BEHEMOTH

 

Job parle d'un animal qu'il appelle béhémoth (Job XL, 10), et dont il décrit assez au long les propriétés. Bochart a fort travaillé pour faire voir que c'est l'hippopotame ou cheval de rivière. Sanctius croit que c'est le boeuf. Les Pères l'entendent du démon ; nous croyons, avec la plupart des interprètes, que c'est l'éléphant. Béhémoth en hébreu, signifie en général des bêtes, surtout de gros animaux de service. Les rabbins enseignent que Béhémoth est le plus grand des animaux à quatre pieds que Dieu ait créés ; qu'il en fit deux au commencement, le mâle et la femelle. Il tua la femelle et la sala pour en faire un régal aux élus au temps du Messie. Le mâle vit encore, et il le tuera dans ce même temps pour le donner aux Israélites ressuscités. Ils sont si persuadés de ces rêveries, qu'ils jurent souvent sur leur part du béhémoth.

 

L'opinion commune est que le béhémoth est l'éléphant ; plusieurs savants, entre autres Franz, Ludolf, le Père Houbigant, Schenchzer, Rosenmüller, Herder, Virey, croient avec Bochart que c'est l'hippopotame.

 

La raison qu'on a de reconnaître le béhémoth dans l'éléphant, c'est que cet animal est le plus grand des quadrupèdes qui existent. Comme la baleine est le plus grand des poissons, de même on a décidé qu'elle était le léviathan dont parle aussi le livre de Job. Ces raisons ne me paraissent pas des plus solides, car il aurait pu exister des animaux plus grands que ceux-là. D'ailleurs, pour ce qui concerne le béhémoth, on s'imaginait autrefois que le rhinocéros lui ressemblait beaucoup, et on trouve maintenant que l'éléphant lui ressemble davantage ; mais la description de l'éléphant comparée à celle du béhémoth présente de notables différences, et je serais assez porté à reconnaître le béhémoth dans l'hippopotame. D. Calmet a bien reconnu, avec Bochart, le léviathan dans le crocodile, et non pas dans la baleine.

 

Le R. P. Houbigant, dit l'auteur d'une dissertation sur ce sujet, insérée dans la Bible de Vence, prétend que dans le sens littéral et immédiat, ces deux monstres (le béhémoth et le léviathan) sont l'hippopotame et le crocodile. Cette application a paru d'autant plus heureuse, que dans les ouvrages des anciens, comme dans le livre de Job, on trouve ces deux monstres ainsi unis et comparés l'un avec l'autre ; jusque-là que Pline disait qu'il y avait une certaine affinité entre le crocodile et l'hippopotame, comme habitant également le même fleuve, et vivant également sur les bords et dans le sein des eaux. Hérodote, Diodore, Méta, Solin, Pausanias, Philon et autres, parlent ainsi conjointement de ces deux animaux. On les voit réunis au revers d'une médaille de l'empereur Adrien, et sur un colosse, représentant le Nil, conservé à Rome. On a remarqué, que l'hippopotame pouvait être appelé l'éléphant de l'Egypte ; et le crocodile, la baleine de l'Egypte.

 

Le savant naturaliste Virey, membre de l'Académie de médecine de Paris, expose en ces termes les motifs qui lui ont fait adopter l'opinion de Bochart : « On rencontre en effet l'hippopotame dans les fleuves de l'Afrique, dit-il, et il a probablement fréquenté les rivières de l'Idumée, lorsque ce pays contenait peu d'habitants. On sait que ce quadrupède colossal vit d'herbes et de joncs; qu'il se tient caché dans les lieux aquatiques, entre les roseaux. Ses dents sont grandes et fortes ; leur dureté et leur blancheur les rendent plus précieuses que l'ivoire. Cet animal est doux et tranquille ; il se-tient en troupes, ou plutôt én famille, et sort pendant la nuit pour chercher sa pâtiire. Sa taille est un peu moindre que celle de l'éléphant mais sa queue n'a guère qu'un pied de longueur, ce qui ne se rapporte pas trop avec le récit de Job, qui compare la queue du béhémoth au cèdre du Liban.»

 

Cette différence dans la longueur de la queue n'a pas empêché M. Virey de reconnaître le béhémoth dans l'hippopotame. On voit qu'il tient à cette opinion ; jusque-là qu'il suppose que l'hippopotame fréquentait les rivières de l'Idumée, où il n'y a point de rivières. Il lui a paru qu'un, Iduméen ne pouvait parler d'un animal qui n'aurait pas vécu dans le même endroit que lui, et voilà pourquoi il suppose qu'il vivait dans un pays où il n'aurait pu vivre. J'aime mieux ce que dit Herder.

 

On trouve dans le poëme de Job beaucoup d'images égyptiennes. Par exemple, le Nil y est, comme partout en Egypte, appelé la mer. Il est souvent question du roseau à papier, du crocodile, des îles où résident les morts.... et du béhémoth, qui, selon toutes les probabilités, était non l'éléphant, mais le cheval du Nil… ; mais qu'est-ce que tout cela prouve ? Certes, Job n'a pas vécu en Egypte ; ou, en d'autres termes, son livre n'est égyptien ni sous le rapport de l'action, ni sous le rapport de la pensée.... Les notions sur Dieu, sur le monde, sur la création, sur les hommes et mir leurs destinées énoncées dans ce livre, portent le cachet hébraïque.... Relisez-le, ce livre avec attention, et vous trouverez, à chaque page, des preuves convaincantes. Après ce nouvel examen, vous reconnaîtrez que les images égyptiennes ne sont qu'une richesse empruntée à un pays lointain. Au reste, il est impossible de ne pas s'apercevoir que les comparaisons et les descriptions scientifiques ont été prodiguées et décorées avec une magnificence asiatique. Nous trouverons, dans un autre moment, toute l'étendue de la richesse orientale réunie sur un point de ce poëme où un l'y attendait le moins, c'est-à-dire dans un hymne à la Sagesse. Il en est de même d'une foule d'autres descriptions qui ne figurent là que parce que les objets sur lesquels elles portent sont inconnus et fournissent au poëte le moyen d'étaler son érudition. Les descriptions de l'autruche, du béhémoth et du léviathan en sont une preuve incontestable. Si ces deux derniers animaux avaient existé dans le pays de Job, aurait-il pu en faire un tableau aussi gigantesque et aussi solennel ? Non, sans doute ; ils n'ont été mis en scène qu'en qualité de monstres étrangers ; c'est là le but de leur apparition.....

 

.... Le béhémoth, d'après l'opinion généralement admise, c'est l'éléphant. Je ne me chargerai pas de motiver cette opinion toute moderne, les anciens croyaient que ce monstre était le rhinocéros, et ils ont pour eux, non-seulement des autorités respectables, mais encore les principales descriptions bibliques qui en font un animal amphibie ; car, selon ces descriptions, il faut compter parmi les qualités merveilleuses dont il était doué, celle de manger de l'herbe comme les taureaux, de trouver, comme eux, sa nourriture sur les montagnes, et de voir bondir autour de lui les animaux des champs. Il dort, est-il dit, au milieu des roseaux, et se cache dans les marais du rivage, ce que l'éléphant ne fait jamais. Il va au devant du courant des fleuves, comme s'il voulait boire toute l'eau qu'ils contiennent ; en faut-il davantage pour prouver qu'il s'agit d'un animal aquatique « Sa vigueur est dans ses reins, sa force est dans son nombril ; » et c'est là précisément où l'éléphant est le plus vulnérable. « Ses os sont des tuyaux d'airain, son échine est une barre de fer ; celui qui t'a fait l'a doté du harpon. » Cette dernière image s'applique aux dents saillantes de l'hippopotame, et non aux défenses de l'éléphant. Au surplus béhémoth parait être dérivé du mot égyptien P-ehemotüh, qui signifie taureau marin ; car les Hébreux, comme les Grecs, avaient l'habitude de changer tous les mots étrangers, pour les plier aux exigences de leur langue. J'ajouterai qu'il se trouve, ainsi que le crocodile, opposé aux animaux indigènes ; qu'il figure seul dans une partie du discours de Dieu, en qualité de monstre étranger, et qu'enfin c'est par lui que se termine la description des animaux. Tant de considérations réunies m'autorisent à croire que mon opinion deviendra bientôt l'opinion générale. En attendant, lisez à ce sujet Bochart, Ludolf, Reimarus, et vous verrez que les descriptions bibliques du béhémoth, où plutôt de l'hippopotame, sont aussi exactes qu'il était possible de les faire d'un monstre étranger.

 

Mais la trompe qu'il allonge semblable à un cèdre ? — Il n'est pas question d'une trompe, mais  d'une queue, et la comparaison ne porte pas sur la longueur, mais sur la courbure des branches du cèdre. Pour vous en convaincre, relisez le texte, et même les plus anciennes versions des passages qui parlent de cet animal. Les courbures des branches du cèdre sont, au reste ; une image assez fidèle des mouvements de ce massif monstre amphibie. ». On doit convenir, après cela, que le bébémoth est l'hippopotame plutôt que l'éléphant ; cependant, d'autres savants croient que ce n'est ni l'un ni l'autre, pas plus l'hippopotame que l'éléphant. Ils le reconnaissent de préférence dans certains animaux fossiles, découverts dans ces derniers temps, et reconstruits si heureusement par l'illustre Cuvier. Quelques-uns prétendent que c'est l'anoplotherium de ce grand naturaliste ; mais cet animal n'avait pas plus de trois pieds de hauteur, d'où il faut conclure qu'il n'était pas le béhémoth. D'autres-naturalistes trouvent avec raison entre le béhémoth et le mastodonte, ou mammouth, tel qu'ils le décrivent, une ressemblance frappante.

 

« Le grand mastodonte, dit l'un d'eux, la stature de l'éléphant ; mais ses proportions étaient plus lourdes et plus massives : il avait, comme ce quadrupède, des défenses d'ivoire et une trompe; mais ce qui forme le trait le plus distinctif de son organisation, ce sont ses dents très-volumineuses, et qui offrent, à la surface, des pointes arrondies et coniques, disposées par paires ; elles ont quelque ressemblance avec celles de l'hippopotame : quelques-unes de ces dents énormes pèsent jusqu'à douze livres. La forme de ces dents doit nous porter à croire que, comme l'hippopotame, le mastodonte choisissait de préférence les racines et les autres. parties charnues des végétaux, et cette sorte, de nourriture devait sans doute l'attirer sur les terrains mous et marécageux, sur le bord des fleuves. »

 

Il y a même des auteurs qui, d'après certains rapports venus, en 1829, de Francis-ville, sur le Mississipi, croient que le bébémoth n'est pas perdu ; car le mammouth ou mastodonte, qui n'est autre, suivant eux, que le béhémoth, existe encore dans les contrées occidentales de l'Amérique du nord; « Ce colosse du règne animal est frugivore ; sa nourriture favorite est un certain arbre dont il mange les feuilles, l'écorce et même le bois. Sa forme n'est pas belle, car il ressemble plutôt à un sanglier haut de quinze pieds, qu'à un éléphant ; il n'a point de trompe. »