et il le prie disant : Sauve-moi, tu es mon Dieu.

 

Jérémie, dans sa lettre que nous avons qui se trouve dans la prophétie déjà citée, et de Baruch, nous donne de précieux renseignements sur les ornements de ces idoles (Ba 6 :8).

 

Comme on pare une jeune fille qui aime à orner son visage, ainsi l'on revêt ces idoles d’or.  —Ces dieux ont des couronnes d'or sur la tête mais leurs Prêtres enlèvent l'or et l’argent, et s'en servent pour eux-mêmes.... —Après qu'ils les ont revêtus d'une robe de pourpre, ils nettoient leurs faces à cause de la poussière qui s'élève aux lieux où ils sont. — L'un tient un sceptre comme un homme, comme le juge d'une province; mais il ne peut punir celui qui l'offense. — L'autre a une épée et une hache à la main, mais il ne peut se défendre des guerriers ou des voleurs.

 

Daniel, en plusieurs endroits de son livre, confirme et développe ces témoignages.

 

Nous pouvons conclure de ces divers passages que les simulacres gigantesques des temples babyloniens étaient des troncs d'arbres équarris, et sculptés en forme humaine, puis revêtus de lames d'or et d'argent, à une assez grande épaisseur.

 

VIII. Si d'après les différents documents que nous fournissent les écrivains de l'antiquité grecque et hébraïque, et d'après la comparaison de figures de Bel, qui nous ont été conservées en assez grand nombre, et qui, notamment, sont gravées sur ces cylindres répandus maintenant dans toutes les collections de l'Europe, on veut se faire une idée complète des images de ce dieu et des symboles qui l'entouraient, on devra le représenter, tantôt debout, une jambe devant l'autre dans l'attitude de la marche, la tête, soit imberbe, soit barbue, coiffée d'une tiare radiée, tenant d'une main une couronne et de l'autre un poignard, un sceptre ou une épée ; tantôt les symboles du Soleil ou de la Lune, signes nécessaires dans une religion qui n'était autre que le culte des astres.

 

La plus importante divinité des Chaldéens, après Bel, était Mylitta, cette déesse-nature, cette expression de l'humide, principe générateur de tous les êtres, dont les Grecs ont des reproductions variées dans la Diane d'Ephèse, la Junon de Samos. Son simulacre était assis sur un siége radié, vêtit d'habits splendides, avec les fruits du pavot et de la grenade, emblème de sa fécondité, la figure était vue de face, position qui indiquait le disque de la lune, et le corps s'appuyait sur un lion ; devant lui deux chiens s'élançaient l'un sur l'autre, en se croisant ; à ses pieds était un autel sur lequel étaient placées des têtes de béliers, signe de l'équinoxe; à côté de lui, une étoile et un croissant, signes du soleil et de la lune. Cette personnification de l'élément fémelle est passée avec tous les symboles dans la mythologie des Grecs. Sur un monument très-curieux, qui se trouve dans la collection des monuments orientaux de M. le marquis de Fortia d'Urban, formée par M. Lajard, on voit devant la déesse, telle que nous venons de la décrire, un personnage, la barbe rasée et la tête surmontée de deux cornes de vache, vêtu d'une tunique qui semble formée de morceaux d'étoffes cousus ensemble, et qui répond trait pour trait à la description queJérémie nous donne des jeunes chaldéens. Ce prêtre conduit un eune homme qui porte une gazelle sous son bras, et qui semble ün initié que l'on introduit dans le sanctùaire de la déesse. De l'autre côté du jeune homme est un autre prêtre coiffé aussi d'une tiare en cornes de vache, tenant à la main un rameau sacré, et accompagné d'un chien, animal consacré à Mylitta, comma chez les Grecs à Hécate.

 

IX.  A ces deux grandes divinités babyloniennes il faut en joindre une troisième, c'est Nébo ou Nabo, dieu médiateur entre le principe du bien et du mal, comme le Camillas des Etrusques, comme l'Hermès des Grecs, comme le Mercure des Latins ; quelque effacé que soit ce symbole, après avoir passé par tant de mythologies, on le retrouve également dans le culte de Mithra, et ses représentations se voient sur plusieurs monuments assyriens. Le voyageur Mignan a trouvé une de ces images, et l'a fait graver pour servir de frontispice à son ouvrage. C'est une figure mâle et barbue, la tête couverte d'une tiare attachée avec des bandelettes, revêtue d'une tunique courte, serrée et sans manches, et ce qui est un trait propre à la civilisation orientale, les jambes couvertes d'une sorte de pantalon d'étoffe rayée ; elle est debout, et ses pieds reposent sur deux sphinx ailés qui tournent le dos, et elle retient le chaque main deux animaux, probablement des lions dressés sur leurs pattes de derrière, et qui semblent vouloir, s'élancer l'un sur l'autre.

 

Cette idée d'un combat entre les deux principes, entre le bien et le mal, est commune à tous les systèmes religieux, et exprimée dans tous par la lutte d'animaux entre eux. Tantôt c'est un lion et un cerf, tantôt un lion et un taureau. Diodore nous apprend que les murs extérieurs du palais de Sémiramis étaient ornés de chasses et de combats d'animaux. On retrouve le même sujet grave sauvent sur les cylindres. Le même symbole est passé chez les Etrusques et se voit aussi sur leurs monuments.

 

Bérose nous fait encore connaître une autre divinité babylonienne, l'Hercule Sandès, que l'on voit sur ces curieuses médailles de Tarse qui nous ont déjà donné tant de renseignements importants sur les monuments figurés. Il est représenté debout sur une base carrée, vêtu d'une peau de lion, avec un carquois attaché sur ses épaules, et un vase ou une couronne à la main. La ville de Tarse avait été fondée, dans des temps fabuleux, par Hercule et Persée, qui, seuls dans la mythologie grecque, sont reconnus pour être des personnifications de mythes asiatiques. Dion Chrysostome nous a laissé, dans un de ses discours prononcés sur la place publique de Tarse, des détails précieux sur le culte que Tarse consacrait à Sandès, et sur la fête que l'on célé- brait en son honneur tous les ans. Enfin, quelques cylindres portent des images de ce dieu.

 

Telles étaient les divinités qui étaient le plus souvent, dans leurs temples, l'objet de l'adoration des Chaldéens.